Les 276 critiques de Philippe Belhache sur Bd Paradisio...

« Le guide de survie en entreprise » de Manu Larcenet. Fluide Glacial.

Ceux qui ont abordé l'oeuvre de Manu Larcenet par le « Combat ordinaire », les « Aventures rocambolesques de... » ou même Nic Oumouk marqueront peut-être le pas devant ce nouvel opus. « Le guide de survie en entreprise » est un Larcenet 100% Fluide, dans la grande tradition du titre. Une production dans laquelle on ne retrouve pas au premier abord la profondeur dont peut faire preuve cet auteur prolifique. Un principe assumé. « Le guide... », comme ses avatars supposés (liste en quatrième de couverture), est conçu comme du divertissement pur, belle illustration de l'humour décalé de Larcenet, à son degré le plus corrosif. L'auteur n'hésite pas à charger la mule en acide, passant à la moulinette les travers du petit monde des sociétés anonymes. Nous sommes dans la caricature totale (Congo Bob en est l'archétype) et la grosse ficelle. C'est « couillu » et pour tout dire ça défoule un grand coup. Mais au-delà, on pourra préférer « l'autre » Larcenet.
Quantum (Alvin Norge) par Philippe Belhache
« Quantum », Alvin Norge 5, de Chris Lamquet. Le Lombard, Collection Troisième Vague.

Chris Lamquet nous referait-il le coup du manga sans le dire ? Celui qui affirmait voici quelques années vouloir décliner Alvin Norge sur le mode du one-shot semble naviguer depuis « Lucyber » au fil d'un scénario fleuve arbitrairement découpé en « tranches » de quarante-six planches. « Quantum » ouvre ses pages à l'endroit même où l'auteur avait laissé ses personnages au précédent épisode, et les referme tout aussi abruptement. A se demander si la série est composée d'autre chose que des albums de transition. Pourtant, pour qui veut bien se donner la peine de rentrer dans la logique de l'auteur et de son héros Norge, ce nouvel opus peut se révéler aussi passionnant que les précédents, pourri de pépites graphiques posées là par un Lamquet au top de sa forme. Les autres pourront se retrouver tout simplement largués. Car la bonne compréhension de « Quantum », série d'anticipation technologique, nécessite une lecture attentive des deux tomes précédents (voire de toute la série), et le comportement un peu limite d'un Norge aussi dilettante dans la vie que génial au clavier peut lasser les amateurs de (super)héros purs et durs. Mais surtout, derrière la « prestation » d'un Buckley aussi charismatique que manipulateur, se profilent un peu trop de questions. Buckley est-il vraiment ce qu'il paraît être ? A quoi joue-t-il ? Combien y a-t-il d'autres joueurs ? Qui manipule qui ? Quels sont les véritables enjeux ? Où est passée Lucy ? Trop de portes ouvertes. Espérons que le Pion Norge enfin transformé en Dame par la grâce du dieu Quantum pourra enfin en refermer quelques-unes, pour que l'ensemble trouve définitivement son sens.
« Stigma diabolicum », Les démons d'Alexia 2, d'Ers et Dugomier. Dupuis.

Ers et Dugomier ont réussi un tour de force ; celui de surprendre avec le tome 1, et de surprendre encore ici, en reprenant les thèmes pourtant rabâchés de la sorcellerie et du paranormal, en bonne position au hit-parade des sujets les plus courus derrière l'héroïc fantasy et l'occultisme option théorie du complot. « Les démons d'Alexia » marque d'entrée par le décalage entre un graphisme looké « Marcinelle » et un scénario sans mièvrerie, parfois même brutale dans ses rebondissements. Un scénario centré sur l'héroïne, jeune femme en quête de réponses qui donne son âme à la série, sorcière-exorciste ballottée par les événements mais pas sans défense, personnalité attachante autour de laquelle gravite une galerie de personnages bien frappés. Dugomier frappe fort, mais surtout il frappe vite. Le scénariste se plaît à offrir un enchaînement rapide des événements, là où d'autres installeraient volontiers tics d'écriture et habitudes de lecture. Le déroulé de la série ne laisse pas de place au confort, marquant sa différence. Une bonne raison pour la suivre à la trace.
Corruption (Finkel) par Philippe Belhache
« Corruption », Finkel 7, de Gine et Convard. Delcourt, collection Terres de Légendes.

Convard est un grand conteur. Après un premier cycle très réussi, développé dans un univers cohérent, il a relancé Finkel de belle manière avec le précédent album, « Esta ». Dans « Corruption », il va plus loin, menant ses personnages au drame, usant du sexe comme un véritable ressort de scénario quand il n'était jusqu'alors qu'une donnée de façade, un élément destiné à poser une tonalité. Mais autant le dire, ce septième Finkel n'a pas tout à fait la saveur des précédents. Sans doute cela vient-t-il du changement de ton, d'une ligne brutalement durcie. Plus bavard, plus claustrophobique, ce dernier opus est également plus âpre. La sensualité y laisse place à la violence, la détermination au désespoir. Le trait de Christian Gine semble en souffrir, plus serré, plus directement centrée sur les personnages, notamment au cours d'une approche froide et peu accessible de la passe du Vorüm Häwein. Les (trop) rares planches consacrées à l'architecture de la cité engloutie donnent heureusement un peu d'air à l'ensemble. Bref, en première lecture, « Corruption » dérange. Mais au final, il marque un véritable tournant dans la série. Les héros y sont (très) fatigués. La suite devrait n'en être que plus intéressante.
« Coupables, forcément coupables », Maurice et Patapon 1, de Charb. Hoëbeke BD.

On ne va pas présenter ici Charb, son humour, ses engagements, son aversion pour tout ce que la terre peut porter de cons, de beaufs et de fachos. Et Dieu sait qu'il y en a, parfois même les trois à la fois... Maurice et Patapon est un peu l'expression de tout cela, strip hebdo publié dans Charlie, mettant en scène les débats existentiels d'un chat et d'un chien qui ne reculent devant rien ni personne. Un monument corrosif de férocité et de liberté de ton, sommet d'humour transgressif et de scatologie joyeuse. Les amateurs seront comblés. Reste que comme beaucoup de recueils de strips, « Coupables, forcément coupables » souffre à la lecture d'un effet d'accumulation nuisible, renforcé par la répétitivité du trait et la monotonie d'une mise en couleur minimaliste. Souvent drôles prises individuellement, les évolutions du duo peuvent se révéler finalement indigestes sur la longueur. Question de sensibilité.
Demain l'abîme (Lola Cordova) par Philippe Belhache
« Lola Cordova », d'Arthur Qwak, Casterman. Collection Un Monde.

Qwak is back. Et son nouvel opus est à tous les niveaux un véritable OVNI. Le scénario est gonflé à souhait : une pute camée à mort, enlevée par des extra-terrestres survit avec son cul et se shoote à la connaissance, pour finalement revenir... pour sauver le monde. Un trip menaçant de partir en vrille à tout moment, et qui s'avère au final très maîtrisé. En marge d'une trame échevelée et de scènes de sexe sans équivoque ni censure, Qwak réussit un des plus beaux hommages de la bande dessinée aux récits de l'âge d'or de la science-fiction, option psychédélique. La présence de fausses jaquettes de la revue Galaxie, datées de la fin des années 60, est tout sauf anodine. Non plus que la référence aux grands maîtres conteurs que sont Anderson, Leiber ou Vance. Mais c'est plus vers Philip K. Dick que louche cet avatar de Valérian sous acide, par cette question qui sous-tend l'album jusqu'à son terme : délire de camée ou réalité vécue ? Graphiquement, Lola Cordova est une petite merveille. Du Qwak pur jus, qui fait exploser à chaque page le fruit de ses expérimentations. Son album le plus réussi restait pour moi « Le creuset de la douleur » (Vents d'Ouest). Qwak va aujourd'hui beaucoup plus loin, multipliant les techniques, travaillant à une véritable symbiose de l'encre et de l'informatique, usant du cadrage et de la couleur comme d'un langage narratif. Une bonne claque aux rétines. Le moins qu'on puisse dire, c'est que l'ensemble a du chien. Le design de Lola Cordova vieillira peut-être plus vite que d'autres, mais l'album devrait faire référence pendant quelques temps.
« Total souk pour Nic Oumouk », Nic Oumouk 1, de Manu Larcenet. Dargaud, collection Poisson Pilote.

Certains (pas de nom !) ont qualifié Manu Larcenet d'auteur « à la mode ». Et si Larcenet était tout simplement un auteur en phase avec son temps ? Deux composantes semblent définir son oeuvre : un humour décalé et une sensibilité aux résonances contemporaines. Des ingrédients qu'il sait doser en fonction du propos de l'album et du public visé. Pour Nic Oumouk, c'est visiblement du 50/50. « Total Souk... » mise ouvertement sur la déconne, et fait mouche. Mais Larcenet reste à l'affût du réel, le délire autour d'Edukator servant de catalyseur pour faire prendre la mayonnaise en 46 planches chrono. Derrière les effets comiques, se profilent le quotidien des banlieues, le racket, l'échec scolaire, la délinquance, les tournantes dans les caves, l'intégration, le racisme larvé au quotidien ou affirmé dans l'instant... Un discours qui n'échappe certes pas aux clichés. Mais des clichés qui se nomment trop souvent réalité dans le quotidien des banlieues, et qui s'intègrent là parfaitement au propos. Avec son air de ne pas y toucher, Nic Oumouk est un album tout en équilibres. Equilibre de l'émotion et de l'humour, de la dénonciation et de la dérision, d'une violence par trop réelle du quotidien et du mythe (mis à mal, mais si peu) du super héros justicier... Une structure d'une belle maîtrise. L'influence du maître Ferri ? L'auteur ne s'en cache pas, et même revendique. Bref, un album faussement mineur dans la carrière d'un Larcenet en pleine possession de ses moyens narratifs et graphiques. Avec en ce qui me concerne un seul regret : ne pas savoir lire l'arabe...
« La liste rouge », INRI 2. Glénat, collection Loge Noire.

Il est amusant de voir les éditions Glénat présenter INRI avec cette formule : « La BD a trouvé son Da Vinci Code », tant la trame élaborée par Didier Convard dans les sept tomes du « Triangle secret » parait antérieure à celle de Dan Brown. Mais les similitudes sont réelles : fascination de l'auteur pour la symbolique maçonnique, négation de la mort du Christ sur la Croix, opposition de l'Eglise et des Francs-Maçons pour la sauvegarde d'un secret millénaire... Avec INRI, Convard reprend également à son compte le thème de la lignée du Christ, mais va encore plus loin en proposant un Jésus grand alchimiste devenu maître de la mort. La nouvelle donne ? L'Eglise, qui a emporté la première bataille du Triangle Secret doit aujourd'hui affronter son propre bras armé, les Gardiens du Sang, alors même qu'elle fait face à un phénomène des plus troublants, la régénérescence du corps du Christ exposé à la lumière. Une résurrection en suspend qui relance l'intérêt pour la série. « La liste rouge » a en outre le bon goût de dissiper quelques-unes des zones d'ombre du Triangle et d'INRI. Heureusement. Le scénario est certes toujours brillant par son érudition et sa maîtrise, bavard mais passionnant pour qui veut s'investir. Mais il peut facilement larguer les autres en route... D'autant qu'il souffre d'un air de déjà-lu persistant, au regard des best-sellers qu'ont été le Triangle Secret lui-même, et justement le Da Vinci Code. Graphiquement, la série reste égale à elle-même, agréable avec un traitement cette fois plus homogène des différents intervenants. Plus homogène mais toujours aussi peu typé. On se prend à rêver devant les couvertures d'André Juillard...
« Pavillon noir sur la Capricieuse », Anachron 5, de Jurion et Cailleteau. Vent d'Ouest, collection Fantastique.

Les équipages de pirates au féminin ont décidément le vent en poupe. Après Cassegrain et ses pulpeuses héroïnes de Tao Bang, c'est au tour de Jurion de mettre en scène des baroudeuses de choc armées jusqu'aux dents dans ce nouveau cycle d'Anachron. Ce mélange déconnant d'héroïc fantasy et de space opéra - finalement assez proche de l'univers de « Méga », jeu de rôle estampillé Casus Belli à l'élaboration duquel participaient... Cailleteau et Vatine - rebondit après la fin du cycle du Non-Nommé. La recette ? On prend les (presque) mêmes et on recommence, dans une intrigue qui promet d'être au moins aussi échevelée que la première. Un scénario solidement charpenté soutient un déroulement au ton léger, que met en valeur le graphisme de Jurion, désormais à maturité. Seul manque l'effet de surprise. Ce qui est malgré tout normal pour le premier tome d'un nouveau cycle. Ce nouvel opus d'Anachron tient parfaitement ses promesses. Celles d'un moment de détente de qualité, sans prise de tête, un choix entièrement assumé par ses auteurs.
« Menaces sur l'empire », Les aventures de Philip et Francis 1, de Veys et Barral. Dargaud.

Qui aime bien châtie bien dit-on ? A ce compte, Veys et Barral doivent adorer Blake et Mortimer. Les deux compères avaient déjà dynamité le mythe de Sherlock Holmes dans les pages de « Baker Street » (Delcourt), ils se livrent là à un pilonnage en règle de l'univers de Jacobs. En mettant en avant celles qui manquaient cruellement au dit univers - les femmes - mais aussi en transformant les deux héros en deux grands gamins bercés trop près du mur, obsédés l'un par la nourriture l'autre par le beau sexe. Le cocktail est d'autant plus jubilatoire qu'il est bien secoué. Pierre Veys réussit ce tour de force de faire de l'humour de corps de garde une science sinon exacte, du moins d'une grande précision. Potache en diable, « Menace sur l'Empire » possède une structure propre, développée par ses auteurs avec un sens du timing et du gag que beaucoup pourraient leur envier. S'il n'est pas nécessaire de connaître tout Blake et Mortimer pour rire des aventures de Philip et Francis, l'album trouve bien évidemment tout son sel auprès des connaisseurs. Les références sont multiples, à la série mère, mais aussi au cinéma de genre (Bruce Lee, réveille-toi ! Qu'ont-il fait de toi ?), avec ce mélange de flegme et de transgression propre au comique anglophile. Le graphisme de Barral est au diapason, savant dosage d'hommage et de caricature. Bref, un grand moment de poilade. La morale de l'histoire ? Il est très sain de voir ainsi un éditeur « historique » laisser des auteurs de talent faire joujou avec ses icônes maison. Dargaud, il est vrai, n'en est pas à son coup d'essai. Quand bien même le « Dernier chapitre » de Convard et Juillard était d'un tout autre alliage.
Luna Almaden par Philippe Belhache
"Luna Almaden", par Clarke et Lapiere, Dupuis Collection Aire Libre.

Quand Clarke, le dessinateur de Mélusine ou du désopilant Mr Président se met à faire de la bande dessinée réaliste, il y a tout lieu d'être surpris, tant cela ne correspond à priori pas à son style habituel. Et pourtant, habitué aux gags en une planche, Clarke se sort plutôt bien de cette histoire longue, s'étalant sur près de 60 planches. Son dessin est limpide, clair sans être simpliste, épuré, quitte parfois à paraître un peu léger sur les détails.
Il faut dire que pour ce coup d'essai, Clarke est aidé par un maître du genre, en la personne de Denis Lapiere, qui s'y entend en matière d'histoire généralement bien ficelée.
Pourtant, on ne peut s'empêcher de regretter ici un propos un peu léger. Cette histoire d'aveugle injustement accusée du meurtre de sa propre mère manque un peu de corps pour la faire tenir sur une aussi longue haleine. De plus, le noeud de l'intrigue repose sur quelques invraisemblances. Un peu dommage de la part de Lapière.
Restent les relations humaines... Et dans ce créneau, Lapiere s'y entend également particulièrement. La personnalité de Luna est particulièrement attachante et ne manque pas de crédibilité dans ses attitudes de non-voyante. Un comportement que Clarke s'efforce de rendre le plus réaliste possible : le regard qui passe au-delà de l'interlocuteur, l'alternance de quelques cases noires pour rendre le « point de vue » de Luna, le fait de ne pas allumer la lumière lorsqu'elle rentre chez elle... De ces petites choses qui fait que l'on croit au personnage sans pour autant rentrer totalement dans l'histoire. Ce qui n'est pas incompatible.

Par Laurent Fabri

Second avis : "Luna Almaden", par Clarke et Lapiere, Dupuis Collection Aire Libre.

Il est différent, et pourtant c'est toujours le même.. Clarke était déjà remarquable par sa capacité à adapter son style à toutes les formes de délire. Il réussit, avec « Luna Almaden », son passage à un univers réaliste, sans pour autant renier son style et ses fondamentaux. Ce premier album, noir à souhait, est à ce titre une réussite, encore mise en valeur par une superbe couverture. Pourtant, ce one-shot prometteur laisse le lecteur sur sa faim. Une insatisfaction difficile à analyser. Dérouler l'album du point de vue d'une aveugle était une bonne idée. Les deux auteurs ont travaillé à rendre prégnants son univers, sa solitude, à mettre en place une ambiance paranoïaque fondée sur le doute, en adoptant (avec succès) un rythme narratif volontairement lent et silencieux. Un rythme que vient casser un dénouement presque trop rapide. Au final, subsiste l'impression que l'on n'est pas allé assez loin, que la tension n'est pas montée assez haut. Mais l'intrigue pouvait-elle tenir vingt pages de plus sans sombrer dans la dilution ? Ajoutez à cela un « bug » dans le scénario - une aveugle peut-elle ne pas reconnaître la voix d'un proche ? - et on referme l'album. On se dit pourtant qu'il n'aurait pas fallu grand chose à cet album séduisant mais un peu bancal pour se faire un nom dans la cour des grands. Frustrant.
« Dei ex machina », Le fléau des dieux 5, de Mangin et Gajic. Soleil.

Les amateurs de rebondissements seront comblés, ce cinquième opus du Fléau des Dieux relance complètement la machine. Et ceux qui ne voyaient dans la série qu'un épiphénomène bâti sur une bonne idée - une version galactique de l'histoire antique - devront revoir leur copie. Valérie Mangin élargit largement le champ de ses références, et fait mouche à tous les niveaux. L'historienne prend de la hauteur par rapport au champ de bataille que forme l'Orbis pour explorer les arcanes du panthéon romain. La scénariste prend un malin plaisir à faire fonctionner un à un les ressorts d'une mécanique narrative bien huilée. Et au-delà, l'auteur s'interroge sur les rapports ambigus de la science et de la religion, sur la tentation des détenteurs du savoir à s'ériger en démiurges... Des préoccupations qui font écho à celles de son compagnon Denis Bajram dans « Universal War One ». Les références littéraires sont là en appui. Il y a quelque chose du « Fondation » d'Asimov dans la démarche des savants romains prédisant la chute de l'Orbis ; et un rien des « Princes d'Ambre » de Zelazny dans le machiavélisme de Saturne. Le titre lui-même est savoureux de double sens... Valérie Mangin livre avec « Dei ex machina » une très belle page de science-fiction, mise en image par un Gajic inspiré. Que demander de plus ? Sinon la suite...
Claudiquant sur le dancefloor par Philippe Belhache
« Claudiquant sur le dancefloor », de Luz. Hoëbeke BD

Trois ans après « Cambouis », le Luz nouveau déserte la scène politique pour aborder d'autres rivages, ceux de la scène électro. Le chroniqueur de Charlie Hebdo n'y perd ni en énergie ni en radicalité dans ses positions. « Claudiquant sur le dansefloor » est un recueil en forme de carnet de routes des observations de Luz depuis l'espace VIP - « le pays où la bière est moins chère » - à l'occasion de grands rendez-vous musicaux comme les Transmusicales de Rennes, et de concerts parisiens. Une vision comme il se doit ironique et complètement décalée. Luz fait son miel (amer) du comportement des artistes sur et hors scène, aussi bien que des nombreux à-côtés des concerts. Et se met lui-même en scène sans concession, assumant ses prises de positions tranchées, parfois même son propre ridicule, voire son penchant pour les boissons roboratives en tous genres ou les pilules à rêver. Le graphisme est tendu, expressif, mais souvent inégal, partant même parfois en vrille, selon l'humeur ou l'état de l'auteur. Avec ses moments de grâce, tel le concert de PJ Harvey ; d'autres de désespérance, à l'image des victoires de la musique. L'ensemble, à condition de glisser sur ce qui pourrait être interprété comme une apologie des pilules sus-citées, est particulièrement jouissif. Et (très) bien vu. L'affreux s'y connaît. Lire et aimer Luz, c'est aussi prendre le risque de mettre une bonne partie de sa cédéthèque à la poubelle...
« The Fixer » de Joe Sacco, Rackham.

Sacco tel qu'en lui-même. Ce pionnier du reportage transposé au comics revient sur l'un de ses terrains de prédilection, l'ex-Yougoslavie ravagée par les conflits. Avec cette fois un double regard. Le sien propre, approche journalistique mâtinée d'engagement politique ; et celui, forcément subjectif, de Neven, son guide sur le terrain, son « fixer ». Un homme au passé trouble, ancien des milices musulmanes, qui accompagne Sacco dans le Sarajevo de 1995, lui livrant sa version des faits au fil de conversations plus ou moins spontanées. Joe Sacco n'est pas dupe du discours. Faute de clients, le conflit n'attirant plus les grands médias et leurs crédits illimités, l'homme court après quelques marks et s'intéresse plus au portefeuille qu'à son propriétaire. Mais Neven fascine Sacco, il lui permet de personnifier son récit, d'en structurer la ligne. Dangereux, charismatique, tour à tour hâbleur, pathétique, flambeur, homme blessé, marqué à vie par ses souvenirs de guerre, son passage au sein des milices musulmanes... Qui est Neven ? Qu'a-t-il réellement vécu ? Soldat ou mythomane ? Sans doute un peu des deux. Joe Sacco ne tranche pas, mais s'interroge. Et joue de la personnalité ambiguë de son interlocuteur pour dénoncer les exactions des unités paramilitaires de Sarajevo durant le siège, les méfaits de ces seigneurs de la guerre parfois issus de la petite criminalité, dont le pouvoir s'accommodait faute de pouvoir les contrôler. Du grand Sacco, sur le fond comme dans la forme.
Fille des reptiles (Feux) par Philippe Belhache
« Fille des reptiles », Feux 1, de Tome et Hardy (Dargaud). Collection Cosmo.

Philippe Tome était attendu au tournant. Alors même que Dupuis instrumentalise la publication d'un douzième opus de Soda accouché dans la douleur, ce maître de l'humour et du polar noir revient sous les couleurs de l'éditeur de « Berceuse assassine », par... la science-fiction. Avec un concept qui suscite la curiosité. Un bébé humain débarque dans une capsule spatiale tel le Superman moyen (ou Thorgal, c'est jouable) dans une communauté de dinosaure formant civilisation. Le-dit bébé échappe à l'option casse-croûte par la grâce de l'instinct maternel d'une femelle dino qui vient de perdre son petit. Elle devient une adolescente rebelle baptisée « Feux ». Où Tome veut-il en venir ? Ce n'est pas encore bien clair. Le suspense est entretenu par la voix du narrateur qui annonce par l'action de Feux la fin de la civilisation des dinosaures. L'univers imaginé par Tome est pourtant original. Via l'artifice de la capsule, le scénario fait cohabiter deux locataires de l'Histoire qui n'ont pourtant pas eu chronologiquement l'honneur d'être présentés. Il convoque surtout l'imaginaire de la « Planète des singes » et celui du mythe de l'enfant sauvage, entre Tarzan et « Livre de la jungle », les réunissant au sein d'une civilisation saurienne écartelée entre sagesse et sauvagerie, pacification sous contrainte et intrigues de palais, véritable petit concentré d'empire romain en formation. L'enjeu ? « Le pouvoir ». Le feu ? Tout est suggéré, rien n'est révélé. Et malgré un développement sur quelques quatre-vingt pages, le lecteur n'a que les bases d'une intrigue dont la finalité et la complexité lui échappent encore. Tome était plus percutant aux commandes de one-shots aussi noirs que décalés. Mais son crédit reste tel qu'on ne peut qu'attendre la suite. Reste la magnifique mise en images de Marc Hardy, qui profite pleinement des possibilités offertes par cette nouvelle collection. Il donne le « la » d'une collection en recherche d'un nouveau souffle graphique. Et impose tranquillement une nouvelle facette de son indéniable talent.
Féroce par Philippe Belhache
« Féroce » de Omont et Supiot. Glénat, Carrément BD.

Etrange objet que ce « Féroce », nouveau titre de la non moins surprenante collection Carrément BD. Le graphisme de Supiot, évoquant pourtant plus volontiers les productions Milan ou Bayard que la fantasy pure, explose littéralement dans cette nouvelle collaboration avec Eric Omont, après le remarquable et remarqué « Le dérisoire ». Malgré les apparences, « Féroce » est avant tout un conte. Un conte initiatique à la violence crue et stylisée, empreinte de la tradition barbare, parcours d'un guerrier viking auquel les combats ont donné le goût de la mort, une femme et un enfant le goût de la vie. Un guerrier perdu dans les glaces comme en lui-même, fuyant la bête qui décime son équipage. Et qui voulant affronter « l'ours de cendre », finit par affronter ses propres démons. Une histoire simple et puissante, tour à tour naïve et sauvage, opposant les bonheurs simples à la terreur pure, dont la force réside dans une véritable osmose entre scénario et traitement graphique. Olivier Supiot mène sa barque en pro, dévoyant le format pour exposer des scènes de violence et de transports oniriques virtuoses. Et impose la couleur comme composante à part entière du processus narratif. L'homme joue avec bonheur de couleurs crues et de contrastes tranchés que n'aurait pas reniés Mattoti. Chaque nuance est un code, une référence, à la folie comme à l'innocence, à la fureur comme à l'absence. La saga de Bödvar est une réussite qui mérite qu'on passe outre une couverture « hallucinée » qui pourrait rebuter le lecteur lambda. Laquelle reste pourtant, à mon sens, la meilleure des entrées pour aborder ce récit.
Le fou de Dieu (Novikov) par Philippe Belhache
« Le fou de Dieu », Novikov 1, de Weber et Brindisi, (Les Humanoïdes Associés)

Quid de la collection Dédales ? Une nouvelle Loge Noire sacrifiant à la mode l'ésotérisme en bande dessinée ? Il n'en est rien, malgré une titraille entretenant l'ambiguïté. C'est bien sur le créneau encore peu exploité du polar historique, celui qui a fait les belles heures de la collection Grands détectives de 10/18, qu'entend se positionner l'éditeur. Un cahier des charges que s'approprient pleinement les auteurs, pour une intrigue placée au coeur de la Russie des Tsars, sur fond de fanatisme patriotique et religieux préfigurant le « règne » du starets Raspoutine au siècle suivant. L'écrivain belge Patrick Weber est rompu à ce type d'exercice narratif, le transposant sans trop de problèmes à la bande dessinée. L'Italien Bruno Brindisi, de son côté, fait montre d'une maîtrise graphique très professionnelle, efficace et classique sans être complètement anonyme. Les deux hommes font entrer en scène Alexeï Novikov, flic russe « aux méthodes de Cosaque », traumatisé par le meurtre non-élucidé de son épouse, en conflit avec un patron devant composer avec les élites... Le super-flic est mandaté pour enquêter sur des meurtres (au crucifix) et extorsions de fonds touchant l'aristocratie. Et se heurte à l'hostilité du milieu même des victimes. Les codes sont ceux du polar américain, mais s'intègrent sans heurts dans le contexte, avec quelques idées intéressantes comme la relation du héros avec sa gouvernante-conscience-maman-indic. Un produit solide et agréable, donc, mais pour l'heure relativement linéaire et sans réelle surprise, auquel il manque le petit brin de perversion qui justifierait pleinement le nom de la collection. L'intrigue faisant d'entrée converger tous les regards vers une bande d'illuminés, les Boyards de Saint-Georges, il est difficile de penser que Weber ne nous mène pas un minimum en bateau. Dès lors, rien n'est perdu... Suite (et fin) au prochain épisode.
Pattes de velours par Philippe Belhache
« Pattes de velours », de Bertho et Korkydü. Delcourt, collection Mirages.

Nos amis les trentenaires sont une source inépuisable d'inspiration. Bertho et Korkydü se sont emparés avec Antoine d'un spécimen particulier, mais pas si rare que cela. Un jeune cadre célibataire (donc seul), phagocyté par une « ex » envahissante à laquelle il reste intellectuellement enchaîné, et poursuivi par une collègue de bureau entreprenante. « Pattes de velours » pourrait n'être qu'une nouvelle variation sur le thème de l'indécision amoureuse s'il n'y avait le chat. Un de ces chats dont on sait qu'ils adoptent parfois des humains (et pas l'inverse, quoiqu'on en pense), qui intervient non pas comme un personnage construit, mais plutôt comme une espèce de fil rouge, seul lien d'Antoine avec cette jeune femme aperçue par la fenêtre. Le scénario accompagne tranquillement le personnage principal dans sa valse-hésitation amoureuse, cheminement d'un homme qui n'ose plus oser, qui craint de se mettre en danger, perdu entre petits renoncements et grandes demi-décisions, entre cynisme mondain et tentation romantique. Des tranches de vie entrecoupées de scènes du quotidien du chat, perçu comme un vecteur d'humanité, unique trait d'union entre des riverains « isolés » dans un même quartier... Le dessin de Korkydü se place dans la lignée des chantres de la ballade urbaine que sont Dupuy et Berbérian, plus rond qu'un Peyraud ou qu'un Mardon, mais très expressif, agréable compagnon d'une histoire au rythme posé. Au final, les deux complices de « La Voix » (chez Vents d'Ouest) signent un recueil qui ne changera certes pas la face du monde, mais qui par son humanité et son romantisme affleurant, sait se rendre très attachant.
« Les gros poissons », Du plomb dans la tête tome 2, Wilson et Matz. Casterman - Collection Ligne Rouge.

On connaissait la maîtrise de Matz en matière de scénarios policiers bien tordus. Le Tueur, dessiné par Jacamon était un petit bijou du genre. Avec du plomb dans la tête, Matz reste du côté des mauvais, des tueurs, des crapules et autres trafiquants. Et s’ils sont méchants quand il faut, en fonction des commandes et des petits boulots à faire, ce n’en sont pas moins des hommes. Déjà dans Le Tueur, Matz prenait ce plaisir un peu pervers et dangereux de rendre ce genre de personnage attachant ou au moins compréhensible. Il reste dans la même veine avec Jimmy et Louis, ces deux tueurs froids dans leur boulot, mais indéfectibles potes dans la vie. Des profils plus qu’un rien tarantinesques, phraseurs, moins sûrs d’eux qu’ils n’y paraissent, mais méchants comme des teignes si on touche à leur proche.
Matz tisse son intrigue avec un rythme certain et s’appuye sur des dialogues assez savoureux. Le desssin du néozélandais Gibson tient la route et a gagné en assurance depuis le premier tome. Par contre, la mise en couleurs informatique est simplement à vômir. A force de jouer sur les effets de volume, Chris Blythe ne parvient qu’à appliquer un voile terne et grisâtre sur l’ensemble des pages ! C’est regrettable.

Par Laurent Fabri

Second avis : « Les gros poissons », Du plomb dans la tête 2, de Wilson et Matz. Castelman, Collection Ligne Rouge.

Jouer avec les références ne serait-il pour Matz qu'une manière de nous les renvoyer en pleine figure, de flinguer les codes du polar en bande dessinée, après nous avoir laissé pantoufler dans nos certitudes ? Le scénariste du « Tueur » a intelligemment mené la danse dans le premier tome d'une série qui justifie de plus en plus son titre. En mettant en scène trois duos - deux tueurs aux dialogues référencés Pulp Fiction, deux flics à l'amitié élastique, et deux journalistes plus curieux que prudents - Matz a conçu un ensemble de personnages auxquels le lecteur ne pouvait que s'attacher en fonction de ses affinités, et en extrapoler le développement futur dans la série. Grossière erreur : Matz est seul maître à bord, avec un but, des moyens à mettre en face, et une liberté totale d'en user à sa guise, quitte à faire le ménage parmi des personnages que l'on pensait bêtement principaux. « Les gros poissons » nous entraîne encore un peu plus par le fond, dans un univers pourri jusqu'à la moelle, où la vie n'est qu'une donnée marchande et le plomb la monnaie d'échange. Les survivants n'ont plus qu'une option : secouer le bocal pour voir ce qu'il en sort. Le Néo-Zélandais Colin Wilson, rodé à tous les genres, a rapidement trouvé ses marques dans cette jungle urbaine made in US. Le fond et la forme y sont. Rien ne manque aujourd'hui pour faire de ce polar imprévisible un indispensable pour amateurs de noir bien frappé.
« Le génie donne sa langue au chat », Léonard 35, de Turk & de Groot. Le Lombard.

Que dire de plus d'une série d'humour qui fête ses trente ans et trente-cinq albums ? Qu'à la lecture de ce dernier opus, rien n'a changé. Une affirmation à double tranchant. Les esprits chagrins diront que chaque page de Léonard n'est que la répétition plus ou moins déguisée du même gag tout au long de la série, exploration systématique de micro-niches d'inventions loufoques dont la plus récente évolution est l'apparition de gros mots plus ou moins censurés. Le cauchemar du Trondheim de « Désoeuvré », en quelque sorte... Les autres trouveront dans ce nouveau tome tout le confort d'une série qui de fait reste égale à elle-même, Turk affirmant depuis des années une belle maturité graphique, sans baisse de tonus. Les gags concoctés par Bob de Groot sont certes d'un niveau inégal, mais contiennent tous les éléments nécessaires à un comique de répétition bien pensé. On peut toujours gloser, se référer à l'âge d'or de la série, se dire que les auteurs ont trop tiré sur la corde, idée qui a effleuré le (déjà) vieux schnock que je suis, qui s'est par ailleurs envoyé les trente-quatre autres tomes. Reste que ma fille a aujourd'hui l'âge auquel j'ai ouvert avec délices mon premier Léonard. Son rire me renvoie à mon propre enthousiasme de l'époque. La preuve que la magie fonctionne encore, que Léonard touche sans cesse de nouveaux publics, sans doute plus jeunes et certainement moins blasés... Au fait, que devient Robin Dubois ?



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