Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Ping Pong par Thierry Bellefroid
« Ping Pong, tome 1 », de Taiyou Matsumoto. Chez Delcourt.

L'histoire de "Ping Pong" est somme toute assez classique, puisqu'elle raconte l'ascension de plusieurs joueurs de tennis de table à la personnalité très différente mais dont le trait commun est d'être des champions en puissance. Quelque part, on y retrouve un esprit assez proche de celui qui règne sur une série comme « Coq de combat ». Mais ce qui frappe, à la lecture de ce manga édité en format un peu plus luxueux et plus grand que les autres publications japonaises des éditions Delcourt, c'est la qualité de son dessin. Généralement purement fonctionnel et extrêmement stéréotypé, le graphisme des BD japonaises attire rarement l'œil du lecteur occidental et moins encore l'enthousiasme. Matsumoto s'impose en revanche comme un réel virtuose, approchant le ping pong avec une nervosité et une vivacité qui dynamitent véritablement le propos. Mais son trait n'est pas seulement vivant. A l'efficacité, il ajoute la marque personnelle, proposant un traitement que ne désavoueraient pas bon nombre de ses collègues franco-belges. Son travail sur les visages des personnages et sur les décors aurait tout aussi bien pu trouver sa place dans une collection d'auteur en noir et blanc chez nous.
« 20th Century Boys, tome 10 », par Naoki Urasawa. Chez Panini Comics.

Comme beaucoup de lecteurs, j'ai découvert Urasawa à la lecture de « Monster ». Je pensais que je ne lirais pas de sitôt une histoire aussi haletante et si bien menée malgré un nombre de pages -et de volumes- bien plus conséquent que ce à quoi nous a habitué la production franco-belge. Et puis je suis tombé sur « 20th Century Boys ». Au plan scénaristique, voilà qui relègue la plupart des BD de ces vingt dernières années au rang de feuilletons pour ados boutonneux. Bon sang, ce type est absolument redoutable ! Non seulement son histoire est un excellent thriller, mais en plus, la narration y est développée avec une maestria et une intelligence rares. Les allers-retours dans le temps sont chez Urasawa plus qu'une manière de briser la monotonie du récit. Ils racontent l'histoire en la présentant comme un puzzle. Chaque pièce donne une idée de l'ensemble mais la vue complète est toujours repoussée. A cheval sur trois périodes, les quelque 2000 pages qui composent ce récit aujourd'hui ne laissent jamais le lecteur sur un sentiment de frustration. Au contraire, chaque digression enrichit le propos et compose plus avant une fresque de personnages extrêmement riche. L'action est tendue, continue, avec des pics paroxystiques qui ont l'avantage de toujours n'être qu'une étape vers une résolution finale sans cesse inatteignable. Combien de fois le lecteur croit-il qu'il va enfin connaître l'identité de « Ami » ? Et combien de fois a-t-il tourné la page pour se rendre compte qu'il ne s'agissait que d'une fausse piste de plus, voire, tout au plus, d'un fragment de vérité... Dans ce récit à tiroirs qui utilise sans complexe tous les trucs et astuces liés au suspense, le lecteur n'est jamais le dindon de la farce. Contrairement à certains feuilletonistes qui utilisent de grosses ficelles pour lancer le lecteur sur de fausses pistes, Urasawa fonctionne en donnant de faux objectif au lecteur. Celui-ci ne sait pas que plus loin, il y a toujours une nouvelle quête, un développement de l'intrigue qui le fera passer dans une autre dimension du suspense. Magistral !
Mai 1944 (Elle) par Thierry Bellefroid
« Elle, tome 1, Mai 1944 », par Fanny Montgermont. Chez Paquet.

La couverture annonce la couleur. Il suffit d'ouvrir l'album à la très belle première page pour savoir qu'on ne s'est pas trompé. « Elle » propose un récit plus romantique que romanesque et cela malgré un contexte lourd : la guerre, la résistance avec ses arrestations, ses interrogatoires ou ses exécutions. L'ange blond aux yeux couleur cyan qui a perdu ses ailes traverse l'album et tente de donner un sens à ce monde chaotique. Mais s'agit-il bien d'un ange ? Elle seule semble en être persuadée. Et le lecteur balance, sans trop savoir. La douceur de son visage, la profondeur de son regard, l'innocence de sa blondeur collent parfaitement au rôle que lui a attribué Fanny Montgermont. Le dessin est sans conteste l'atout de ce diptyque, dont le scénario est jusqu'ici le point faible, surtout pour son côté un peu court. Mais pour son sens de la couleur, de la mise en page et du crayonné joliment mis en avant dans la planche finale, Fanny Montgermont mérite qu'on s'intéresse à ce tout premier livre. Même ses défauts de jeunesse ont quelque chose de touchant.
M le magicien par Thierry Bellefroid
« M Le Magicien » de Massimo Mattioli. A L'Association.

Jusqu'où une maison peut-elle se mettre en danger pour éditer un livre auquel elle croit ? Cette question se pose plus que jamais en découvrant le superbe ouvrage de L'Association consacré à Mattioli et couronné dès sa parution par une nomination dans la toute nouvelle catégorie « Patrimoine » des prix d'Angoulême. Ce chantier -il n'y a pas d'autre mot- a occupé une personne à plein temps pendant plusieurs années. Même si le livre a du succès, il est donc évident qu'il ne rapportera jamais autant d'argent qu'il en a coûté. C'est donc avant tout le travail d'un éditeur qu'il faut saluer. Et cet éditeur -L'Association- a toujours considéré qu'il était de son devoir de rééditer les grands anciens. Mattioli est-il un « grand ancien » ? Au regard de l'Histoire de la Bande Dessinée, peut-être pas. Mais les lecteurs de Pif n'ont pas oublié ce chef d'œuvre d'humour minimaliste. Et trouveront ces strips restaurés en couleur pour la première fois en album, ce qui ne pourra que les ravir. Espérons toutefois que la curiosité poussera de plus jeunes lecteurs à se pencher sur un livre édité avec le plus grand soin et le plus grand respect pour l'œuvre originale. « M. le Magicien » est plus qu'une bande dessinée. Il s'agit d'un de ces objets qui honorent la profession d'éditeur (n'ayons pas peur des mots). 231 pages de bonheur et de poésie qui remettent à l'honneur des planches parues il y a plus de trente ans (les premières datent de 1968 !).
« Derfal le magnifique », par José Roosevelt, aux éditions La boîte à Bulle.

Premier volume de la série « La bibliothèque de Juanalberto », « Derfal le magnifique » inaugure une nouvelle collaboration entre le peintre brésilien et le jeune éditeur Vincent Henry, après des débuts remarqués chez Pierre Paquet. On y retrouve certains des personnages développés dans « L'horloge » et « La table de Vénus », mais dans un format plus petit et en noir et blanc. Le fil conducteur de l'oeuvre de Roosevelt, c'est la création, la philosophie et... un canard nommé Juanalberto que l'on retrouve d'un univers à l'autre, sans qu'il s'agisse toujours pour autant d'une suite aux précédentes aventures. « Derfal le magnifique » est un magnifique conte sur la connaissance. Le narrateur ne vit que pour la lecture des oeuvres de Derfal, auteur traduit dans sa langue mais qu'il décide de comprendre dans la langue originale pour mieux s'imprégner de la subtilité de son art. Le narrateur quitte donc son pays, Flabuck, et la chère où il enseigne Derfal depuis plusieurs années. Il part en Basse-Flandrie, à la rencontre de la « parole ». Sitôt dans le pays de Derfal, il doit apprendre le flandrin, la langue originale de Derfal. L'apprentissage sera long. D'autant que le narrateur décide de s'imprégner de la culture de son pays d"adoption avant de lire son auteur fétiche dans le texte. Et c'est là que s'opère le changement. Raconté sur un mode subtil, ce voyage initiatique au coeur de la connaissance et d"une culture imaginaire nous apprend qu'on ne peut jamais être sûr de rien, que les certitudes sont parfois établies sur des trahisons. Au final, on s"aperçoit que la vieillesse et la connaissance vous changent aussi sûrement que l'immersion dans une autre culture. On referme ce livre imprégné de sagesse et sérénité. Voilà qui n'est pas courant.
Infernum In Terra (Prophet) par Thierry Bellefroid
« Infernum in terra », tome 2 de Prophet. Par Lauffray. Aux Humanos.

Mathieu Lauffray continue seul l'histoire commencé avec Xavier Dorison et imaginée par le co-auteur du Troisième Testament. Passé l'étonnement du premier album, magistrale mise en place d'univers aux images souvent stupéfiantes, Lauffray donne une suite à l'histoire de cet archéologue tombé dans une autre dimension en chutant avec sa voiture du haut d'un pont de Manhattan. Si la fin du premier livre laissait le lecteur seul à seul avec ses interrogations, ce deuxième volume éclaire le récit en distillant une à une les pièces du puzzle. Mais sans tuer le suspense, puisque l'auteur ne nous donne pas toutes les explications d'un coup. Le lecteur un peu attentif se doutait bien qu'il y avait un rapport entre le cataclysme du premier album et la découverte d'un site majeur au Tibet faite par le héros au tout début du livre. Cela sonnait comme une malédiction, un retour de manivelle pour avoir profané un lieu intouchable. L'histoire nous montre que cela va plus loin et imagine un lien entre la découverte de ce site et le chaos dans lequel se trouve englué le héros... que vous ne découvrirez que petit à petit, et surtout vers la fin de l'album. En attendant, ce deuxième volume de Prophet prouve une fois encore le talent de créateur d'univers et surtout de metteur en scène de Mathieu Layffray. Des images fortes, il y en a plein dans cet album qui ne lâche son lecteur qu'à la toute dernière case. Dorison a beau ne plus être de la fête, on n'a pas l'impression que le récit y ait perdu quoi que ce soit. Toujours aussi intriguant, toujours mené avec un rythme et des effets d'une grande efficacité, son seul défaut réside peut-être dans des dialogues parfois un peu moins bien ciselés. Quoi qu'il en soit, on sait déjà que « Prophet » est l'une des séries qu'on ne perdra pas de vue aux Humanos !
Gaïjin-San (Bushido) par Thierry Bellefroid
« Gaijin San », tome 2 de Bushido. Par Koeniguer et Escamilla. Chez Paquet.

Récupéré après la disparition de Pointe Noire par les éditions Paquet, Bushido a d'abord eu droit à une réédition du tome 1 avant de connaître enfin une suite. Le deuxième volet de ce triptyque qui mêle mafia américaine et Yakuzas japonais se passe intégralement au Japon. On y suit les tribulations de ces hommes qui vivent encore selon des codes d'honneur totalemet dépassés. L'époque n'est plus aux samouraïs et ceux pour qui l'honneur prime sur toute autre valeur vont l'apprendre à leurs dépends : aujourd'hui, la seule bible pour tous est l'argent et le pouvoir. Condamné à très court terme par un cancer, le tueur de la mafia new yorkaise John Masanori venu retrouver ses racines au Japon s'imagine qu'il peut payer une dette d'honneur en suivant les codes de ses ancêtres. Mais l'histoire va le plonger dans une lutte de pouvoir qui fait fi des règles anciennes. S'en suivent des aventures musclées et parfois violentes mais qui rappellent les meilleurs films du genre, comme le Black Rain de Ridley Scott. Koeniguer mène son histoire tambour battant, même si l'on devine parfois où il veut en venir. Ses personnages sont peut-être un rien trop manichéens et stéréotypés mais la lecture de ces deux premiers albums reste réellement un moment de plaisir. C'est sans doute dû à un traitement graphique efficace à défaut d'être esthétique. Koeniguer privilégie toujours l'action et le mouvement, ne se laissant jamais aller aux images gratuites qu'on dessine parfois pour se faire plaisir. Seule la mise en couleur d'Oscar Escamilla me laisse plus sceptique.
Le scoop (Daredevil) par Thierry Bellefroid
« Le scoop », Daredevil N°5 par Bendis et Maleev, dans la collection 100% Marvel des éditions Panini.

Suite directe de l'épisode précédent (« Underboss »), « Le scoop » propose l'une des meilleures histoires de l'année et certainement l'une des variations les plus intéressantes sur l'univers des héros de comics US. Daredevil y apparaît dans toute sa fragilité d'homme. A la suite d'une sombre histoire de complot mafieux contre la personne du Caïd, c'est Daredevil en personne qui paie les pots cassés. L'un des truands repentis livre la véritable identité du justicier à deux flics véreux qui ne trouvent rien de mieux que de revendre l'information à l'un des gros canards de la ville. Daredevil et Matt Murdock, le célèbre avocat aveugle, ne feraient donc qu'un ? L'info jusque là tenue secrète fait le tour de la ville en un rien de temps. Et l'enfer s'ouvre sous les pieds du super héros, confronté à une crise d'identité à laquelle rien ne l'avait préparé. Le résultat, c'est un livre d'une force magistrale. Les dialogues, les situations et les ressorts psychologiques des personnages sont aux antipodes des poncifs de super héros trop souvent proposés par la BD américaine. Bendis, que l'on connaît désormais comme l'un des auteurs américains les plus intéressants (Torso, Sam & Twitch, Powers, Goldfish, etc...) s'en donne à coeur joie. Son découpage est sans faille. Ses dialogues, comme toujours, sont extrêmement cinématographiques (on croirait entendre parler les personnages) et son univers d'une humanité (pas au sens « guimauve » du terme -il reste d'une grande violence-, mais parce qu'il s'intéresse à la nature humaine et aux relations entre des personnages liés par le secret). Le dessin énergique de Maleev ne fait qu'ajouter une cerise sur un gâteau déjà très appétissant. A lire absolument pour enterrer une bonne fois pour toutes ses préjugés sur les histoires de super héros.
Planètes - T. 3 (Planètes) par Thierry Bellefroid
« Planètes volume 3 » de Makoto Yukimura. Chez Panini Comics.

Voilà le genre de manga qui gagne à être lu jusqu'au bout (encore que la fin de ce troisième tome ne soit pas le « bout » en question...). Le prologue partiellement en couleur du premier album vous donne un avant-goût du côté adulte qui va être développé dans l'histoire, en dépit d'un dessin parfaitement conforme aux canons japonais du genre. Cependant, vous n'imaginez absolument pas que près de 700 pages plus loin, vous allez vous retrouver dans une histoire d'anticipation sur la conquête spatiale dans les années 2070, plus proche d'un récit philosophique que d'une grande histoire d'aventure. Le talent de Yukimura est de se servir de ses personnages pour sonder l'âme humaine face au défi de la conquête de l'espace. En choisissant de ne s'attacher qu'à très peu de personnages, l'auteur peut leur donner de l'épaisseur. Cela les rend attachants mais surtout, cela permet de les faire évoluer. Le héros principal de la série, le jeune Hachimaki, fils d'astronaute et littéralement dévoré par l'ambition de devenir à son tour l'un des plus grands, en est la parfaite illustration. En nous proposant ce héros très entier et pas très sympathique, rejetant tout ce qui s'apparente à l'illusion de l'amour, Yukimura prépare le matériau d'une tranformation. Mais le garçon ne va pas tout simplement devenir gentil ou s'ouvrir aux autres. Il entame dès le deuxième livre une longue quête d'identité qui va l'amener à épouser ses rêves tout en revoyant ses priorités. La conversion ne s'accompagne pas d'un renoncement. Au contraire, elle conforte Hachimaki dans ses ambitions. Mais elle donne un sens nouveau à celles-ci et éclaire la conquête spatiale de cette touche humaine qui semble tant lui manquer en cette fin de vingt et unième siècle, alors que l'homme commence à coloniser la planète Mars. La leçon des trois premiers livres -qui prouvent au passage que l'auteur s'est longuement renseigné sur le sujet- est cette maxime : le bon astronaute est celui qui revient vivant. Pour cela, il faut qu'il se sente attaché à quelque chose ou à tout le moins à quelqu'un. C'est tout le sens du récit de Planètes.
« Gen d'Hiroshima », tome 2. Par Keiji Nakazawa. Chez Vertige Graphic.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que cette année 2003 aura permis l'éclosion d'un autre genre de manga. Même si des éditeurs comme Casterman proposaient depuis un certain nombre d'années des auteurs comme Taniguchi, on ne peut que se féliciter de voir le marché envahi par des traductions d'oeuvres parfois anciennes, mais qui tranchent par leurs qualités adultes et narratives. Gen d'Hiroshima, c'est un peu comme le Maus de Spiegelman. Un livre qu'on ouvre pour regarder en face une réalité tellement ancrée dans l'Histoire collective qu'elle en devient abstraite. Depuis notre naissance, nous vivons en effet avec la conscience plus ou moins aiguisée de la Shoah (Maus) et de la bombe atomique (Gen d'Hiroshima). Mais c'est en lisant des BD comme celles de Spiegelman et de Nakazawa que cette conscience passe de la léthargie à l'éveil. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'éditeur de cette nouvelle traduction française (il y a eu deux tentatives précédemment en France, mais aucune n'a passé le cap de la parution du premier album alors que l'oeuvre de Nakazawa compte 2700 pages !) a choisi de reproduire l'introduction de l'édition américaine écrite... par Spiegelman lui-même...
Gen nous permet de revivre de l'intérieur ce que fut pour un petit garçon d'Hiroshima la première explosion nucléaire guerrière de l'Histoire. Le premier livre passait beaucoup de temps à planter le décor de l'Evénement. D'abord parce qu'il permettait de s'attacher aux personnages et à leur parcours peu banal. Gen est en effet le fils d'un pacifiste notoire, ce qui lui vaudra beaucoup d'ennuis avant l'explosion du 6 août 1945. Et ce qui aura son importance par la suite ! Le deuxième livre raconte en 250 pages la semaine qui suit l'explosion. La lecture de ce livre vous cloue sur place. Non seulement parce qu'il approche avec la justesse de regard d'un rescapé l'une des pages les plus horribles de l'Histoire humaine. Mais aussi parce que le destin de ce petit garçon ne s'arrête pas au fait d'avoir perdu une grande partie de sa famille dans l'explosion du 6 août. L'émotion est présente d'un bout à l'autre et l'horreur est sa compagne. Ne croyez pas cependant que la lecture de ce livre est un acte de pur voyeurisme. Le lecteur n'est pas appelé à compatir aux douleurs des survivants. Il est appelé à ouvrir les yeux, à regarder en face ce qui demeure en filigrane des livres d'Histoire. C'est non seulement édifiant. Mais c'est aussi bouleversant...
« Petit Miracle Tome 1 », par Mangin et Griffo. Chez Soleil.

Voilà une série qui devrait logiquement recontrer un certain succès. Et pas seulement parce que c'est l'un des dessinateurs du moment qui en assure la partie graphique. C'est vrai que Griffo livre ici un très bel album, dans l'esprit de Giacomo C. dernière période. Avec plus d'espace, une mise en page très aérée, il est au sommet de sa forme. D'autant que l'univers de cette série convient bien mieux à son dessin que celui, réaliste et futuriste à la fois, d'un « Vlad ». Mais l'histoire de Valérie Mangin est incontestablement le véritable atout de ce livre. La scénariste de la série « Le fléau des dieux » change complètement de registre. Quoique. Dans sa première série, elle transposait l'une des pages de l'Histoire antique dans un univers de space-opera. Cette fois, elle reviste une page de l'Histoire de France... en y ajoutant un ingrédient fantastique. Point commun : l'Histoire. Autre point commun : le décalage par rapport à l'Histoire.
Cette fois, c'est le contexte de la Révolution Française (on n'y est pas encore, puisque le récit débute en 1766 sous le règne de Louis XVI) qui sert de toile de fond. Et même plus que de toile de fond puisque tous les protagonistes, à l'exception du « héros », le jeune Denis, sont des personnages historiques importants. Ainsi, le petit garçon né des oeuvres du cadavre encore chaud de son père décapité et de la nonne chargée de sa toilette mortuaire sera pris sous son aile par Talleyrand, l'un des personnages forts du récit. Evitant cependant la fresque historique pure, style histoires de l'Oncle Paul en plus moderne, Valérie Mangin propulse au milieu de ce jeu de quilles légué par les livres d'Histoire... un éléphant de porcelaine. Facétieux, innocent, le petit Dominique porte la malédiction de son père ; son tronc et sa tête sont séparés. Il sera donc mis au banc de l'humanité et pourra servir de fil rouge à une découverte souterraine de l'Histoire des derniers rois de France. Passionnant, brillant dès l'entrée en matière (plutôt violente, d'ailleurs), ce premier livre est une réussite.
« Le retour d'Ulysse », tome 1 de « La grippe coloniale », par Huo-Chao-Si et Appollo. Chez Vents d'Ouest.

Il fallait deux auteurs de La Réunion pour réussir à camper avec tant de brio une histoire pareille. La grippe coloniale raconte le retour au pays de quatre amis de tranchées, après la Grande Guerre. Il y a le fils de planteurs, aristocrate local, qui est revenu défiguré et que seul l'opium maintient en vie. Le tirailleur sénégalais naïf, qui croit que ses médailles lui vaudront la reconnaissance que sa couleur de peau ne lui a jamais valu. Et les deux derniers, les deux bons amis un peu largués qui tentent de comprendre ce qui leur arrive, de donner un coup de main aux autres quand il faut faire le coup de poing, de sauver leur peau sans trop d'états d'âmes. Autour d'eux, une superbe galerie de personnages secondaires : le gouverneur, le médecin de l'île qui tente de faire face à l'épidémie de grippe espagnole ramenée d'Europe par les soldats, la jolie fiancée de Camille qui lui préfère Voltaire... Un scénario fouillé, un ton original, qui mêle l'humour au désespoir, la légèreté à la veulerie. Un dessin nerveux, qui évoquera à certains celui de Christophe Blain mais qui a su trouver sa propre personnalité. Bref, d'excellents ingrédients pour une BD très réussie, d'un bout à l'autre.
« Siléa et la pierre de la colère », par Cinzia Di Felice. Aux éditions USA.

Deux atouts essentiels pour cet album de pure héroïc fantasy. Un, il est dessiné par une femme, dans un style à la fois hyper-réaliste et moderne. Deux : il tient la route en un seul album, sans perte de rythme ni détours inutiles. On va droit au but et pourtant, il ne manque rien à la quête de ces trois soeurs destinées à retrouver puis détruire la fameuse pierre de la colère. L'une des trois, élue malgré elle, partira seule, à la faveur de la nuit, investie de la gravité de sa mission. La deuxième, manipulée par une superbe créature aux desseins obscurs, prendra sa suite après avoir guéri d'un pied bot. Et la troisième suivra la deuxième pour se révéler plus utile que prévu. Tout cela est à la fois très classique et mené avec brio par une dessinatrice qui avait déjà publié un titre au nom évocateur chez USA : « Dragons... amazones, géants, sorcières, lamas, Yetis, barbares, mouches & la mort ! ». Sa mise en page extrêmement claire, son dessin proche de l'animation et de la peinture hyper-réaliste américaine, le rythme de sa narration font de cet album une jolie surprise dans la floppée de titres héroïc fantasy du moment. On croyait que seule « La ligue des gentlemen extraordinaires » méritait vraiment le détour aux éditions USA. Ce n'est plus tout à fait vrai. Même si Di Filece est loin de rivaliser avec la géniale série imaginée par Alan Moore.
Amour, sexe et bigorneaux par Thierry Bellefroid
« Amour, sexe et bigorneaux », par Guerse et Pichelin. Aux Requins Marteaux.

Avec Guerse et Pichelin, les losers ont encore de beaux jours devant eux. Les duettistes du collectif albigeois s'amusent en exportant leurs personnages de beaufs fauchés à la plage. On a l'impression de lire la suite logique de l'excellent « Les losers sont des perdants » qu'ils avaient signé l'an dernier chez Fluide. Un humour souvent plus vache que lourd, en dépit des apparences. Quand deux chômeurs sans un rond se mettent dans l'idée de draguer tout ce qui bouge, cela donne ces petites histoires corrosives parcourues de dialogues savoureux. Le lecteur a presque l'impression d'admirer des bêtes de zoo tant la caricature est réussie. Les deux héros de ce livre (que la couverture résume plutôt bien) sont les spécialistes absolus du rateau. Leurs plans sont toujours foireux et cela se termine une fois sur deux avec un oeil au beurre noir et en tout cas, jamais dans un lit avec une créature de rêve. Les intermèdes « animaliers » sont tout aussi drôles. Bref, du rire et de la bonne humeur à toutes les pages, ce qui prouve que Guerse et Pichelin sont loin d'être tombés dans la routine.
Les mamelles de Tirésias par Thierry Bellefroid
« Les mamelles de Tirésias », par Apollinaire et Daniel Casanave. Aux éditions Le Pythagore.

Après le très beau « Ubu Roi » qu'il avait réalisé pour l'éditeur québecquois « Les 400 Coups », Daniel Casanave semblait avoir livré le meilleur de lui-même. Une nomination à Angoulême, puis un silence bédéphilique à peu près absolu. Le dessinateur de presse illustrateur scénographe nous revient cette fois avec une autre adaptation. D'Alfred Jarry, on passe à Guillaume Apollinaire. Du noir et blanc, on passe à la bichromie. Mais le talent est le même. Epoustoufflant. Malgré la difficulté de défendre un texte à la frange du surréalisme, le dessin de Casanave transcende Apollinaire et lui redonne un souffle, une modernité que l'on ne soupçonnait pas. Il faut dire que l'auteur a travaillé sur la scénographie de la pièce en question en 1986. Il connaît donc ce texte sur le bout des doigts et jongle avec les mots comme avec les personnages ou les décors. Son Zanzibar ne ressemble en rien à l'original ? Qu'importe, puisque c'est pour sa seule sonorité que l'auteur a retenu ce lieu, un lieu qui, selon certains protagonistes, n'est autre que Paris. L'action n'a donc aucune obligation de s'appuyer sur des décors réalistes, tout est suggéré, déformé, poétique. La ville qui sert de toile de fond à l'histoire se donne des allures de cité italienne, les protagonistes changent de sexe en cours d'histoire (c'est l'argument principal de l'adpatation faite par Apollinaire du mythe original de Thirésias, le devin grec qui a fait l'expérience des deux sexes... et que Rossi et Le Tendre avaient si bien immortalisé en BD). Et le lecteur se délecte d'un dessin brillant, virtuose, léger, d'une grande vivacité. Le prologue, grâce à la force du texte et grâce à l'usage du noir et blanc, est sans doute le moment le plus intéressant. Le trait et la mise en scène y sont virevoltants.
« La justice des serpents », tome 3 de Bouncer, par Boucq et Jodorowsky. Aux Humanoïdes Associés.

Concurrent direct de « OK Corral », le troisième volet de Bouncer est sans doute ce qui se fait de mieux en western en ce moment. Plus aéré que le Blueberry, plus atypique aussi, ce livre s'éloigne des obsessions oedipiennes qui caractérisaient les débuts pour s'attacher à la mécanique de la tragédie, tout comme l'avait fait en son temps l'excellent « Juan Solo ». Le Bouncer est désigné au rang de bourreau, la ville le supplie de brancher les malfaiteurs sur le champ, mais dès qu'il a fait son office, les mêmes citoyens se détournent de lui et l'insultent. Les personnages se mettent en place, l'ombre de la chance pointe un moment, le bonheur semble à portée de main ; mais c'est pour mieux retourner le couteau dans la plaie que Jodo donne quelques cartes à son manchot. Sur un rythme trépidant et brillamment dessiné par Boucq, ce troisième volet révèle toute la force d'un duo qui s'était formé jadis pour un récit mystico-fantastique (La cathédrale invisible, récemment rééditée par Casterman) et qui n'avait peut-être pas encore trouvé LE sujet qui lui convenait. Cette fois c'est fait et le bonheur de voir Boucq servir une aussi bonne histoire est réel.
Coeur Tam-Tam par Thierry Bellefroid
« Cœur Tam-Tam » par Benacquista et Berlion. Chez Dargaud.

Ce n'est pas la première nouvelle de Benacquista à faire l'objet d'une adaptation en BD. La plus célèbre est bien sûr l'Outremangeur, également adaptée depuis peu au cinéma. Mais « Cœur Tam-Tam » est sans doute la plus réussie. Une histoire originale qui nous emmène jusqu'au Congo, sur les traces d'un vieux spécialiste des palmeraies rentré en France après des années d'expatriation et victime des moqueries (quand ce n'est pas pire) de ses concitoyens. Eugène Rabier se retrouve pris dans des événements qui frôlent le récit policier : des inconnus cagoulés débarquent chez lui lourdement armés, une bonne partie du village convoite le terrain qu'il occupe avec sa minable masure... tous les ingrédients pourraient mener à une intrigue policière plus ou moins traditionnelle. Benacquista prend cependant les chemins de traverse et si la fantaisie et l'aventure restent le moteur destiné à faire avancer l'ensemble, la machine vaut davantage pour la beauté de ses pistons que pour leurs performances. Rabier est un personnage comme on les aime. Un peu bougon, très nostalgique, totalement à côté de ses pompes. Le client idéal pour un voyage initiatique à l'envers. C'est ce que propose ce livre sensible et plein de poésie que le dessin de Berlion habille avec brio. Le disciple de Corbeyran s'appuie sur ses quelques travaux hors-séries (Lie de Vin puis Histoires d'en Ville) pour donner toute la mesure de son talent. Avec un certain lyrisme, mais sans emphase, il parvient à recréer le monde de Benacquista sans lui voler la vedette. Et même si l'on reconnaît et son trait et ses couleurs, Olivier Berlion semble se défaire ici de quelques-uns de ses tics pour atteindre une très belle maturité graphique sans pour autant renier quoi que ce soit de sa propre personnalité.
OK Corral (Blueberry) par Thierry Bellefroid
« OK Corral », tome 27 de la série Blueberry. Par Giraud. Chez Dargaud.

Giraud a beau l'envoyer au tapis toutes les dix pages, Blueberry tient toujours debout. On peut même dire qu'il tient enfin debout ! Après des albums où l'on s'habituait mal à le voir constamment alité, Mister Blueberry reprend du poil de la bête. Son auteur n'arrête pas pour autant de casser l'image du héros ; debout, oui... fort, non. Blueberry retourne mordre la poussière, voit des étoiles, subit les événements. Le tout dans un album qui se joue sur vingt-quatre heures de la vie du héros. Un quasi huis-clos absolument brillant d'un bout à l'autre, qui prouve les talents de metteur en scène de Giraud à défaut de prouver son talent de scénariste pur ; il ne sera jamais Jean-Michel Charlier et il le sait ! Le dessin semble avoir atteint la fusion entre les deux hémisphères de l'auteur. Pas tout à fait Moebius, plus tout à fait Giraud. Là où les expériences précédentes laissaient sur un certain malaise, notamment au niveau des couleurs, le travail est cette fois totalement abouti. Dommage que Giraud ne se donne pas un zeste de place supplémentaire pour laisser son dessin respirer davantage, même s'il faut reconnaître que l'album ne donne pas le sentiment d'être aussi étriqué que les précédents.
Enfer portatif par Thierry Bellefroid
« Enfer portatif » de François Ayrolles, chez Casterman.

Après le très beau « Incertain silence » paru en grand format à L'Association, on attendait un livre du même tonneau. Et force est de constater qu'Ayrolles est encore monté d'un cran dans la qualité. Graphiquement, d'abord. Derrière une couverture qui n'est guère attrayante, cet album très noir allie la sobriété à l'efficacité. Jusqu'à ce lettrage très personnel auquel l'auteur nous a habitués, l'histoire met la laideur au service de l'esthétique. Comme un miroir déformant de nos peurs, Pierre l'aveugle et Paul le cul-de-jatte forment un duo asymétrique, une silhouette dérangeante, un condensé de l'horreur morphologique. L'histoire, qui paraît parfois avancer toute seule au gré des rencontres et des humeurs des personnages, nous emmène dans un monde à la « Freaks » où chacun est le monstre d'un autre. On tire les merles à la catapulte, on séquestre, on fabule, on ment. Et pas toujours pour sauver sa peau. Dans cette galerie de portraits où l'aveugle a autant de talent que le peintre gorgé de vanité, les chemins se croisent et les amputés de la vie finissent toujours pas se retrouver. Un univers qui peut mettre mal à l'aise, qui manque un peu de chaleur, peut-être, mais qui vous emmène dans ce que la création a de plus personnel.
« L'Ascension du Haut Mal, tome 6 », par David B. A L'Association.

Il en a fait du chemin, David B, depuis les débuts de cette bouleversante autobiographie. Pas seulement le David B que le lecteur suit page après page de l'enfance à l'âge adulte. Mais aussi le David B qui se met en scène, se raconte, se dessine inlassablement, malgré les doutes et les critiques de certains. Avec une rigueur constante, l'auteur ausculte son passé pour mieux nous livrer les clés de son œuvre. Mais ce qui distingue ce dernier volume des précédents, c'est aussi le gigantesque bond graphique réalisé par David. Ce sixième tome est un pur chef d'œuvre graphique, qui élève le dessin au rang de medium idéal de l'exploration intérieure. Tantôt expressionniste, tantôt symboliste, « L'Ascension du Haut Mal » se joue des conventions et des habitudes routinières de la BD. Le dessin se met au service de l'histoire et crée une véritable dimension supplémentaire. En résultent des images très fortes, une mise en page subtile, des effets qui ne sont jamais gratuits mais qui brisent constamment la lassitude de l'œil. On est loin, très loin du journal de bord en BD. En racontant l'histoire de sa famille et plus singulièrement celle de son frère épileptique, David B a choisi de se mettre à nu, de se peler jusqu'à l'os... et le crayon, la main, le pinceau ont suivi le mouvement. Une grande œuvre de BD. Et sans doute l'une des plus grandes dans le domaine souvent narcissique de l'autobiographie.
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