Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

« Le cas de force majeure », tome 2 de « La Mandiguerre », par Morvan, Tamiazzo et Lerolle. Chez Delcourt.

Il est parfois plus difficile de réussir un tome 2 que de surprendre le lecteur lors d'une mise en place. Morvan se tire fort bien de cet exercice. Confortant les profils de ses personnages principaux, il rejoint avec « La Mandiguerre » des thèmes qui lui sont chers et qu'il a déjà défendus dans « Sillage ». Au point, peut-être, que le lecteur se demandera ce qui différencie cette série de la précédente. Mais au-delà de cette question, il est évident que Morvan se plaît à raconter des histoires qui mêlent la science-fiction et la morale, ne négligeant jamais de glisser un appel à la tolérance dans ses histoires. Celle-ci n'échappe pas à la règle et après nous avoir fait « trembler » devant son hideuse créature, le scénariste aurait plutôt envie de nous faire pleurer ; le « Mandi » échoué sur la planète « Espoir de Byancoor » finit par être bien plus émouvant et sympathique que terrifiant. Le dessin de Stefano Tamiazzo est de toute évidence influencé par le manga. Ce qui ne l'empêche pas de parvenir, quand il le faut, à faire passer l'émotion. Le résultat est un album qui allie légèreté, aventure, humour et cette pointe de « gravité » qui rend sa lecture intéressante.
« La dernière sourate », tome X du Décalogue. Par Frank Giroud et Franz. Chez Glénat.

C'est avec une grande curiosité que j'ai entamé la lecture de ce dernier volet du Décalogue. Je voulais savoir comment Giroud allait boucler la boucle, justifier en un peu plus de 50 pages une œuvre à la fois populaire (dans le sens premier du terme) et ambitieuse. En se penchant sur cette période méconnue et passionnante qui suit directement la mort du prophète, Giroud nous fait prendre part à ces moments où religion et politique se confondent. Au nom de la raison d'Etat, le Coran se doit de fixer certaines sourates plutôt que d'autres. Le Décalogue trouvé dans la demeure du prophète sur une omoplate de dromadaire risque de faire basculer la foi dans le mauvais camp, celui des pacifistes. D'où les débuts de cette chasse aux sorcières qui aura des conséquences jusqu'au vingt-et-unième siècle. Le scénario transversal de Giroud apparaît au grand jour (dès le tome 9, d'ailleurs) et prend un sens beaucoup plus intéressant. Lire ces dix livres (parus en deux ans, à peine), c'est prendre une grande leçon de clairvoyance et d'intelligence scénaristiques. Giroud mérite le succès. Un succès teinté d'un petit goût amer : celui de voir le dernier album publié deux semaines à peine après la mort de celui qui l'a dessiné...
Vlado (Le vol d'Icare) par Thierry Bellefroid
« Le vol d'Icare », par Etienne Schreder. Chez Glénat, dans la collection Carrément BD.

Icare et son père Dédale, le labyrinthe de Crète, le Minotaure, revus à la sauce Schréder, cela donne une BD carrément tortueuse dans la collection Carrément BD. Etienne Schréder mêle plusieurs histoires en une et se permet de revisiter l'un des plus vieux et des plus éculés des mythes antiques. Son fil d'Ariane se confond avec le labyrinthe puisqu'au sens métaphorique, l'un et l'autre sont tout simplement la mémoire. Mais le labyrinthe -le vrai- existe aussi dans cette histoire ; conçu par le père d'Icare (comme dans la légende), il fut une sorte de prison modèle au service d'une dictature de l'Est. Le fils va s'y précipiter, aveuglé par la recherche d'une mère qu'il n'a jamais connue et dont le mystère l'obsède. Jouant sur les deux tableaux, celui du mythe revisité et celui de l'Histoire comme trame à la fiction, Schréder balade son lecteur dans un monde totalement carré. Si ce n'est le labyrinthe lui-même, que tout le monde attend sous sa forme classique, et que l'auteur a intelligemment imaginé sur le mode de la spirale (ce qui permet de très beaux effets visuels). Schréder a profité de l'opportunité que lui offrait la collection de prestige des éditions Glénat pour jouer sur la forme sans pour autant la privilégier au fond. Il est amusant de voir que pour d'autres dessinateurs, le format carré des pages est surtout prétexte à découper des bandes panoramiques plus proches encore du cinémascope que ne le permet n'importe quel format classique, rectangulaire. Schréder, lui, est parti à l'opposé, il a joué la carte de la géométrie parfaite et, en ce sens, son album est déjà une réussite. Avec son dessin très ligne claire qui le place quelque part à mi-chemin entre Berthet et Goffin, l'ancien criminologue (il a travaillé en milieu carcéral pendant plusieurs années) explore, en marge du mythe, les systèmes répressifs imaginés par les dictatures de l'Est pour étouffer toute contestation et épurer leur population. Un album complexe, forcément labyrinthique, mais à la fois intelligent et esthétique, ce qui n'est pas si courant.
Le voyageur (Gargouilles) par Thierry Bellefroid
« Le voyageur », tome 1 de la série « Gargouilles », par D-P Filippi et J. Etienne, dans la collection « Les trois masques » des Humanos.

Denis-Pierre Filippi allait-il faire aux Humanos ce qu'il faisait déjà chez Delcourt ? Je l'avoue, en voyant le titre de cette série et sa couverture, je me suis sérieusement posé la question. « Un drôle d'ange gardien » et « Gargouilles » ont certes des points communs jusque dans l'approche graphique (Etienne est cependant beaucoup plus proche du mouvement du dessin animé que l'on retrouve chez un Fabrice Parme par exemple, que des ambiances à la fois stylisés et picturales de Sandrine Revel). Mais on est bien face à deux univers différents ; les deux BD ne s'adressent d'ailleurs pas tout à fait au même public. Avec « Les trois masques », les Humanos surfent sur la vague Harry Potter, qui a su réconcilier enfants, ados et adultes autour de la magie et du merveilleux. « Gargouilles » correspond parfaitement à ce cahier des charges, là où « Un drôle d'ange gardien » se destine sans doute davantage à un public enfantin. Bref, ce premier volume confirme un talent de conteur merveilleux, mais aussi une plus grande maîtrise de la narration chez D-P Filippi, auquel on peut parfois reprocher la minceur de ses scénarios. L'histoire est amusante tout en conservant sa part de mystère, les personnages sont attachants, jusqu'aux deuxièmes rôles tenus par la sœur ou la mère de Grégoire. Quant au dessin, rien à dire, il fait mouche. Stylisé, mais plein de vie et d'énergie, jouant sur l'humour sans oublier le spectaculaire, il plaira tant aux adultes qu'aux enfants. Humanos réussit donc son pari en investissant ce nouveau créneau, jusqu'ici surtout occupé par les éditions Soleil (voir « Le collège invisible », par exemple).
Une trop bruyante solitude par Thierry Bellefroid
« Une trop bruyante solitude », par Lionel Tran, Ambre et Valérie Berge. D'après le roman de Bohumil Hrabal. Chez 6 Pieds Sous Terre.

S'il y avait un prix de la meilleure adaptation d'un roman en bande dessinée, peu de candidats pourraient rivaliser avec « Une trop bruyante solitude ». L'équipe qui a travaillé plusieurs années sur ce projet s'est attaquée à un livre d'une densité et d'une beauté magistrales. Un roman sur la modernité et ses travers, sur l'homme et sa place dans le monde, sur le sens de la culture, sur l'obsolescence sociale, sur la littérature elle-même. Le souffle qui traverse ce livre vous emporte immédiatement et la première qualité de cette adaptation est d'avoir su le conserver. Le texte est très présent. Magnifique, il se suffit parfois à lui-même, ce qui explique que certaines pages sont délibérément blanches, juste recouvertes de quelques phrases. Non seulement, cela permet au lecteur de s'arrêter sur le texte, mais cela confère un rythme au livre, une musicalité qu'il est rare de rencontrer en bande dessinée. Les auteurs ont ensuite choisi une voie particulièrement originale pour ce qui est de l'adaptation elle-même, refusant de montrer en dessin ce que le texte suggère. A partir des photos réalisées à Lyon par Valérie Berge, « Une trop bruyante solitude » s'est construit dans une zone de totale liberté graphique et de création pure. Exit, Prague et l'univers réel de Hrabal. De la même manière que Lionel Tran s'est réapproprié le texte du livre, allant jusqu'à mettre l'auteur en abîme dans son adaptation, Ambre, le dessinateur, produit sa propre vision de l'émotion qui étreint le lecteur à la lecture des aventures de Hanta, l'ouvrier alcoolique voué depuis son plus jeune page à la destruction des livres, tombé amoureux de la littérature qu'il arrache au pilon. Le résultat est troublant, la lecture pleine de surprises. Il faut fouiller cet album du regard, pousser les portes entrouvertes, gratter derrière les visages hachurés, relire, revoir.
« Dix petits nègres », par Agatha Christie, François Rivière et Frank Lecelercq. Chez EP éditions.

En marge des nouvelles productions qu'il suscite entre écrivains et dessinateurs, Emmanuel Proust a décidé de rééditer le catalogue des adaptations d'Agatha Christie qu'avaient développé jadis les éditions Lefrancq. J'avoue qu'à relire ces « Dix petits nègres », j'ai particulièrement apprécié les talents d'adaptateur de François Rivière. Il faut dire que le romancier est un grand spécialiste de la reine du policier anglais. Et qu'il possède lui-même une culture littéraire et une connaissance profonde des mécanismes de la bande dessinée qui le placent parmi les candidats parfaits à l'adaptation de pareils monstres de la littérature. Les « Dix petits nègres » ne vieilliront pas davantage en BD qu'ils ne l'ont fait en roman. Et même si les couleurs parfois un peu délavées de cet album trahissent leur époque, la mise en scène de Frank Lecelercq rattrape ce côté désuet par sa modernité. Quant à l'histoire, si vous êtes parmi ces rares lecteurs à ne l'avoir lue ni en roman ni en BD, n'hésitez pas, il est temps de combler cette lacune. C'est sans doute l'un des meilleurs et des plus intelligents romans à énigme du vingtième siècle.
Le train fantôme (Lucie) par Thierry Bellefroid
« Le train fantôme » tome 1 de Lucie, par Catel et Grisseaux. Chez casterman.

Entre les filles de Jean-Philippe Peyraud et celles de Catel et Grisseaux, Casterman tente de faire la parade à Monsieur Jean, passé des Humanos à Dupuis. La filiation des deux premières et du troisième est si évidente qu'il n'est plus utile de revenir dessus. Au contraire, si le premier essai de Catel et Grisseaux dans la collection Tohu Bohu apparaissait comme du sous Dupuy-Berbérian, cette première aventure en couleur de Lucie gagne à être lue. Les deux complices parviennent toujours à viser juste. Et même si leur héroïne a un côté très parisien en lequel certaines ne se retrouveront pas, leur histoire sent bon l'authentique. Les hommes se reconnaîtront, eux, dans la mauvaise foi de Thomas ou l'insouciance de Yan. Mais ce sont surtout les femmes que Catel Muller et Véronique Grisseaux décrivent mieux que personne. Lucie passe par tous les doutes et toutes les interrogations de la plupart des femmes partagées entre une vie active et une maternité pas forcément arrivée au meilleur moment. Touchant, jamais manichéen, son personnage a quelque chose d'universel et d'emblématique sans pour autant quitter la légèreté qui sied à ce genre de BD. Une jolie réussite pour ce couple de créatrices qui scénarise à deux têtes et dont Catel couche ensuite les rêves sur le papier dans un style à la Dupuy-Berbérian relâché, parfois joliment naïf.
Magie noire par Thierry Bellefroid
« Magie noire » de Groud G. Gilbert. Chez Albin Michel.

A côté du délire policier des Corruptibles (voir critique de cet album paru chez Glénat), le ton fantastico-ésotérique de « Magie noire » et sa forme désuète risquent de rencontrer moins d'adhésion. Pourtant, si le premier est écrit par un Français, le second est le fruit du travail d'un Ivoirien qui sait de quoi il parle. Peut-être n'arrive-t-il pas à le transmettre par les voies habituelles de la bande dessinée, choisissant une voie trop tortueuse pour toucher le lecteur de ce côté-ci de la Méditerranée. Groud G. Gilbert a beau nous introduire longuement à son projet, on ne parvient jamais tout à fait à y entrer. Parler de la magie noire et du vaudou qui restent des éléments constitutifs tant en Côte d'Ivoire qu'au Mali ou au Bénin (où le vaudou est né), est en soi une démarche risquée mais intéressante. Groud G. Gilbert a choisi de le faire en passant par le fantastique ; le lecteur est amené à suivre ses personnages dans le monde parallèle des esprits. Ce n'est pas facile pour des cartésiens trop habitués à ne traiter le fantastique que sur le mode de la littérature européenne. Il y a toutefois de très beaux moments dans cet album touffu, il y aussi une magnifique couverture et des envolées presque poétiques. Mais le dessin et la mise en page ont quelque chose de réellement daté. L'emploi de l'aérographe, par exemple, tue certaines pages d'emblée. Ne soyons pas négatifs pour autant : Magie Noire a l'avantage de nous faire pénétrer l'âme africaine et de nous initier à une BD qui attend depuis trop longtemps d'être prise en compte par les éditeurs franco-belges. Cela devrait changer. Une collection africaine devrait voir le jour chez Glénat dans les mois à venir !
« Bonne arrivée patron ! » tome 1 des la série « Les Corruptibles » par Brezault et Pendanx. Chez Glénat.

« Les Corruptibles » ne s'annonce pas précisément comme une série ; il s'agit d'un triptyque qui consiste en une adaptation en bande dessinée d'un roman à paraître dans la Série Noire de Gallimard. Brezault, le romancier qui est aussi le scénariste de sa propre adaptation en BD, y décrit une aventure politico-policière typiquement africaine, qui commence sur les chapeaux de roues par une scène d'attentat peu banale. D'un côté, une valise convoitée que l'on arrache à son pourvoyeur sans se soucier de la main qui y reste attachée... de l'autre, la fille naturelle d'un ministre, que l'on kidnappe par erreur pour fournir un réseau de prostitution locale. Le tout sur fond d'Afrique de l'Ouest plus vraie que nature. Ou plutôt, gentiment caricaturée, pour la rendre plus vraie que nature. Alain Brezault a vécu en Afrique et ça se sent. Son ton, bien que corrosif, est celui d'un observateur attentif de la vie africaine d'aujourd'hui, celle où les Blancs Cassés ont remplacé les colons de jadis. Le dessin de Pendanx annonce la couleur dès la couverture. Les dominantes seront l'ocre, le jaune et le rouge, qui évoquent le côté ravageur de l'incendie métaphorique qui irradie cette partie du monde, mais qui évoquent aussi le sable et la latérite, la chaleur et la touffeur des lieux. Les trois albums devraient paraître en une année -le deuxième tome est annoncé pour avril. Brezault et Pendanx nous proposent ici une histoire à la fois délassante et pleine de dérision. C'est un regard tendre, finalement, que les auteurs posent sur ce joyeux foutoir où la corruption et l'indigence se partagent le butin de la vie.
Duo de choc (Parker & Badger) par Thierry Bellefroid
« Parker & Badger, Duo de choc ». Par Cuadrado, chez Dupuis.

Marc Cuadrado a-t-il enfin trouvé les personnages qui vont lui permettre de se faire un nom dans l'humour ? Norma n'a jamais totalement convaincu. Mais Parker & Badger pourraient très vite lui voler la vedette. Avec ce blaireau court sur pattes mais vif d'esprit et son « maître » à la gueule d'ahuri affublé d'une casquette de rapper, d'une boucle d'oreille, d'un gros nez (« ,non, pas gros le nez, puissant... ») et d'une cervelle de moineau, Cuadrado tient le bon duo. Ces Doubleppatte et Patachon des temps modernes vivent une vie tout ce qu'il y a de normal (dès l'instant où l'on accepte que les blaireaux parlent dans la vie normale, bien sûr) avec des problèmes de boulot, de drague, de voisinage... Mais les situations imaginées par Cuadrado les plongent tantôt dans le ridicule total tantôt dans l'humour décalé, jouant alternativement sur l'effet visuel et sur le gag de situation. Sans doute la meilleure surprise humoristique depuis longtemps. Un futur classique ?
« La véritable histoire des Krashmonsters, Tome 1 : Mosca Argnus Siestae », par Tarquin, Floch, Dutto, Bianco. Chez Soleil.

En voilà un album qui déménage. Dès les premières pages, on accroche ou on décroche. A l'évidence, cette joyeuse brochette de co-scénaristes et co-dessinateurs fait dans la grosse farce, le détournement de super-héros de comics US. Peut-être un rien confus au début, leur récit devient très vite un modèle du genre. La caricature est puissante, le rire garanti. Les trois Krashmonsters, deux ados et un gamin, sont excellents dans leur rôle de pourfendeurs-des-méchants-pendant-que-la-terre-entière-est-sous-l'emprise-du-mal. Ils sont imaginatifs, gentiment inconscients, n'ont peur de rien, et n'ont pas forcément toujours la modestie à fleur de peau. Aidés par un robot qui rappellera à certains les belles heures d'Aquablue, ils vont évidemment sauver la belle ville de Manayork dans un dernier gag final. C'est déjanté, libéré de toute envie de sérieux et de toute stratégie... bref, un défoulement auquel les quatre créateurs de cette série ont donné un peu de leur folie, tant dans le scénario que dans le dessin, sans autre prétention que de faire rire. Et c'est réussi, même si l'on sent toutes les limites du genre dans les inégalités du scénario, ou dans les ruptures de rythme... on s'en fout !
Le chant des oiseaux par Thierry Bellefroid
« Le chant des oiseaux », par Michaël Sterckeman, chez Atrabile.

Pratiquement dénué de phylactères, ce gros album raconte une histoire étrange, parfois à la limite de l'absurde, mais pourtant présentée sous les accents du réalisme. Sarganzon, un homme féru d'oiseaux depuis l'enfance se met à confronter ses théories à la réalité, en compagnie d'un disciple quelque peu aveuglé par son charisme. L'ornithologue est persuadé que la plupart des actes des humains s'expliquent par la présence de certains chants d'oiseaux dans leur entourage. Quand ses sujets d'expérience ne corroborent pas ses théories, il finit toujours pas retomber sur ses pattes, même s'il faut pour ça tordre le cou à quelques principes scientifiques élémentaires. Au village, tout le monde se moque de lui. Mais à force, Sarganzon devient une sorte de figure nationale, même la télé s'intéresse à lui. Comédie satirique, farce burlesque, ce livre est beaucoup moins gratuit qu'il en a l'air et cependant beaucoup moins sérieux que ne peut le laisser présager le début. Avec un ton très pince sans rire, Sterckeman installe son petit théâtre et nous offre une jolie galerie de portraits. Son dessin anguleux n'est pas révolutionnaire, mais il est plaisant et souvent très « complice » des textes off qui composent l'arrête centrale de cette histoire.
Littérature pour tous par Thierry Bellefroid
« Littérature pour tous, synthèse, vulgarisation et adaptation en bande dessinée des grands romans français à l'usage de l'adolescent contemporain. Sous la direction de Monsieur Vandermeulen. » Chez 6 Pieds Sous Terre.

Si vous ne devez lire qu'une BD d'humour cet hiver, ce pourrait être celle-là (Quoique. « Supermurgeman » aux Requins Marteaux et « Les loosers sont des perdants » chez Fluide ne sont pas mal non plus !) Comment résister à cet humour iconoclaste qui passe à la moulinette tous les chefs d'oeuvre de la littérature française ? Ouvrir cet album, c'est tourner le dos à l'académisme, peut-être pour mieux apprécier encore ce que les plus grands romanciers ont laissé à la postérité... De « Madame Bovary » à « L'extension du domaine de la lutte » de Houellebecq en passant par « L'Etranger », « Les Misérables », « Le rouge et le noir » ou « L'écume des jours », Monsieur Vandermeulen revisite la « grande littérature » avec un humour parfois potache. Jouant de l'argot pour parler des plus grands chefs d'oeuvre de la littérature, ce qui n'est pas la moindre des audaces, il force par ailleurs les confrontations hardies avec le dessin (Donald, Minnie, Picsou et les autres pour camper Eugénie Grandet, il fallait oser !). Impossible de lire cet album sérieusement, même si l'humour tient justement au fait qu'il fait semblant de se prendre au sérieux. Un vrai régal.
Amorce par Thierry Bellefroid
« Amorce », de Sarah Masson et Michel Squarci. A La Cinquième Couche.

La Cinquième Couche ne nous a pas habitués à des albums faciles. Celui-ci ne l'est pas davantage que les précédents, en dépit d'un graphisme d'une lisibilité exemplaire. Car « Amorce » porte bien son nom, et paraît être une histoire inachevée, un début de scénario laissé en plan avant son développement, suivi d'une série de dessins en totale rupture avec la première partie. Normal. Les deux histoires qui composent l'album sont totalement indépendantes l'une de l'autre. Scénario et dessin de la première ont été assurés par Sarah Masson. Et la seconde doit tout à Michel Squarci. Ce n'en est que plus désarçonnant. Mais pour peu qu'on se lance dans la lecture de ce livre au format italien qui tente une réflexion sur le désir et sa représentation, on ne pourra qu'être séduit ou, à tout le moins, intrigué, par un univers début vingtième siècle d'une beauté absolument magistrale. Avec une économie de décors et une totale absence de détails, Sarah Masson plante une ambiance surannée sur une narration extrêmement moderne. Plus influencé par l'infographie, Squarci approche une certaine pixellisation du récit qui est sans doute plus hermétique mais recèle, elle aussi, quelques perles. Leur livre est parcouru d'images superbes, de superpositions audacieuses. Les trouvailles visuelles et scéniques valent largement le détour, même si l'on ne peut s'empêcher de refermer cet ouvrage en se demandant si on a bien compris ce que voulaient faire les auteurs.
Gloriande de Thémines par Thierry Bellefroid
« Gloriande de Thémines », par Pascal Crocci. Chez Emmanuel Proust.

La couverture est accrocheuse. Les premières planches mènent le lecteur à la page 6, scène macabre et saisissante parfaitement rendue par le dessin « gore » de Crocci. Les personnages évoluent dans un décor gothique qui mêle les ruines existant aujourd'hui à l'action située quant à elle au XVIIème siècle. Gloriande de Thémines apparaît comme une héroïne de tragédie grecque, qui marche vers son terrible destin. Aussi, le parti-pris de ne pas montrer son assassinat alors qu'il est l'objet du livre est-il particulièrement audacieux. Tout se passe comme si Pascal Crocci s'était laissé surprendre lui-même par la fin de son histoire. Certaines ruptures dans la narration sont d'ailleurs difficiles à digérer. Crocci joue à saute-mouton avec le temps et ses ellipses sont parfois réellement étranges. Ce qui est plus gênant, à mon sens, est son travail de mise en scène. Les personnages empruntent des poses presque hiératiques, ils surjouent constamment, et les yeux exorbités que l'on connaissait déjà dans « Auschwitz » reviennent hanter les planches de cet album sans grand intérêt. Au final, l'impression d'un album froid, désincarné, qui ne parvient guère à captiver.
« Bab ek Ahlam, 1932 », de Sergio Toppi, chez Mosquito.

Sous-titré « La porte des rêves », un livre magnifique pour tous les amoureux de dessin. Il regroupe des illustrations de Sergio Toppi, l'un des dessinateurs italiens les plus talentueux du vingtième siècle. Aujourd'hui âgé de soixante-dix ans, il continue de fasciner par sa maîtrise du noir et blanc et de la composition. Souvent, devant ses planches, le lecteur se laisse emporter par la force d'un imaginaire aux influences à la fois picturales et historiques. C'est plus encore le cas ici, puisque les dessins sélectionnés dans ce florilège de 128 pages parlent par eux-mêmes et se dégagent de la contrainte narrative. Pour certains, Toppi est avant tout un illustrateur perdu dans la BD. Même si je ne partage pas ce point de vue, force est de reconnaître que l'Italien excelle dans la composition pure. Son noir et blanc hachuré, géométrique, parcouru de nervures et de vies intérieures, véritablement proche du relief de la sculpture, est unique en son genre. Quant aux nombreux travaux en couleur repris dans ce livre, ils oscillent entre onirisme et années soixante-dix, privilégiant volontiers des teintes psychédéliques. Un superbe objet et un tout aussi bel hommage que vient compléter l'intéressante interview en fin de livre.
Le livre de Sam par Thierry Bellefroid
« Le livre de Sam », par Filippi et Boiscommun. Aux Humanos.

On a beau dire que l'histoire de ce diptyque n'est pas d'une densité et d'une profondeur sans égales, sa lecture reste un très bon moment. Il faut dire que le graphisme de Boiscommun y est pour beaucoup. Passant avec un égal bonheur de planches très découpées à des pleines pages, il varie les effets et surprend souvent son lecteur. Il montre aussi une large palette de créateur d'ambiances qui passe tant par la couleur que par le découpage. Reste que de temps à autre, les expressions de ses personnages sont un peu limitées et répétitives. Cela se voit à peine, tant Boiscommun soigne ses cadrages, ses effets visuels et ses quelques monstres de pierre. Jamais sans doute, il n'a si bien marié les couleurs, ce qui est déjà un vrai plaisir visuel pour le lecteur.
Le scénario, quant à lui, nous propose une suite à la fois attendue et surprenante du « Livre de Jack ». Peut-être un seul livre eût-il suffi pour nous raconter cette histoire. On comprend que Denis-Pierre Filippi ait eu l'envie de la raconter en deux livres distincts, mais on ne peut s'empêcher de penser qu'ils sont tous les deux très vite lus et que sans le talent de Boiscommun, on s'apercevrait très vite de la minceur du propos...
Les voix des ombres (Naüja) par Thierry Bellefroid
« Naüja, tome 2 : Les voix des ombres », par Termens, Elias et Castillo. Chez Paquet.

Revoilà Naüja. Raspa et Gorb, le « couple » de héros de cette histoire, avaient séduit dans le premier volume de cette saga paru au printemps 2002. A peine le temps de reprendre son souffle et le lecteur se replonge dans cette histoire dont le graphisme emprunte autant au manga qu'à Walt Disney (hormis les couleurs -pas toujours de bon goût, d'ailleurs). Ce que l'histoire gagne en profondeur, elle le perd, il me semble, en poésie et en humour. Ce qui n'empêche pas quelques très bonnes scènes aux effets parfaitement dosés, comme celles où nos deux héros sont suppliciés au pied d'un arbre à baies rouges...
Là où le premier volume se distinguait par son ton et sa légèreté, ce deuxième opus ressemble davantage à la grande majorité des histoires d'Héroïc Fantasy. La couverture ne plaira pas aux partisans de la lutte anti-tabac, mais l'album devrait tout de même plaire à un public assez large, en grande partie grâce à la personnalité attachante des deux héros.

Dis-moi quelque chose par Thierry Bellefroid
« Dis-moi quelque chose », de Jason, chez Atrabile.

L'air de rien, le Norvégien Jason est en train de faire sa place chez les Suisses d'Atrabile. Avec deux albums en quelques mois et des publications régulières dans Bile Noire, Jason installe ses personnages à tête de chien ou d'oiseaux dans le paysage de la BD francophone. Lui, il s'en fout qu'elle soit francophone, la BD. Jason fait de la bande dessinée sans frontière, muette et universelle. Quoique, pour une fois... Il y a dans ce « Dis-moi quelque chose » une petite concession, des textes off placés à la manière des petits encarts dans le cinéma muet. Pourtant, vous pouvez lire cette histoire sans cet apport « littéraire » et tout comprendre ; c'est la force de Jason. Il sait se faire comprendre, à la manière d'un cartooniste. Chacun de ses dessins a l'apparence d'une image naïve, dépouillée à l'extrême. Mais chaque case a sa signification et sa place dans le récit. Pas toujours drôle au premier degré mais jamais ennuyeux, l'auteur nous promène dans un humour décalé et personnel qu'il est pour l'instant le seul à pratiquer. Un très bon metteur en scène doublé d'un excellent dessinateur, travaillant sur l'effet plutôt que dans la surenchère, voilà ce qu'est Jason. Ils ne sont pas si nombreux à concourir dans cette catégorie...


Les riches heures (Journal) par Thierry Bellefroid
Journal (4), « Les riches heures », par Fabrice Neaud. Chez Ego Comme X.

On peut difficilement nier le fait que ce Journal a ouvert une brèche dans la bande dessinée, jusque-là assez hermétique à toute expérience autobiographique « pure », dans l'esprit même de ce qu'est un journal de bord. Mais on peut aussi être tout à fait allergique à cette mise en pâture des sentiments, des gens rencontrés et des petites histoires vécues au quotidien. Pour ma part, je dirais que ce qui sauve Neaud d'un certain voyeurisme malsain, c'est tout simplement son talent. Et son honnêteté, peut-être.
Mais l'intérêt de ce quatrième recueil est sans doute à chercher ailleurs. Plus poétique, avec une magistrale scène d'entrée en Pays Basque, plus apaisé aurait-on envie de dire, il propose également une mise en abîme qui tient au fait que ce livre-ci raconte la période de publication du premier Journal de Fabrice Neaud. Des années 95-96 davantage tournées vers la création que vers l'onanisme, ce qui nous vaut des planches moins crues qu'à l'accoutumée et une série de « tronches » du milieu plus vraies que nature (Bajram, Bruno Maïorana, Xavier Lowenthal : 10/10. Mais on trouve aussi notamment Jean-Christophe Menu, Anne Barraou, Christophe Poot, Thierry Van Hasselt, Thierry Leprévost...).
Neaud est entré en « Journal » comme d'autres en religion. Sans concession, il trace une oeuvre en marge, à la fois totalement narcissique et tournée vers le monde. Même si le fait de choisir de nous raconter certaines choses plutôt que d'autres est un parti-pris qui peut s'avérer cruel, il n'épargne pas plus son propre personnage que les autres. Cette absence de pudeur peut agacer. Mais c'est elle qui donne le ton de ce Journal.
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