Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Diablotin à domicile (Nelson) par Thierry Bellefroid
« Nelson, diablotin à domicile ». Par Bertschy. Chez Dupuis.

La bande à Tchô produit une nouvelle génération d'humoristes qui n'ont pas encore tous éclos à la mesure de leur talent. C'est le cas de Bertschy, dont la série « Smax » publiée chez Glénat était de facture honnête sans être follement drôle. Et puis voilà que sort chez Dupuis un album de strips déjà parus en Suisse, mené par un diablotin orange, un labrador bonne poire et une jeune fille plutôt sympathique qui est la maîtresse des deux premiers. Et là, il faut bien le dire, Bertschy passe un cran dans la qualité ! Non seulement son petit univers est attachant, cohérent, drôle et constamment en évolution. Mais en plus, l'auteur parvient à réaliser ce qui constitue sans doute l'exercice le plus difficile dans le domaine de l'humour : le strip à l'américaine. Deux à quatre cases maximum, un décor presque réduit à rien... et une chute qui provoque le rire. Honnêtement, Nelson n'a rien à envier à ses aînés américains et on lui souhaite la même carrière que les plus prestieux d'entre eux. Il le mérite. Avec son trait stylisé hyper lisible et très expressif, Bertschy parvient à nous faire sourire avant même la chute de ses gags. Deux autres albums sont déjà annoncés. On espère qu'ils seront du même niveau !
« Black gold », tome 1 de « La dernière chevauchée », par Chanoinat, Chardot et Cassini. Chez Soleil.

Ils y sont allés joyeusement, les compères Chanoinat et Chardot au moment d'écrire leur scénario ! Si Greg avait décidé de se lâcher en écrivant « Les loups du Wyoming » cela aurait pu donner quelque chose comme « La dernière chevauchée ». A part que Greg était du côté des bons, des gentils, même si les gentils finissaient parfois au bagne. Chanoinat, Chardot et Cassini, eux, ils sont du côté « teigneux ». Pas de doute, ce western ultra-violent est à prendre au dix-huitième degré. Sinon, on pourrait juste y mettre le carré blanc et ranger l'album en haut de l'étagère, hors de portée des enfants. Quel carnage ! Dans la droite ligne de « Séminole », Cassini évolue vers un dessin de plus en plus nerveux, inspiré des grands anciens auxquels il rend hommage dans les scènes d'action, le dessin des chevaux ou les hachures qui burinent ses personnages. Cassini a mis du Jijé et du Giraud dans sa flasque de potion magique, c'est évident. Le résulat est d'une parfaite efficacité. Quant au scénario, il rappelle par sa violence les débuts d'Yves Swolfs avec Durango. Atteint aujourd'hui par une certaine lassitude, Durango n'est plus que l'ombre de lui-même. Une ombre à laquelle cette série pourrait bien faire de l'ombre à son tour, car elle se place sur le même territoire, celui de l'hommage aux films de genre et de l'action pour l'action. Rien à voir avec les très statiques aventures de Mister Blueberry ni avec le magistral Bouncer. Le trio d'auteurs de « La dernière chevauchée » cultive le seul plaisir de se faire plaisir. Et de divertir.
« Melody Bondage » de Jake Raynal et Claire Bouilhac. Chez Fluide Glacial.

Fluide se met à la couleur et publie une histoire parodique inspirée de James Bond qui joue à fond la carte des seventies. Le dessin de Claire Bouilhac hésite entre l'humour et le glamour, le sexy et le l'attractivité visuelle, utilisant des contre-plongées décoiffantes, des médaillons en clin d'œil et des lignes épurées qui rappellent parfois une certaine esthétique BD très en vogue dans les années 80. Son héroïne doit posséder un stock de laque plutôt abondant, mais ce sont surtout ses tenues légères et très SM que les garçons regarderont d'un œil frétillant de malice. Quant aux scénarios, ils sont dignes à la fois de l'esprit Fluide Glacial et du titre donné à la série. Melody Bondage passe le plus clair de son temps les poignets attachés et les fesses à l'air, croisant au gré de ses pérégrinations au service de sa Majesté quelques visages connus comme Arafat, Bill Clinton ou le Prince Charles. Tout ça ne se prend absolument pas au sérieux et heureusement, parce qu'il n'y a vraiment pas de quoi ! Cet album est un pur produit d'humour parodique sexy et il ne faut rien y chercher d'autre. Mais dans son genre, il est plutôt meilleur que la plupart des autres...
Elisea (A l'ombre de la croix) par Thierry Bellefroid
« Elisea », tome 1 de « A l"ombre de la croix », par Ilaria Trondoli. Chez Paquet.

Et encore une jeune dessinatrice lancée par Pierre Paquet. Depuis Valp et son cycle « Lock », l'éditeur semble avoir trouvé une nouvelle raison de faire des livres : aider les jeunes femmes à trouver le chemin du public. Après Fanny Montgermont et son « Elles », l'Italienne Ilaria Trondoli nous emmène au Moyen Age, dans un diptyque avec templiers, secrets de famille et conjurations en tout genre. Ilaria Trondoli est manifestement très influencée par le dessin actuel d'Hermann ; il y a quelque chose des Tours de Bois Maury dans tout cela, que ce soit dans sa manière de traiter la couleur directe à l'aquarelle avec un encrage très discret, ou dans l'univers qu'elle développe. Qu'à cela ne tienne, pour un premier album, c'est déjà d'une jolie facture. Reste de temps à autre des petits problèmes d'attitudes des personnages. Reste aussi cette impression d'une élève qui imite parfois un peu trop sagement le maître, comme à la page 7 (qui est en fait la première vraie planche du récit). Tôt ou tard, Ilaria Trondoli trouvera sa voie, son style personnel. Elle semble avoir suffisamment de talent pour cela. Laissons-lui un peu de temps pour y parvenir. Et laissons-nous emporter jusqu'à Saint Jean d'Acre par son récit aventureux. En essayant de ne pas perdre le fil, car parfois, cela manque encore un peu de clarté dans la narration.
The art of Sin City (Sin City) par Thierry Bellefroid
« Frank Miller, The Art of Sin City », chez Rackham.

Si vous dessinez un peu en cours du soir, dans une académie ou même tout seul chez vous, avec l'espoir d'être publié un jour, n'ouvrez pas ce livre, il peut vous détruire ! Frank Miller en 112 pages d'illustrations. Pas de texte (sauf l'introduction de quatre pages et les quelques textes contenus dans les pages de Sin City reproduites), pas d'histoire, rien qu'une leçon de dessin époustoufflante. Les lecteurs de Sin City savent déjà tout le talent de cet auteur hors norme. Mais ils ne pourront que le savourer davantage dans ce livre au grand format et d'une qualité d'impression supérieure aux albums. Le noir et le blanc, Miller les maîtrise jusqu'à les opposer sauvagement, jouant sur les aplats les plus risqués, sur l'abstraction, sur l'épure la plus absolue. Il ne reste dans ses dessins que le minimum d'indices permettant à la narration de fonctionner mais aussi à l'imagination du lecteur de recomposer la scène originale. Pour comprendre jusqu'où cela peut aller, il faut ouvrir ce livre et comparer les travaux préparatoires et les planches finales de Miller. Sur les croquis, des zones sont hachurées en rouge, c'est tout ce qui va disparaître dans la version finale, mangé par l'ombre. La comparaison est édifiante. Le croquis est talentueux, justement proportionné, joliment dessiné. Le dessin publié, lui, est tout simplement génial. Faut-il vraiment en dire plus ?
Human Target par Thierry Bellefroid
« Human target T.1 » de Peter Milligan et Edvin Biukovic. Chez Semic Books.

Semic nous propose une nouvelle série plutôt emballante. La cible humaine, c'est Christopher Chance, un homme dont le métier est de prendre la place des gens qui se savent visés. Il court tous les risques, mais surtout, il prend leur apparence et trompe jusqu'à leurs proches, convaincus d'avoir à faire à l'original et non à une copie. A condition d'adhérer à ce difficile postulat -imaginez un homme qui soit capable de se déguiser aussi bien en pasteur noir qu'en producteur hollywoodien...-, le premier volume de cette série est diablement bien mené par un scénariste peu connu de ce côté-ci de l'Atlantique. En toile de fond de cette histoire, le combat de Chance et de son second, Tom Mc Fadden, pour conserver leur identité. La schizophrénie guette ces caméléons professionnels. A tel point qu'ils ne peuvent plus reprendre leur vie normale. Déviations sexuelles pour l'un, appropriation d'une identité d'emprunt pour l'autre, le livre allie l'action souvent musclée à la réflexion sur l'identité. Il faut reconnaître que les changements de rôles continuels des deux principaux protagonistes finissent parfois par donner le tournis -qui c'est lui, c'est Chance déguisé ou c'est Tom Mc Fadden déguisé en Chance déguisé ????- au point de perdre son latin, mais que la lecture de ce thriller peu courant est réellement agréable. D'autant que le dessin de feu Edvin Biukovic, dessinateur croate mort d'une tumeur au cerveau à trente ans à peine, est d'une efficacité et d'une lisibilité exemplaires.
« Pourquoi tant d'amour ?, tome 1 », par Foenkinos et Reiss. Chez EP éditions.

« Pourquoi tant d'amour ? » serait-il la version américaine de « La vie de ma mère » ? Il y a assurément des similitudes entre ces deux livres. Deux romanciers au scénario, deux histoires de gosses dans l'influence des bandes urbaines. Mais la ressemblance ne va pas au-delà. « Pourquoi tant d'amour ? » est plein d'humour, volontiers écrit au second degré, en totale contradiction avec un dessin hyper-réaliste qui approche la réalité avec la précision du roman photo. Un humour qui ne se montre pas tout de suite, qui joue à cache cache avec le lecteur. Parce que le livre est parcourru de situations plus ou moins dramatiques, peut-être. Un jeune caïd renié par sa bande parce qu'il est tombé amoureux d'une adulte mariée, c'est vrai, c'est un bon départ pour une comédie. Mais l'histoire brouille les pistes et à certains moments, le lecteur hésite. Lit-il un polar « sentimental » à Brooklin ou une histoire d'amour new yorkaise sur fond policier ? Peu importe après tout, les tiroirs dans lesquels on range les histoires les empêchent trop souvent de trouver leur public, alors, faisons-les exploser. « Pourquoi tant d'amour ? » est une BD réussie parce que les personnages sont touchants, parce qu"elle nous raconte une histoire qui nous semble neuve et juste, parce que son traitement graphique fonctionne parfaitement. Et que ce soit une love story ou un polar mafieux importe finalement assez peu.
Dana (Coma) par Thierry Bellefroid
« Dana », tome 2 de « Coma » par Steven Dupré. Chez Glénat.

En deux albums, Steven Dupré a prouvé qu'il savait raconter une histoire captivante. Il sait aussi camper un univers aux frontières du fantastique et de l'aventure. Ses protagonistes, jeunes ados perdus dans un territoire hostile en bordure de jungle et menacés par les « piqueurs », sont confrontés à un monde hostile dont ils ne comprennent pas les règles. En deux livres, le lecteur fait connaissance avec les plus intéressants d'entre eux et entre dans un monde parallèle où le courage ne consiste pas seulement à tuer pour survivre mais aussi à s'élever contre les dogmes ou les interdits. Son histoire arrive, à la fin de ce deuxième tome, à un premier pallier. Mais que nous réserve-t-elle ensuite ? Subtil, Dupré amène le lecteur exactement là où il le veut même si son dessin reste encore parcourru d'imperfections et de maladresses. Développant cet univers parallèle réservé à ceux qui n'ont pas choisi entre la vie et la mort, il renouvelle en tout cas les histoires de communautés d'enfants livrées à elles-mêmes. Celle-ci a une originalité qui la distingue résolument des autres.
Lycaons par Thierry Bellefroid
« Lycaons » d'Alex Barbier. Chez FRMK.

Devenu l'éditeur de Barbier depuis quelques années, le Frémok se devait de rééditer « Lycaons », un ouvrage radical et novateur à l'époque où il paraît (1979) aux éditions du Square mais surtout, un ouvrage au propos indémodable. On y découvre ou redécouvre la verve sauvage d'un dessinateur qui a su tirer le meilleur parti de la couleur directe avant tout le monde. Barbier est un artiste, un peintre, un univers à lui tout seul. Cru jusqu'à la moelle, déshabillé jusqu'à l'os, Lycaons est un livre brut mais aussi un ouvrage fondateur. Si le Frémok s'intéresse tant à Barbier, c'est parce qu'il représente ce que cette maison tout à fait à part dans le paysage de la bande dessinée contemporaine tente d'amener au neuvième art. Un regard différent, une bande dessinée qui puise ses racines dans la littérature mais qui fructifie à travers une approche volontiers plus plastique, en bousculant les codes et les formats, limitant le plus souvent la planche à deux cases de même grandeur. Voilà pourquoi la réédition de ce livre introuvable -qui plus est avec un supplément de pages par rapport à l'édition originale- ne peut qu'être saluée à sa juste valeur. Les esprits chagrins regretteront la disparition de la majorité des originaux et donc la réédition de ce travail majeur à partir de pages imprimées, à l'exception de quelques dizaines de planches qui ont échappé au feu en 1983. Malgré cet état de fait, Lycaons demeure saisissant, tant par ses qualités graphiques que narratives. L'éditeur a eu la bonne idée d'indiquer les pages reproduites à partir d'un support imprimé en y apposant un pictogramme d'allumette. Cela permet au lecteur de se pencher avec plus de curiosité et d'attention encore sur les autres. Ouvrez le livre à la page 98-99 et comparez la planche de gauche (rescapée) et celle de droite (brûlée) : vous comprendrez que ce livre aurait pu être encore plus beau qu'il ne l'est !
« Germain et nous, l'intégrale Tome 4 », par Frédéric Jannin.

La boucle est bouclée. En un an, Le Lombard a exhumé de ses tiroirs poussiéreux l'un des monuments de la BD des années 80. « Germain et nous » allait révéler un talent, un vrai, celui d'un humoriste touche à tout pour qui la bande dessinée n'a jamais été qu'un moyen de s'exprimer parmi d'autres. Frédéric Jannin est en Belgique un véritable phénomène qui occupe une place à part sur la scène humoristique. Avec son complice Stefan Liberski, il a créé « Les snuls », alter ego belge des Nuls de Canal +, mais aussi bien d'autres choses, tant pour la télévision et la radio que pour la scène. Comment oublier aussi l'incroyable aventure des Bowling Balls, ce groupe « électro post-punk » créé dans les pages de « Germain et Nous » et finalement devenu un vrai groupe, dont l'intégrale agrémentée de dix inédits sort quelques semaines après la fin de l'intégrale BD, début janvier ? Bref, replonger dans cet univers, c'est mesurer à quel point Jannin avait su transcender ses faiblesses en dessin pour ausculter avec tendresse, justesse et humour la génération des ados des années 80. Tous les personnages de cette longue série de gags inaugurée dans les pages du Trombonne Ilustré de Spirou en compagnie du fils de Peyo, Thierry Culliford, restent les témoins d'une époque, ce qui ne veut pas dire qu'ils ont forcément tous vieilli.
L'annonceur par Thierry Bellefroid
« L'annonceur » de William Henne. A La Cinquième Couche.

Derrière une mystérieuse couverture aux accents très graphiques mélangeant photos, pictogrammes, dessins et faces de cubes avec le nom de l'auteur et le titre, on trouve un livre de très grand format, dont le dessin pourrait rappeler certains travaux de Pascal Rabaté. William Henne propose un noir et blanc pictural absolument somptueux. La matière est visible, elle compose des planches qui sont plus sépia et blanc que noir et blanc, des planches où des techniques apparemment incongrues font irruption sans crier gare. Les pictogrammes -encore eux, mais quand on connaît Henne, on sait qu'il adore en faire usage-, le dessin de comics américain, la photographie ou encore la gravure médiévale voisinent avec ce dessin au pinceau tout en volumes et en reliefs. Mais si la forme est très réussie, l'histoire est tout aussi étonnante. L'annonceur, c'est celui qui vient annoncer la mort des gens à leurs proches. Et dans cette histoire, l'annonceur en question se cherche un successeur. L'univers de Henne est sombre, détaché, presque clinique. Son livre explore d'une manière originale les peurs liées à la mort, avec une pirouette finale un peu attendue, c'est vrai, mais qui achève de donner du sens à l'œuvre. Une bande dessinée qui souffre peut-être d'être un rien trop esthétique, mais qui devrait ravir tous les lecteurs désireux de lire des histoires neuves dans des formes neuves.
« La traversée des nuages », de Vink. Chez Dargaud.

Voilà précisément l'album que l'on n'attendait pas . Ou plus. Après dix titres du Moine Fou et deux des voyages d'He Pao, on ne pensait pas que Vink finirait par nous raconter autre chose. Autre chose et autrement ! La traversée des nuages n'est pas un album grand public. Le rêve, l'onirisme ne sont pas grand public. Et le traitement graphique de cette histoire fantastique n'est pas davantage grand public. Mais quand un auteur se remet si totalement en question -pour ne pas dire en danger- comment ne pas être touché, comment ne pas être sensible à ses arguments, à sa démarche, à son envie de sortir de sentiers balisés de la création « à suite » ? Vink nous emmène dans un monde qui pourrait ressembler à ceux de Léo. Et ce n'est peut-être pas un hasard si son histoire commence à Sao Paulo. Mais ses monstres à lui sont plutôt inoffensifs. Et son bestiaire n'a rien d'extra-terrestre. A la science-fiction, l'auteur d'origine vietnamienne a préféré le rêve, la fantaisie, le décalage du réel. On ne sait encore trop où il veut en venir. Qu'importe, le plaisir de la lecture est là, la curiosité est piquée au vif, on n'a qu'une envie, en savoir plus, voir ce qui a bien pu pousser le dessinateur des arts martiaux à changer son fusil d'épaule.
Face B (La vie de ma mère) par Thierry Bellefroid
« La vie de ma mère, Face B », de Jonquet et Chauzy. Chez Casterman.

Fin de ce diptyque en verlan qui nous emmène dans le Paris du romancier Thierry Jonquet revisité par le crayon de Jean-Christophe Chauzy. Un histoire qui ressemble à une machine infernale, une machine à broyer les bonnes volontés. On le sent dès le départ, Kevin ne part pas gagnant dans la vie. Sa rencontre avec la très convenable Clarisse est touchante, mais c'est aussi l'une des choses qui le mènera finalement à sa perte. La vision des choses développée par Jonquet est pessimiste. « La vie de ma mère », ou comment prouver qu'on ne peut pas s'en sortir quand on est né dans le mauvais camp. En même temps, le romancier n'a pas écrit son livre à la légère, il connaît réellement la réalité de ce Paris de seconde zone et d'autres de ses polars (le dernier paru au Seuil, notamment « Ad vitam aeternam ») font preuve de bien davantage de noirceur encore. Le travail de Chauzy sur le texte original est remarquable. Il donne un corps, une âme aux personnages. Il fait oublier le fait qu'il s'agit d'une adaptation. Il transcende la violence et la laideur des situations ou des décors pour nous amener dans un univers aux couleurs vives mais marqué par la destruction et la pauvreté sous toutes ses formes. Même les scènes les plus dures sont traitées avec intelligence et sensibilité, sans aucune mièvrerie pour autant. Le résultat est une bande dessinée coup de poing, presque un reportage vérité dans les rues situées entre Belleville et Barbès, mais traité avec cette humanité et cette acuité que l'on ressent d'un bout à l'autre de la lecture.
« L'esprit du temps, tome 1 », par Lacombe. Chez Soleil.

22 ans, premier album et seul à la barre, du scénario au dessin en passant par les couleurs ; Benjamin Lacombe n'a pas choisi la facilité. Le premier volume de cette série lui permet en tout cas de prouver une vraie maîtrise du dessin qui passe par l'assimilation des codes du manga et de l'animation. Son dessin ne manque ni de dynamisme ni de fluidité et la lecture en est presque immédiate. On est en plein dans ce que recherchent actuellement plusieurs éditeurs, en quête d'une nouvelle ligne graphique jetant des ponts entre l'Orient, l'Occident et le cinéma d'animation américain. Quant à l'histoire, elle consiste surtout en une mise en place des personnages et de la situation. Setsuko, fille d'empereur, est capturée par le Dieu de la mort qui la transforme en fantôme et la séquestre. Mais la jeune fille ne manque ni de ressource ni de caractère, elle parvient donc à s'évader. Encore faut-il qu'elle retrouve les siens. Sa surprise est grande lorsqu'elle se présente aux portes du palais de l'empereur Murakami : son père est mort depuis deux siècles. La voilà condamnée à errer dans le temps à la recherche de l'Esprit du Temps pour réparer cette injustice. Finalement, ce n'est là que la transposition de la plupart des histoires d'héroïc fantasy. Mais l'auteur évite habilement l'écueil du déjà-vu en transposant sa quête dans le Japon médiéval, avant d'aborder les autres époques.
« Le mystère de Samothrace », tome 3 d'Atalante. Par Crisse. Chez Soleil.

Crisse n'a sans doute jamais si bien travaillé que sur cette adaptation de la littérature grecque antique. A lire ce troisième volume d'Atalante, on est étonné de ce qu'il amène de personnel à un mythe pourtant usé jusqu'à la corde. Que de chemin parcouru depuis les « Ocean"s Kings » ! Crisse apporte à ce texte ancien un humour qui en était absent, des images neuves et un contemporanéité étonnante. Sa mise en scène sans faille se mesure au bas de chaque planche, ou presque, à cette faculté qu'il a de créer le suspense, faisant rebondir l'action sans arrêt. Mais les représentations de personnages de la mythologie ne sont pas en reste. Il n'y a qu'à voir son minotaure pour constater que l'auteur est tout simplement inspiré. Son éditeur ne s'y est pas trompé. Même si Crisse fait partie des gros vendeurs depuis Kookabura, les deux livres publiés par Soleil pour accompagner ce troisième Atalante prouvent qu'il est plus qu'un bon vendeur d'albums. « Les amis d"Atalante » offre quelques planches étonnantes dans lesquelles les complices de Crisse ont imaginé leur version de son univers. Mais il y a surtout ce beau livre intitulé « Utopia » qui retrace l'univers de cet auteur complet au trait singulier. Certains détestent ce dessin fait de rondeurs avantageuses, de femmes engoncées dans leurs tenues de cuir et de bouches entrouvertes dans de délicieuses poses alanguies. D'autres ne jurent que par lui. Quelque part au milieu, je reconnais à ce dessinateur une patte personnelle et un univers de plus en plus riche, sans parler d'un dessin qui semble aller aujourd'hui vers davantage de visibilité et moins de maniérisme.
Soupe froide par Thierry Bellefroid
« Soupe froide », par Charles Masson. Chez Casterman, dans la collection Ecritures.

Quand un médecin s'égare dans la bande dessinée le temps d'écrire un livre qui lui tient à cœur, on tombe sur quelque chose d'authentique et d'original. Pour un travail « d'amateur », Charles Masson frappe fort, prouvant qu'on peut être dessinateur en dilettante et inspiré. Son histoire nous permet de suivre durant quelques heures les pas d'un clochard cancéreux qui s'évade d'un centre de traitement où il « croupit » depuis plusieurs mois simplement parce qu'on lui a servi une soupe froide. L'histoire peut prêter à sourire, elle a pourtant les accents de la sincérité. On sent que Masson connaît son sujet. Et qu'il n'hésite pas à mettre des « putains de médecins » dans la bouche de son héros pour mieux prendre de la distance avec son métier. Avec un dessin nerveux, expressif et économe, Charles Masson raconte une histoire aussi banale que touchante. Le lecteur pénètre les petits secrets du héros à mesure que son périple le mène vers un véritable chemin de croix. Et au bout de 130 pages, on se prend à espérer que ce premier album de Charles Masson ne sera pas le dernier.
Mémoires d'un commercial par Thierry Bellefroid
« Mémoires d'un commercial », par Morvandiau. Aux Requins Marteaux.

Son dernier livre, « Morvandiau range sa chambre », ne m'avait pas forcément convaincu. Celui-ci m'a vaincu ! « Mémoires d'un commercial » est un de ces livres comme seuls les Requins Marteaux savent les faire. Un humour ravageur, volontiers absurde, placé en total décalage avec cet objet luxueux à la couverture toilée. On imagine que le collectif d'Albi ne va pas renflouer sa caisse avec une opération de ce genre, mais quel plaisir de posséder des objets aussi ovniesques dans sa bibliothèque ! Morvandiau ne prend rien au sérieux, ni le métier de commercial ni le graphisme qui est aussi éloigné de certaines productions léchées que l'est sa couverture de certains fanzines fabriqués dans la cave d'un obscur dessinateur. Son délégué commercial alcoolique instruit patiemment le jeune stagiaire avec un mélange de dérision et d'ironie qui emportent le lecteur dans l'humour débridé de l'auteur, jusqu'à la dernière page. Chapitre après chapitre, on plonge plus bas dans la médiocrité, la vantardise et le pathétique. Même si l'on imagine que l'auteur a cherché ce qu'il y avait de plus stupide dans le genre, il doit bien exister l'un ou l'autre délégué commercial proche de son modèle ! Je ne vous souhaite pas de les rencontrer...
El Perceptor par Thierry Bellefroid
« El Perceptor », par Flab. Chez Nucléa².

Difficile d'imaginer une couverture plus moche que celle de ce Perceptor. Le genre d'album qu'on se force à ouvrir, persuadé d'y trouver un monument de mauvais goût. Et la page de garde ultra-kitsch ne vous ôte pas cette sensation. Pourtant, il se passe quelque chose dès qu'on entre dans la lecture elle-même. Manifestement, Flab a lu Mignola. Et Il aime beaucoup. Au point de lui emprunter pas mal d'éléments graphiques. Pourtant, la comparaison entre Hellboy et El Perceptor s'arrête là. Quant à l'histoire, elle est plutôt accrocheuse dès les premières pages. El Perceptor, c'est une montagne de muscles au grand coeur qui est chargé de récupérer les dettes ou de faire suffisamment peur et suffisamment mal à ceux qui en ont pour qu'ils n'oublient pas de les régler dès le lendemain. Mais El Perceptor n'aime pas son boulot. Il aime la lutte, le ring, le catch. Et c'est là qu'on entre de plein pied dans l'histoire. Même si l'on devine très vite l'identité du Puma, un ancien champion qui a raccroché et qui reste le modèle absolu des catcheurs de ce coin désoeuvré du Mexique, le récit de Flab est plein d'imprévus et d'humour. Tout en nouant son drame autour des personnages comme un noeud coulant autour du cou d'un condamné, l'auteur ferre son lecteur et ne le lâche pas, malgré quelques envolées mystico-amoureuses qui vont finalement permettre au récit de trouver sa résolution. On referme ce livre avec le sentiment d'avoir lu une histoire bien ficelée, bien racontée et qui allie action, drame et humour, ce qui n'est pas si courant. Bref, ça valait la peine de tourner la page de garde !
« Andy & Gina 2 », par Relom. Chez Fluide.

Rien à dire, voilà une série qui ne faiblit pas. Et qui se détache de la production Fluide par son humour méchant jusqu'à la moelle. Andy & Gina, ce sont les enfants les plus monstrueux de la bande dessinée, deux morveux -enfin, surtout une morveuse et le frère qu'elle entraîne dans ses bêtises- qui repoussent continuellement les limites de l'humour politiquement correct. Avec leurs parents SM et surtout ce père dénué de tout scrupule (Gina tient de lui, c'est sûr) qui est prêt à mettre son fils sur le trottoir pour ramener un peu d'argent, ils forment un sacré quatuor. Cela permet à Relom de renouveler ses histoires tout en jouant sur le running-gag (le gamin qui demande des patins à roulettes chaque fois que deux adultes en train de copuler crient « oh, demande-moi ce que tu veux », par exemple). Bref, difficile de ne pas rire de ces histoires énormes, bêtes et méchantes ; elles constituent un très mauvais exemple pour les enfants mais elles amuseront les adultes qui regrettent d'avoir été trop sages et trop raisonnables.
Appleton Street (Makabi) par Thierry Bellefroid
« Appleton Street », tome 2 de « Makabi », par Brunschwig et Neuray. Chez Dupuis.

Le premier tome de cette trilogie laissait le lecteur dans un certain brouillard. Où Luc Brunschwig voulait-il en venir, au juste ? Dès le début de ce deuxième volume, on sent qu'on entre bel et bien au cœur du récit. Les protagonistes changent et le rôle de « Makabi » se précise. Tout en faisant avancer l'action, l'auteur lève le voile sur les zones d'ombre. Réfugié au cœur de la communauté juive de « Little Jerusalem », Lloyd Singer/Makabi révèle peu à peu sa personnalité. Victime d'une confusion qu'il n'arrive pas dissiper, il va subir les sarcasmes et les reproches des siens. Brunschwig mêle avec beaucoup d'habileté son récit policier et le portrait de famille, passant par une description minutieuse de la communauté juive de « Little Jerusalem ». On découvre ses personnages « pittoresques », ses traditions, ses lois, sa morale. Par ailleurs, le passé de Zéna, particulièrement tragique et obscur, est révélé avec une certaine pudeur par les auteurs. En fait, on se rend compte que chaque personnage agit en fonction de ce qu'il est et non en fonction de ce qui arrange le scénario ; c'est la grande force des scénarios de Brunschwig et celui-ci n'échappe à la règle. Neuray assure, avec un dessin réaliste et minutieux qui traque les détails. Ses couleurs sont parfois un peu trop vives à mon goût et j'avoue regretter le graphisme de la période « Nuits blanches », mais celui-ci conviendra sans doute mieux au lectorat Dupuis.
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