"Ce qui est précieux", Le combat ordinaire 3, de Manu Larcenet. Dargaud.
Toujours soucieux de l'accueil de ses oeuvres, Manu Larcenet s'avouait un peu inquiet de la sortie de ce tome 3 du "Combat ordinaire", l'enjeu étant de ne pas introduire de fausse note dans une série qui a tout de suite trouvé son public. Et un succès populaire qui, aux dires même de l'auteur, l'a "un peu dépassé". Il aurait tort de s'en faire. "Ce qui est précieux" marque de fait une évolution nette dans le déroulement de cette très belle série. Le ton est plus sombre, plus intimiste, marquant le nécessaire travail de deuil du personnage principal - Marco - après le suicide de son père, atteint de la maladie d'Alzheimer. Un travail sur la mémoire et les relations père-fils - "Savoir enfin ce que je suis passe à coup sûr par comprendre ce qu'il était..." - qui accompagne de nouvelles étapes de sa vie, à savoir l'élaboration d'un livre et le désir de maternité de sa compagne Émilie. Manu Larcenet poursuit l'élaboration de ce qui reste pour l'heure son oeuvre la plus aboutie, abordant ainsi nombre de ses thèmes de prédilection : la maladie, la mort, la mémoire, la paternité... Il explore les angoisses de Marco, l'interroge, le pousse dans ses retranchements... Et sans en avoir l'air, explore les réactions de chacun au décès d'un proche, entre l'autodestruction révoltée du frère, la dignité solitaire de la mère, ou même la sagesse ouvrière de Pablo, le camarade de chantier du père. Le graphisme suit la même ligne. Larcenet rompt en partie avec le parti des origines, pour tendre vers plus de réalisme, de maturité dans l'expression. Les principaux acteurs de ce Combat ordinaire prennent de l'épaisseur, de la consistance. Les traits de Marco se font plus durs, plus tranchés... L'auteur travaille sur le cadrage, sur les visages, accompagnant graphiquement le cheminement intérieur souvent douloureux de ses personnages. Ce tome 3 aborde l'importance des petits riens, de "ce qui est précieux" pour chacun d'entre nous, de ce qui définit et nous caractérise. Il touche aussi et surtout, avec beaucoup de finesse, au thème de la solitude, de l'angoisse du vide liée à la perte de la foi en l'avenir. Et à la difficulté pour chacun de sortir de cet enfermement pour finalement (ré)apprendre à vivre. Un tome lui aussi précieux.