Les 276 critiques de Philippe Belhache sur Bd Paradisio...

Résurrections (Nefesis) par Philippe Belhache
"Résurrections", Nefesis 1 de Silvio Camboni et Denis-Pierre Filipi. Repérages Dupuis.

Nouvelle incursion de Denis-Pierre Filippi dans un univers fantastique, ambiance Steampunk, après "Les corsaires d'Alcibiade", dans la même collection. Avec pour pitch de départ une idée intéressante, la réincarnation des âmes égyptiennes comme parasites dans le corps de personnes "inspirées", avec des conséquences plus ou moins graves sur la santé mentale de leurs hôtes. Ce premier tome sert comme de juste d'introduction. Filippi construit son intrigue comme un polar où l'héroïne Néfésis, sorte de Fantômette mâtinée de Batgirl se trimbale une conscience de secours ramenée d'un séjour forcé dans une tombe antique. L'ensemble est musclé et cohérent, beaucoup moins confus que n'a pu l'être "Alcibiade". Le fait sans doute d'un postulat posé plus distinctement, avec des enjeux immédiats, sans dilution de rythme dans une multiplicité de personnages. Nous sommes dans l'action, avec une distance ironique liée à la personnalité de la jeune Margot. Avec surtout un graphisme qui ne s'embarrasse pas d'un réalisme excessif. Silvio Camboni, comme beaucoup aujourd'hui, pervertit l'esthétique "Marcinelle" dans un récit à la tonalité beaucoup plus dure que le Spirou de base. Cela lui va plutôt bien. Reste à transformer l'essai. Et à surprendre de nouveau.
"La mémoire dans les poches", tome 1. De Brunschwig et Le Roux. Futuropolis.

Luc Brunschwig parlait d'explorer de nouvelles voies, de nouveaux modes de narration. Et le moins qu'on puisse dire est qu'il ne déçoit pas, s'emparant pleinement de cette nouvelle liberté offerte par le Futuropolis new look. Avec ses airs tranquille de BD de papa, "La mémoire dans les poches" déroule sur plus de quatre-vingts pages l'histoire faussement ordinaire de la famille Letignac, chronique d'une famille petit à petit en situation d'imploser, sur fond de quotidien des banlieues. Une fable sur l'amour fou, rapportée sous forme d'une improbable confession de bistrot, par le père, un Sidoine Letignal en fuite avec un bébé qui ne lui appartient pas. L'amour excessif et "surprotecteur" d'une mère pour son fils unique qu'elle refuse de voir grandir, l'amour de ce même fils pour une jeune maghrébine en situation irrégulière.. Autant d'éléments qui fondent des comportements extrêmes. Et l'histoire de Sidoine Letignac, perdu entre sa femme et son fils, qui ne sait plus comment réagir, allant de maladresse en maladresse. Avec en surimpression, habilement mis en abyme, son passé d'enfant juif pendant la guerre. Brunschwig tisse sa toile avec patience, prend le temps de poser ses personnages, leur vie, leurs engagements, pour nous permettre de mieux les comprendre, avant de nous imposer leurs dérapages. Le tout avec un soucis du détail – tant dans le vécu de chaque protagoniste que dans leur quotidien - un travail sur la narration et un sens de l'histoire dans l'Histoire qui font parfois penser au travail de Didier Daeninckx, ce prince du polar engagé. Le trait d'Etienne Le Roux excelle à restituer l'univers urbain de "La mémoire dans la poche", dans un registre auquel il ne nous avait pas habitué. Un parti pris graphique qu'il maîtrise complètement, évitant l'écueil du simple rassemblement de "tronches" pour nous offrir des personnages habités. Cette première livraison est simplement une réussite. Et crée une belle attente pour la seconde, rien que pour voir où ce manipulateur roué qu'est Luc Brunschwig tente de nous amener.
La bête (Le marquis d'Anaon) par Philippe Belhache
"La bête", le Marquis d'Anaon 4, par Bonhomme et Vehlmann. Dargaud.

Fabien Vehlmann poursuit son exploration des grandes peurs du millénaire - pas celui-là, l'autre, juste avant - avec ce quatrième volet des aventures de son Marquis d'Anaon. Et progresse une nouvelle fois dans le cadre d'une série décidément remarquable. Le jeune scénariste nous plonge dans les questionnements d'un Siècle des Lumières qui peine à sortir du Moyen Âge. Dans la pénombre de croyances ancestrales dont les racines plongent dans l'ignorance d'un temps et l'isolement des hommes. Dépressif suite à ses déboires sur "La Providence", Jean-Baptiste Poulain se voit sollicité par son cousin, dragon du Roy, pour mener une chasse hors norme, sur les traces d'une "bête" qui terrorise la population. Voilà pour l'argument. Vehlmann confronte une nouvelle fois son personnage à l'irrationnel, flirtant avec le fantastique sans jamais céder à la tentation d'y tomber. La traque sert de toile de fond à l'évolution psychologique, habilement mise en abyme, de ces deux hommes face à leurs blessures, à la peur, à la perte progressive de leurs repères.. Jusqu'à la confrontation finale qui servira de révélateur. Un très belle histoire d'hommes, racontée sans pathos excessif. L'auteur propose plus qu'il impose, donne à comprendre sans pour autant abrutir le lecteur d'une érudition pourtant évidente. L'ensemble est magnifiquement servi par le graphisme de Matthieu Bonhomme, qui campe là des personnages sobres, terriens, charnels. L'homme excelle à opposer ombre et lumière, à travailler l'obscurité, les silhouettes taillées dans la nuit. "La bête" est certainement l'un des albums clefs de cette rentrée 2006.
Coeur de goulue (Mina Loween) par Philippe Belhache
"Coeur de goulue", Mina Loween 1, par Lylian, Nori et Lillycat. Les Humanoïdes Associés.

Nouvelle incursion dans le monde des ados en détresse pour les Humanoïdes associés. Mina Loween conte les (més)aventures d'une adolescente paumée dans sa propre existence, entre le souvenir de sa mère disparue et la présence d'une nouvelle femme dans la vie de son père.. Alors que l'âme de sa copine Kate, victime d'un accident de la route, se prépare à aller dans l'au-delà, Mina Loween – qui s'était réfugiée sur la tombe de sa mère - se découvre la capacité étrange de pouvoir entrer et survivre au royaume des morts.. Un postulat qui pourrait se révéler un peu morbide, s'il n'était pas proche dans l'esprit et dans l'approche graphisme de Lillycat, de l'univers de Tim Burton, de "Beetlejuice" à "L'Etrange Noël de Monsieur Jack".  Les morts sont délirants et hauts en couleurs, réunis en vase clos dans une cité improbable, suivant des règles frisant le grand guignol. Les auteurs n'en perdent pas pour autant le fil de leur propos, donnant à découvrir cet univers décalé par les yeux de la jeune fille, avant de la rendre (?) au réel. "Coeur de goulue" pose les bases d'une intrigue dont on ne possède pas encore –loin s'en faut – toutes les ficelles. Il donne avant tout à découvrir un univers, porté par le trait sensible de Lillycat, qui laisse éclater là son goût pour les univers étranges, voire un brin tordus, les poupées et les teintes blafardes.
L'exode (Tir Nan Og) par Philippe Belhache
"L'exode", Tir Nan Og 1, de Fabrice Colin et Elvire de Cock. Humanoïdes associés.

Comme beaucoup d'autres maisons, les Humanoïdes associés resserrent une partie de leur production sur le lectorat adolescent. Pour cela, l'éditeur développe une ligne faisant la part belle au merveilleux, jouant des productions maison et de titres importés. "Tir Nan Og" est l'un des premiers fruits de cette politique, aux côtés de "Polly et les pirates", de "Mina Loween" et des "Enfants du crépuscule". L'argument ? L'ultime embarquement des fées pour le nouveau monde. Un continent sur lequel on retrouve quelques années plus tard un bande de gamins des rues dont les liens avec le monde des fées, Tir Nan Og, ne vont pas tarder à se faire jour. Le pitch est connu : un adolescent orphelin abandonné de tous se découvre un destin merveilleux dans un autre monde. L'affaire a des relents d'Harry Potter ou même du Monde de Narnia. Mais pas seulement. Le ressort est commun à nombre de fictions adolescentes, d'anticipation ou pas. L'avantage de Tir Nan Og ? Avoir aux commandes Fabrice Colin, une des gloires montantes du roman de science-fiction, lequel fait déjà preuve d'une belle maîtrise dans son récit pour une première en bande dessinée. Son utilisation de personnages du folklore irlandais, qui fuient leur terres d'origines en me temps que les Irlandais eux-mêmes, est par ailleurs intéressante, rappelant dans une certaines mesure l'argument de l'imparable "American Gods" de Neil Gaiman. Côté graphisme, la jeune Elvire de Cock développe un graphisme à la fois dynamique et sensible, sur une ligne ténue mais bien tenue, entre réalisme et stylisation, qui sied bien au propos. La série ne demande qu'à s'installer, mais doit cultiver son originalité pour se démarquer d'une production devenue pléthorique.



Le cimetière des autobus (Lou) par Philippe Belhache
"Le cimetière des autobus", Lou 3 de Julien Neel. Glénat, collection Tchô!

Troisième tome, troisième succès, tant populaire que critique. Cette nouvelle tranche de vie de l'adorable "Lou", imaginée et mise en images par Julien Neel, est entrée dans le classement des meilleures ventes Livres Hebdo-Ipsos. Et se maintient en troisième semaine dans le "top 5", derrière "Les naufragés d'Ithaq" (Soleil), les "Blagues de Toto" (Delcourt) et le dernier tome de la saga SF de Denis Bajram, "Universal War One" (Quadrant solaire). Le premier tome de la série, "Journal infime" avait été justement récompensé du Prix jeunesse des 9-12 ans au Salon international de la bande dessinée d'Angoulême en 2005. Ce "Cimetière des autobus" démontre, un an après "Mortebouse", qu'il ne s'agit en rien d'un feu de paille mais bien d'une série avec laquelle il faut compter.

Lou franchit de nouvelles étapes, perdant ses repères dans une vie qu'elle pensait normalement cadrée : sa mère vit intensément ses nouvelles amours et le succès de son premier livre, elle-même doute de ses amours et se voit séparée de sa copine Mina au collège... Pour couronner le tout, l'immeuble qu'elle passait son temps à observer pour tenter d'apercevoir le garçon dont elle s'était entichée est détruit pour laisser place à un espace de stockage pour véhicules municipaux, le fameux cimetière des autobus. Lou perd pied, va droit au devant de la crise d'adolescence. Julien Neel amène son propos avec ce mélange de douceur, d'humour et de pertinence qui est la marque de fabrique de la série. S'il ne modifie pas ses partis pris graphiques - un album structuré planche par planche, un encrage en couleurs qui adoucit les contours - il intègre des personnages typés, qui échappent petit à petit à la simple caricature. Marie-Emilie, gothique pleine aux as, et K-Rine, rappeuse en crise, viennent aérer l'univers de Lou et lui servent de passerelle vers un nouvel univers. Bref, un titre mignon tout plein, mais sans excès de guimauve. Que du bonheur.
Le journal du lutin par Philippe Belhache
"Le journal du lutin", par Allan Barte. Delcourt, collection Shampooing.

Qu'il soit ou non derrière l'insaisissable Frantico - l'ampleur de la polémique n'a d'égale que la constance de ses dénégations - Lewis Trondheim n'en est pas moins consommateur et visiblement fin connaisseur de l'univers des blogs. El Présidente Trondheim s'est offert rien moins qu'Allan Barte et sa "Vie du lutin", un des plus fameux sites du moment, pour la collection Shampooing de Delcourt. Le résultat ? "Le journal du Lutin", version papier des oeuvres de l'internaute, ni plus ni moins, telles que parues sur le Net ou même dans les pages de Spirou Hebdo. La maquette est soignée, pour un album présenté comme un cahier d'écolier, imprimé sur du papier ligné (à grands carreaux s'il vous plaît), tables de multiplications, syntaxe approximative et fautes d'orthographes incluses. On s'y croirait. Ce journal imaginaire d'un gosse de huit ans, rédigé "à la manière de..." par un jeune auteur par ailleurs diplômé de sciences politiques, conserve tout son sel en version cartonnée. Même s'il est plus excitant (et digeste) de suivre ses aventures au jour le jour, que d'en avaler près d'une centaine d'un coup en recueil. A noter que la parution de ce "Journal du Lutin n'a heureusement pas interrompu l'activité du blog. C'est là : laviedulutin.over-blog.com
L'héritage Jomon (Imago Mundi) par Philippe Belhache
" Les orgues de Simushir" et "L'héritage Jomon", Imago Mundi 7 et 8, par Corbeyran, Braquelaire et Brahy. Dargaud.

Plutôt que détailler les tomes 7 ou 8 d'Imago Mundi, parlons plutôt du dossier IV. A l'instar d'un Largo Winch, cette série se décline en diptyques, principe qui semble d'ailleurs réussir à l'un comme à l'autre. A cette différence près qu'auteurs et éditeur ont pris là pour parti de faire paraître simultanément les deux albums. Ce n'est pas le moindre des charmes de cette série d'action qui s'aventure avec bonheur sur le terrain pourtant miné du thriller technologique. Peu osent s'y frotter- à l'exception récente de Yann et de son "Narvalo" - le risque étant grand d'aller droit dans le mur faute de bases solides et d'une crédibilité bien établie. Mais Corbeyran est tout sauf un débutant, et bénéficie pour l'occasion de la caution scientifique de son ami Achille Braquelaire, professeur d'informatique à l'université de Bordeaux. Le résultat ? Une série qui tient magnifiquement bien la route, le propos d'anticipation technologique ne venant en rien étouffer le déroulement de l'intrigue. L'ensemble est carré et rythmé, soutenu par le graphisme classique mais nerveux de Luc Brahy. On pourra juste regretter, par endroits, le manque de relief de la mise en couleurs de Bérangère Marcquebreucq, trop marquée par l'informatique. Mais pas de quoi bouder une série dont le niveau d'exigence est particulièrement élevé.
"Le patriarche", Universal War One 6, de Denis Bajram. Quadrant Solaire.

Oyez, oyez bonnes gens ! Qu'on se le dise, l'événement est double !
Soleil Productions ne ménage pas ses effets pour annoncer le "Patriarche" comme "La conclusion du chef d'oeuvre de Denis Bajram" et par là même, lancer son nouveau département "Quadrant solaire", qui rassemble pour l'heure les oeuvres de l'auteur en question et de sa compagne Valérie Mangin. Mais foin d'ironie facile, cette double accroche n'est pas sans intérêt. D'abord parce que la présentation de cette nouvelle structure éditoriale inclut un bras d'honneur aux caciques de la "nouvelle bande dessinée" et un engagement pour "une bande dessinée grand public d'auteur", qui n'a pas peur "d'être populaire et intellectuelle à la fois." Ensuite parce que cette nouvelle livraison d'UW1 remplit à elle-seule le cahier des charges.

Denis Bajram boucle enfin cette fabuleuse saga d'anticipation qu'est Universal War One, mettant la dernière main à une oeuvre pensée dans son ensemble dès 1997. Une fresque en six albums dont le rythme de parution a été perturbé par les événements - tous le monde de souvient du choc provoqué par la fabuleuse couverture du tome 4, paru juste après le 11 septembre 2001 - et les exigences artistiques de son auteur. Qu'en penser ? Mettant un point final à ce cycle de SF inégalé, Bajram impose sa puissance de vue, la rigueur mathématique de son traitement des allers et retours dans le temps, sa culture de la science-fiction en général et des paradoxes temporels en particulier.

La conclusion est à la démesure de l'ensemble, et le graphisme - toujours aussi puissant - entièrement assumé sous informatique, sans faute de goût.
Pourquoi alors ce vague sentiment de frustration ? Sans doute parce que l'album - bouclage oblige ! - reste bavard. Il faut expliquer, justifier, renouer les fils d'une intrigue aux ramifications complexes. Mais aussi, sans doute, parce que la conclusion fait tomber une à une ces parts d'ombre qui faisaient l'ambiance d'UW1. Et introduit une forme de cassure. Bajram, qui avait entraîné ses personnages très loin dans la noirceur, raclant les bas fonds de l'âme humaine dans ce qu'ils ont de plus puant, recourt in fine à un deus ex machina aux consonances utopistes. Kalish le dit lui-même face au corps de Paul Thin, "Tu n'auras pas eu le dernier mot. Mais c'est vrai qu'on m'a apporté la solution sur un plateau." Qu'importe, ces choix sont ceux d'un auteur pleinement maître de son propos. Et viennent valider l'ensemble du dispositif de cette splendide fresque de SF dont le thème principal - au delà du voyage temporel - reste la rédemption.
Un pas vers l'enfer (Durango) par Philippe Belhache
"Un pas vers l'enfer", Durango 14, de Yves Swolfs et Thierry Girod. Soleil.

Comment un western spaghetti de facture aussi classique a-t-il pu susciter autant d'attente ? Il faut avoir connu les années 80 et les débuts d'Yves Swolfs pour comprendre, avoir traqué les premiers titres de son "Durango" aux Éditions des Archers, avant même sa réédition chez Alpen, puis aux Humanoïdes Associés. Le tome 14 voit aujourd'hui la série passer dans le giron de la maison toulonnaise Soleil, déjà éditrice de "Légendes", du même auteur. Et force est de constater que huit ans après le dernier opus, les deux influences fondatrices de "Durango" sont toujours aussi présentes.

Ce tueur professionnel, apparaissant pour la première fois dans "Les chiens meurent en hiver", était le portrait craché du "Manchot", ce personnage taillé sur mesure pour Clint Eastwood dans les films de Sergio Leone. S'il s'en éloigne aujourd'hui sensiblement, l'esprit reste le même. Ceux des western spaghetti du Maestro, mais aussi et surtout ceux signés de son plus grand disciple, Eastwood lui même. Il y a dans "Un pas vers l'enfer", western crépusculaire s'il en est, un peu de "L'homme des hautes plaines" ou de "Pale Rider". Durango est redevenu un tueur à sang froid, anesthésié par le malheur, soutenu par un désir de vengeance qui prime toute autre considération, même morale. L'autre figure tutélaire de la série reste Jean Giraud. La très belle reprise graphique de la série par Thierry Girod ne trahit en rien l'esprit de la série, au contraire. Elle contribue cependant à la rapprocher un peu plus - si cela était possible - du grand frère "Blueberry". L'influence de Giraud y est prégnante, palpable à chaque case, filiation stylistique déjà évidente dans la précédente série par Girod, "Wanted". Mais la qualité y est, que demander de plus ?
"Guili-guili à Wondertown", Wondertown 2 par Benoît Féroumont et Fabien Vehlmann. Dupuis.

Inclassable Vehlmann. L'homme se montre aussi à l'aise dans l'humour noir bien serré (Green Manor, Expresso Dupuis) que dans sa réappropriation de la science-fiction humaniste de l'âge d'or (Des lendemains sans nuages au Lombard, IAN chez Dargaud) ou même des émois d'un médecin des Lumières cherchant sa voie dans un monde encore hanté par les peurs du Moyen Âge (Le Marquis d'Anaon). A vous filer des complexes... Avec Wondertown, il confirme ses talents de scénariste prestidigitateur, imposant avec son comparse Féroumont un univers puissamment original. Le premier tome a essuyé les plâtres, en recherche d'un ton, d'un équilibre. Le second fait mouche. Nous sommes dans le non-sens assumé, le délire maîtrisé, le décalage complet. Les (més)aventures de Pat, jeune garçon des rues particulièrement débrouillard, à la tête d'une bande d'orphelins dans une sorte de Chicago années trente dont le surnaturel semble faire partie du quotidien, sont tout simplement jouissives, souvent grinçantes, toujours drôles. Féroumont, issu de l'animation, semble avoir trouvé son style, comme inspiré par le côté obscur de la farce. En bref, une expérimentation culottée à qui il ne manque qu'un coup de baguette magique pour s'imposer en futur classique. Le prix du meilleur album BD de l'année 2005 a été attribué par un jury de jeunes téléspectateurs de France Télévisions aux deux auteurs de "Bienvenue à Wondertown". Le premier pas est fait.
"Sapiens", L'association des cas particuliers 1, par Philippe Riche. Les Humanoïdes Associés.

"Sapiens" est ce qu'on appelle un faux premier tome. Philippe Riche réunit au sein de cette "Association des cas particuliers" les personnages créés par lui dans son diptyque "Pas de chance", en collection Tohu Bohu. Trois êtres aussi différents les uns que les autres : un antiquaire riche et cultivé, un brocanteur à la morale élastique, une jeune femme érudite, réunis par les circonstances et l'intérêt commun et lancé à la poursuite d'un mystère vieux comme le monde. Peu importe que la révélation finale tienne la route ou pas, là n'est pas l'essentiel. Philippe Riche travaille l'ambiance et les personnages. Au trio vedette, il oppose un triplé de bimbos flingueuses sur fond de chasse à l'homme, de canicule mortifère et de théorie du complot. La sauce prend, et l'on se prend à suivre les tribulations de cette équipe désinvolte à la recherche d'un des plus grands mystères de l'histoire de l'humanité. Revenant à la couleur et aux 46 planches, Philippe Riche enveloppe le tout d'un graphisme louchant sur le Berthet des années 80. Un "premier" album attractif et intrigant, donc. Mais qui appelle une suite de même niveau.
"Yorthopia", Les démons d'Alexia 3, de Ers et Dugomier. Dupuis.

Surprenant. Ce troisième tome relatant les enquêtes d'une spécialiste du paranormal tiraillée entre ses capacités d'exorciste et l'héritage des sorcières de Salem, réussit une nouvelle fois à emporter l'adhésion. "Les démons d'Alexia" aurait pu facilement devenir un vague "X-Files" franco-belge radotant les vieilles recettes du genre. Dugomier réussit à tirer son épingle du jeu en développant un univers cohérent autour d'un personnage attachant. Et surtout en prenant le lecteur à contre-pied, amenant Alexia sur le terrain miné des arts noirs et de la sorcellerie, alors qu'elle est aujourd'hui traquée par ses anciens employeurs. "Yorthopia" fonctionne comme un thriller, avec son lot de faux semblants, de suspense et de révélations inattendues. Dugomier lâche un peu de lest, nourrissant l'intrigue récurrente sans pour autant oublier de faire fonctionner "l'affaire" en cours, située cette fois en Norvège. Ers accompagne la narration sans varier dans ses choix graphiques, adoptant un style très identifié à l'école de Marcinelle. Et cela fonctionne. A l'instar du duo Tome-Gazzoti sur "Soda", Ers et Dugomier démontrent que l'on peut aller très loin dans la noirceur sans pour autant sacrifier l'esthétique "Spirou". Et on en redemande.
Lillian Browne 1, de Vanna Vinci. Soleil, collection Passage.

Rarement les adolescents auront été aussi courtisés. Et ciblés. La collection "Ng" des éditions Soleil regroupe des titres à même de plaire à un lectorat masculin consommateur de bande dessinée d'action. "Passage" a visiblement pour vocation de trouver un lectorat féminin plus enclin à la rêverie qu'à la baston sauce ninja ou super héros. Lillian Browne se révèle pour l'occasion un titre idéal. Vanna Vinci, auteur de fumetti déjà célébrée d'un Yellow Kid au festival de Lucca, se fend là d'un récit sous influence. Celle d'Hugo Pratt, dont on sent l'influence au fil des pages. Dans le rythme parfois indolent de la narration, la capacité à sauter sans préavis de la réalité au rêve, ou même à faire voyager son héroïne sans véritable frontière... Lillian Browne est une adolescente attachante et rêveuse, toujours petite fille et déjà femme, qui cherche sa voie dans ses désordres sentimentaux et son rapport aux autres. Le graphisme épuré rend à reproduire certaines des mises en scène et postures du maître, en se les appropriant. Tout est dans l'attitude, le jeu des regards prenant une place de premier ordre. Les pages de Vanna Vinci étaient initialement publiées en noir et blanc. Les couleurs d'Angélique Césano pour la version française - réalisées sous contrôle de l'auteur, dixit la fiche jointe par Soleil - ne viennent cependant pas en perturber la lecture. Bref, un talent à (re)découvrir rapidement en France. Ce qui devrait être fait sans trop tarder. Son oeuvre déjà abondante en Italie autorise un rythme de parution plus soutenu dans l'Hexagone. Trois nouveaux tomes de Lillian Browne sont d'ores et déjà programmés.
Laura et Ludo (Les Ados) par Philippe Belhache
"Laura et Ludo", Les Ados 1, par Florence Cestac. Dargaud.

Après les quinquas, les ados. Pour sa nouvelle livraison, quelques mois seulement après son "Démon d'après-midi", Florence Cestac reste en famille. L'auteur a fait quelque peu grandir les enfants des "Débloks" pour investir les pages du Monde des Ados, "quinzomadaire" destiné préférentiellement aux 10-14 ans. Ses héros ? Laura et Ludo, deux ados normalement à la page, face à leurs parents normalement rétrogrades. Une situation classique que Cestac met en scène de manière classique, jouant sur les contrastes sans pour autant donner systématiquement le mauvais rôle à l'un ou à l'autre. Moins grinçante, moins branchée que l'Agrippine de Brétécher, "Les Ados" est une série ancrée dans le quotidien, dans laquelle Cestac aborde sans en avoir l'air nombre de problèmes de société. Ceux qui attendaient un autre "Démon" se contenteront peut-être d'esquisser un sourire. Ce serait méconnaître le travail de Florence Cestac. Car l'artiste n'oublie pas son support de publication et sa cible de prédilection. "Ado... rables Laura et Ludo" fonctionne pour les adolescents avant même de s'adresser aux parents. Il devrait cependant trouver un public plus large, notamment chez les inconditionnels de cette icône vivante de l'école "gros nez".
"Les aveux complets", Intégrale Myrtil Fauvette, par Riff. Charrette.

Charrette a une nouvelle fois lancé un bouée à la mer pour remonter à la surface une perle menacée d'oubli, sinon d'extinction. La petite maison d'édition aujourd'hui bordelaise a ramené dans ses filets l'intégrale des aventures de Myrtil Fauvette de Riff Reb's, parues dans les années 90 aux Humanoïdes associés. "Les aveux complets" réunit les trois albums édités à ce jour - "Parole de diable", "Tu descendras du ciel" et "Myrtil Fauvette contre Mister Clean" - autour de nombreux croquis, illustrations et commentaires de l'auteur. Riff n'est plus Reb's, mais il lève le voile sur la genèse de son personnage, toquard magnifique, sorte de Rapetou mi-privé, mi-truand, voguant de galère en galère, invariablement dépassé par les événements. Des aventures invraisemblables dans une cité imaginaire régie par une dictature écologiste, combattue par des militants "salitionnistes". Un délire grand teint, qui a longtemps permis à cet ancien de l'atelier Asylum, aujourd'hui trop rare en BD, de laisser éclater son talent graphique. Et un beau travail des éditions Charrette sur une intégrale dont on ne peut que regretter son caractère définitif.
La candidate (Mortelle Riviera) par Philippe Belhache
"La candidate", Mortelle Riviera 1 de Agnès et Jean-Claude Bartoll et Thomas Legrain. Glénat.

Il y a-t-il un style Bartoll ? Avec "Insiders", Jean-Claude Bartoll a gagné une large audience, succès public qui encourage par ailleurs ses éditeurs successifs à apposer le même macaron marketing sur l'ensemble de sa production. Laquelle production va croissant, avec le soutien de son épouse Agnès, comme lui journaliste. Quatre nouvelles séries voient le jour en 2005 : Mékong, Mortelle Riviera, L'agence, TerraNostra.Org. Avec une ligne de conduite qui peut tenir en un mot : efficacité. "La candidate", premier tome de la trilogie "Mortelle riviera", n'échappe pas à ce précepte. Une couverture choc, un titre qui ne l'est pas moins, une trame de fiction qui puise son inspiration dans l'un des plus célèbres faits-divers des années 90, l'assassinat de la députée française Yann Piat.. Les Bartoll vont à l'essentiel, travaillant une trame balisée en faisant progresser leur personnage principal - une jeune avocate idéaliste qui veut nettoyer sa ville natale d'une pègre installée par son propre père - littéralement au pas de charge. Le corollaire ? Un univers manichéen, peuplés de "méchants" monolithiques, des seconds rôles manquant de consistance, une narration parfois elliptique. Les auteurs compensent par une base de documentation solide - même s'ils se prennent les pieds dans le tapis sur le cumul des mandats - mais le lecteur reste parfois sur sa faim. Il en est de même sur le plan graphique. Le jeune dessinateur belge Thomas Legrain rend là une copie propre. Il peine cependant à apposer à ce premier album une touche qui lui serait personnelle. Bref, le cahier des charges est rempli, mais le produit manque un peu d'âme. Il devrait néanmoins trouver rapidement son public.
"Sur la terre comme au ciel", Marzi 2,de Marzena Sowa et Sylvain Savoïa. Dupuis, collection Expresso.

Comment expliquer qu'une idée toute simple puisse ainsi devenir une série parmi les plus attachantes du moment ? Le hasard ? Les liens affectifs ? Le talent ? En matière de création, ces facteurs ne s'excluent jamais totalement. Marzena Sowa poursuit dans ce deuxième album l'adaptation de ses souvenirs d'enfance, mis en images par son compagnon Sylvain Savoïa. Le couple avait déjà fait mouche avec "Petite carpe", jouant sur une perception d'enfant, le décalage culturel de la Pologne des années 80 avec l'Europe de l'Ouest, mais aussi sur un graphisme semi-réaliste qui accentue l'aspect intemporel de la série. Même ton, même technique narrative, même mise en page sobre.. "Sur la terre comme au ciel" confirme, les mêmes causes produisant les mêmes effets, sans baisse de régime. Avec au passage l'évocation de moments forts, à l'instar de la catastrophe de Tchernobyl, qui font replonger le lecteur dans la réalité d'une époque. Une belle série qui touche un très large public, sans limites d'âge.



"A quatre mains", de Ameziane et Paco Ignacio Taibo II. Emmanuel Proust.

Adapter un roman en BD est toujours un défi. S'attaquer à l'oeuvre de Taïbo en est un autre. "A quatre mains" est un récit polyphonique qui fait s'entremêler plusieurs récits, des personnages évoluant à différentes époques, des destins apparemment sans lien : Stan Laurel assiste à l'assassinat de Pancho Villa, deux journalistes d'investigation se retrouvent aux Etats Unis pour discuter de leur prochain reportage, un agent de la CIA créateur d'une officine spécialisée dans la désinformation nage en pleine paranoïa.. Le pari est d'autant plus osé que le roman (disponible chez Rivages/Noir) est dense. Ameziane, qui s'est par ailleurs rapproché de l'auteur lui-même, relève le défi non sans talent. Le jeune dessinateur met en parallèle ces trois trames, trois époques, des personnages que rien ne semble devoir réunir. Il sème ses indices, jouant de pagination et de la mise en couleurs pour donner à chaque récit une existence propre. Le procédé a cependant ses limites. Au terme du premier album, le lecteur est toujours en retrait, seuls quelques éléments lui permettant de jeter des passerelles entre les trois affaires. Le deuxième volet de ce diptyque, et son lot de conclusions, devrait permettre à Ameziane et Taïbo de corriger le tir, donnant ainsi tout son sel à l'ensemble. Et permettre ainsi de faire découvrir aux profanes un auteur de polars hors normes.
La farce de maître Pathelin par Philippe Belhache
"La farce de Maître Pathelin", par David Prudhomme. Editions l'an 2.

De nombreux auteurs travaillent sur les analogies entre cinéma et bande dessinée, tant pour le récit que dans la mise en scène. D'autres pensent théâtre. David Prudhomme est de ceux là. Mais loin d'une mise en image minimaliste du texte, à l'instar du travail pédagogique réalisé par Simon Léturgie sur la collection Commedia (Vents d'Ouest), Prudhomme entend voir le trait s'emparer du théâtre, se l'approprier, capter une part de son âme. Le dessinateur bordelais a ainsi jeté son dévolu sur "La farce maître Pathelin", texte anonyme mais inspiré daté des alentours des années 1470. Une pièce traditionnelle du répertoire qu'il choisit d'adapter par le biais de la bande dessinée animalière. Le résultat est succulent. Le trait de Prudhomme s'exprime pleinement dans une mise en scène dépouillée, exploitant un format carré sur un gaufrier sobre à quatre cases, animé de temps à autre par un montage en trois colonnes ou deux registres. La bichromie offre une tonalité particulière à cette farce qui ne parle que de tromperie et de flatterie. La mise en scène joue des postures et des visages, amplifie le mouvement, avant d'embrasser pleinement la scène. La commedia dell'arte n'est jamais bien loin. Prudhomme explore à sa manière l'iconographie médiévale, se jouant de ses superpositions, des atermoiements d'une perspective qui n'a pas encore intégré les acquis de la Renaissance. Et se fait plaisir ponctuellement en introduisant quelques références savoureuses bien qu'anachroniques, telle l'allusion à la fable de La Fontaine "Le corbeau et le renard". L'album est un peu cher dans l'absolu (25 euros), mais la réalisation est soignée, pour un déroulé atteignant les 124 pages. Un investissement sur la qualité.

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