« Kuklos », de Sylvain Ricard et Christophe Gaultier. Dans la collection Latitudes des éditions Soleil.
« Banquise », premier album du duo paru dans la même collection Latitudes, avait séduit par son côté déjanté, sa fougue, son univers original et irrévérencieux. Mais il pouvait énerver par sa violence gratuite. Prenant le parfait contrepied, les auteurs redonnent dans le récit hyper violent, mais en racontant, cette fois, un tragique épisode de la vie du Sud américain où le Ku Klux Klan occupe toute la place. Ça gicle pas mal, on dérouille, on branche, on bastonne, on traite tous les noirs de négros, on colporte la haine à toutes les pages dans une dévotion qui en rendra plus d'un malade. A tel point que certains ne manqueront pas de se demander comment un éditeur d'origine algérienne qui a eu maille à partir avec le racisme ambiant a pu éditer un tel album. Sans doute le juge-t-il utile au débat. C'est vrai que ce qui apparaît comme l'apologie de la défense de la race blanche n'est qu'une manière de montrer où mène cette violence. Et c'est sans doute là que le lecteur est un peu perdu. Après avoir épousé les causes du Klan pendant près de 80 pages, le héros est tout simplement puni comme il le mérite. Un peu facile, évidemment. Cette fin moralisatrice apparaît presque comme une pirouette justifiant le choix du sujet. Je ne dis pas ici que les auteurs éprouvent quelque sympathie que ce soit à l'endroit du Klan ou du racisme. Je n'en sais rien. Mais la lecture de leur album laisse planer un certain doute, on sent qu'il y a davantage une envie d'explorer des univers glauques et de jouer à se faire peur, ou à provoquer, qu'une démarche intellectuellement assumée. Quoiqu'il en soit, « Kuklos » se lit comme on regarde un film dur, avec un mélange trouble de dégoût et de fascination morbide. L'histoire est celle de l'arroseur arrosé. Les membres du Klan sont victimes de leurs déchirements internes et finissent par payer leur arrogance, mais rien ne se règle hors de la loi du Talion, oeil pour oeil, main tranchée pour doigt coupé. Le graphisme de Christophe Gaultier, tranchant comme le propos, ne parvient pas à faire oublier un instant l'influence de de Crécy. Mais le disciple est doué.
NOTE BD PARADISIO :
La critique de « Kuklos » qui précède a provoqué de vives réactions, quelques heures à peine après sa mise en ligne. Le scénariste, Sylvain Ricard, sest senti visé, voire diffamé par mes propos. Ceci nest pas un droit de réponse que lui accorde BD Paradisio - il ne la dailleurs pas demandé - mais une mise au point. Il semble que je me sois mal exprimé et je men excuse auprès des auteurs. Je nai jamais voulu insinuer quils adhéraient aux thèses du Klan, mais seulement voulu mettre le lecteur en garde face à un propos et un parti-pris scénaristique qui peuvent mettre mal à laise. Je ne déconseille nullement la lecture de cet album, au contraire ; les auteurs ont réussi le tour de force de se mettre dans la peau de héros « indéfendables ». Et si certains ont pu croire que je sous-entendais que Sylvain Ricard et Christophe Gaultier nourrisaient des sympathies pour les thèses dextrême-droite, quils sachent que je me mettais simplement dans la peau dun lecteur « lambda » qui pouvait se poser la question si, comme moi, il ne connaissait rien des opinions politiques des auteurs. Cétait maladroit.
Voilà qui devait être dit.
Pour ceux qui veulent en savoir plus, des extraits de
la correspondance échangée ces dernières 24 heures entre Sylvain Ricard et moi se trouvent ici sur le site.
Thierry Bellefroid