Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

« A l'arrière des berlines », premier tome des aventures de Niklos Koda, par Dufaux et Grenson, dans la collection Troisième Vague du Lombard.

Avec IRS, Niklos Koda est la deuxième série exclusivement créée pour « Troisième Vague ». Il était temps ! Difficile de soutenir une collection présentée comme novatrice avec des séries déjà installées comme Alpha et Capricorne. Voici donc Niklos Koda. Et le retour de Jean Dufaux au Lombard, en compagnie du dessinateur de Carland Cross, Olivier Grenson. Première constatation, Grenson a pris le projet au sérieux. Son dessin est à la fois fidèle à lui-même et en nette évolution. Comparé aux derniers Carland Cross, ce Niklos Koda propose un dessin plus achevé, principalement dans le choix des visages et leur exécution. Un bon point.

Deuxième constatation, Niklos Koda, c'est du Dufaux de chez Dufaux. On y retrouve tous les ingrédients chers à l'un des plus prolifiques scénaristes du moment : sorcellerie -ou à tout le moins, paranormal (traité à l'inverse de Claude Klotz dans « Bellagamba », voir par ailleurs)-, jolies femmes, séduction et mystère, héros à l'abri du besoin, récitatifs faisant appel au refrain ; autant de marques de fabrique qui vous font dire de loin que vous lisez du Dufaux. Grenson boit du petit lait, évidemment. Dans Carland Cross, il s'était déjà frotté au vaudou et aux belles femmes. Restait à faire la même chose en mieux, dans un Paris contemporain, ce qui est finalement plus simple que d'imaginer un Londres ancien. Bref, un album facile ? Pas tout à fait.

Même si plus personne ne s'étonne des nouvelles créations de Jean Dufaux, celle-ci mérite qu'on s'y attarde quelque peu. Parce qu'elle offre un univers plus neuf, plus vierge qu'à l'accoutumée. A force d'adapter (de plagier, diront certains) les films qu'il a vus, les livres qu'il a lus, les BD qu'il a aimées, Dufaux nous propose presque exclusivement des « variations sur le thème de ». Koda, sans être totalement novateur dans sa thématique et son univers, ne m'a pas fait cette impression. Les personnages sont résolument ancrés dans leur époque, ne fût-ce que par leur look (une barbe très fin d'années 90 pour le héros, par exemple...) et ne m'ont pas semblé « déjà vus ». « A l'arrière des berlines », phrase connue de la chanson « Osez Joséphine » de Bashung, qui donne son titre à l'album paraît finalement être la seule pièce authentiquement importée. Bien sûr, ce n'est pas la première BD qui parle de vaudou et de sorcellerie, mais on n'attend pas de Jean Dufaux qu'il révolutionne le genre. On attend de lui des scénarios bien ficelés, qui se laissent lire et vous plongent dans d'autres univers. Celui-ci en est un. A confirmer.
Adolf (Odilon Verjus) par Thierry Bellefroid
Odilon Verjus N°4, « Adolf », par Yann et Verron, au Lombard.


Verron a du talent, ceux qui ne l'ont toujours pas vu feraient bien d'ouvrir les yeux. Formé à l'atelier Roba, il a su se forger un style nerveux, incisif, qui doit beaucoup à la caricature mais tout autant à Franquin. Dans le créneau du dessin d'humour pour tous, il n'est pas loin d'être actuellement l'un des plus prometteurs.
Yann, n'en parlons pas. Capable de tout -même du pire-, il est aussi inattendu que prolifique, aussi cultivé qu'agaçant. A eux deux, ils ont créé une BD qui n'a pas d'équivalent sur le marché : Odilon Verjus. Mélange de glorieuse moquerie des « bons pères » de jadis et de l'Histoire, celle qui s'écrit avec un grand « H ». Le Vatican y perd souvent des plumes (ça ne peut lui faire que du bien) mais l'insolence est toujours légère, jamais gratuite. Quant aux références historiques ou culturelles qui foisonnent depuis les débuts de la série, elles en sont presque la marque de fabrique.

Toutefois, le dernier album en date m'avait un peu déçu. « Eskimo » pêchait par un manque de vigueur scénaristique. En clair, il y n'y avait pratiquement pas d'histoire, mais une succession de faits, d'anecdotes, de situations -burlesques ou non-, mis bout à bout par Yann. « Adolf », c'est tout le contraire. Verjus a retrouvé une bonne histoire , pour notre plus grand plaisir. Les personnages secondaires restent truculents et sont plus hauts en couleur que jamais, à commencer, bien sûr, par Joséphine Baker. Et le coup d'Hitler qui s'est fait prêter le Saint Suaire pour y faire emballer son petit corps après un suicide bidon ne pouvait pas mieux relancer l'intérêt de nos deux loustics en soutane dans les rues de Berlin en cette froide année 1933.

Reste une question. Peut-on rire de tout ? Yann se l'est posée avant nous. Il a répondu en toute conscience : oui. Et je serais tenté de lui emboîter le pas. Titre en forme de provoc, croix gammées dans tous les coins, Goebbels et Hitler croqués par Verron, ça fait beaucoup d'ingrédients a priori « interdits » dans la bonne BD tout public du Lombard. Mais ça passe et on rit de bon coeur. C'est l'essentiel.
Daddy's Girl par Thierry Bellefroid
« Daddy's Girl », de Debbie Dreschler, dans la collection Ciboulette de L'Association.

On a beau être prévenu, « Daddy's Girl » est une véritable bombe qui vous explose en pleine gueule (n'ayons pas peur des mots) dès la première page. Il ne faut pas avoir beaucoup lu sur le sujet pour se rendre compte que Debbie Dreschler ne triche pas avec ses lecteurs. « Daddy's Girl » est au carrefour entre confession et exorcisme. C'est en tout cas une oeuvre qui impose définitivement les thèmes les plus adultes au coeur de la Bande Dessinée. Ce récit cru et douloureux d'une enfance volée par un père incestueux est tout sauf incongru ou vulgaire. Il apparaît au contraire comme une tentative remarquable de transcender l'inavouable et même, de raconter l'irracontable. Dois-je le dire : plus d'une fois, les petits récits en noir et blanc de Debbie Dreschler (il y en a deux en quadrichromie et un en bichromie, aussi) m'ont donné la chair de poule. Ils m'ont en tout cas bouleversé comme rarement une BD y était arrivé. Et il y a de quoi ! Dreschler raconte sans fausse pudeur, mais avec toute sa douleur et son vécu. Les dialogues entre le père et la fille font froid dans le dos, ainsi que la peur qu'on ressent à la lecture des récitatifs, à chaque fois que le père entre dans la chambre de cette adolescente transie. Debbie Dreschler explique tout le mécanisme du chantage et de la destruction qu'implique une relation incestueuse. On en ressort forcément pas intact. L'histoire qui ouvre l'album, mais aussi « Daddy knows best » et plus encore, le récit de conclusion en bichromie sont des cris dessinés à travers le cauchemar d'une vie détruite où les moments de bonheur sont d'autant plus précieux qu'ils sont chèrement acquis. Tout ce qu'on peut espérer, c'est que Debbie Dreschler s'est reconstruite à travers cette confession et que la lecture de ce petit livre pourra aider quelques Debbie de par le monde à passer outre le sceau du secret et à se libérer de leur histoire.

Ne lisez pas cet album comme un album de BD. Lisez-le comme un témoignage, imprégnez vous-en. Même s'il vous paraît malsain, dites-vous que rien n'est plus malsain que le silence.
« Péché mortel » tome 4, « Autopsie d'un mensonge », par Béhé et Toff, aux éditions Vents d'Ouest.

Si Béhé et Toff ont eu une bonne idée, c'est de nous offrir enfin le dénouement de cette série, commencée il y a plus de dix ans. C'est en 1987 que ce projet était accepté, à l'époque par Dargaud. Douze ans plus tard, les quatre tomes sont enfin parus chez Vents d'Ouest. C'est long, mais quand le résultat est à la hauteur de l'attente, ça ne compte pas !

Péché mortel est un excellent scénario. D'abord parce qu'il joue sur le suspense jusqu'à la fin. La fausse Katy (Marine) chargée de réveiller les souvenirs de Guy pour qu'il livre le secret de la trahison du groupe des Sept s'est engagée dans un contre-la-montre qu'elle n'est pas sûre de gagner. Jusqu'aux deux tiers de ce dernier album, le lecteur se demande si elle parviendra à ses fins. Mais le nom du « traître » qui a dénoncé la collaboration entre l'OMD et Aubert n'est pas celui auquel on s'attend. Pour le reste, cette société fasciste qui condamne tout un ghetto en quelques minutes et opère sous la terreur est tout à fait plausible. Les détours du scénario ne sont à aucun moment exagérés. Et, cerise sur le gâteau, « Péché mortel » n'est pas qu'un thriller de fiction scientifico-politique, c'est aussi une belle histoire de personnages. La fin de l'album confirme cette impression. Le dénouement tant attendu se double d'une conclusion humaine, délicate, qui laisse le lecteur sur une impression décidément positive.

Vous l'aurez compris, j'ai aimé cette série. Son dessin n'est pas révolutionnaire mais il est efficace, bien qu'un peu figé, et servi par des couleurs classiques tirant volontiers sur le jaune et l'orange. Il ne devrait en tout cas pas vous empêcher de vous plonger dans cet univers futuriste où virus, anti-virus, scientifiques idéalistes et politiciens pas toujours très nets s'en donnent à coeur joie.
La cavale de Lézard par Thierry Bellefroid
« La cavale de Lézard », par Tomaz Lavric tBC, dans la collection « Grands chapitres » des éditions Glénat.


Il avait déjà eu les honneurs de la collection « Grands chapitres » avec ses « Fables de Bosnie », une série de récits brefs et tranchants sur la guerre vue de l'intérieur. La critique avait apprécié mais elle ne s'attendait peut-être pas à retrouver tBC si vite. Le trentenaire né en Yougoslavie en est pourtant déjà à son quatrième ouvrage (le deux premiers n'ont pas été traduits en français)

Cette « Cavale de Lézard » arrive donc à point nommé pour se faire une idée du talent de Tomaz Lavric dans le domaine de la fiction. Hors de son propos très personnel sur la guerre, l'auteur avait-il quelque chose à dire ? Et son dessin noir et blanc avait-il encore quelque intérêt ? Les réponses ne tardent pas à venir, à la lecture de cet album. Les pages de garde et les deux planches du début de l'histoire suffisent à se convaincre de son talent de dessinateur. Sur les traces d'un Milton Caniff ou d'un Hugo Pratt, avec de larges aplats noirs et des personnages en silhouette, tBC propose un dessin énergique, épuré, très maîtrisé. Privilégiant l'action pure, son histoire trépidante aux décors enneigés est menée tambour battant, sur un rythme effréné.

Le récit propose de suivre un dénommé « Lézard ». Un grand maigre camé, pas très net, un rien teigneux, et qui tient à la vie. Pourchassé par des tueurs très décidés et organisés parce qu'il a été mêlé malgré lui à un grand trafic impliquant les militaires, il va tenter de sauver sa peau pendant tout l'album. La fin est originale, les personnages tiennent la route, l'ensemble ne manque pas de souffle. Bien sûr, le thème de la chasse à l'homme n'est pas neuf. Mais c'est la preuve qu'il y a moyen de faire de la bonne BD sans révolutionner le genre. Pour le seul plaisir du trait (oh, je sais, la filiation avec Pratt est si évidente que quelques esprits chagrins parleront de plagiat), on ne se refuserait déjà pas la lecture de cet album.
Max (Macadam) par Thierry Bellefroid
« Macadam », tome 1 : « Max », par Lacaf, dans la collection Bulle Noire, chez Glénat.

Vraisemblablement, « Macadam » ne va pas crever les plafonds de vente. Il faut un certain courage pour entamer la lecture de cet album. Les premières planches ne sont pas encourageantes. Le dessin est gauche, grossier, paré de couleurs trop orangées. Les visages, surtout, sont mal proportionnés. La couverture n'est guère plus attractive. Et la suite n'est pas nécessairement plus réussie.

La vieille question de savoir si on peut passer outre un dessin imparfait et apprécier une BD pour son seul scénario se pose, une fois de plus. Beaucoup de puristes vont répondront qu'aucune BD ne peut souffrir un mauvais dessin. Je pense au contraire que dans certains cas, un brin de souplesse en la matière peut vous permettre de ne pas passer à côté d'une bonne histoire. C'est le cas ici. Mêlant pas mal d'ingrédients d'actualité plus ou moins récents -pillages de tombes juives, mairies françaises aux mains du FN, violences et bavures dans les cités, milices néo-nazies, chantages, magouilles politiques et désordres conjugaux, Lacaf est parvenu à construire une intrigue relativement convenue mais intéressante. C'est crédible, surtout le personnage central, Max Klein, qui apparaît comme le bouc émissaire d'un système et erre à la recherche d'un nouveau départ dans une petite ville provençale qui ne fait pas de cadeaux aux étrangers. Il y a bien sûr des invraisemblances, et surtout quelques raccourcis faciles. La petite journaliste qui couche un peu trop facilement avec le flic pour lui tirer les vers du nez n'est qu'un exemple parmi d'autres. Mais dans l'ensemble, la lecture de ce premier album m'a plutôt laissé sur l'impression que Lacaf tenait un scénario de bonne facture qu'il eût été bien inspiré de faire dessiner par quelqu'un d'autre. Espérons que cette conclusion un rien cruelle ne sera plus d'actualité pour le prochain album. Après tout, le premier Astérix et le premier Tintin n'étaient pas des chefs d'oeuvres non plus, au plan du dessin !
« Le vent dans les Saules » tome 3 : « L'échappée belle », par Michel Plessix, chez Delcourt.

Le vent dans le saules est l'adaptation d'un roman de Kenneth Grahame. Je n'apprends rien à ceux d'entre vous qui ont lu les deux premiers tomes. Ceux-là n'hésiteront pas un instant à acheter ce nouveau volume. Les autres feraient bien de se dépêcher de commencer. On est en face de l'une des plus belles BD animalières qui aient jamais vu le jour ! Plessix est au sommet de son art. L'envie de réaliser cette adaptation périlleuse a manifestement « boosté » son talent. Dès le premier album, les petits habitants des sous-bois sont apparus comme enchanteurs et magnifiquement touchants.

Les trois principaux protagonistes, Rat, Taupe et Crapaud, renvoient évidemment aux hommes, chacun incarnant un trait de caractère, une manière de vivre propre aux humains. Mais ce conte animalier n'est pas qu'une variation des Fables de Lafontaine. Il s'agit aussi et peut-être même surtout d'un hymne magnifique à la nature. Cette fois, Plessix nous propose de l'écouter, cette nature. Cette « Echappée belle » est bruissante, chantante, vrombissante, parfois. Déjà qu'on avait presque l'impression de sentir les odeurs en lisant les deux premiers albums !

Et puis, il y a les couleurs. Proche du travail des impressionnistes, Plessix nous offre de petits tableaux d'une justesse incroyable. Les lumières de l'aube, à l'heure où le noir se transforme en bleu, sont tout simplement parfaites. Chaque case est un tableau. Chaque page pourrait devenir une sérigraphie. Quant à l'histoire elle-même, elle doit évidemment beaucoup à son créateur, Kenneth Grahame, mais celui qui prendra Plessix en défaut sur son adaptation n'est pas arrivé. L'exercice n'est pourtant pas aussi facile qu'il y paraît. Essayez, pour voir. Lisez un roman, puis faites-en un synopsis de BD. Si vous arrivez au même résultat que Plessix, pas de doute, il est temps de vous chercher un éditeur et un dessinateur !
Le sursis - tome 2 (Le sursis) par Thierry Bellefroid
Le Sursis N°2 de Gibrat, dans la collection Aire Libre, chez Dupuis.


Que dire du Sursis ? Devant une oeuvre d'une telle qualité et d'une telle sincérité, je me sens bien démuni. Le premier album avait fait grosse impression. Il avait prouvé à ses détracteurs que Gibrat n'était qu'en sommeil, attendant l'étincelle. Cette étincelle, il l'avoue lui-même, ce fut l'envie de servir le dessinateur qu'il était. L'envie d'aller jusqu'au bout de son art, de construire une histoire aux personnages humains, denses, aux couleurs et aux lumières difficiles, avec des scènes de nuit, de la pénombre, des visages derrière des persiennes, des saisons qui se suivent et bien sûr... l'Aveyron. L'Aveyron, patrie d'adoption de Gibrat, qui lui rappelle les souvenirs heureux de l'enfance, ses grands-parents, une certaine idée du bonheur. L'Aveyron qui se prête merveilleusement à ce faux-vrai huis-clos. Petit village, gens aux caractères typés vivant très proches les uns des autres, s'appréciant, se redoutant ou se détestant avec la même cordialité.

Le Sursis est plus qu'une BD. C'est ce qu'on appelle une oeuvre. Gibrat n'y a pas mis que son art. Il y a mis ses tripes. Pour servir le dessinateur, il s'est fait scénariste. Et quel scénariste ! Les dialogues du Sursis sont d'une justesse et souvent d'un humour parfaits. L'adaptation cinématographique pourrait les reprendre tels quels... Quant aux récitatifs, ils laissent transparaître une plume longtemps ignorée. L'histoire elle-même sert les personnages et l'univers de l'auteur. Elle est à la fois originale et « effacée ». Elle vient en miroir nous dire qui nous sommes. De Paul ou de Julien, nous choisirions d'être le premier : le médecin, ami parfait, résistant, fils modèle. Mais la réalité nous projetterait sans doute plus vite dans la peau de Julien -cachés, spectateurs passifs de la guerre-, que dans celle de Paul, le résistant héroïque fusillé pour protéger les siens. Nous ne sommes pas tous des héros en puissance, en dépit de nos rêves. L'une des forces du Sursis est de nous le rappeler avec élégance.

Et puis il y a Cécile, quintessence de la féminité. En dire plus est inutile. Il faut lire Le Sursis. C'est tout.
« Le grand incendie », tome Un du « Journal de mon père », par Jiro Taniguchi, chez Casterman.


Autant vous le confier en préliminaire, je n'aime guère les mangas. Aussi, j'ai abordé cet album avec une méfiance naturelle, malgré le fait qu'il soit édité en grand format, ce qui est plutôt bon signe. Le dessin de Taniguchi n'échappe pas complètement aux critères du genre : visages lisses qui semblent sortis d'un mauvais dessin animé télé, avec leurs grands yeux et leur manque de nuances. Pourtant, ce dessin va plus loin qu'il n'y paraît. Il s'attache notamment aux petits détails du décor qui est prépondérant dans cette histoire. Et cela seul différencie ce manga de la plupart de ses congénères. Décor réaliste, histoire intimiste, on est à l'opposé de la tradition BD nippone.

Le scénario confirme cette impression. Tout d'abord, il ne magnifie ni le courage de super-héros, ni les arts martiaux, et ne charrie pas les habituels mythes qui polluent littéralement les trois quarts des mangas. Au contraire, Taniguchi est touchant de vérité et de fragilité. Le petit Yoichi a grandi, loin de son chien, de sa soeur, de ses parents. Et voilà que la mort de son père réveille en lui l'enfance volontairement enfouie, éclairant d'une lueur nouvelle les douleurs et les incompréhensions de jadis. Le grand incendie qui a ravagé sa ville natale a changé la vie de ses parents et par là, la sienne, mais Yoichi l'a toujours ignoré. Voilà qu'il prend conscience de ses racines mais aussi de ses amnésies volontaires. Un voyage au coeur de soi qui apparaît comme une sorte d'OVNI dans la BD nippone et qui sera à confirmer dans les deux prochains albums du cycle.

Si vous aimez, tentez la lecture du magnifique « Ethel & Ernest », paru l'hiver dernier chez Grasset. Cette BD autobiographique de l'Anglais Raymond Briggs est l'une des rares à m'avoir arraché des larmes. On y trouve la même démarche introspective, mais encore plus réussie !
« Blues et autres récits en couleur » de Pellejero et Zentner, chez Casterman.


Il y a quelques semaines à peine, j'écrivais dans cette chronique tout le bien que je pensais de « Tabou », dernier opus noir et blanc des deux comparses hispanophones. Et voilà que paraît ce « Blues & autres récits », un album compilant des nouvelles publiées dans (A Suivre) en 93 et 94. Un régal.

Parmi les cinq nouvelles dont le trait commun est d'hésiter subtilement entre fantastique et policier, j'en retiendrai trois, qui me semblent les plus réussies. « Neige », tout d'abord. J'aime le découpage et la mise en couleur magnifiques de cette histoire. Son côté fascinant tient aussi au fait que les auteurs ne font jamais le lien causal entre les actions de l'enfant et celles qui adviennent dans la réalité. Tout le monde a envie de penser que le train électrique avec lequel il joue intervient dans le monde réel. Mais ce n'est que suggéré. C'est la limite entre le fantastique et la SF. Edgar A. Poe n'est pas loin.

Magnifique, aussi, « Blues ». Superbe mise en couleur, là encore. Et excellent découpage, avec les yeux du poisson de chaque côté de l'image, comme si nous empruntions sa vision pour nous immiscer dans cet intérieur très bleu. La narration à la première personne, le jeu de séduction mortelle entre le poisson « létal » et sa maîtresse donnent à cette histoire un véritable attrait littéraire, encore magnifié par le dessin.

Enfin, j'épinglerai encore « The Pink Néon », pour les mêmes raisons scénaristiques que « Neige ». Le fantastique est laissé à l'appréciation du lecteur. Mais le piège démoniaque tendu par le romancier installé dans les murs du Pink Néon se referme avec sa logique interne comme une machine infernale. Encore une fois, les couleurs sont appliquées avec soin et intelligence, mais il s'agit là d'une constance dans tout l'album. Mérite votre attention !
Le tumulus (Fog) par Thierry Bellefroid
« Fog », tome Un, Le tumulus, par Bonin et Seiter, chez Casterman


Décidément, chez Casterman, on aime les histoires qui se passent en Angleterre. Après le « Cercle des Sentinelles » (nouvel album à la rentrée), la « Saga anglaise » ou encore le premier volume des « coulisses du pouvoir », voici « Fog ». Le titre est sans équivoque. Ca sent le brouillard londonien à plein nez. Pourtant, c'est dans les Shetlands que ça démarre, avec la découverte d'un tumulus Viking par l'éminent Sir Thomas Launceston. L'ambiance est déjà grise à souhait, mais ce n'est rien en comparaison de ce qui attend le lecteur. En fait, ce « Fog » est une enquête archéologico-policière, un genre qui semble fort en vogue, tant en littérature et en cinéma qu'en BD. Au départ de l'intrigue, une vraie découverte scientifique suivie de meurtres en série sous couvert de vengeance viking.

Auteur de « Coeur de sang » chez Delcourt, le scénariste, Roger Seiter, est historien de formation. Et ça se sent. Il prend manifestement beaucoup de plaisir à travailler le contexte historique et archéologique de son récit. Mais il ne néglige pas pour autant des personnages principaux, prisonniers de leur époque (1874) et de leur condition. Sans doute ceux-ci sont-ils un peu trop stéréotypés. Julian, l'inspecteur du Yard aux modestes origines n'ose déclarer sa flamme à Alison, l'élue de son coeur et finit par se la faire ravir par un homme mieux né. Ruppert Graves, le journaliste, séduit Mary Launceston en deux temps trois mouvements, et la protège des avances de Sir Epping, homme obséquieux qui se révèle de bien mauvaises moeurs. Tous ces personnages semblent bien jouer le rôle que l'auteur leur a attribué dans sa mécanique. C'est lisse et finalement assez attendu, et cela, malgré un contexte plutôt original. Heureusement, l'histoire ne sera pas tirée en longueur et les 64 prochaines planches apporteront la solution de l'énigme.

Quant au dessin de Cyril Bonin, jusqu'ici illustrateur dans le domaine de la vidéo, il se distingue surtout par ses couleurs aux dominantes brunes, blanches et vertes. Des couleurs qui collent parfaitement à l'ambiance glauque du récit et qui rappellent étrangement le traitement de la « Saga anglaise » de Gorski et Richelle. La nouvelle marque de fabrique de Casterman ?
« Les ombres de la Lagune », tome Un, Le premier né, par Corteggiani et De Vita, aux éditions Soleil.

Venise, décor éculé s'il en est. Venise revisitée, relookée. Futuriste. Nous sommes en 2017 et la ville, devenue Cité-Etat, a connu un développement inattendu. Envahie par des rats mutants, elle est divisée en zones « autorisées », ouvertes aux touristes fortunés (pauvres, s'abstenir) et en zones interdites. Mais les rats ne sont pas les seuls à se balader en zone non-autorisée. De drôles de silhouettes y posent des charges explosives, la nuit venue. Des squatters y périssent. Des jeunes filles y sont attirées, violées, horriblement mutilées. Bref, entre les crimes d'un serial killer introuvable et les effondrements suspects d'édifices soi-disant abandonnés, le pouvoir joue des coudes et joue sa peau.

Corteggiani s'est amusé à casser les mythes et l'on ne peut que l'en féliciter. Cette série fantastique ne serait sans doute pas très attrayante si elle se passait dans un décor totalement imaginaire et si elle ne s'appuyait pas sur une vision définitivement pessimiste de l'avenir de la Sérénissime. Une vision qui s'exprime violemment dès la première planche. Posée sur une ancienne bite d'amarrage de gondole, une créature hideuse aux ongles longs comme des sabres. Derrière, on devine le campanile de la place Saint Marc et le Palais des Doges. Plus loin, les lumières de gratte-ciel évoquent davantage New York. L'image est forte, mais Corteggiani y dévoile trop tôt la créature qui aurait pu demeurer mystérieuse pendant de nombreuses pages. En clair, alors que tous les protagonistes s'interrogent sur la personnalité du serial killer qui mutile les jeunes Vénitiennes, le lecteur l'a déjà vu sous toutes les coutures. Dommage, car cela nuit particulièrement au plaisir de la lecture.

Passé ce préliminaire, « Les Ombres de la Lagune » est un album d'anticipation de bonne facture, qui mélange les genres avec un bonheur inégal. Ce premier opus n'est certes pas un chef d'oeuvre. Mais en cette période de vacances, il a capté mon attention et m'a fait passer un agréable moment. Je dirais qu'on sent bien la déliquescence tous azimuts dont souffre la Cité ; les rats sont partout et il ne manque que l'odorama. Pour le reste, on attend le tome deux avant de se prononcer. Un dernier mot : si De Vita joue fort bien la carte des rats et de la Cité en ruine, son découpage et sa mise en page me laissent plus perplexes et pourraient rebuter plus d'un lecteur.
Port Nawak par Thierry Bellefroid
« Port Nawak » de Prudhomme et Hautot, aux éditions Vents d'Ouest.

Voilà bien un album qu'on pourrait qualifier de surréaliste. Une histoire totalement déjantée au service d'un dessin inventif qui vous balade pendant près de 130 pages dans un univers de fous. Jean-François Hautot a dû se réveiller un matin après une nuit de cauchemars et se dire : j'en ferais bien un scénario. Résultat, Port Nawak est né. Port Nawak, c'est d'abord l'anti-héros le plus niais de la Bande Dessinée. Issicol (jeu de mots facile mais qui, en l'occurrence, convient parfaitement à la gueule de débile que lui a concoctée Prudhomme) est un jeune fonctionnaire puceau et « limite arriéré », choisi par la Sécurité du Territoire pour une délicate mission : se rendre dans les contrées reculées du pays pour préparer la population à accepter sa fin toute proche, un météorite s'apprêtant en effet à percuter la terre à 3000 KM/H.

Et voilà qu'Issicol aborde Port Nawak, tout imprégné de la grandeur de sa mission. Dès qu'il pose le pied dans la campagne « nawakienne », son dossier top secret s'éparpille dans la nature. Arrivé dans le bled en question, Issicol va passer le plus clair de son temps à pister les feuilles de son dossier tout en découvrant une population particulièrement étrange. Les personnages, hauts en couleur, sont plus fous les uns que les autres. Principales habitantes de la ville, des putes sur le retour attirées par un mirage (une apparition de Marie Madeleine à un poivrot notoire) et restées en rade une fois rattrapées par la réalité. La critique acerbe de la bureaucratie, du tourisme de masse, de la cupidité, de la piété « hallucinative » ou encore de la vie en communauté ne gâche nullement le plaisir d'un récit guidé par la fantaisie la plus débridée. Ces 120 et quelques planches sont un régal, y compris au plan du dessin. Aucun rapport avec « Ninon Secrète » que dessine également David Prudhommme sur scénario de Cothias. Le dessin noir et blanc se veut ici à la fois drôle, méchant et délirant. Il épouse totalement la loufoquerie du scénario et lui ajoute une touche d'originalité. Quel dommage qu'il ne soit pas mieux imprimé !
« A la recherche de la Licorne », tome trois : Finis Africae. Par Miralles et Ruiz, collection « Vécu » chez Glénat.


Pourquoi avais-je la curieuse sensation d'être baladé dans les deux premiers tomes de cette série ? Peut-être les auteurs -le décorateur de théâtre Emilio Ruiz et son épouse, la dessinatrice espagnole Ana Mirallès- n'avaient-ils pas jeté toutes leurs forces dans la bataille. Peut-être leur fallait-il un temps de rodage. Les personnages étaient nombreux, pas nécessairement attachants, pas toujours bien dessinés. L'adaptation de ce best seller espagnol manquait de densité. Et voilà qu'avec ce troisième volume arrive la conclusion du voyage pour Juan de Olid, le Castillan. J'avoue, j'ai été surpris. Agréablement.

D'abord, il faut reconnaître que l'idée de mener la troupe espagnole jusqu'en Afrique de l'Est pour y résoudre sa quête est audacieuse. Il n'y avait que deux possibilités : ou verser dans le fantastique et imaginer la rencontre d'une licorne, ou coller à la réalité et admettre au bout de la longue marche que les héros avaient souffert pour rien. Avec intelligence, le roman de Ruan Eslava Galan qui sert de base à cette adaptation en BD passe cet écueil en beauté et propose une alternative. La découverte d'un animal inconnu, qui pourrait bien être la licorne tant convoitée par le roi Enrique IV de Castille.

Le passage par le Grand Zimbabwe, authentique cité de pierre située à quelques encablures de l'Afrique du Sud, constitue une étape forte. Juste après, l'histoire bascule et devient plus intimiste, plus inattendue, aussi. Durant les deux premiers albums, la valeureuse troupe passait un peu trop bien à travers les pièges du voyage. Dans ce troisième et dernier opus, non seulement les principaux héros tombent comme des mouches, mais aussi et surtout, Juan de Olid lui-même prend de la bouteille et perd des plumes. Ca le rend plus humain, et donne à sa quête un tour philosophique inattendu. Rescapé miraculeux d'une épopée insensée entamée en 1471 et conclue en 1492, ce Castillan, contemporain de Christophe Colomb, apparaît comme un explorateur hors normes. Cela méritait bien une BD !
L'anomalie (Megalex) par Thierry Bellefroid
« Megalex » de Jodorowsky et Fred Beltran, paru aux Humanoïdes Associés.

Mégalex, la Grande Loi. C'est vrai que tout est ordre sur cette planète imaginée par Alexandro Jodorowsky. Ordre et loi. La durée de vie de chaque clone humain est fonction de son utilité et s'achève sous les yeux blasés de gardiens drogués jusqu'à la moëlle dans une chambre à gaz nouvelle mouture appelée « L'égorgeoir ». La planète entière est colonisée par la Cité, qui s'organise et se ramifie selon une parfaite géométrie. Enfin, presque parfaite, car en bon Jodo de chez Jodo, Mégalex nous propose de suivre la lutte de ceux qui refusent l'ordre un peu trop parfait qu'on leur propose. Deux taches, l'une bleue, l'autre verte, trahissent la présence d'une vie non colonisée : l'Océan Mort et la forêt de Chem. C'est de la forêt de Chem que viennent les « objecteurs », ceux qui ont décidé de renverser l'ordre des choses établi de manière immuable par la Reine Maréa.

Quand on connaît Jodo, tous ces ingrédients sont finalement assez classiques, presque conventionnels dans son style de narration politico-science-fictionnesque. Je dirais que ce qui fait la différence avec les précédents univers imaginés par le « Maître », c'est que celui-ci fait moins que jamais place à l'humain. Même le héros de l'album est anonyme. Clone raté (en fait, il est géant) qui échappe par miracle à la destruction systématique, il s'appellera tout simplement « L'Anomalie ». Mégalex fait donc l'éloge d'une BD désincarnée. La froideur des dessins entièrement réalisés à l'ordinateur par Fred Beltran accentue encore l'impression de malaise (par exemple, quand les gardiens ont les yeux injectés de sang après avoir abusé des néo-amphétamines, l'effet « photo » du dessin à l'ordinateur rend la vision saisissante de vérité).

Un mot quand même de l'expérience tentée ici par Frédéric Beltran. Après un détour par l'image de synthèse, le dessinateur du Ventre du Minotaure revient à ses premières amours, la BD. Il a composé tout l'univers de Mégalex en 3-D et pioche ses décors dans une Cité qui a sa propre cohérence, sa propre vie sur ordinateur. Cela se sent. L'effet « relief » est très présent et le résultat peu esthétique. Mégalex n'est pas une BD belle à regarder. Et c'est manifestement ce que cherchait Jodo qui n'aime rien mieux que de mettre son lecteur mal à l'aise. C'est pleinement réussi. Il y a quelque chose d'angoissant, d'oppressant même dans cet univers virtuel. Certains adoreront. D'autres, au contraire, détesteront avant même avant d'avoir lu le premier phylactère. Je ne pourrais que leur conseiller de tenter d'aller au-delà... même si je préfère quand même un bon Franquin !
Le fugitif (Gil Saint-André) par Thierry Bellefroid
« Gil Saint André », tome Trois : Fugitif. Par Jean-Charles Kraehn et Sylvain Vallée, dans la collection « Bulle Noire » des éditions Glénat.

Gil Saint André a précédé « Bulle Noire ». Le premier tome, « Une étrange disparition », avait marqué la rupture de Kraehn avec la BD style « Vécu ». Fort du succès de « Bout d'homme », le scénariste-dessinateur se lançait en solo dans un genre nouveau : le polar. Ou plutôt, le thriller. Et pendant qu'il oeuvrait comme scénariste pour d'autres (lire « Tramp », avec Jusseaume, chez Dargaud !), il tissait patiemment une toile dans laquelle il allait emprisonner des milliers de lecteurs. Gil Saint André est devenu une série à part entière, a intégré « Bulle Noire » et en a même été d'emblée le fleuron. La trame de départ est basée sur une idée toute simple : un jour, un homme rentre chez lui et constate la disparition de sa femme. Devant le peu d'enthousiasme de la police et parce que ses activités professionnelles le lui permettent, il part seul à sa recherche. A partir de là, tout est permis.

C'est vrai, tout est permis. Et les détracteurs de Gil Saint André n'ont pas attendu longtemps pour dire que Kraehn en faisait trop. Dès le premier tome et plus encore dans le deuxième, le scénariste lançait le lecteur sur des fausses pistes magistralement maquillées en vraies. L'occasion de faire le tour d'un univers différent à chaque fois, de perdre le lecteur dans les méandres d'une enquête sans fin mais qui ferme tout de même une porte au terme de chaque album. Un concept audacieux, multipliant les chausse-trape et les astuces scénaristiques, les rebondissements et donc l'intérêt du lecteur. Mais le procédé ne pouvait durer. Kraehn a donc eu l'intelligence de ne pas poursuivre l'expérience au-delà du deuxième volume.

Dans « Fugitif », pas de nouvelle fausse piste. Gil Saint André se rapproche bel et bien du dénouement. Mais rassurez-vous, le scénariste a suffisamment de métier et d'intelligence pour ne pas nous laisser entrevoir les vraies raisons de la disparition de sa femme. Saint André va aussi passer par deux stades importants. Le premier, on l'avait vu venir, gros comme une maison, il tombe dans les bras de la jeune Djida. Je ne vous prive pas du suspense en vous livrant cet élément, il figure en couverture de l'album. Il a l'avantage de compliquer les relations entre ces deux personnages centraux et était inéluctable étant donnée d'une part la plastique de la donzelle et de l'autre, son intérêt pour l'histoire de Saint André depuis le début de l'affaire. L'autre stade important, plus inattendu, celui-là, c'est de faire passer Saint André du rôle de flic amateur à celui de tueur présumé en cavale.

Je ne vais pas vous en dire plus. Ceux qui aiment cette série l'aiment parce qu'elle les surprend et les délasse comme un bon film d'action. Il serait dommage de déflorer ce qui pour eux, en fait justement le sel. Sachez que ça fonctionne toujours aussi bien, à condition d'accepter l'idée que Kraehn utilise tous les trucs dont il dispose dans sa « trousse de scénariste » pour que ça marche. En clair, c'est tellement calculé, préparé, millimétré que tout ça manque un peu de spontanéité et de chaleur. Mais on ne peut pas tout avoir, non ? Un mot encore pour dire que la reprise « sous contrôle » du dessin par Sylvain Vallée n'enlève rien à l'ensemble. Et que, bon dieu de bon sang, on voudrait quand même en être au dénouement pour savoir comment toute cette affaire s'élucidera !
« Le Pithécanthrope », Tome deux, par Chris Lamquet, dans la collection Grafica de Glénat.

Je suis tombé amoureux du « Pithécanthrope » avant même la sortie du premier tome et sans en avoir lu une planche. C'était dans le bureau de Paul Herman, le responsable des éditions Glénat à Bruxelles. Un jour, il a sorti fièrement d'une farde quelques-unes des planches originales du futur premier album et me les a montrées. Le dessin m'a immédiatement séduit. Ses couleurs, ses ambiances, ses personnages : Lamquet avait frappé fort, et s'offrait une nouvelle jeunesse ! D'aucuns diront que son dessin actuel doit tout à Juillard. Mais qui ne doit rien à personne ? Rossi ne doit-il pas tout à Giraud ? Et Comès à Pratt ? Cela leur enlève-t-il tout intérêt ? Si Juillard a pu inspirer Lamquet, eh bien tant mieux. Il en a inspiré tant d'autres, et de moins talentueux !

Passé ce premier coup de coeur, je me suis mis à attendre. Longtemps. Et puis un beau jour, le premier tome du « Pithécanthrope » (qui s'appelait encore « dans la valise », à l'époque) est sorti. Ma patience fut récompensée. Je découvris derrière le dessin l'un des scénarios parmi les plus originaux et les plus attachants de ces dernières années. L'histoire de cette vraie-fausse découverte du chaînon manquant et des vies qu'elle fait basculer tant en Indonésie que dans une Europe surannée m'a passionné d'emblée. Et que dire des protagonistes de l'histoire ? A commencer par Didi, la femelle Orang-outan facétieuse... aussi lubrique que sa propriétaire est nymphomane !

Et puis ce fut le silence. Long. Trois ans. Et enfin, après mille reports, la sortie du tome Deux. Le plaisir est revenu d'un coup. Il s'est prolongé au point que j'ai relu le premier tome immédiatement après avoir découvert le nouvel album. Le scénario reste original et cohérent. Il permet à Lamquet d'explorer des pans d'histoire, des époques et des milieux fascinants. Son imagination est un régal. L'histoire ne faiblit jamais et le lecteur se prend à aimer autant l'intrigue elle-même que les aventures parallèles et personnelles de chacun des personnages. Quant au dessin, il n'a pas faibli d'un pouce, loin de là et. Aucune concession à la paresse. Et dans tout ça, on a l'impression que Lamquet s'amuse. Il y a une façon de ne pas se prendre au sérieux dans ces deux albums qui en dit long sur la maturité de l'auteur. Du grand art, vraiment.
Poings liés (Bleu Lézard) par Thierry Bellefroid
Bleu Lézard, par Benoît Roels aux éditions Glénat, dans la collection « Bulle Noire ».

Avec « Mortelles retrouvailles », Benoît Roels signait un tome Un intéressant et certainement parmi les plus réussis de la première fournée de la collection « Bulle Noire ». Les couleurs étaient un rien criardes (elles le sont toujours dans le tome Deux, mais cela semble mieux maîtrisé grâce aux ambiances de montagne « façon Névé ») et l'action parfois un peu tirée en longueur. Un début à la « English Partient », avec un grand brûlé qui raconte sa vie et délivre son secret en flash-back. Un couple qui se déchire sur l'attitude à adopter face à cet homme, rescapé d'un très étrange incendie de cargo. Une belle et originale histoire d'amour-amitié enfantine entre Thomas et Lison, sur fond de montagne. Un mort qui a l'air bien vivant. Des ingrédients multiples et joliment mélangés.

Et voilà que le tome Deux vient clore l'histoire. Excellente surprise, car on craignait une série « à suite ». Un bon point d'emblée, donc, pour ce « Bleu Lézard ». Autre bonne surprise : le bouleversant récit que Thomas livre à Ellen, une grande histoire d'amour romantique comme il y en a peu dans le monde de la BD. Un récit qui célèbre l'incompréhension entre les êtres et qui se fonde sur les rendez-vous manqués. Des preuves qui jouent à échapper aux protagonistes, mais c'est peut-être le destin. Un dénouement qui vient comme une leçon de choses plus que comme la solution d'une énigme. Benoît Roels a évité bien des écueils et réussi à faire un polar intimiste, profondément humain. Bleu Lézard n'est pas une histoire parfaite. Mais c'est une belle histoire, avec de beaux personnages et son auteur a en plus le mérite de cumuler les fonctions de scénariste, dessinateur et coloriste.
« Vieilles canailles », tome Un, par Trillo et Mandrafina, chez Albin Michel.

En un album, ils ont imposé leur style de dessin et d'histoire, conquis Angoulême, convaincu leur éditeur d'avoir fait le bon choix en misant sur une BD sud-américaine sous-exploitée en Europe. « La grande arnaque » eut donc tout naturellement une suite. Pour beaucoup, elle restera en-dessous du niveau du premier album. Mais elle a confirmé qu'il fallait désormais compter avec Trillo et Mandrafina. La preuve, ce « Vieilles canailles » qu'Albin Michel se propose de publier en deux tomes, à trois mois de distance (si tout va bien, le second devrait en effet sortir en septembre)

De quoi s'agit-il ? Du nouveau volet des aventures des « Spaghetti Brothers » que les deux compères avaient entamées chez vents d'Ouest. James, scénariste et surtout dialoguiste de talent pour la télévision a une passion : l'histoire de sa famille, les Centobucchi. Et il y a de quoi ! Jusqu'à l'épuisement, il va « forcer » son vieil oncle Amerigo, relégué à l'hospice, de lui raconter les horreurs de sa vie. Car les Centobucchi sont des maffieux de la pire espèce. Méchants, sadiques, violents, sans scrupules, sans morale. James découvre donc un à un les petits secrets de famille bien gardés depuis 40 ans. Comment sa mère est passée de tueuse à gages un peu trop pro à prêcheuse, comment son oncle Frank, curé, est mort par la croix alors qu'il voulait empêcher Amerigo de violer sa propre soeur, Caterina, comment le même Amerigo a fait canarder son living pour avoir une bonne raison de battre sa femme (« elle avait ouvert la porte à un inconnu »).

Chaque chapitre est plus fou, plus tordu et plus méchant que les autres. Amerigo Centobucchi apparaît ainsi comme l'être le plus abject qui soit. Certaines des histoires qu'il raconte le font presque s'étrangler de rire. Et le lecteur balance sans cesse entre l'envie de rire avec lui et de lui mettre son poing dans la gueule. C'est diablement bien raconté, bien enlevé, bien dessiné aussi. C'est de la BD noire comme de la suie. Torpedo n'est pas loin, mais il y a dans ce « Vieilles canailles » un peu moins de sexe et un peu plus de profondeur dans les personnages que dans la série mythique des Espagnols Bernet et Abuli. Il y a surtout un humour noir décapant qui s'exprime jusque dans le dessin « viscéral » du visage du vieillard Amerigo. Un protagoniste de premier choix pour un premier tome qui est un régal. En attendant la deuxième livraison de 96 planches qu'on espère aussi réjouissantes...
Tabou par Thierry Bellefroid
« Tabou » de Pellejero et Zentner, chez Casterman.

Depuis « Le silence de Malka », c'était « silence radio ». Trois ans plus tard, revoilà les deux comparses « espagnols ». Enfin, quand on dit « espagnols », il faut quand même rappeler que Jorge Zentner est Argentin et a longtemps travaillé comme journaliste dans son pays natal avant d'émigrer vers l'Espagne, et enfin le Sud de la France. Fin de la parenthèse.

On attendait donc avec impatience une nouvelle histoire de ce duo et « Tabou » est arrivé, renouant avec les ambiances d'« Ennemis communs » ou du « Prix de Charon ». Tabou est un polar fantastique de la meilleure veine, dessiné en noir et blanc par un Pellejero au mieux de sa forme. Tabou, c'est aussi le nom du bar où Maria est serveuse. Un soir, une femme mystérieuse nommée « Princesse » vient rappeler à Maria les souvenirs d'une autre vie. Avant d'être serveuse, Maria s'est en effet appelée « Lune », elle était magicienne au Morocco et dotée de pouvoirs peu communs depuis l'enfance. Pour une raison que vous découvrirez dans l'album, Lune a perdu ces pouvoirs... et son premier métier. Princesse va lui proposer un étonnant marché.

Parallèlement, il y a une histoire policière passionnante, des meurtres inexplicables, des enquêteurs empêtrés dans leurs rapports hiérarchiques et leurs histoires d'amour ratées. Le puzzle se complète peu à peu. Zentner distille au compte-goutte les ingrédients permettant la compréhension de l'ensemble et le dénouement. On est captivé, à la fois par l'ambiance et par l'épaisseur des personnages mais aussi par le mystère qui se dévoile peu à peu. « Tabou » est un album qui se déguste et qu'on ne peut que chaudement recommander à ceux qui ne connaîtraient pas encore Pellejero et Zentner.
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