Les 276 critiques de Philippe Belhache sur Bd Paradisio...

Ame rouge (Blacksad) par Philippe Belhache
« Ame rouge », Blacksad 3, par Juan Diaz Canales et Juanjo Guardino, Dargaud.
 
Peut-on ne pas aimer Blacksad ?  Les adorateurs du chat noir rivalisent d'épithètes laudatives sur le dernier opus, les autres fourbissent leurs arguments sans toujours convaincre. Car il est difficile de critiquer cette série phénomène qui a trouvé d'emblée son public. Le graphisme puissant et la mise en scène de Guardino emportent l'adhésion d'entrée, dépassant tout ce qu'il était raisonnable d'espérer en matière de bande dessinée animalière. Il y a-t-il réellement une faille ? Les bémols se concentrent en général sur le scénario de Diaz Canales, jugé par certains trop classique, d'autres estimant qu'il grille trop de cartouches d'un coup. Des arguments que l'on peut entendre. Il faut cependant saluer la belle constance du scénariste espagnol dans la mise en scène de son personnage fétiche. Car à bien y regarder, il revient sans cesse aux mêmes thèmes. Ses récits parlent de grandeur et de déchéance, de corruption du pouvoir, de corruption par le pouvoir, d'honneur et de rédemption. Des valeurs autour desquelles il articule des scénarii solidement ancrés dans l'histoire américaine des années 50, et surtout dans l'imaginaire visuel des pulps de l'âge d'or du polar. Ce troisième tome est à ce titre un Blacksad pur jus. Un récit aussi carré que classique, dans le bon sens du terme. Le seul vrai reproche que l'on pourrait faire à ce récit d'espionnage sur fond de Maccarthysme tient dans le montage final, fait d'allers et retours dans le temps, d'ellipses qui peuvent déstabiliser un lecteur inattentif. Mais c'est peu en regard de la grande qualité de la production, qui fait de Blacksad un des titres les plus fédérateurs de ces dernières années.
Maxime (Belladone) par Philippe Belhache
« Maxime », Belladone 2, par Ange et Pierre Alary. Soleil.
 
Foin de comparaisons avec d'autres séries de catalogues plus nordiques. « Belladone » poursuit son bonhomme de chemin, fiction originale brodée sur l'univers né de la littérature des Dumas, Féval et autre feuilletonistes de cape et d'épée. Et ne boudons pas notre plaisir. Le scénario est enlevé, même s'il souffre du défaut inhérent au feuilleton pur, à savoir qu'il nous emmène du point B au point C alors même qu'on a A dans le dos et que D paraît bien lointain. Mais baste, c'est la loi du genre. Le duo Ange confirme la bonne tenue de la série, affirmant leur tueuse XVIIe comme un prototype de « Nikita » au service secret de sa majesté. Une personnalité double, qui frise parfois la schizophrénie, tueuse sans pitié ni état d'âme un jour, femme fragilisée par ses doutes et sa fidélité en amitié le suivant. Le traitement graphique accompagne pleinement cette évolution. Le trait d'Alary, naturellement dynamique et nerveux, s'accommode tout autant des scènes d'actions que moments plus intimistes, de la profusion des personnages et des intrigues. La mise en couleurs de Patrick Noël, volontairement monotone, dans les bruns orangés - les scènes de nuit et d'intérieur bougie sont légion - contribuent à ficeler le paquet, même si l'on aurait apprécié des contrastes plus marqués. Mais sur ce plan, le Scorpion (argl, toujours lui) nous a donné de bien mauvaises habitudes..
« L'effet Blast », Les nouveaux tsars 2, de Jean-Yves Delitte. Glénat, collection Graphica.
 
Nouvel opus du prolifique Jean-Yves Delitte, dont la régularité (et la vitesse) de production ne laisse pas d'étonner. Le premier tome des Nouveaux Tsars, plongée sans concession dans une Russie rongée jusqu'à l'os par la corruption, où les justes n'ont qu'une probabilité très limitée de survie, avait surpris par sa violence et la crudité de son ton. Le second tome est à l'unisson, même si paradoxalement il arrive plus difficilement à convaincre. Sans doute parce qu'il est plus difficile de suivre les destins croisés des différents personnages, Delitte faisant parfois preuve d'un niveau de machiavélisme proche de la perversité dans leur mise en scène. Si la course du lapin - Youri, l'inspecteur de l'Union européenne - pour sauver sa vie est aisé à suivre, le parcours du Tchétchène Ymir Tcherkenvo est torturé à l'extrême, voire à l'excès. Sans compter l'apparition plus ou moins longue de secondes ou troisièmes lattes aux trognes improbables, invariablement taillées à la serpe dans le même bois. Mais rendons justice à Delitte, le propos reste des plus âpres. Il met à en lumière tout ce que l'âme humaine peut présenter de perversion et de bassesses, pour mener vers un final qui fait froid dans le dos.
« Les larmes d'Isis », Ishanti 1, de Crisse et Besson. Soleil.
 
Il y a-t-il un effet Crisse comme il y a eu un effet Arleston ? Les éditions Soleil semblent le croire, qui orchestrent toute une communication autour de cet abonné des univers fantastiques, avec pas moins de deux nouvelles séries sur le feu, Ishanti et Canari. La première retient l'attention par le traitement graphique, du Crisse pur jus, doté une texture particulière appliquée par Frédéric Besson. Un travail technique et technologique sur les crayonnés du dessinateur dont on ne peut que louer la qualité, l'esthétique étant laissé à l'appréciation de chacun. Que découvre-t-on au delà de cette façade Photoshop ? Un scénario calibré qui joue constamment entre effets réalistes, érotisme soft et fantastique humoristique qui n'est pas sans rappeler les bonnes pages de l'Epée de Cristal, du même Crisse. Les inconditionnels se régaleront. Les autres verront dans cet avatar déluré du Papyrus de Lucien de Gieter un produit formaté mais agréable, amusant par son panthéon peuplé de tocards et quelques références à peine masquées aux dialogues d'Astérix. Mais guère plus.
Shelena par Philippe Belhache
« Shelena », par Jéromine Pasteur et René Follet. Casterman, collection Ecritures.
 
Nouvelle incursion de l'écrivain et exploratrice Jéromine Pasteur en bande dessinée. Un auteur dont les précédentes prestations en la matière, avouons-le, n'avaient pas laissé un souvenir impérissable. La descendante de Louis Pasteur, ardente militante de la cause des indiens Ashawinkas, joue cette fois à coup beaucoup plus sûr, avec cette adaptation de son roman « L'enfant qui rêvait le monde ». Une adaptation réalisée par le vétéran René Follet, qui entre ainsi au catalogue Casterman par la porte « Un monde ». La patte de ce grand monsieur de la bande dessinée contribue au succès de l'entreprise. Même dégraissé par ses soins d'un grand nombre de passages, « Shelena » reste un roman adapté en bande dessinée, avec ses inévitables lourdeurs de narration et ses transitions difficiles à négocier. Une réalité d'autant plus incontournable qu'elle s'applique au destin d'une famille sur trois générations, le personnage titre ne faisant son apparition qu'à mi-parcours. L'art de René Follet fait malgré tout merveille, et excelle à donner une âme à ce drame exotique mêlant histoire et utopie naturaliste, onirisme et tradition vaudou dans une Amérique Centrale à la charnière des XIXe et XXe siècles.
Japon par Philippe Belhache
« Japon », collectif de dix-sept auteurs, Casterman, collection Écritures.

Un ouvrage thématique collectif sur le Japon chez Casterman ? La démarche est sympathique et encore trop rare chez les « majors », même si elle n'a plus rien de révolutionnaire. L'éditeur belge prête son label de prestige à cette initiative portée et coordonnée par Frédéric Boilet. Les instituts et alliances françaises au Japon se sont groupés pour permettre à huit auteurs européens de séjourner au Japon, et de croiser leur regard avec les auteurs du cru le temps d'un ouvrage commun. « Japon » regroupe ainsi huit regards européens et huit commentaires japonais sur le pays du Soleil levant, avec pour lien relativement libre - fiction ou documentaire - de parler du lieu qui les accueille. Les auteurs retenus ? Des représentants de la nouvelle garde française d'une part, leurs homologues japonais - dont plusieurs membres de l'initiative Nouvelle manga - de l'autre. Mais pas uniquement, le duo Schuiten et Peeters, ainsi que Jiro Taniguchi viennent compléter l'effectif en vétérans. Le résultat est en tout logique (et heureusement) très éclectique, compilation de sensibilités s'exprimant sur ce qui leur est familier ou totalement étranger. S'en ressentent le profond attachement des Japonais aux lieux et à leur histoire. Et le décalage ressenti par les occidentaux, même si aucun ne succombe réellement au syndrome « Lost in translation ». Fascination pour l'Orient pour certains, pour les Orientales pour d'autres, convergence des regards sur le fantasme un rien fétichiste de la jeune Japonaise en jupes courtes et bottes hautes.. Chacun y apporte sa sensibilité particulière. Etienne Davodeau, Fabrice Neaud, Nicolas de Crécy et les autres ont su mettre une part d'eux-mêmes, une réelle valeur ajoutée, dans cette découverte d'un pays dont le pouvoir de fascination reste intact.
Antoine des tempête par Philippe Belhache
« Antoine des tempêtes », de Luis Duran. Rackham.
 
Bel objet que cet album de plus de cent cinquante pages, nouvelle étape de l'exploration par les éditions Rackham des catalogues hispanophones. « Antoine des tempêtes » est un récit inclassable déroulant la courte vie d'un jeune homme tombé par hasard dans la piraterie, et qui ira au bout de la logique de cette vie qu'il n'a pas choisie. Un récit poétique au rythme indolent et mélancolique qui alterne réalisme et onirisme, tranches de vie et comptines enfantines... perdant le lecteur dans une narration sans but précis. Luis Duran retombe cependant tranquillement sur ses pieds, transformant cette fable tragique et mystérieuse en parabole sur le destin et la fatalité. Le caractère intemporel de l'ouvrage est appuyé par le graphisme stylisé très contemporain de ce jeune auteur espagnol. Lequel s'est fort justement vu primé lors du festival de Barcelone en 2004.
« Sur la piste des dragons oubliés », d'Elian Black'Mor. Editions Au bord des continents.

Ce n'est pas à proprement parler de la bande dessinée, mais pourquoi ne pas s'arrêter de temps en temps sur un bel objet ? « Sur la piste des dragons oubliés » est un recueil d'illustrations, habilement regroupées par son auteur. Habilement, car elles se présentent sous forme d'un carnet de voyage, mi-naturaliste mi-onirique, retraçant les errements d'Elian Black'Mor dans les paysages sauvages de la Bretagne du début du 20e siècle. Les carnets de croquis du voyageur s'intègrent à de splendides recréations de dragons de toutes sortes, le tout mis en page de très belle manière par un éditeur qui n'en est pas à son coup d'essai. La maison d'édition bretonne « Au bord des continents » ouvre en effet son catalogue à toutes sortes d'ouvrages illustrant les différents pans de la tradition celtique, sans pour autant se prendre trop au sérieux. Cela va du « Petit précis de cuisine elfique » au « Grand livre des korrigans » en passant par une « Grande tambouille des lutins » signée René Hausman. « Sur la piste des dragons oubliés » y trouve tout à fait sa place. Tout comme dans nos bibliothèques, malgré un tarif un peu dissuasif.
« La vengeance du Comte Skarbek », tome 2, par Yves Sente et Rosinski, Dargaud.
 
Souvenez-vous, c'était il y a un peu plus d'un an et demi. Les exégètes glosaient sur l'inspiration d'Yves Sente et les inévitables comparaisons de cette « Vengeance du Comte Skarbek », annoncée comme la première grande création du directeur de collection du Lombard et repreneur de Blake et Mortimer, avec « Le Comte de Monte Christo ». Faudra-t-il admettre aujourd'hui que nous sommes tombés dans le piège d'un auteur bien plus retors et maître de son récit qu'on ne pouvait alors l'imaginer ? Sans doute. Car dans ce second (et dernier) volume des aventures du Comte Skarbek, Yves Sente renverse la perspective que l'on pouvait avoir du récit, y compris dans la relation qu'il entretient avec l'oeuvre de Dumas. Un art de manipuler le lecteur qui évoque finalement plus le Maurice Leblanc de « 813 » que le romancier de référence de l'album. Bref, ce dytique au final inattendu justifie l'inscription du quatrième de couverture, qui vante désormais Yves Sente comme un « scénariste créateur » et non plus seulement comme un « scénariste repreneur ». Grzegorz Rosinski, pour sa part, n'a plus grand chose à prouver, sinon à lui-même. Cette nouvelle incursion hors Thorgal était pour lui l'occasion, comme à l'époque du « Grand pouvoir du Chninkel » de s'évader dans d'autres modes d'expression graphique. Ce diable de Polonais y fait preuve de la puissance d'un art qui fait fi de la précision au profit de l'évocation, et d'une approche de la couleur qui prouve une nouvelle fois que l'informatique ne peut tout faire. Chapeau bas.
Souviens-toi (Frontière) par Philippe Belhache
« Souviens-toi ! », Frontière 1, de Rodolphe et Bertrand Marchal. Le Lombard, collection Polyptyque.
 
Nouveau titre dans le catalogue de la très inégale collection Polyptyque, « Frontière » marque un point par un scénario intrigant. Un homme a priori sans histoires se retrouve poursuivi par cette phrase, « Souviens-toi ! », assailli soudainement de souvenirs qui semblent lui appartenir, dont celui de sa propre mort. La suite des événements lui fait douter de la réalité. Difficile de donner plus de détails sans écorner le suspense d'un album qui tient sur une mise sous pression du personnage principal et une montée en tension progressive. Si ce n'est que ce scénario futé fait appel à un mélange de réel et de virtuel plutôt bien dosé. Le trait de Bertrand Marchal, visiblement aux ordres, peu aidé par une mise en couleur minimaliste, aurait cependant gagné à s'affirmer, à devenir moins anonyme. Mais globalement, cet album d'ouverture se montre digne d'intérêt. Mais la bonne idée de « Frontière » étant éventée en fin de récit, Rodolphe saura-t-il capter de nouveau l'attention ?
« C'est du joli ! », Le petit Spirou 12, par Tome et Janry. Dupuis.
 
On voudrait bien se dire que le plaisir est intact, que chaque album se lit avec des yeux neufs. Mais au bout de douze albums que reste-t-il du Petit Spirou ? Rien et finalement, tout. Les gags ont pour une bonne part un air de déjà lu. Mais les auteurs semblent avoir pris pour parti de retrouver leur inspiration des débuts. Celle qui voyait le Spirou « de quand il était petit » évoluer dans des historiettes entre poésie et souvenirs d'enfance. Après un tome 10 à la couverture dénuée d'ambiguïté, et au contenu parfois agressif, le ton est redevenu plus léger, moins volontiers égrillard sans pour autant devenir prude (pour preuve, cherchez la banane !). Les personnages secondaires retrouvent ainsi leur place naturelle dans la narration, et cessent d'être des caricatures d'eux-mêmes. Bref, Tome et Janry, experts en gammes, nous jouent là un air connu et bien maîtrisé (les séances de sport, la prof de math en maillot, les souvenirs de bébé, etc) tout en cherchant de nouvelles veines au filon par l'intronisation de nouveaux personnages, à même de relancer la machine. A ce titre, Grand Mamy Léontine tient plutôt bien la route. Le résultat est plaisant. « C'est du joli ! » devrait fédérer sans trop d'effort un large public. Comme d'habitude, du reste.
« Le mystère des Oghams », Les druides 1, de Jean-Luc Istin, Thierry Jigourel et Jacques Lamontagne. Soleil, collection Celtic.
 
Jean-Luc Istin serait-il l'homme de la collection Celtic ? Ce Breton ne démentira pas, par son plaisir évident à décliner culture et légendes celtiques, entre Merlin, Korrigans et autres contes de Brocéliande. « Le mystère des Ogham », cosigné avec Thierry Jigourel, journaliste spécialiste des cultures celtiques, ne déroge pas à cette ligne. Les deux auteurs ciblent l'époque charnière qui marque la transition entre le druidisme traditionnel et un catholicisme en pleine expansion, dans une Bretagne à l'orée du Moyen-Âge, pour y mettre en scène un polar médiéval sur fond de surnaturel. Et c'est le polar qui surnage, malgré les digressions et la tentation didactique. « Les druides » se lit comme se lirait une enquête du frère Cadfaël ou plutôt un digest du « Nom de la Rose » d'Umberto Eco, l'aspect légendaire en plus. Une analogie que l'on retrouve dans le récit en voix off, les silences, la relation entre Gwenc'hlan et son apprenti, le cheminement de la raison dans un monde de religions… Et peut-être également dans une vague ressemblance physique entre le-dit druide et Sean Connery (période Zardoz, tout de même). Au final, rien de révolutionnaire, mais un album qui peut trouver sa place dans les bibliothèques, quand l'engouement pour les polars historiques justifie la création d'une collection dédiée aux Humanos.
Les chinois (Capricorne) par Philippe Belhache
« Les Chinois », Capricorne 10, par Andréas. Le Lombard, collection Troisième Vague.

Andréas est décidément inclassable. Cet auteur complet reprend les aventures de son héros « grand public » Capricorne là où il l'avait laissé au terme du cycle du Concept. Et en tire un one shot surprenant, presque improbable dans la litanie des aventures de l'astrologue aventurier. Il négocie là un virage radical, le second de la série après « Attaque », qui voit une nouvelle fois Andreas rebattre les cartes sans pour autant toucher à la stature de son personnage principal. Exit les complots mondiaux, les révélations fracassantes, les grandes villes, les dirigeables, les inventions improbables issues de l'imaginaire fertile de cet auteur imprégné des récits fantastiques des années 20. Exit même (momentanément) Astor et Ash Grey. L'homme centre son récit sur un drame rural traité en huis clos, confrontation entre deux familles isolées dans les campagnes après la disparition du Concept. L'arrivée de Capricorne agit comme un catalyseur, brisant un équilibre fragile induit par une situation sclérosée. A se demander même s'il était réellement indispensable d'intégrer ce récit à la série, le personnage titre étant réduit au simple rôle de témoin, impuissant à influer sur les événements. Cette réserve mise à part, ce dixième opus conserve toutes ses qualités. Il apporte peu à la mythologie du personnage, mais vient conforter s'il en était besoin le crédit d'un auteur qui a su imposer au cours des ans un style fort et personnel.
« Le trésor du temple », Le Scorpion 6, de Stephen Desberg et Enrico Marini. Dargaud. 

Soyons clairs. L'annonce d'une fin de cycle ne signifie pas que le Scorpion en finit avec son ennemi juré Trebaldi, ni même avec les grandes familles. Elle signale simplement la conclusion de l'incursion moyen-orientale du héros créé par Marini et Desberg, dans sa quête de la croix de l'apôtre Pierre. Qu'importe, les ingrédients qui ont fait le succès de la série sont bien en place. Maître de son récit, Desberg dévoile quelques-unes de ses cartes, resserrant les options de son héros. Malgré quelques facilités (le Scorpion résout pour vous toutes les énigmes en deux cases chrono, quel talent !), il arrive encore à surprendre (j'ai perdu un pari au passage) et à relancer l'intérêt dans le cadre étroit d'une intrigue archi-calibrée. Le graphisme somptueux de Marini n'appelle plus aucun commentaire, par crainte d'excès dans l'usage des superlatifs. Les deux compères remplissent haut la main leur contrat en livrant avec ce sixième opus un divertissement de (grande) qualité. Reste aujourd'hui à relancer la machine en évitant la baisse de rythme. Certains feuilletons – on pense très fort à XIII – n'ont jamais complètement retrouvé les niveaux atteints en cours de premier cycle. A suivre.
Crazyman par Philippe Belhache
« Crazyman », par Edmond Baudoin. L'association, collection Ciboulette.

Il est surprenant de voir certains thèmes sortir de l'ombre pour titiller simultanément tout un tas d'artistes plus ou moins inspirés. Et encore plus curieux de voir Edmond Baudoin, lequel appartient indubitablement à la première catégorie, s'emparer de la vie privée des supers héros. Mais pourquoi pas ? D'autant que l'homme fait mouche, comme d'habitude quand il s'amuse, prenant le contre-pied de la démarche classique. Crazyman est un Superman type qui obéit à une ligne stricte, défenseur de la veuve et de l'orphelin (américains si possible), amoureux transi de sa consoeur journaliste fringuée en simili-Loïs Lane. Et qui remet un jour cette ligne en question. Son bilan ? L'homme comme le héros est passé à côté de sa vie (il est encore puceau), passé à côté des vrais enjeux.. Et apprend à ses dépends les limites d'une vision par trop simplifiée et manichéenne de l'héroïsme. La femme de ses rêves, arriviste et cynique, s'envoie en l'air avec des ados tandis que lui-même se met en quête d'une identité qui ne soit pas factice. Un auteur voué au simple culte de l'american way aurait joué la carte de la reconstruction à la mode Spiderman, le héros prenant le pas sur l'homme, l'amenant à affronter ses responsabilités. Baudoin lui impose au contraire de se déconstruire. Paul fait ainsi l'apprentissage de lui-même et des autres, se confrontant aux individus et aux mythes, aux intégrismes et au relativisme. Pour finalement se délivrer de sa propre aliénation et devenir enfin un homme. L'auteur s'amuse de plusieurs niveaux de lecture, jouant du réel et du virtuel, s'offrant même au passage une rencontre comics-manga bien plus convaincante que l'ersatz pondu quelques semaines plus tard par un Uderzo en panne de matière. Du très bon Baudoin.
« Les années Jean-Paul II », Collectif Charlie Hebdo, Hoëbeke BD.

Âmes pieuses et/ou sensibles s'abstenir. S'avouant peu inspirés par le personnage de Benoît XVI, les caricaturistes de Charlie Hebdo ont décidé de faire un dernier « hommage » à Jean-Paul II, dont les différentes prises de position, au cours d'un pontificat fleuve, ont très largement contribué à alimenter les pages de l'hebdomadaire satirique. L'ouvrage édité par Hoëbeke est une compilation des coups de boutoir portés par ces plumes trempées dans l'acide contre les dogmes édictés par le Vatican, dessins politiques et polémistes, humoristiques ou scatologiques, sacrifiant à tous les degrés d'un humour allant du plus fin au plus douteux. L'actualité du Pape est littéralement passée à la moulinette façon, Charlie, approche d'un anticléricalisme assumé qui ne laisse guère de place au mot concession. Les amateurs adoreront, quand bien même l'effet d'accumulation peut parfois être nuisible. Les admirateurs du pape décédé auront eux tout à gagner à faire le détour.
La loi du dollar (Largo Winch) par Philippe Belhache
"La loi du dollar", Largo Winch 14, de Francq et Van Hamme. Dupuis, collection Repérages.

On dira ce qu'on veut de Jean Van Hamme, l'homme reste un pro, qui a écrit quelques-unes des plus belles pages du récit d'aventure grand public, en digne successeur de Greg ou même de Charlier. Cette nouvelle mouture de Largo Winch démontre qu'il n'a pas perdu la main. Pas de grande surprise dans ce quatorzième opus, mais la conclusion d'une intrigue solidement charpentée amorcée avec "Le prix de l'argent", qui permet en sous-main à JVH de faire évoluer ses personnages en douceur. Le principe du diptyque, également adopté avec Lady S., semble bien convenir à ce narrateur d'expérience, qui ne se lasse pas de dénoncer les dérives de la haute finance, milieu qu'il a fréquenté comme fondé de pouvoir d'un grand groupe dans les années 70. Il se donne l'espace nécessaire pour une narration assez bavarde, suffisamment émaillée d'action pour faire passer la pilule. Le plaisir de lecture est réel, même si le propos idéaliste du milliardaire au grand coeur est parfois un peu confit dans le marshmallow. Mais baste, il en prend plein le gilet comme de juste, et le retour annoncé des "Trois yeux des gardiens du Tao" ne devrait pas arranger ses affaires. Et j'avoue, Monkey Balls me fait toujours hurler de rire. Du JVH comme on l'aime. Et comme le veut l'adage, il n'y a pas de mal à se faire du bien.
Nature humaine (Sillage) par Philippe Belhache
«Nature humaine», Sillage 8, de Jean-David Morvan et Philippe Buchet. Delcourt, collection Néopolis.
 
Doit-on obligatoirement comparer Sillage et Valérian ? Si l'on doit retenir un pont commun, c'est la capacité des auteurs à changer de ton et casser le rythme de la série pour aborder les sujets qui les préoccupent. Quitte à surprendre, à déstabiliser ou à décevoir. Ce huitième opus obéit à la règle. Après un «QHI» largement ouvert à l'action, Morvan recentre la série sur le personnage de Nävis, sur sa psychologie. Ce conteur SF aime à faire de son héroïne le témoin privilégié d'événements susceptibles de la faire progresser, tout en faisant passer en douceur son propre message, l'expression de ses propres préoccupations. Le terrain de jeux de JDM est moins ici la nouvelle planète à explorer que Nävis elle-même. Il avait fait de cette naufragée de l'espace une adolescente espiègle et indépendante, aux réactions excessives et un peu outrées. Il gère aujourd'hui le passage de son héroïne à l'âge adulte. Par l'apprentissage de la douleur, l'écoute de l'autre, la confrontation à son rêve de rencontrer des humains. Il fait là le joli portrait d'une jeune femme qui se cherche, doute d'elle-même et de son image, minée par son besoin d'intégration, son désir inconscient de trouver une tribu, ou pour le moins une famille. Jusqu'à ce qu'elle soit rattrapée par ce qu'elle maîtrise le mieux, l'action et la prise de décision dans l'urgence. Une approche qui éclipse presque la rencontre avec les humains, sur laquelle les fans avaient fondé beaucoup d'espoirs. Cette dernière ne semble devoir servir que de catalyseur des émotions de Nävis, même si elle permet à Morvan de brosser un portrait certes rapide, mais pertinent d'une communauté isolée, quasi-sectaire, faussement libre, minée par la drogue. Ce faisant, il ouvre des pages plus aérées qu'à l'accoutumée à un Philippe Buchet toujours inspiré et visiblement décidé à explorer toutes les facettes du visage, du regard d'une héroïne tourmentée et déjà plus mûre. On pourra toujours gloser sur les choix de Morvan, sur sa propension à multiplier les messages entre quarante-quatre pages visiblement trop étroites, «Nature Humaine» reste un Sillage à part entière. Et plutôt réussi.
La tarentule (Travis) par Philippe Belhache
«La tarentule», Travis 7, de Christophe Quet et Fred Duval. Delcourt, collection Néopolis, label série B.
 
Alors là, pardon. Pour ceux qui avaient perdu le contact avec cette série d'anticipation depuis la fin du cycle des Cyberneurs, il y a aujourd'hui «La Tarentule». Fred Duval avait déstabilisé les aficionados en montant en doublette un épisode de Travis plus «terrien», plus humain, moins directement chahutée (6.1) et un spécial Nyrki déroutant, hyper violent, avec un dessinateur du sérail, Ludwig Alizon (6.2). Il revient aux fondamentaux de ce qui reste un techno thriller de grande classe avec ce nouvel opus qui réunit les deux faces du miroir. Et le résultat est tout simplement (d)étonnant. Duval retrouve son équilibre narratif, la maîtrise de personnages dont il cerne mieux l'évolution.. et surprend à nouveau, tout autant qu'il piège et manipule le lecteur dans une intrigue à la progression implacable. Sans même parler du final d'un cynisme consommé. Les héros sont fatigués, et ne sont pas toujours infaillibles. Travis revient au top, servi par un Quet qui remplit admirablement le contrat. L'affaire de l'épisode 6 prouve une fois de plus que le succès d'une série procède d'une alchimie particulière, dont on ne peut changer les ingrédients sans risque. Les auteurs ont repris la main, emmenant les personnages là où on ne les attendait pas. Que demander de mieux ?
Période glaciaire par Philippe Belhache
"Période glaciaire", de Nicolas de Crécy. Futuropolis & Musée du Louvre.

Ce nouvel opus de Nicolas de Crécy était attendu à double titre. Pour l'auteur, d'abord, qui emporte ou déroute, mais laisse rarement indifférent. Mais aussi la collaboration inédite et pour le moins inattendue entre Futuropolis et le Musée du Louvre. Et le résultat est surprenant. Nicolas de Crécy y présente les atermoiements d'une équipe d'archéologues du futur, après une nouvelle ère glaciaire, à la recherche d'une mythique "agglomération". Une petite troupe vierge (ou presque) de toute culture du passé, qui va tomber rien moins que sur les collections du Louvre et tenter d'en déduire ce que pouvait être la vie des peuples qui les ont précédés. Les membres de l'équipe se heurtent à l'inconnu, à un passé qu'ils ne peuvent qu'imaginer en fonction de leurs connaissances ou de leur culture. Une démarche somme toute similaire à celle de préhistoriens confrontés pour la première fois à des peintures pariétales - l'ethnocentrisme en plus - qui pose les limites du travail d'interprétation du chercheur. Et illustre la philosophie du doute raisonnable, un archéologue posant une hypothèse sachant qu'elle peut toujours être remise en cause par de nouvelles découvertes. Nicolas de Crécy impose à la démarche son imaginaire, son humour décalé, son amour pour les personnages bizarres, un poil monstrueux mais attachants. A l'image de Hulk, le chien-cochon traquant l'histoire comme d'autres la truffe, grand misanthrope baptisé du nom d'un dieu de l'ancien temps (sic). Ou même des collections du Musée, plus bavardes et animées qu'un portrait de famille chez Harry Potter. Graphiquement, le travail est superbe, bien que contraint par un découpage finalement très sage. Un bémol qui ne perturbe cependant pas la lecture de cet album bourré de qualités.
20 précédents - 20 suivants
 
Actualité BD générale
Actualité editeurs
Actualité mangas
Actualité BD en audio
Actualité des blogs des auteurs
Forum : les sujets
Forum : 24 dernières heures
Agenda : encoder un évènement
Calendrier des évènements
Albums : recherche et liste
Albums : nouveautés
Sorties futures
Chroniques de la rédaction
Albums : critiques internautes
Bios
Bandes annonces vidéos
Interviews d'auteurs en videos
Séries : si vous avez aimé...
Concours
Petites annonces
Coup de pouce aux jeunes auteurs
Archives de Bdp
Quoi de neuf ?
Homepage

Informations légales et vie privée

(http://www.BDParadisio.com) - © 1996, 2018 BdParadisio