Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Tête à tête par Thierry Bellefroid
« Tête à tête », de Dominique Hérody. Aux éditions de L'An2.

C'est Lewis Trondheim qui avait eu la bonne idée d'aller rechercher Dominique Hérody, avec qui il avait signé « Farniente », à L'Association, l'an dernier. Pourtant, Hérody, auteur de Futuro et plus tard de Magic-Strip (la « tête de pont » de la nouvelle BD en Belgique dans les années 80, sous la houlette des frères Pasamonik, un éditeur qui a soutenu des gens aussi talentueux que Chaland ou Avril...), n'attendait pas le vingt-et-unième siècle pour faire de la bande dessinée. Mais ce retour inattendu après 15 ans sans album semble avoir réveillé de vieilles envies. Voici donc un livre épais (300 pages !), qui est comme une leçon de portraits au lavis. L'eau et l'encre rejouent les visages, se jouent des perspectives, tracent des tronches plus ou moins réalistes. Un livre bien plus ébouriffant que pourrait ne le laisser croire un rapide survol de vingt secondes comme on peut le faire dans les rayons d'une librairie. A condition d'aimer le dessin, vous y trouverez une galerie de portraits subtile et foisonnante.
« The boondocks : Parce que je sais que tu ne lis pas le journal », par Aaron Mc Gruder. Chez Dargaud.

Aaron Mc Gruder nous a concocté un petit bijou d'humour noir, un humour qui n'a jamais si bien mérité son nom. A Woodcrest, banlieue blanche plutôt bourgeoise où ils ont établi leur nouveau chez eux après une enfance dans le ghetto noir de Chicago, Huey et Riley, les deux frères Freeman, font la pluie et le beau temps. Huey, l'aîné, est une conscience politique pure. En quelques traits et quelques mots, Mc Gruder le dote d'une connaissance du monde et surtout du monde noir que même Spike Lee ne devait pas avoir à son âge. Sorte de surdoué de la ségrégation, il revendique ses racines africaines, milite, a réponse à tout et à tout le monde, n'épargne personne, même sa voisine qui a pourtant épousé un noir. Riley est l'autre facette du ghetto noir de Chicago d'où sont issus les deux gosses. Marqué par la culture rap, l'attitude du caïd et le culte de la violence, il n'entend rien à ce que lui dit son intello de frère et tente de sauver sa réputation de méchant. Deux personnages parfaitement complémentaires que viennent enrichir des personnages secondaires intéressants. Les strips sont intelligents -on devrait plutôt dire brillants- et parviennent à faire rire tout en distillant des messages forts, sans concession. Mc Gruder a le sens de la formule choc, de la concision, aussi. Et de toute évidence, il a lui-même une conscience noire qu'il n'est pas prêt à diluer dans quoi que ce soit. Il est heureux que cette excellente série ait trouvé une traduction française, qui plus est chez un gros éditeur ! A faire lire dans les écoles... à condition d'avoir une connaissance minimale des Etats-Unis (mais les notes en bas de page proposées par le traducteur Jean-Paul Jennequin -grand spécialiste de la BD US- sont là pour permettre au lecteur paumé de reprendre pied).
Bienvenue à Jobourg par Thierry Bellefroid
« Bienvenue à Jobourg ». Par Pascal Rabaté. Au Seuil.

Ceux qui ne connaissent de Rabaté que son adaptation d'Ibicus risquent d'être surpris par le dessin de ce « Bienvenue à Jobourg », dessin marqué par le trait et l'encre de Chine. Pour cette première BD en couleur -en fait de couleur, l'auteur joue uniquement avec des ambiances en vert et brun- Pascal a voulu quelque chose d'immédiat, de vif, proche du carnet de croquis, quelque chose qui ait les apparentes maladresses du crayonné, mais aussi son extraordinaire vitalité. Le résultat est magistral. Non seulement, l'auteur découpe, raconte, met en scène avec un talent inné. Mais en plus, il parvient à capter cette vérité urbaine difficile à cerner, celle d'une ville à la fois dangereuse et fascinante, prospère et pauvre, blanche et noire. Nulle autre ville africaine ne réunit de tels ingrédients, si ce n'est, dans une moindre mesure, Nairobi (au moins pour la violence). Jobourg est donc une sorte de laboratoire à ciel ouvert, où l'homme est le sujet d'expérience. Les hommes, comme toujours, c'est ce qui intéresse Rabaté. Il n'a donc pas failli à ses habitudes en nous rapportant une histoire humaine, touchante et drôle à la fois. Avec cet œil ironique mais jamais réducteur, avec cette façon de « dénoncer » la nature humaine sans la juger, Rabaté construit ici un album d'une belle justesse, qui résume toutes les tares et toutes les richesses de la vie à Johannesburg.
Le fantôme de Canterville par Thierry Bellefroid
« Le fantôme des Canterville », par Jean-Luc Cornette et Christophe Hanze. Chez Delcourt Jeunesse.

Derrière une couverture qui n'est pas des plus attirantes, l'adaptation d'Oscar Wilde imaginée en deux temps par Cornette et Hanze est tout simplement parfaite. Les deux compères avaient déjà exploré ce texte lors de leurs études. Ils ont peaufiné le travail des années plus tard pour atteindre un résultat qui allie l'humour à l'esthétique. Cette famille d'Américains qui débarque dans un château hanté et qui commence par nier l'évidence avant de la considérer avec la plus parfaite indifférence est particulièrement drôle. Elle se prête en outre très bien à l'adaptation en bande dessinée. Le malheureux fantôme, victime du désintérêt des uns et des mauvaises blagues des autres, frôle la dépression nerveuse. C'est très amusant, très enlevé aussi, car Cornette ne laisse pas la sauce retomber et parvient à faire oublier que cette nouvelle d'Oscar Wilde a déjà connu maintes adaptations. Quant à Christophe Hanze, plus habitué à la littérature pour enfants qu'à la BD, il maîtrise aussi bien les ambiances que le casting de ses personnages. Son travail en couleur directe rappelle parfois celui de Yoann, mais il possède son propre ton. Un bel album pour enfants.
« La plus belle zizique du monde », tome 3 de « Choco », par De Brab et Zidrou. Chez Casterman.

Avec « Jojo », « Oscar » et « Ludo », « Choco » est en train de devenir l'une des meilleures séries pour enfants. En seulement trois tomes, les auteurs ont su créer tout un petit monde plein de poésie, qui s'inspire du cirque mais flirte souvent avec le merveilleux et la magie. C'est encore le cas dans ce livre sur la musique où le personnage de Monsieur Djazzy élève un « notier » (un arbre à notes) dans une énorme serre et correspond avec les instruments à distance. Mais l'histoire dépasse de loin ce petit univers féerique et merveilleux. Zidrou a eu la bonne idée de s'en servir depuis le premier album pour « habiller » un propos souvent plus sérieux, plus profond en tout cas, celui de la famille recomposée. Chaque histoire de « Choco » aborde ce thème par une voie différente. Ici, c'est le remariage du père. De Brab parvient à donner à chaque visage une expression juste, passant de la malice à la colère et de la joie enfantine à la mélancolie en quelques coups de crayon, ce qui rend l'histoire d'autant plus touchante. A la manière d'un Ludo (dont je parlais plus haut), les auteurs font plus qu'explorer un thème par album, ils font passer des messages à leurs petits lecteurs, l'air de rien, sans jamais perdre de vue la nécessité de les captiver. De la BD enfantine intelligente, belle et drôle à la fois, c'est suffisamment rare pour le souligner.
Mr Burroughs par Thierry Bellefroid
« Mr Burroughs », par David Soares et Pedro Nora. Chez FRMK.

Mais qui est ce Mr Burroughs qui tire à la carabine sur des seaux de peinture et reçoit par la poste des dents, un appendice, un foie... tous issus de son propre organisme ? Un artiste, à la fois peintre et écrivain, qui tente de comprendre ce qui le relie au monde à l'heure où la mort s'approche. Vous l'aurez compris, ce livre est à la fois déjanté et philosophique. Les auteurs n'ont pas de tabou, ils explorent les pistes les plus improbables, y compris graphiquement, en se jouant de tout ce qui pourrait paraître trop propre. Le trait est anguleux, la mise en images décalée, avec des déformations et des proportions volontairement fantaisistes, le texte massacré dans les phylactères -quand ce ne sont pas des lettres barbouillées à l'infini sur les murs derrière Mr Burroughs. Et à côté de cela, il y a une profondeur dans le propos, une portée philosophique évidente, qui fait que rien de tout ce qui précède n'est gratuit. C'est de la bande dessinée d'auteur comme existe le cinéma d'auteur. En marge des canons de la BD, en marge de tout souci commercial, des artistes interrogent l'art, la création et l'angoisse de la mort ou de la souffrance. En ce sens, ils sont parvenus à leurs fins. Quand on referme le livre, on vit encore dans ce monde déformé pendant un certain temps.
« Les couleurs de l'infamie », par Albert Cossery et Golo. Dans la collection Poisson Pilote des éditions Dargaud.

Pour l'amoureux de l'Egypte et le connaisseur du Caire que je suis, cet album est une bénédiction. On y retrouve l'âme du Caire, dans tout ce qu'elle a de magique et de drôle, de poétique et de fataliste. Ce n'est évidemment pas un hasard. Albert Cossery, écrivain égyptien, sait de quoi il parle. Il manie l'ironie tranquille, la dérision, le second degré, la moquerie de soi, comme seul un Cairote peut le faire. Parti du roman éponyme, Golo adapte seul, découpe, illustre, dessine. Sans en remettre, sans trahir non plus. D'un trait épais qui rappelle parfois celui d'un Farid Boudjellal, il croque les gens et les situations en observateur attentif, guidé par le texte magnifique de Cossery. Car s'il faut remercier Golo d'une chose, c'est d'avoir conservé la verve du roman dont il s'est inspiré. Les dialogues, savoureux, ciselés, intelligents, sont eux aussi le reflet exact d'un art de vivre et d'une culture que l'auteur a su figer sur la feuille. Bref, plonger dans ce livre, c'est déjà partir en voyage, un voyage authentique, celui de l'Egypte d'aujourd'hui. Une Egypte qui se fout des pyramides, de la promiscuité, des odeurs ou de l'écologie. Une Egypte de la débrouille, qui possède sur son sol la plus grande des capitales africaines, ville aux confluents des civilisations et des cultures, asphyxiante, tentaculaire, fascinante et si humaine à la fois. C'est tout cela que vous retrouverez à la lecture de ces « Couleurs de l'infamie ».
Coup de poudre (Monster Allergy) par Thierry Bellefroid
« Coup de poudre », tome 1 de Monster Allergy, par Centomo, Artibani, Barbucci et Canepa.

Barbucci et Caneppa, les deux créateurs de « Sky Doll », quittent leur univers seventies pour une histoire enfantine plus proche des canons de l'animation grand public, voire du dessin animé japonais. Privilégiant la lisibilité et l'expression des enfants qui sont les héros de cette histoire imaginée par Katja Centomo et Francesco Artibani, ils font mouche, tant au travers du traitement graphique et du découpage que de la mise en couleur. Monster Allergy privilégie à la fois l'aventure, le mystère et l'humour, mais sans apparaître comme un nouvel avatar de Harry Potter. Car ce n'est pas tout à fait la magie que les auteurs ont placée au centre de leur histoire, c'est plutôt le paranormal et les dons médiumniques de leur héros, un gamin touchant de sincérité et de fragilité. Jouant les apprentis détectives, Zick et sa copine Elena démêlent une intrigue de voisinage dans une Amérique imaginaire mais cependant très bien restituée. On s'y croirait. Manifestement, les auteurs aiment entretenir cette ambiguïté. Pour eux, c'est l'occasion de jouer sur plusieurs registres à la fois et de ne pas céder à la facilité d'une histoire simplement linéaire.
La mission infernale par Thierry Bellefroid
« La mission infernale », par Baloo, chez Petit à Petit.

Petit à petit... l'oiseau fait son nid. C'est le cas de le dire, pour l'éditeur du même nom qui passe aux albums de plus grand format avec deux nouveautés, « La mission infernale » et « Léo Cassebonbons ». Mieux imprimé que le second qui paraît avoir été relié avec du papier buvard -le lettrage « bave » systématiquement-, le premier n'est pas l'album d'un inconnu. Seul aux commandes, Baloo, le scénariste de John Doe, triptyque paru chez Delcourt dans la collection « Sang-Froid ». Aux histoires de mafia mi-humoristiques, Baloo préfère ici le récit de guerre burlesque en version animalière. Une sorte de remake de « Apocalypse Now » décalé joué par des éléphants en uniforme. L'auteur pousse la parodie aussi loin qu'il le peut, grossissant le trait autant que le lui permet son univers pachydermique. Le résultat est forcément tiré par les cheveux, mais rappelle la fraîcheur, l'originalité -l'intérêt, même- d'un univers comme celui de « La Vache » (ou « Lait entier » pour les épisodes plus récents parus au Lombard) de De Moor et Desberg. Baloo est moins inventif et audacieux que De Moor, mais il parvient à amuser le lecteur d'un bout à l'autre de sa parodie tout en multipliant des clins d'œil habiles au cinéma. Bon, personnellement, j'aurais préféré qu'il se passe du « bêtisier » qui n'apporte rien et souligne un peu trop lourdement le rapport au cinéma, mais sans être parfait, son album réserve un bon moment au lecteur.
« Du grabuge chez Grabouillon », par Alexis Nesme, chez Delcourt Jeunesse.

Grabouillon, c'est le Pollypocket en bande dessinée. Un petit univers qui a l'air de tenir dans la main, avec une héroïne de Playmobil et un chien en plastique à la truffe géante gentiment gaffeur. C'est évidemment la forme qui prend le pas sur le fond. Peu de gens sont allés aussi loin qu'Alexis Nesme dans l'utilisation de la 3D, surtout dans le cadre de la BD enfantine. Peu de gens peuvent se vanter d'avoir atteint pareil résultat. Les gags de Nesme n'auraient évidemment pas le même intérêt dans une forme classique. Sans être mauvais, ils appliquent des recettes plutôt classiques et des idées qu'on a déjà vues et relues. Mais leur mise en image leur redonne un coup de jeune, un air de neuf qui surprend le lecteur. Dans ce monde coloré et innocent du jouet qui parle, le lecteur rêve avec le dessinateur. Poésie et esthétique se marient à la perfection. Pour le plaisir des enfants, sûrement. Mais aussi celui des plus grands, fascinés par la magie de cet univers à la fois réaliste et totalement artificiel, kitsch, animé, habité.
Tiamat (Le dernier Marduk) par Thierry Bellefroid
« Tiamat », tome 2 du « Dernier Marduk » de Eric Liberge, chez PMJ.

Peu à peu, le graphiste qui sommeillait en Eric Liberge semble prendre le pas sur le dessinateur de bande dessinée. Depuis ses débuts avec Monsieur Mardi Gras Descendres (dont Dupuis a racheté le fonds et s'apprête à publier un quatrième tome), Liberge a multiplié les expériences graphiques. Il s'oriente vers un dessin de moins en moins conventionnel qui mêle les techniques classiques et informatiques en abolissant de plus en plus souvent les cases. En résulte une lecture complexe et dense, souvent plus riche que dans la BD habituelle, mais qui peut faire perdre le fil aux moins assidus. En lisant ce deuxième volume, on s'aperçoit qu'il s'éloigne définitivement des univers à la « Schuiten-Peeters » auquel faisait parfois penser le premier, paru deux ans et demi plus tôt. Liberge épouse tout à la fois le fantastique, l'ésotérique, le spirituel et le mythe, dans un mélange qui n'est pas que graphique. Son monde est une métaphore du monde, de la création, du bien et du mal, chaos à la fois savant et ordonné, répondant à des règles immuables. Hanté, l'auteur a quelque chose d'un Druillet moderne dans la forme éclatée et polymorphe qu'il donne à ses histoires. Il faut juste qu'il apprenne à doser ses effets pour ne pas donner l'impression d'en faire trop.
Le preneur d'âmes (Asphodèle) par Thierry Bellefroid
« Le preneur d'âmes », tome 1 de la série « Asphodèle », par Corbeyran, Defali et Schelle. Chez Delcourt.

Encore une nouvelle série pour le prolifique Corbeyran. Celle-ci nous emmène aux limites du paranormal sur les traces d'une sorcière des temps modernes engagée par un étrange trio, victime de maléfices pour le moins embarrassants. Asphodèle n'a pas précisément le physique de l'emploi. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir du caractère et d'imposer ses méthodes à ses clients, que cela leur plaise ou non. Il faut dire que dès le départ, les trois hommes en question semblent avoir quelque chose à cacher. Corbeyran rend l'histoire attractive, sans exagérer les « effets spéciaux », en laissant le lecteur appréhender l'histoire à son rythme. Seul bémol, une fois de plus, le format trop étriqué de l'album ne permet guère plus qu'une présentation du problème et des protagonistes. En résulte une impression positive, celle d'être en face d'un scénario charpenté, mais cette impression est tempérée par la frustration résultant de la scène finale. « Asphodèle » confirme en tout cas la veine fantastique de Corbeyran, auteur du Chant des Stryges -entre autres- et son habileté au découpage. Sans être un grand album, loin de là, ce premier tome laisse présager de bons moments, même s'il affiche un air de déjà vu. Le dessin, lui , est un pur produit Delcourt. Ni franchement mauvais ni vraiment bon, il se contente d'être efficace. C'est tout ce que ce genre d'histoire demande. Mais c'est trop peu pour entrer au panthéon des futurs « smash » de la BD.
Frères de lait par Thierry Bellefroid
« Frère de lait », par José-Louis Bocquet et Andreas Gefe, chez EP Editions.

Voilà une adaptation d'un univers de roman pour le moins étonnante. Les lecteurs de « Hors champ », le dernier roman de José-Louis Bocquet paru chez Buchet Chastel, seront surpris d'en retrouver les protagonistes ici, mais dans une extension inédite. Pour eux, l'histoire développée dans « Frère de lait » prend davantage de valeur et de saveur que pour le seul lecteur de BD. (C'est tant mieux, y a pas de raison de ne pas récompenser ceux qui lisent de la littérature !) Mais il ne faut nullement avoir lu l'excellent livre de Bocquet pour apprécier cette descente des « ploucs » sur la ville. Le ton est très proche de celui du roman, jouant sur la voix off et les oppositions d'ambiances. Mais le dessin de Andreas Gefe apporte également sa touche à l'histoire. Un noir et blanc légèrement rehaussé de bleu qui prend la feuille dans le sens de la nervure, ça sent le papier à dessin et le crayon gras tout ça. Très réaliste et en même temps très personnel, le dessin de Gefe apporte ce qu'il faut de noirceur au scénario. Le résultat est une de ces histoires qui oscillent entre le pur polar et la peinture de mœurs. Réussi.
« Gaz à tous les étages », tome 1 de « Sam Speed », par Batem et Colman, scénario de Madeline et MO-cdm. A La Sirène.

La Sirène sur les traces de Bamboo lui-même sur les terres de Cauvin, ça commence à ressembler à une course relais ! D'autant que s'il faut jouer la carte de la filiation, ce Sam Speed doit tout, mais alors là absolument tout, au Joe Bar Team (qui lui-même doit beaucoup à Gaston...). Pour ceux qui, comme moi, détestent les copies -surtout quand elles sont inférieures à l'original-, cet album s'accompagnera inévitablement d'un petit signal « Warning » dans un coin du cerveau. Pour les autres, le rire est-il pour autant au rendez-vous ? Si je parlais de Cauvin un peu plus haut, c'est parce que Madeline et MO-cdm appliquent les recettes que le prince du rire de Marcinelle n'en finit pas de décliner depuis des décennies. Un univers confiné, avec des personnages aux contours si stéréotypés qu'ils conduisent presque les gags tout seuls, un comique de répétition...
A cela, il faut ajouter une recette infernale, qui coupe toute envie de rire : une grande partie des gags se construit sur un principe identique. On montre une partie du décor, on tire en longueur des dialogues plus ou moins allusifs tout au long de la page pour vous asséner le gag final en dernière case, simplement en élargissant le champ de la caméra. Voilà sans doute ce que la BD peut produire de plus pauvre en humour.
Arms - Tome 2 (Arms) par Thierry Bellefroid
« Arms 2 » par Ayouji Minagawa. Chez Kana.

Depuis l'excellent « Monster » de Naoki Urasawa, j'avoue regarder différemment la production des éditions Kana. Ce qui ne veut pas dire que tous les mangas me transportent de joie. Paru dans la collection « Big Kana », collection de « prestige » dans laquelle on trouve justement « Monster », ce nouvel univers est à la fois loin d'être original et particulièrement réussi. L'idée d'une génération de gosses possédant un bras artificiel commandé par des nanomachines presque indépendantes de leur volonté affiche évidemment un petit côté déjà vu. Mais la manière de traiter ce phénomène fantastique est quant à elle beaucoup plus intéressante. Minagawa s'intéresse à ses personnages (comme Urasawa, d'ailleurs) et les dote d'un profil psychologique qui dépasse les canons habituels du manga. Il parvient en outre à nous surprendre dans un univers pourtant très balisé. Même si son dessin est bel et bien le produit d'un système (pour ceux qui ne le sauraient pas, le manga est de la littérature de gare au Japon, il est donc hors de question de plancher un an sur un album comme en France ou en Belgique, par exemple), même si certaines scènes manquent de clarté narrative ou tout simplement graphique, « Arms » se présente déjà comme une des séries à suivre dans le flot de nouveautés venant du Japon. Nerveux, captivant, intelligemment mystérieux, le récit de Minagawa a encore quelques beaux jours devant lui.
Super Negra par Thierry Bellefroid
« Super Negra », par Winshluss, aux Requins Marteaux.

Après le succès de Monsieur Ferraille, Winshluss nous rejoue la carte du détournement et cette fois, il frappe fort. Son héros, c'est Mickey. Un Mickey devenu « Super Bad » après avoir été exposé aux radiations atomiques que sa maladresse a déclenchées. Dans ce comix déjanté d'un bout à l'autre, tout le monde pète les plombs : Mickey, bien sûr, mais aussi Pluto, Donald, qui prend la tête d'une milice de quartier ou encore Dingo, dont la folie n'est pas en reste. Ce massacre organisé qu'on croirait dessiné sur du papier buvard avec une plume qui aurait fait la guerre 14-18 est aussi faussement maladroit qu'il est inventif. Une fois de plus, Les Requins Marteaux osent la folie totale, le graphisme crade, les maladresses organisées. On a même quelques superbes fautes d'orthographe en prime (genre : « on le tiens ») mais on n'a rien sans rien, et si on veut du brut de décoffrage, il faut en subir les dégâts collatéraux. Rien à dire, en tout cas, voilà un comix carrément jouissif.
Lupus - T. 1 (Lupus) par Thierry Bellefroid
« Lupus Volume 1 », par Frédérik Peeters, chez Atrabile.

Grâce à « Pilules Bleues », Frédérik Peeters a considérablement pu élargir un public qui restait, jusque-là, assez confidentiel. Aujourd'hui, il peut donc installer des projets plus ambitieux, sans risquer de rater le rendez-vous avec le lecteur. Ce sera sans doute le cas de ce « Lupus », dont les cent premières pages sont éblouissantes de talent, tant graphique que narratif. Bien sûr, les esprits chagrins reprocheront à Frédérik Peeters la trop grande ressemblance de son trait avec celui de Blutch. Mais s'ils appartiennent à la même famille graphique, les deux auteurs ont chacun leur univers, leur patte personnelle. S'arrêter à cette apparente filiation serait une grossière erreur. Au contraire, sans jouer les suiveurs, Peeters nous offre ici une jolie leçon de dessin qui passe à la fois par des pages sombres, hachurées jusqu'à la limite de la lisibilité, mais aussi par des gros plans comme il les affectionne ou par des planches épurées, où le blanc prédomine très largement.
Quant à l'histoire, c'est un peu comme si Valérian et Laureline étaient revisités par Dupuy et Berbérian avec une pointe de Killoffer. Peeters détourne totalement le récit de SF. Ses deux héros sont des loosers qu'on pourrait aussi bien trouver à la station Châtelet qu'au fin fond du Bronx. Désenchantés, camés jusqu'à l'os, rebelles aussi. Et puis cette fille, avec ses grands yeux tristes, qui vient tout chambouler... Le voyage interstellaire est une belle excuse pour mieux cacher que cette bande dessinée ne nous parle que d'une chose : l'homme, la comédie humaine en général. Et bon sang, ce qu'elle le fait bien !
Mes ailes d'homme par Thierry Bellefroid
« Mes ailes d'homme », par Ludovic Debeurme. Aux éditions de L'An 2.

Edité dans une collection qui porte le nom de « roman visuel », cette étrange histoire emmène le lecteur aux confins de la bande dessinée et aux franges de la littérature. Ludovic Debeurme y retrouve cette écriture très personnelle et ce goût de l'étrange, si bien mariés dans « Céfalus », son premier essai paru l'automne dernier chez Cornélius. Le ton est totalement en rupture avec celui de la bande dessinée et c'est ce qui fait de ce livre un véritable petit bijou. La narration séquentielle est bel et bien présente, on peut donc parler de BD, mais on aurait presque envie de parler d'une nouvelle illustrée. Pourtant, Debeurme est aux commandes de l'ensemble, on ne peut donc pas évoquer ici un travail d'illustration. Au contraire, il faut y voir une volonté de transcender les frontières d'un genre, de faire se rapprocher l'écriture et le dessin. Le trait proche de la gravure évoque souvent Mattotti. Mais on est loin d'un travail de copie. Ne fût-ce que parce que l'univers de Debeurme ne ressemble à celui d'aucun autre. Sa galerie de monstres s'agrandit, qui plonge ses racines dans une interrogation presque métaphysique de la vie. Et qui trouve à travers le dessin une justification esthétique souvent stupéfiante.
Portvissen (Tommy Egg) par Thierry Bellefroid
« Portvissen », tome 2 de « Tommy Egg », par Eco. Chez Paquet.

Le jeune Tommy poursuit sa quête initiatique, toujours aussi confondant de naïveté et d'impatience. Mais Eco introduit un élément fantastique dans un récit qui, jusque-là, brillait surtout par sa poésie semi-réaliste : un poisson qui parle (il fait même plus que ça, mais je m'en voudrais de dévoiler la surprise de la fin de l'album). Avec ce ton presque innocent qui le caractérise, Eco dépeint un univers attachant et pourtant d'une extrême simplicité, jusqu'aux décors qui ne sont qu'esquissés. Ses dialogues affichent toujours ce qu'il faut de candeur ou d'humour pour entraîner le lecteur à la suite de Tommy et du capitaine Van de Zee. Tommy, c'est l'enfant que nous avons tous été : il rêve d'aventure et de grands espaces, ne mesure que rarement la gravité des dangers qui l'entourent, voit le monde à travers un prisme manichéen. Autour de lui, les méchants sont très méchants et les bons un peu moins bons qu'il le voudrait. Mais comme tous ces enfants dont la BD a fait des héros, un brin d'astuce vient toujours à point pour se tirer d'un mauvais pas. Servie par un dessin dépouillé, oscillant entre ligne claire, école Spirou et nouvelle génération -tout en conservant un côté gentiment enfantin-, voilà une série qui constitue un délicat entremets.
« La grande terre », tome 1 de « Dernière frontière », par Marc Bourgne. Chez Carabas.

Plus de dix ans après avoir été dessiné, cet album n'a pas pris une ride. Dans l'esprit des séries « Etre libre » (Dargaud) et « Frank Lincoln » (Glénat), Bourgne y parle de ce qu'il connaît le mieux, l'Alaska. Mais à la différence de Lincoln, il garde dans « Dernière frontière » une innocence et une fraîcheur adolescentes qui rend ses personnages réellement attachants. L'histoire est assez classique : deux ados que tout sépare -il est fils de bonne famille, neveu d'un pilote d'avion-taxi, elle est de sang indien, abandonnée par sa mère dans un orphelinat, en révolte contre la terre entière- se rapprochent à travers les épreuves traversées ensemble ; un avion qui se crache, l'immensité du grand Nord, la lutte pour la survie. Mais Bourgne parvient à donner un souffle épique à cette aventure et à magnifier les paysages de telle sorte que le lecteur s'attache très vite à ce duo d'ados égarés. Une belle initiative des éditions Carabas que d'avoir exhumé cette série oubliée.
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