Les 276 critiques de Philippe Belhache sur Bd Paradisio...

Vamos, Vamos ! (Le petit monde) par Philippe Belhache
"Vamos, Vamos !", Le petit monde 1, de Morvan et Terada. Dargaud, collection Cosmo.

Deuxième livraison de la collection Cosmo, dont la vocation est de promouvoir une approche aux rythmes différents de la production franco-belge classique. Le tandem Hardy-Tome a ouvert le bal avec un "Feux" pour l'heure plus convaincant graphiquement qu'en termes de narration (mais bon, on attend la suite). Qui mieux que Jean-David Morvan, imprégné de culture manga, pouvait jouer le deuxième mouvement ? D'autant qu'occasion lui était donnée de travailler directement avec un mangaka, Toru Terada. Le résultat ? "Le petit monde", nouvelle incursion du scénariste dans l'imaginaire cyberpunk. L'histoire d'une fillette des quartiers nantis qui rêve de visiter le monde des pauvres en contrebas, dont elle se fait une vision angélique. Morvan développe là un univers pour le moins violent, dont le modèle apparaît très clairement au fil des pages. "Le petit monde" n'est rien moins qu'un démarquage plutôt trash de l'univers de Peter Pan, avec des personnages en cohérence : Wendy au pays de Gally, flanquée d'un Crochet en truand minable surarmé, d'un crocodile mué en flic pugnace, et d'un Peter junky qui pleure sa dose pour apercevoir sa Clochette. Une approche surprenante et plutôt réussie, assaisonnée d'une pincée de Dick pour la dualité rêve-réalité et d'un zeste de Disney pour le décorum. Graphiquement, Torada explose les pages avec un parti pris séduisant mais parfois déconcertant, à mi-chemin entre réalisme cru et caricature enfantine. La mise en couleur, en demi-teinte, offre un relief particulier à l'ensemble, en particulier aux rouges (sang). Une expérience stimulante, les deux auteurs s'appropriant pleinement ce format généreux.
Safari Monseigneur par Philippe Belhache
"Safari Monseigneur", de Jérôme Mulot et Florent Rupert, L'association, collection Ciboulette.

J.C. Menu avait promis d'explorer de nouvelles voies en ouvrant le catalogue de l'Association à de nouveaux auteurs. C'est chose faite, avec une prise de risque non négligeable. A feuilleter tel quel, "Safari Monseigneur" ne ressemble à rien. Une série de personnages peu lisibles, silhouettes esquissées mises en scène dans des situations archétypales, affublés de dialogues volontairement confus, dénonciation acerbe des dérives de la colonisation aussi caricaturale qu'une propagande d'Etat dans sa systématique. Une lecture plus approfondie permet d'aller plus loin, de découvrir un objet étrange sur lequel on aurait tort de ne pas s'arrêter. "Safari Monseigneur" finit par retenir l'attention par sa construction narrative, faite d'instantanés jouant sur plusieurs tableaux. La provocation, le non-sens, un décalage dans les dialogues que ne renierait pas Gelück, et une organisation des saynètes sous formes de situations récurrentes qui donnent à penser que Mulot et Rupert ont bien digéré les leçons du Flying Circus. L'ensemble n'est pas forcément convaincant (question de goût) mais mérite qu'on s'y arrête. Mention "intéressant" sur l'échelle de Spock.
"Le ciel lui tombe sur la tête", Astérix 33, par Albert Uderzo. Editions Albert René.

Stop, pitié, n'en jetez plus, arrêtez le massacre, c'est Goscinny qu'on assassine. Le dernier Astérix (pourvu que ce soit le dernier, faisait d'ailleurs remarquer un confrère) ne vaut pas tripette, affirmons-le d'emblée. Pis encore, il met à mal un mythe et le ridiculise purement et simplement.
Que le plus célèbre des Gaulois soit aux prises avec des extra-terrestres, cela n'est pas encore trop grave. Ne l'a-t-on pas vu faire plusieurs fois le tour du monde à une époque où la Méditerranée constituait le centre du monde connu, s'envoler sur des tapis volants et surtout boire à tour de bras une potion forcément magique. Le réalisme n'a jamais été le principe de la série et les auteurs ont toujours fait quelques entorses à la réalité historique pour les besoins du récit. Mieux même, ces décalages et ces anachronismes constituaient la plupart du temps les ressorts de l'humour.
Mais, cette "guerre des étoiles" dans le ciel du fameux village gaulois n'a rien de drôle, ni de captivant. Que du contraire. Ces extra-terrestres sont pathétiques dans leur représentation : entre le super héros à la tronche de Schwartzie, une sorte de croisement improbable entre un télétubbies et Mickey, de vieux restes de Goldorak et des robots volant au bruit de diesel, le "bestiaire" est limité et sans originalité.
Le scénario lui-même ne vaut guère mieux. Enfin.. Quel scénario ??? Est-on sensé voir une sorte de fable ou de métaphore dans la victoire des bons tadsylwiens sur les infâmes "nagmas" (il faut expliquer ou le sens des anagrammes n'aura pas échappé aux lecteurs assidus de BD Paradisio que vous êtes ?). Et l'on découvre donc, quasiment atterré, qu'Astérix est l'ami des comics américains plutôt que des méchants mangas japonais.
Les couleurs ? Nouveau coup de boutoir dans le bastion de la BD traditionnelle. Les à-plats sobres ont laissé la place à un ersatz de 3D, tentant sans doute de donner du relief à un album qui n'en a aucun. Rien à faire ! Sans vouloir afficher un passéisme nostalgique, la "colorisation" électronique ne sied absolument pas à ce type de dessin.
Car c'est sans doute la seule chose encore à sauver dans ce naufrage : le dessin d'Uderzo, celui des Gaulois, des Romains et des grandes baffes dans la gueule..? Ce style admirable qui n'a cessé de s'améliorer depuis les années 60. Mais tout bon dessinateur qu'il soit, Uderzo n'a pas le coup de crayon, ni l'imagination nécessaire pour se lancer dans la science-fiction.. C'est d'autant plus triste qu'Uderzo reste un monstre de la bande dessinée, une référence pour de nombreux auteurs et lecteurs.
A ce stade, le seul motif pour lequel on tourne encore la page, c'est pour voir, attristé jusqu'où ce pauvre Monsieur Uderzo va sombrer. Pour achever le dernier de nos mythes, en dédicace, Uderzo remercie Walt Disney de la potion magique dans laquelle tant d'auteurs de BD sont tombés. Et nous, pauvres lecteurs, qui croyions que la BD européenne trouvait ses racines dans nos vertes contrées, entre la Rue du Labrador, le Boulevard Tirou, ou la rédaction du journal Pilote.
A posteriori, on comprend mieux la machinerie marketing déployée pour préparer le lancement de cet album. Il en faudra du talent et du matraquage pour parvenir à fourguer plus de 8 millions de cette.. chose. Affligeant et consternant.

Par Laurent Fabri


Second avis : "Le ciel lui tombe sur la tête", Astérix 33, par Albert Uderzo. Editions Albert René.

Peut-on critiquer un mythe, une institution ? Une série dont la notoriété autorise un tirage total de huit millions d'exemplaire ? Quoi qu'on en dise, quoi qu'on en pense, Astérix reste l'une des bandes dessinées les plus populaires et les plus fédératrices qui soit. Il faut pourtant bien se rendre à l'évidence. Pour le lecteur un tant soit peu critique, le constat est amer. Ce nouvel opus des aventures du célèbre Gaulois développe une histoire totalement linéaire, au contenu manichéen, aux personnages vides de contenu, aux dialogues d'une grande platitude au regard du travail d'orfèvre effectué sur les albums de la grande époque. Uderzo s'amuse par anagrammes interposées d'une opposition simpliste entre de bons toons façon Disney et de méchants mangas stéréotypés (période Club Dorothée), le village franco-belge restant quoiqu'il arrive en résistance. Le pastiche tombe à plat, intellectuellement et graphiquement. Les gesticulations parodiques du Nagma apparaissent même bien pathétiques au regard d'expériences déjà anciennes, à l'image de l'hilarante prestation manga du Jérôme Moucherot de Bouq... Albert Uderzo reste un grand Monsieur, à la patte incontestable. Mais son approche semble aujourd'hui dépourvue de cette humanité qui faisait le succès de la série. A ce stade, on serait tenté de se dire que l'on a passé l'âge de lire Astérix. La reprise en main des anciens albums, à la magie intacte, efface rapidement cette idée. L'intérêt d'Astérix a toujours été de fédérer différentes générations de lecteurs autour d'un humour caustique, d'une grande finesse sous l'apparente gauloiserie. Dès lors, quelle explication donner ? Que l'esprit de Goscinny a définitivement disparu de la série ? On pourrait épargner à Uderzo ce poncif décliné sur tous les tons depuis le décès de son collaborateur et ami, s'il ne s'était lui-même érigé en gardien du temple. Tout en affirmant rester fidèle aux codes de la série, il ne fait que confirmer deux choses. Qu'un créateur graphique, tout formidable qu'il soit, ne fait pas forcément un bon scénariste. Et que l'humour de cet auteur bientôt octogénaire n'a plus rien d'universel. Le choix d'Uderzo de conserver le complet contrôle sur sa création est des plus respectables. Mais il est regrettable de voir une des séries qui a le plus contribué à la promotion de la bande dessinée franco-belge, à son accession au titre de média à part entière, retomber du statut de BD culte, légende du 9e art, à celui d'honnête illustré, même bien vendu. Inconscience ou saine ironie autocritique, Uderzo fait dire à Toune : "Afin de faire oublier cette aventure grotesque, je vais faire en sorte que les Gaulois n'en gardent aucun souvenir." La proposition est tentante. Sic transit gloria mundi.
« L'homme qui ne voulait pas mourir », Spirou et Fantasio 48, par Jean-David Morvan et José-Luis Munuera. Dupuis.

Que faut-il faire de Spirou ? Faut-il s'enfermer dans la nostalgie du héros d’antan, période Franquin ou Tome & Janry selon la génération à laquelle on appartient ? Ou faut-il le laisser prendre de la marge en lâchant la bride aux nouveaux auteurs ? Les éditions Dupuis ont finalement pris leur décision, laquelle revient finalement à n'en prendre aucune. Charge est donnée aux auteurs des futurs hors séries d'entretenir la légende, celle du tandem Morvan-Munuera restant de faire entrer ce personnage bientôt septuagénaire dans le XXIe siècle. Bref, il y en aura pour tout le monde. Dès lors, que penser de ce nouvel opus ? Que les auteurs ont retenu les leçons de l'album test « Paris sous Seine », pour offrir une histoire somme toute bien construite, sur une pagination augmentée. Les lecteurs allergiques au duo devront bien s'y faire. Les deux hommes ont leurs excès : Morvan a le sens de l'ellipse et découpe ses planches jusqu'au vignettage ; Munuera a celui de la courbe et de l'action, tout en restant paradoxalement plus convaincant lorsqu'il pose son dessin. Des invraisemblances ? Il n'y en a guère plus que chez un Franquin qui invente le Marsupilami, que chez un Tome qui nous fait gober la magie noire chinoise, le snouffelaire ou les ray-bans du bonheur. L'humour est sans doute moins présent, il est en tout état de cause différent. Le message social est plus volontiers appuyé, le réalisme plus mordant… Le Spirou nouveau pose ses marques. Il subit toujours le feu des comparaisons – c'est la règle – et doit aujourd'hui relever le pari d'exister pour lui-même. Pour cela, il faut de l'audace. Cette même audace qu'il a fallu pour confier la destinée du héros immortalisé par Franquin au poète Fournier, celle qui a mené Tome et Janry à réaliser l’inclassable « Machine qui rêve ». Cette audace est là. Au point qu'on se demande si en regard de héros encore un peu lisses, le personnage principal de « L'homme qui ne veut pas mourir » ne serait pas… Zantafio, magistralement remis en selle.
Jessica (Golden City) par Philippe Belhache
« Jessica », Golden City 6, de Nicolas Malfin et Daniel Pecqueur. Delcourt, collection Néopolis, label Série B.

Certains feuilletons semblent si bien partis qu'il est toujours étonnant de voir les auteurs conclure, ce qui est tout à leur honneur. « Golden City » fait partie de ceux là, et avec le recul Pecqueur a plutôt bien réussi son coup, évitant tout délayage excessif. L’homme s'applique à clôturer le cycle avec une belle cohérence, mettant en avant un personnage dont le rôle pourtant capital était jusqu'ici des plus confus : Jessica l'épouse d'Harrisson Banks. L’album est fatalement plus bavard sans pour autant être inutilement démonstratif, l'action prédomine toujours dans ce qui reste l'un des fleurons du label Série B. Et quelques (bonnes) surprises sont au rendez-vous, Pecqueur fait merveille avec les personnages secondaires, toujours plus intéressants que le héros lui-même. Il offre une sortie inattendue au Chacal, et une évolution intéressante à Amber, sa tueuse à gage mère de famille, avec un fort goût de « revenez-y ». Sa création la plus superficielle reste finalement soeur Léa, mais après-tout, ce n'est qu'une fin de cycle… Le graphisme de Nicolas Malfin, lisible et sensuel, fait mouche, appuyé par une mise en couleurs qui fleure bon l'informatique. Rien de révolutionnaire, mais au final un produit très solide, bien rythmé, grand public dans le bon sens du terme. That's entertainment.
A ta santé, Suzie ! (Lady S.) par Philippe Belhache
" A ta santé, Suzie ! ", Lady S. 2, de Philippe Aymond et Jean Van Hamme. Dupuis, collection Repérages.

Finalement, Jean Van Hamme n'est jamais meilleur que lorsqu'il crée un univers et qu'il fouille le passé de ses personnages en moins de treize albums. Ou qu'il se fixe tout simplement des objectifs. Lady S. en est la preuve. Formaté sur le modèle de Largo Winch (une première mission bouclée en deux albums), Lady S. est un peu le pendant féminin du milliardaire aventurier : un personnage qui maîtrise parfaitement les arcanes d'un monde fascinant et inaccessible au commun des mortels (la diplomatie pour Suzy-Shania, la haute finance pour Winch) tout en mettant en pratique des compétences tout autres, acquises dans la rue ou dans la jungle, quelques non-dits dans le passé en prime... Les deux personnages ont le même sens de l'honneur, la même indépendance et le même humour revanchard (l'agent turque dans les toilettes pour dame évoque un certain Cotton en caleçon à pois...) Mais cela n'enlève rien aux qualités de cette nouvelle série, ce nouveau concept permettant à JVH d'explorer de nouvelles coulisses avec un personnage de sensibilité différente, à fort potentiel. Double plaisir, en quelque sorte. Reste à Philippe Aymond, très sage dans ce premier diptyque, à se lâcher un peu dans cet univers pas toujours si feutré...
La recrue (Cyclopes) par Philippe Belhache
"La recrue", Cyclopes 1, par Luc Jacamon et Matz. Casterman, collection Ligne Rouge.

Le principal ennemi de Matz et Jacamon serait-il... " Le tueur " ? En se projetant dans les pensées d'un tueur à gage, les deux compères ont créé un hit absolu. Mais par-là même se condamnaient à faire aussi bien sinon mieux par la suite, attendus par une horde de fans en manque de sensations. Les auteurs ont pris leurs distances avec " Cyclopes ", récit d'anticipation mettant en scène la première armée privée au service de l'ONU dans un univers surmédiatisé, nourri de " téléréalité "... La comparaison reste cependant difficile à éviter, face à un nouveau récit tournant autour de la mort et des différentes manières de la donner. D'où vient qu'on ne frémit pas de la même manière ? Sans doute du choix d'explorer une amoralité collective en lieu et place d'une individualité, le cynisme des puissants n'ayant d'égal que le voyeurisme de la masse. Le personnage principal, Douglas Pistoia, joue le Candide de l'histoire, marionnette utilisée par la Multicorps pour générer de l'audience. Mais une marionnette volontaire, qui joue le jeu de cette instrumentalisation de la guerre, des horreurs qu'elle génère, de la gratuité des exécutions. Le lecteur peine à s'impliquer dans le cheminement psychologique de cet homme encore lisse, limités dans ses états d'âmes, sans même parler de remords. Le personnage le plus attrayant (c'était couru) reste Anderson, le baroudeur, antithèse de Pistoia, ange noir au profil aisément identifiable, au propre comme au figuré... Sur le plan graphique, Jacamon travaille à intégrer design et technologies propres à figurer un futur proche. Mais là où il excellait dans les scènes intimistes, son graphisme s'avère moins percutant dans la violence de groupe. L'approche est parfois stéréotypée, dans la répétition des uniformes et dans celle de certains visages, notamment féminins. Le choix de couleurs sombres, de verts et de bleus pour les scènes d'actions, contribue à l'étrangeté ambiante, mais complique parfois la lecture des pages. On en reste troublé, mais pas vraiment conquis. Vu la densité du propos, il était cependant difficile d'éviter une mise en place un peu lourde. Attendons donc la suite...
C'était le bonheur par Philippe Belhache
"C'était le bonheur", par Blutch. Futuropolis.

La polémique aidant, le lancement du nouveau catalogue des éditions Futuropolis sous la houlette du duo Gallimard-Soleil se devait d'être inattaquable. Editeur et ancien de la maison, Jean-Christophe Menu ne rate pas une occasion de conspuer la reprise du label, jusque dans ses propres notices pour l'Association, au fil des différentes rééditions. Le duo Gnaedig-Brunschwing n'a pourtant pas à rougir de cette première production. Mettre Blutch en avant, dessinateur aussi doué qu'intense était d'ailleurs une garantie de qualité dans la démarche. Pour autant, " C'était le bonheur " ne convainc pas entièrement. Blutch met en scène ses observations, sentiments et expériences, instantanés d'émotions, avec moments de grâce et ses fulgurances. Mais l'ensemble peine à mobiliser le lecteur. Certains passages provoquent l'empathie, d'autres non. Mais surtout, la mise en page sur format réduit pose question. Avoir à tourner plusieurs pages pour visionner ce qui revient à une simple action quand une - voire deux - peut suffire, est troublant et démobilisateur. La démarche y perd en intensité. Et par voie de conséquence, en intérêt. Au final, " C'était le bonheur " laisse malgré tout le sentiment d'être passé à côté de quelque chose...
« Les enfants de l'abîme », Lune d’argent sur Providence 1, par Eric Herenguel. Vents d'Ouest.

Le bel objet que voilà ! Inaugurant un nouvel emballage marketing – repris par Glénat avec Qumram (collection Loge Noire) – les éditions Vents d'Ouest privent sans doute les amateurs du plaisir de feuilleter le dernier Hérenguel en librairie. Mais le résultat est là, un album « classieux » de 64 planches plus les bonus. « Lune d'argent sur Providence » est un western fin de siècle (le XIXe) mâtiné de fantastique, à l'inspiration très marquée par Lovecraft et à la mise en scène directement inspirée de classiques du grand écran. Le résultat ? Hybride, mais séduisant. Côté scénario, Eric Hérenguel déroule toute une série de gueules typées, à la psychologie souvent taillée d'une pièce, archétypes qu'il se plait ponctuellement à détourner pour surprendre, dans un récit encore classique de monstres de la forêt mâtinée de kabbale et de magie indienne. La dominante des « Enfants de l'abîme » reste son esthétique générale, un graphisme particulièrement soigné baignant dans une ambiance lumineuse. Les couleurs ont été traitées de manière traditionnelle, et les effets de lumière en numérique. Le résultat est superbe, sans même parler de la couverture hommage aux préraphaélites. Le créateur de Krän fait merveille dans l'illustration de ce conte monstrueux, sans pour autant perdre son sens de l'humour, l'homme n'hésitant même pas à se pasticher lui-même dans les dernières pages.
3 ardoises par Philippe Belhache
"Trois ardoises", de Séverine Lambour et Benoît Springer. Carabas, collection Réservoir.

Trois nouvelles, trois approches graphiques différentes. Et un même ton. C'était le pari de Séverine Lambour et Benoît Springer aussi complices au boulot et dans la vie. La première souhaitait mettre en scène trois nouvelles graphiques, petites variations autour du thème du meurtre, inscrit dans la vie quotidienne. Le second voulait mettre son talent à l'épreuve de la technique et de la stylistique. Le résultat ? Un album d'ambiances, trois petits contes amoraux prenant le lecteur à contre-pied. Et un bel exercice de style pour Benoît Springer, qui fait preuve ici d'une belle maturité technique, alternant lavis, pinceaux et pour finir un encrage plus proche de son travail sur Volunteer (Delcourt). Le procédé n'est pas neuf, mais de la coïncidence de ces deux sensibilités résulte un album atypique et attachant.
« Lazarus Jack », par Mark Ricketts et Horacio Domingues. Bamboo, Angle Comics.

Bamboo élargit une nouvelle fois leur champ éditorial, choisissant cette fois d’importer des comics. L'éditeur bourguignon joue cependant sur du velours avec des titres essentiellement tirés du catalogue Dark Horse, fort de nombreux standards. « Lazarus Jack » conserve pour sa part la particularité d'être paru directement en album aux Etats Unis. Un gage de qualité ? On n'en est pas si loin. Ce one-shot se définit comme un récit d’aventures à l'Américaine avec pour personnage central un magicien se frottant à la magie noire pour rejoindre Houdini dans la légende. L'affaire dégénère sans que l'on sache comment, et Lazarus Jack y perd sa famille. Soixante-dix ans après, un homme mystérieux propose au vieillard qu'est devenu Jack de rattraper le temps perdu… Construit comme un Jumanji dans la ixième dimension, « Lazarus Jack » se déguste avec le même plaisir qu'un bon vieux « Manoir des fantômes ». Du travail de pro, classique, mais n'excluant pas certaines audaces, quelques ellipses finalement justifiées et un cynisme de bon ton malgré un semblant de happy end.
L'or de Maximilien (XIII) par Philippe Belhache
"L'or de Maximilien", XIII 17, de William Vance et Jean Van Hamme. Dargaud.

Assez curieusement, à la lecture de ce nouvel épisode de XIII, annoncé comme étant l'avant dernier, ma première pensée a été pour Jean-Michel Charlier et ses derniers Blueberry. J'ai eu le plus grand mal à ne pas calquer sur "L'or de Maximilien" le schéma adopté pour "La dernière carte". Un anti-héros poursuivi par le monde entier tente avec ses amis de retrouver le trésor qui lui permettra d'obtenir les moyens sinon de sa réhabilitation, du moins de sa sécurité... Mais de même que l'on peut deviner la "Mémoire dans la peau" de Robert Ludlum derrière la mise en place initiale de "Soleil noir" ou "Les chasses du comte Zaroff" derrière "Lâchez les chiens !", il ne s'agit que de références ou d'analogies. Le dessein de Jean Van Hamme est ailleurs. Cet épisode reste ultra-classique, chasse au trésor resservant les vieilles recettes de la langue morte, de l'énigme à résoudre et de l'ombre portée. Mais au-delà, Van Hamme semble s'amuser de ses personnages, trouvant des motivations aux uns et aux autres pour soit continuer l'aventure, soit simplement s'arrêter là. Il resserre les fils d'une intrigue remontant aux "Trois montres d'argent" et semble vouloir enfin se concentrer sur les personnages principaux. Au final, "L'or de Maximilien" se contente de mettre en place les conditions d'un "Dernier round" annoncé, et conserve (lui aussi) un arrière-goût d'album intermédiaire. Reste désormais à aller au bout. Le jeu reste ouvert, même si beaucoup de choses semblent calées. On voit mal comment XIII, alias Jason McLane-Mullway, pourrait aujourd'hui changer de nouveau d'identité... Mais après tout, Van Hamme est avant tout un grand farceur, qui sait finir ses histoires quand il l'a (enfin) décidé. Arrivé au bout de la piste, un scénariste aussi roué que lui peut toujours arriver à nous surprendre.

"Le vaccin de la résurrection", Monsieur Mardi-Gras Descendres 4, d'Eric Liberge.
Dupuis, collection Empreintes.

"Enfin !" serait-on tenté de dire, alors même qu'il ne s'est finalement écoulé que quatre ans entre la parution du troisième livre de Monsieur Mardi-Gras Descendres chez Pointe-Noire, et cette ultime livraison. Mais on était en droit de se demander si Victor Tourterelle ne traînait pas la scoumoune avec lui. La série, interrompue deux fois par défaillance de l'éditeur, aurait tout aussi bien pu ne jamais connaître de conclusion. Dupuis lui a donné une nouvelle chance dans une collection de prestige, réédition en bichromie et clôture à la clef. Le contrat est aujourd'hui rempli et le résultat... magistral. Le qualificatif a été repris, usé, galvaudé même à propos de la série, mais que dire d'autre ? Après un troisième tome au souffle puissant, exploration par Mardi-Gras Descendres de son propre ego, de ses joies et de ses peines, il fallait conclure. Une conclusion de tous les dangers, impérativement cohérente, sans mièvrerie, sans prosélytisme pro- ou anti-religieux. Liberge réussit ce tour de force. Dans son exploration d'un domaine pourtant issu de la tradition chrétienne, il ne fait que placer l'homme en face de lui-même, de ses faiblesses, de ses responsabilités. Victor Tourterelle achève son parcours personnel avec ses moments de résignation et de révolte, s'essayant même au militantisme avec des résultats incertains... et choisit finalement son destin, de même que les personnalités à l'origine de ce Purgatoire. D'aucuns pourront dire de ce quatrième opus qu'il est moins inspiré graphiquement que son aîné, qu'il est plus bavard. Cela ne représente pas grand chose au regard de la force de la vision, de la cohérence finale de ce joyeux foutoir de squelettes, de la relation entretenue entre cet auteur complet et ce qui reste pour l'heure son oeuvre majeure.

"La maison de pénitence", La voleuse du Père Fauteuil 3, de Yoann et Eric Omond. Dargaud, collection Poisson Pilote.

Difficile de faire le tri tant cette rentrée est riche en titres et en qualité. Pour preuve cette nouvelle livraison des excellents Omond et Yoann. Hommage avoué aux feuilletons romanesques de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, "La voleuse du Père Fauteuil" est une merveille d'invention et d'humour, dans l'exploitation d'un genre que l'on pensait pourtant définitivement codifié. L'univers développé par Omond renvoie aux Fantômas de Souvestre et Allain ou plus sûrement encore aux romans de Gustave Le Rouge à commencer par "Le mystérieux docteur Cornélius". Une voleuse par amour, un homme-chat toxicomane, des savants fous, des politiques qui ne le sont pas moins... Tout y est ou presque, sur fond de structuration d'un régime totalitaire. Eric Omond se fait plaisir, y apposant sa patte en surimpression, distance amusée qui transparaît jusque dans le jeu de mots du titre. Il structure son récit en chapitres, introduisant chacun d'entre eux par des manchettes de journaux engagés, illustrant avec humour son essai de politique fiction. "La voleuse..." est tout aussi riche visuellement. Yoann donne libre cours à son délire graphique dans des pages immuablement découpées en registres, intégrant aussi bien des envolées steampunks que des hommages appuyés aux maîtres du post-impressionnisme. Le résultat est proprement réjouissant, confirmant les deux papas de "Toto l'ornithorynque" parmi les auteurs les plus intéressants du moment.
« Le principe de précaution », T.O.O. 1, de Morvan, Bengal et Kness. Glénat, collection Zenda.

Chaque nouvelle production du prolifique Jean-David Morvan dans le domaine de la science-fiction est analysée, disséquée, répertoriée par les fans, quel que soit le destin de la série. Autant le dire, même ses ratages sont intéressants. Quid de celui-ci ? Dans l'imposante bibliographie de ce chantre de la SF, TOO se positionne en premier abord comme une production relativement classique. Ce premier tome, inévitable mise en place, lui permet de réunir une équipe aux compétences multiples, certes plus proches d’un commando Mission : Impossible trash que de la Communauté de l’Anneau, mais aux compétences aisément identifiables : un flic cybernétique-guerrier, un informaticien-magicien, un journaliste-cambrioleur, une jolie femme protéiforme… dans un contexte de compétition-quête dont l'argument est encore mal perçu. Limiter TOO à ces seules constatations serait cependant malhonnête. Morvan sait insuffler à ses personnages compétences inédites et personnalités aussi tordues qu'évolutives, dans un univers glauque ici proche de la ligne cyberpunk. L'homme maîtrise suffisamment rythme et technique narrative pour capter un lecteur fatalement manipulé. Le graphisme looké manga de Bengal, son complice sur Méka (Delcourt), participe pleinement à l'aventure par son dynamisme, même s'il tend parfois à perdre l'oeil. Il sait cependant restituer les fêlures des différents personnages, soutenu en cela par un traitement de la couleur quasiment exsangue. Une curiosité digne d'intérêt, série en gestation qui ne demande qu'à se révéler, à déguster en attendant le (très) prochain Sillage.
Hanté par Philippe Belhache
« Hanté » de Philippe Dupuy. Cornelius, collection Pierre.

Drôles de carnets de route que cette livraison solo de Philippe Dupuy. Car c'est bien de cela qu'il s'agit, même si le voyage est d'une toute autre nature que d'ordinaire. L'auteur reprend le jogging suite à un rêve dérangeant. Une pratique physique quotidienne qui l'amène à un état d’équilibre que connaissent bien les sportifs, celui qui voit le corps acquérir ses automatismes, l'esprit acquérir une nouvelle ligne. Un état propice à toutes les méditations, laissant l'homme seul face à lui-même. Au travers d'une série de nouvelles graphiques, Dupuy nous entraîne au coeur de ses propres angoisses. Celles générées par un corps dont il reste à l'écoute, mais aussi par ses peurs, ses phobies, les non-dits de l'existence… Tout cela ressort au fur et à mesure d'une course improbable, allégorie de l'existence qui voit l'onirique se cogner au réel, la métaphore à la confession, l'organique au spirituel. Une introspection hantée par la mutilation, la colère, l'âge et la dégénérescence, le handicap, l'impuissance de l'homme face aux coups du destin… ou tout simplement les regrets. Une mise à nu assumée, regard lucide et intellectualisé d'un auteur sur ses propres limites. Un auteur qu'on peut espérer, au final, réconcilié avec les différents aspects de sa personnalité.
Fenêtre sur cours (Les profs) par Philippe Belhache
« Fenêtre sur cours », Les profs 8, par Erroc et Pica, Bamboo.

Le terrain est entièrement balisé pour ce best seller des éditions Bamboo – l'éditeur annonce 200.000 exemplaires en bacs pour ce 8e tome (le deuxième en 2005) et 1,5 millions d'albums écoulés – lancé en fanfare pour profiter dès septembre de l'effet rentrée. Les sirènes du marketing ne sont jamais loin. Mais doit-on pour autant faire le tour ? Pas forcément. Le thème abordé (le lycée) est universel et parle à tous, les personnages ainsi croqués évoquant immanquablement l'un ou l'autre des enseignants qu'on a eu la (mal)chance de croiser au cours de ces quelques années d'une scolarité plus ou moins bien vécue. Les gags ciblés d'Erroc titillent cette fibre d'anciens combattants du second cycle qui sommeille en chaque lecteur. Les gags sont inégaux mais font parfois mouche. Et le graphisme impeccable de Pierre Tranchand, vieux complice de François Corteggiani sur « Marine » ou « Bastos et Zakousky », fait regretter qu'il ait du se retrancher derrière le pseudonyme de Pica pour rebondir professionnellement. Pas de révolution, mais un travail de pros. Et aucune inquiétude sur les ventes.
"L'histoire de Dora Mars", Quintett 1, de Frank Giroud et Cyril Bonin (Empreintes Dupuis)
"L'histoire d'Alban Méric", Quintett 2, de Frank Giroud et Paul Gillon (Empreintes Dupuis)

Frank Giroud serait-il en train d'institutionnaliser sa technique narrative ? Son nouveau polyptyque, " Quintett " reprend le principe initié avec le Décalogue, un album = un dessinateur. L'usage qui en est fait est cependant pertinent. Dans les premiers tomes, Quintett met en scène quatre personnages placés dans un même environnement, appelé à vivre les mêmes événements, mais de leurs points de vue, en fonction de leurs affinités, de leur sensibilité particulière. De fait, " Dora Mars " et " Alban Méric " fonctionnent très bien, le principe d'une parution simultanée permettant d'en savourer immédiatement le sel. Les deux récits se croisent sans se superposer, chacun des deux protagonistes vivant pleinement son histoire personnelle, Giroud distillant dans un album les détails qui peuvent manquer à l'autre. Bonin et Gillon remplissent admirablement le cahier des charges, ajoutant à leur manière, au décalage entre les deux "témoignages". En regard, l'intrigante entame des deux albums, dialogue entre deux hommes invisibles autour d'une énigme centrale peut paraître artificielle, greffe mise en images par Giulio de Vita. Il piège cependant le lecteur, l'obligeant à fouiller les deux albums au-delà du simple récit pour tenter de lire entre les lignes. " Quintett " s'avère à ce niveau plus roublard qu'il n'y paraît, l'ensemble ne pouvant être validé que par le cinquième et ultime album. Le risque de déception n'en est que plus grand. Giroud doit transformer l'essai, en maintenant originalité et cohérence à ce récit polyphonique. L'homme a du métier, on doit pouvoir avancer en confiance.
"En avant toute !", Les nouvelles aventures de Cubitus 1, de Michel Rodrigue et Pierre Aucaigne d'après Dupa. Le Lombard.

Comment qualifier cette reprise d'un des standards de l'humour franco-belge ? Une fois n'est pas coutume, reprenons la définition du dossier de presse des éditions du Lombard : "évolutive sans être révolutionnaire, audacieuse mais respectueuse..." La sentence définit assez bien l'esprit qui préside aux nouvelles aventures du gros chien blanc à son maîmaître créé et animé par Dupa jusqu'à son décès brutal en novembre 2000. L'univers de Cubitus se caractérisait par un humour à froid, à la fois poétique et absurde, dans un univers intemporel aux accords vaguement rétro. L'humoriste Pierre Aucaigne a respecté le cahier des charges en rejouant la partition, affirmant malgré tout sa volonté de voir évoluer Cubitus sur d'autres terrains de jeu : nouvelles technologies, consumérisme, culture TV... Il a su aussi rendre de (très) beaux hommages aux délires du créateur de la série, avec notamment un excellent pastiche d'Harry Potter. Côté graphique, même constat. Rodrigue s'est coulé dans le moule, approchant parfois à s'y méprendre la patte de Dupa. Le style plus volontiers " cartoon " de cet habitué des reprises (Clifton) reprend cependant régulièrement le dessus. Les puristes trouveront sans doute à redire. En attendant, Cubitus semble plutôt bien reparti.
Petite carpe (Marzi) par Philippe Belhache
"Petite carpe", Marzi 1, de Marzena Sowa et Sylvain Savoïa. Dupuis, collection Expresso.

Petite expérience. Ouvrez et lisez Marzi sans faire spécifiquement attention à la préface. Vous trouverez un témoignage plaisant d'une situation sociale qui pourrait être celle de la France de l'immédiat après-guerre. Jusqu'à l'évocation de Jean-Paul II.. qui amène le lecteur à réaliser qu'il s'agit bel et bien des souvenirs d'une jeune femme de 25 ans, d'une évocation de la Pologne des années 80. Autant dire hier. Marzena Sowa et son compagnon Sylvain Savoïa ont choisi d’aborder ce travail autobiographique sous un angle quasi onirique, hors du temps, vie d'enfant vue par des yeux d'enfants. Savoïa a délaissé pour ce faire sa patte réaliste d’Al'Togo pour adopter un style dépouillé, proche de la production jeunesse, à même de renforcer l'aspect surréaliste de l'ensemble. Il s'impose un gaufrier simple, rythme tranquille qui permet de trouver le bon équilibre entre le dessin et une narration gourmande en place. Narration qui fait la part du souvenir idéalisé et de la réalité d'une époque pas si révolue. Le résultat final ? Un objet à part, une alchimie particulière, une approche sensible à laquelle on ne peut être que réceptif.
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