Les 276 critiques de Philippe Belhache sur Bd Paradisio...

« La vallée sacrée », Le Scorpion 5, de Marini et Desberg. Dargaud.

Le Scorpion nouveau est arrivé. Certains détestent, les autres adorent. Les premiers passent leur chemin, les seconds attendent impatiemment le cru suivant en se demandant quelle en sera la saveur particulière. La réponse ? Epicée, Orient oblige. Foin de comparaisons oenologiques. Marini inonde une nouvelle fois ses pages de compositions d'un talent d'autant plus indécent qu'il est indiscutable. Desberg, de son côté, semble avoir trouvé la juste mesure des ingrédients de son cocktail Scorpion, entre action, érotisme soft et révélations calculées. L'enfance de son héros mise à nu, il peaufine désormais la personnalité de Trebaldi, nuançant heureusement l'image de ce Grand Méchant majuscule. L'ensemble s'insère dans un récit d'aventures exotiques qui fonctionne sans accroc. « La vallée sacrée » a tous les atouts d'un (bon) épisode d'Angélique formaté pour mecs, héros macho et femmes fatales. C'est fichtrement bien fait, mécanique impeccable s'exprimant dans un bel esprit de décontraction. Faut-il émettre des réserves ? Plutôt exprimer des craintes. La quête du Scorpion amène Desberg à s'aventurer sur des terres aujourd'hui largement défrichées, voire surexploitées. Esotérisme, thriller néotestamentaire et catholic fantasy connaissent depuis quelques années de (trop) nombreux développements, entre Triangle secret et Troisième testament, Décalogue ou Messager, sans même parler (hors BD) du Da Vinci Code. La qualité est là, mais la saturation guette au coin de la planche. D'autant que Desberg se plaît à ouvrir de nouvelles portes sans vraiment refermer les anciennes. Même à raison d'un album par an, il prend le risque de voir le lecteur décrocher avant la fin.
L'ail & l'huile (L'âme du vin) par Philippe Belhache
« L'ail et l'huile », L'âme du vin (tome1), d'EFA. Paquet, collection Single.

Après ses « Icariades », EFA prend une toute autre direction - et des plus plaisantes - celle du récit intimiste. « L'ail et l'huile » relate l'histoire d'un jeune peintre français qui s'installe dans un petit village d'Espagne, invité à réaliser une fresque dans le restaurant de celui qui fut le plus grand ami de son père durant la guerre. Il est encouragé à se laisser aller à ses sens, à laisser l'inspiration s'imprégner de l'âme du vin... Le récit est celui de cette belle tranquillité et d'une histoire d'amour naissante, d'un bonheur frémissant qui s'envenime bientôt d'un secret de famille, de débordements crapuleux et de mauvaise politique dans un pays qui subit encore la dictature. Toute la réussite de « L'âme du vin » tient dans ce rythme particulier. La narration, qui voit le jeune peintre faire sien le village, adopter ses rites, capter son histoire, est servie par un travail atypique du cadrage. Efa s'est plu à découper son histoire en usant de la technique du gaufrier, six cases identiques par planche, cadre strict dans lequel s'exprime tout son art de la mise en scène. Chaque case a dès lors la même valeur, chaque détail prend sa place et son importance, action silencieuse ou moments d'introspection, comédie ou tragédie, émotions ou dialogues philosophiques. Il se dégage de cette histoire sensible et finalement très simple une atmosphère particulière, une émotion qui évoque tant la superbe « Vallée des Roses » de Franck Le Gall que le « Combat ordinaire » de Manu Larcenet. Une belle réussite.
« Petit Père Noël et le cadeau perdu », Petit Père Noël (tome 5). Par Trondheim & Robin, chez Dupuis.

Y a-t-il quelque chose que Lewis Trondheim ne sache pas faire ? Dans le domaine de la bande dessinée d'humour, tout du moins ? Le bonhomme se sent aussi à l'aise dans l'univers de l'enfance que dans l'humour parodique ou le délire non-sens. Mais surtout, il affirme au fil des albums une belle constance dans le propos, une véritable exigence de qualité. Une faculté plus qu'utile lorsqu'on développe un concept aussi casse-gueule que « Petit Père Noël », une bande dessinée vierge de dialogues, narrant les aventures Père Noël du Pôle Nord, le vrai, l'authentique, juré-craché, aussi vrai que la marmotte, elle met le chocolat dans le papier alu. Et cela fonctionne ! Ce forçat de l'humour décalé qu'est Trondheim a mitonné là un petit bijou qui ravit les plus petits, qui construisent eux-même leur histoire, fait rire les plus grands, et interpelle même les déjà vieillards que nous sommes (la technique du Père Noël pour faire la vaisselle me parle beaucoup). Surtout, il apporte une nouvelle preuve de la richesse de son univers, de la justesse de son propos. Il développe dans ce (déjà) cinquième opus une belle histoire enfantine, en respectant les codes qui font l'unité de la série, entre comique de répétition et exploration systématique de l'imaginaire de Noël, s'autorisant au passage une sortie très Droopy. Thierry Robin, à des années lumière de « Rouge de Chine » ou de « Koblenz », est visiblement très à son aise dans une série qui mise beaucoup sur le mime, le délire et l'invention graphique. Il n'y a dès lors aucune raison de ne pas offrir un peu de ce rêve aux enfants. Et de ne pas y prendre soi-même du plaisir...

« Au bord du Grand Rien », Valérian 19, par Christin et Mézières. Dargaud.

Pierre Christin a pris un grand risque en titrant son nouvel opus de Valérian « Au bord du Grand Rien ». Il est surprenant de constater combien cette série, dont certains albums restent au pinacle de la SF en BD, peine à trouver un nouveau souffle depuis les « Foudres d'Hypsis ». Comme si d'avoir fait de son agent spatio-temporel un vagabond des étoiles bloquait l'imaginaire pourtant fécond du scénariste. La grande qualité des aventures de Valérian était d'offrir à chaque album une histoire inédite, dans un univers différent, avec une palette de nouveaux personnages contrastés. Des histoires qui ne nécessitaient pas de lien entre elles, la science fiction n'étant finalement que prétexte à une critique sociale pertinente et pleine d'humour. La tentative amorcée avec les « Temps incertains » de redonner du sens à la série est louable. Mais la suite laisse à désirer. Une approche molassonne, un message tiers-mondiste mou du genou, une dénonciation facile de l'univers carcéral à grands renforts de poncifs éculés... Le tout enveloppé dans ce que Mézières a réalisé de plus plan-plan ces dernières années : aucun renouvellement hormis deux planches splendides, décalage volontaire ouvrant à la découverte des Wolochs, énième référence au « 2001 » de Kubrick. On peut rester dubitatif face à cette nouvelle étape du grand recyclage des personnages de la série, qui voit notamment le retour du « triumvir » de Rubanis... identique à lui-même malgré son accession au pouvoir suprême (voir Tracks, toujours fripé en chauffeur de taxi). Seule bonne note : Christin semble vouloir recentrer son univers sur les seuls Valérian et Laureline, en les débarrassant de leurs compagnons de route les plus encombrants. On lui pardonnera dès lors beaucoup en se persuadant qu'il ne s'agit que d'un album de transition, annoncé en macaron comme inaugurant un nouveau cycle d'aventures. En espérant pour la suite le retour du grand Christin, du lyrisme et de cette (im)pertinence de vue qui fait cruellement défaut aux derniers titres de la série. Et pas uniquement une plongée dans le Grand Rien.
« La chasse est ouverte », Les nouveaux tsars (tome 1), de Jean-Yves Delitte. Glénat, collection Grafica.

Le trafic d'armes nucléaires avec les pays de l'ancien bloc de l'Est a déjà titillé l'imagination des scénaristes de la « franco-belge », le plus souvent dans le cadre d'univers très identifiés (IAN, Soda...). Le prolifique Jean-Yves Delitte en fait l'argument de sa nouvelle série, avec une vision russo-russe vécue par les acteurs de terrain. Le résultat ? Une galerie de portraits a priori classiques : un Candide transformé en lièvre après la découverte d'un complot, des militaires pourris, un ministre qui ne l'est pas moins, un flic pugnace, un groupe de terroristes... A priori seulement. L'originalité vient d'un traitement à la Russe (pour ne pas dire à la hussarde) de l'ensemble, et d'une approche décalée des personnages dans un univers corrompu, en pleine déliquescence. On y flingue, on y ment, on y vole, on y viole... Le lièvre est un inspecteur de l'union européenne qui a renié la Russie après la mort des siens, le flic paye très cher le fait d'être une femme. Et les puissants de ce thriller politique rondement mené placent d'autant plus haut la barre du cynisme qu'ils sont conscients de leur propre impunité. Delitte travaille ses personnages, notamment (surtout ?) les dirigeants terroristes tchétchènes, évitant ainsi l'écueil du manichéisme. Son graphisme, affirmé depuis les derniers tomes des « Coulisses du pouvoir » et affiné au fer du « Neptune », contribue grandement à la cohésion et à la crédibilité de l'ensemble. Petit bémol en forme de quiz : qui est donc « l'exécuté » de la première de couverture volontairement accrocheuse ? Mention spéciale au titre annoncé du tome 2 : « Mort aux cons ! » laisse augurer du meilleur.
« Sybille », La malédiction de Zener (tome 1), de Grangé et Adamov. Albin Michel.

La liste des célébrités mettant une première main à la bande dessinée ne cesse de s'allonger ces derniers mois. Jean-Christophe Grangé s'y colle à son tour, avec il est vrai beaucoup plus que bonheur que d'autres. Ce maître du thriller n'a plus grand chose à prouver tant en littérature qu'au cinéma. Et ne s'est pas pour autant fourvoyé en BD. Il prend visiblement plaisir à développer ici un de ces polars mâtinés de fantastique dont il a le secret : une jeune étudiante, Sybille (un prénom, tout un programme), participe à des expériences de parapsychologie plus par passion pour son professeur que par intérêt. Elle s'y découvre des dons réels, et devient un objet de convoitise et d'échange. Grangé se met à l'aise en situant les événements en mai 1968, ressuscitant ainsi les vieux démons de la Guerre froide et du bloc de l'Est. Le propos est servi par un Adamov comme assagi dans son graphisme, même si l'on retrouve nombre de ses gimmicks visuels. Sans doute peut-on regretter des couleurs un peu éteintes. Mais l'ensemble est intriguant et offre dans sa conclusion des perspectives tout à fait intéressantes. Une bonne mise en bouche.

Poulet aux prunes par Philippe Belhache
"Poulet aux prunes", de Marjane Satrapi, L'association (collection Ciboulette)

Inutile de revenir sur le phénomène Marjane Satrapi et le succès de sa tétralogie autobiographique "Persépolis". La jeune femme poursuit aujourd'hui son oeuvre avec une belle constance, illustrant chaque fois un nouveau volet de son histoire familiale, un nouveau pan d'une culture iranienne mise à mal par la révolution islamique. "Poulet aux prunes" n'est rien d'autre que l'histoire du suicide d'un oncle de la conteuse à la fin des années 50, musicien dont l'épouse a brisé l'instrument (un tar) dans un accès de colère et qui ne retrouve plus le plaisir de jouer. Rien de morbide dans tout cela. Marjane Satrapi structure autour des huit derniers jours de cet homme, qui a décidé de se laisser mourir, un portrait sensible et pourtant sans concession.
Celui d'un homme qui semble être passé à côté de sa vie, frustré de ne pas avoir pu épouser celle qu'il aimait, mais d'un égoïsme forcené dans ses relations avec ses proches. Ces huit jours qui mènent Nasser Ali Khan du lit à la tombe sont décrits comme la quête initiatique d'un homme en recherche de lui-même, qui ne réalise que trop tard la portée de son geste. Le graphisme monochrome de Marjane Satrapi véhicule le propos sans jamais tomber dans la dépression. Un (très) bel album, émaillé de citations du philosophe Omar Khayyam, chantre d'un Islam teinté d'hédonisme, qui véhicule la nostalgie d'un Moyen-Orient avant tout humaniste.
Marie (Belladone) par Philippe Belhache
« Marie », Belladone 1, d'Alary et Ange. Éditions Soleil.

Deux considérations s'imposent dès la prise en main de l'album : 1. Soleil cherche son Scorpion, 2. L'éditeur confirme son penchant pour le dessin semi-réaliste, y compris dans l'illustration de scénarios d'aventure classiques. Car nous sommes bien dans ce contexte, malgré une image affichée de « Nikita » XVIIe siècle. Certes, Marie est présentée d'entrée comme l'atout maître des services secrets français, orpheline confiée à un couvent, puis expédiée en Inde pour faire son apprentissage. Elle y apprend à devenir une arme totale, y compris sur le plan sexuel. Pour le reste, le scénario louche plutôt vers l'oeuvre romanesque de Dumas père. En vrac : un complot contre le roi Louis XIV, un Charles de Batz (d'Artagnan) supposé mort reconverti en conseiller de l'ombre, et une ancienne courtisane dont le prénom et la fleur de lys à l'épaule évoquent sans coup férir Milady de Winter. Au-delà, « Belladone » rend hommage à la longue lignée des films de cape et d'épée, français ou italiens, de la saga Angélique (tiens, elle est là !) à la « Fille de d'Artagnan » de Tavernier.

Et la BD dans tout cela ? Sur une trame classique, le duo de scénaristes brode un produit solide, musclé par une approche « james-bondienne » et la rencontre entre la (super)héroïne et un challenger qui se révèle de force égale. Cette joute entre deux reflets du même miroir est la bonne surprise d'un album consacré à une mise en place pour le moins bondissante. Seul bémol : les doutes de la jeune femme, la recherche annoncée de ses origines, sont renvoyés à date ultérieure. Le dessin de Pierre Alary surprend d'abord, à la limite du parodique sans jamais y tomber complètement. Cette donnée intégrée, il prend sa vraie valeur. L'homme semble prendre un vrai plaisir dans la mise en place des scènes d'action et la suggestion d'un érotisme soft. Il marque surtout sa différence dans le genre, se démarquant radicalement du graphisme marqué à la testostérone d'un Marini. L'ensemble est plaisant, mais comme tous les premiers albums d'une saga pensée et écrite comme telle, laisse un goût d'inachevé. A suivre, donc.
Passage afghan par Philippe Belhache
« Passage afghan », de Ted Rall. La Boîte à bulles.

Il faut toujours se méfier des partis pris. Le lecteur lambda, face au « Passage afghan », pourrait se sentir rebuté par l'esthétique « comic strip » de l'ouvrage. Ne nous méprenons pas. Ted Rall EST un auteur de strips, un des meilleurs qui soit, un observateur politique dont la plume caustique ne supporte aucune compromission. Nous parlons d'un auteur deux fois récompensé du Robert Kennedy Journalism Award, d'un polémiste pressenti pour le Pulitzer en 1996. Mais surtout d'un homme qui refuse la langue de bois et la parole formatée, d'un journaliste qui préfère risquer sa vie en zone de conflit plutôt que de resservir la bouillie prédigérée d'une presse aux ordres.
Il y a deux façons d'aborder le « Passage », deux ouvertures à l'ouvrages. Le témoignage écrit d'un homme parti au devant de ses illusions. Ou l'approche graphique d'un dessinateur poussé au summum du cynisme par ce qu'il a pu voir et entendre. La réalité d'un Afghanistan bombardé aveuglément par les Américains, d'un pays livré à lui même par ceux-là mêmes qui prétendent l'aider. Un Afghanistan dévasté par l'orgueil US, qui voit l'auteur croiser une presse internationale bouffie de dollars coachée par des Afghans mués en profiteurs du système.
Un pays ravagé où même la guerre n'est plus qu'une forme de quotidien, un drôle de conflit dont les héros ne sont que des Talibans reconvertis, résistants de la dernière heure. Le retour de Ted Rall aux Etats-Unis est celui d'un homme écoeuré par l'incohérence de cette guerre et par le mensonge américain, définitivement ancré dans ses convictions anti-Bush. L'homme parle, il écrit et dessine, il n'épargne rien ni personne. Le lecteur pense au film « Apocalypse Now », l'auteur le cite. « Le passage » se lit d'un coup, comme on prend une bonne claque. De celles qui vous font du bien, qui vous font revenir à la réalité après de longs mois d'un sommeil entretenu par une propagande bien réglée. Un indispensable, à ranger tout près du « Photographe » de Guibert et Lefebvre. Et jamais très loin de l'intégrale de Spiegelman.
« Mister Président », de Clarke. Le Lombard, Troisième degré.

Passons le premier sourire imputable à la parution un brin opportuniste d'un tel album en plein délir... (hem) débat électoral aux États-Unis. Clarke est un auteur remarquable dans sa constance graphique et sa polyvalence dans l'art de la déconne. L'homme émarge aussi bien au catalogue Dupuis qu'à celui de Fluide Glacial et donc pour la première fois du label Troisième degré créé par le Lombard. Et « Mister Président » a ceci de terrible qu'il répond exactement à ce qu'on attend de lui. Et à ce qui était annoncé : « Son téléphone est rouge, sa maison est blanche, il est con comme un balai, c'est Mister Président. » Résultat des courses : quarante-six pages de pilonnage constant et jubilatoire d'une caricature de président, passé au grill d'un humour qui ne connaît visiblement pas (ou peu) de tabous. Clarke explose les limites du genre, sans pour autant porter des oeillères : si l'on prend au fil des pages un vrai bain de Bush (désolé, je n'ai pas pu résister), Clinton n'est pas vraiment épargné. La charge est lourde, le trait parfois énorme, mais l'humour de Clarke, tout en décalage, imprégné jusqu'au trognon de ce non-sens qui trahit les héritiers du Flying Circus, fait passer le tout comme une lettre à la poste. L'album sera sans doute éphémère, mais dans le contexte, il fait un bien fou. Mention spéciale aux interludes « Jouez avec le président ». Aux électeurs US de décider si un second volume s'impose...
Topkapi (Travis) par Philippe Belhache
« Topkapi », Travis 6.2, d'Alizon et Duval. Editions Delcourt « Série B »

Disons le tout net, il n'y a pas de mal à se faire du bien. Et une bonne série B n'est jamais plus intéressante que lorsqu'elle est assumée comme telle. « Travis » remplissait jusqu'ici admirablement le cahier des charges. Jusqu'ici, car ce tome 6.2 est pour moi le premier vrai faux pas de la série. L'album n'est ni bon, ni mauvais, mais peut-être tout simplement inutile. Cette scission entre 6.1 et 6.2 était intéressante, permettant de suivre en parallèle le héros en titre, Travis, et son alter-ego devenu indispensable à la série, Vlad Nyrki. Un parti pris culotté bien que déjà exploité, dont le résultat laisse malgré tout dubitatif. Duval avait habitué ses lecteurs à mettre de la matière dans des intrigues carrées, à piéger le lecteur dans chaque album, à le manipuler jusqu'au but final. Hormis une louable tentative de donner corps à un Istanbul dévasté, Topkapi se révèle au final un album fantôme, prétexte au recrutement de Nyrki par une Anna Carlsen devenue inconsistante au sein d'une organisation désormais (bien) armée. Et à une nouvelle et vaine démonstration des capacités de l'ancien scientifique (hé si), reconverti mercenaire shooté aux nanomachines, à faire le vide devant lui. Bref, rien de comparable au cycle des Cyberneurs, monument du techno-thriller en BD. Alizon tente de faire sien cet univers avec plus ou moins de bonheur, son graphisme souffrant en tout état de cause d'un trop grand décalage avec l'approche réaliste de Quet. On lui souhaite plus de bonheur sur son prochain projet avec Duval. En résumé, Travis 6.1 et 6.2 auraient mérité de ne faire qu'un au sein d'une narration plus homogène. Raté, vivement le 7.
Leçon de ténèbres (IAN) par Philippe Belhache
« Leçon de ténèbres », IAN 2, par Meyer et Vehlmann. chez Dargaud.

Le dira-t-on assez ? Il faut du temps à une jolie fleur pour s'épanouir. De l'avis de tous, Fabien Vehlmann avait commis avec IAN (pour Intelligence Artificielle Neuromécanique) un album réussi, intelligent, un poil roublard, mais de facture très classique, renvoyant les amateurs de science-fiction non dessinée aux grands noms de l'âge d'or, d'Asimov (le maître) à Simak (l'humaniste) via Mary Shelley, le mythe de Frankenstein n'est pas si loin. Des personnages calés, des caractères tranchés, encadraient un personnage principal intéressant - un robot au corps d'adulte, à l'intelligence émotionnelle d'un enfant de onze ans, bombardé pour cause de budget en sursis agent d'élite dans une unité opérationnelle, la Special Rescue Section - promettait une suite frappée au coin de la bonne série B de papa. Oublions tout cela. Vehlmann a fait sauter le cadre, soumettant d'entrée son bébé au côté obscur de la Force. SRS et IAN sont plongés dans un début de guerre civile, mise en abyme sans doute un peu manichéenne d'une société bancale - ghetto contre nantis - mais rendue intéressante par les manipulations sous-jacentes et le parcours personnel des personnages. Le tout bien secoué dans un futur à la Blade Runner qui tient la route, le monde peut dérailler. Peut-être faut-il voir la « touche » Vehlmann dans cet enfer qui se déchaîne autour de IAN. Tout comme Jean-Baptiste Poulain dans le récent Marquis d'Anaon, autre opus du rusé Savoyard, le personnage principal ne maîtrise plus rien, malgré d'évidentes qualités personnelles. Il se voit au contraire (em)porté par les événements, avec pour seul enjeu sa capacité à survivre. Comme dans « Providence », il y a un prix à payer, et après cela, plus rien n'est pareil... La confrontation finale est à ce titre culottée et ambiguë, laissant le récit complètement ouvert. Le dessin d'un Ralph Meyer au top de sa forme, dont l'esthétique n'est pas sans rappeler parfois la planète Moebius, sert formidablement l'album. Rompant radicalement avec sa précédente technique d'encrage jugée trop classique, il contribue à faire de ce second tome un produit des plus « classieux ». Ce que IAN n°1 promettait, IAN n° 2 le tient et au-delà. Les éditeurs ne s'y sont pas trompés en jouant du coffret collector dès la première édition.
Allergies (Agrippine) par Philippe Belhache
« Allergies », Agrippine 7, de Claire Brétécher. Editions Brétécher.

Inutile de représenter le phénomène Brétécher, ses prises de positions, son regard d'une ironie décalée sur le monde. Une constante sur trente ans de carrière : tout ce qui est « branchouille » inspire cette sociologue dans l'âme, des vrais bobos aux faux jeunes, en passant par les ados scolarisés en ZEP (Zone à exclusion de problèmes). Sur ce créneau, elle a frappé fort avec Agrippine, héroïne attachante et insupportable, adolescente que l'on aimerait avoir chez soi pour mieux pouvoir lui taper dessus. « Incluse » dans un milieu de gauche bourgeoise vaguement friquée, elle affecte le QI des huîtres qu'étudie son père, se complait dans une médiocrité scolaire pas trop fatigante, ne vit que par les potins et les tentatives « pour conclure » tout en assumant (mal) un physique de pouffe. Le tout - trait de génie - saupoudré d'un vocabulaire « in » (même si le terme est déjà out) propre à occuper plusieurs générations de linguistes. La pique fait mouche : six albums et vingt-six épisodes animés produits par Ellipse. Pour le coup le septième a un air de déjà-vu. La jeune fille a évolué en jeune femme, ses relations avec la famille ont changé, certaines de ses préoccupations aussi... Les mises en situations sont bien vues, mais semblent avoir perdu de leur mordant originel. Et les illustrations sado-maso en forme de provoc', pour amusantes qu'elles soient, tombent à plat. La chimie fonctionne toujours, mais un ton en deçà. La surprise s'émousse.
Babel (Universal War One) par Philippe Belhache
« Babel », tome 5 de la série Universal War One, de Denis Bajram. Soleil.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que Bajram a fait souffrir ses lecteurs. Abandonnés sur une image devenue culte d'une statue de la liberté flottant dans l'espace, largués sur la fin d'un tome 4 dont on ne pouvait que supputer les développements, les fans ont du patienter près de trois ans avant de pouvoir mettre la main sur le Graal, sans cesse repoussé pour cause de reprise artistique de fond. Le résultat est à la hauteur de l'attente. Et tient tout entier dans cette seule petite phrase : « Bienvenue dans un univers de merde...». Auteur complet, Bajram ne cesse de surprendre par la grande cohérence de la série. L'homme une nouvelle fois fait preuve de son talent narratif, et d'une belle maîtrise de ses effets dans ce récit conçu et découpé en six albums dès l'origine. Il poursuit une exploration systématique du passé torturé des membres de Purgatory, de leurs nombreuses failles, leur offrant un supplément de densité, d'humanité. Et offre au lecteur un rebondissement digne des meilleures sagas. Certains pourront trouver l'album plus bavard, gloser sur les théories scientifiques de Kalish. Bajram sait jusqu'où aller, ne faire usage que des données nécessaires au récit. Et affiche la couleur dès le départ : la science fiction n'est qu'un argument, le support d'un récit aux résonances on ne peut plus contemporaines. UW1 figure déjà au panthéon des meilleures séries SF, proche de la « Guerre éternelle » dans sa puissance visionnaire. Dernier challenge pour Bajram, et non le moindre : conclure.
Le passage (Capricorne) par Philippe Belhache
« Le passage », tome 9 de la série Capricorne, d'Andréas. Le Lombard (Troisième vague).

Une bonne idée que ce double album qui permet à Andréas de clore un large pan des aventures de « Capricorne ». Dire que le bonhomme a du talent tient de la gageure. Son approche graphique et sa science du cadrage le placent définitivement à part dans la production franco-belge de ces vingt dernières années. Mais disons-le tout net, il en a dérouté plus d'un avec des scénarios à la complexité quasi-perverse. Ce spin-off de « Rork », sorte d'hommage d'Andréas aux pulps SF américains façon Weird Tales, reste à ce titre une de ses séries les plus accessibles. En clôturant ce cycle du Concept qui avait largement contribué à relancer la série, Andréas fait preuve d'une indéniable maîtrise narrative, brouillant les pistes, jouant d'une large galerie de personnages, obligeant le lecteur à reprendre en main les anciens albums pour en mesurer l'ampleur. Et impose sa patte inimitable dans une conclusion certes brillante, mais qui pourra laisser chez le non-initié comme un arrière goût de pirouette. Ce qui serait dommage.
« Octave et la daurade royale », tome 2 de la série Octave. Par Alfred et Chauvel. Chez Delcourt Jeunesse

C'est toujours avec un brin d'appréhension que l'on regarde un univers élaboré avec succès sur un « one shot » devenir une série. « Octave et le cachalot » était une petite merveille de la BD jeunesse, Alfred et Chauvel mettant leur talent évident au service d'une histoire lumineuse et sensible. La suite ? On prend les mêmes et on recommence : la mer en toile de fond, le gimmick introductif, les ombres sur le mur de la chambre... et un sens du merveilleux qui ne se dément pas. Mais surtout l'univers s'étoffe, se peuple de ces personnages truculents qu'Alfred se plaît décidément à croquer, fait passer en douceur un message écolo faussement naïf... Le dessin gagne en maturité, bien servi par la mise en couleurs de Walter, Chauvel se montrant à la plume aussi à l'aise dans le conte fabuleux que dans le polar bien raide. La formule ne tiendra peut-être pas sur la longueur, mais jusqu'ici, tout va plutôt bien.
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