Les 129 critiques de Jean-Marc Lernould sur Bd Paradisio...

Englewood (H.H.Holmes) par Jean-Marc Lernould
"Englewood", H.H .Holmes 1, de Fabuel et Le Henanff. Glénat.

Et si Jack l'Eventreur avait pris la tangente vers les States ? Théorie plausible puisque l'on a jamais pu tirer l'écheveau de cette pelote de laine meurtrière et sanglante. "Je suis né avec le démon en moi" prévient le pseudo médecin british qui a quelques problèmes pour réprimer ses pulsions meurtrières, et la boucherie commise à Londres sur Mary Jan Kelly, prostituée de son état, va hâter le départ du criminel et de son homme à tout vers pour les Etats Unis en 1888.

Le dessin glauque et lugubre, presque uniforme dans ce marron-sépia accompagne le "héros" dans ce périple tragique vers un Chicago en pleine reconstruction (ce qui fera les affaires de notre criminel également doué pour l'escroquerie) et Scotland Yard cède le pas devant les limiers de l'agence Pinkerton qui assurent d'excellents seconds rôles, dont un cow-boy macho et une secrétaire très féministe. C'est également l'occasion de plonger dans une période américaine très "struggle for life", impitoyable pour les laissés pour compte (cela a-t-il bien changé ?).

Le dépassement des cadrages propose une lecture agréable et expose un moment de l'histoire américaine peu traitée. De grandes planches aèrent le récit qui se veut très sobre quant aux dialogues : les auteurs ont su trouver l'alchimie parfaite pour faire de ce qui n'aurait pu être qu'une trame classique une sacrée belle originalité.

PS : les critiques sur un dessin mal maîtrisées sont consternantes. Une bonne ambiance vaut mieux qu'un ordinateur dernier cri.

L'indice du jour :
"Au fait, à qui sont ces vêtements
cachés dans la cave"
(L'étau se resserre..)
"Le Serment Dakoïd", "Kookaburra Universe" tome 6 de Mitric et Peru. Soleil.

Le tome 6 d'une saga de space opéra est-il soluble dans la critique ? Yes mister car "le Serment Dakoïd" issu du monde de Crisse peut se lire comme un "one-shot" et sans trop avoir de besoin de références au fameux univers de Kookaburra développé par Crisse. C'est ce qu'on appelle déléguer, avec un focus sur quelques personnages, cette fois sur le monde guerrier des Dakoïds.

"Le Serment Dakoïd" servira aux fans à élargir ce big-bang imaginé par Crisse et aux néophytes à se frotter avec un conflit entre mâles et femelles du peuple le plus redoutable de l'espace. Et peu importe les années lumières, ces demoiselles en ont plus qu'assez d'être confinées dans une espèce de hammam géant et de satisfaire les guerriers de leur espèce, mais la révolte aura de sévères conséquences (comme quoi le machisme survivra à la fin du monde..). La prise de conscience sera cependant irréversible.

L'ensemble de l'album se tient parfaitement, bien que le genre demande une respiration plus large (un dessin vertical et central écartelé entre des pages 18 et 19 n'a pas de sens visuel), le dessin et les couleurs des frères Péru méritant davantage de place que ces petites vignettes. Mais on ne peut pas toujours demander la Lune.

La Fantasy du jour :
"J'en ai marre
de voir vos tronches de nazes !"
(Trois cases après il meurt..)
Tue-moi à en crever par Jean-Marc Lernould
"Tue-moi à en crever", de David Lapham chez Delcourt.

Le titre ne laisse aucune place au doute : noir c'est noir.. Ce roman graphique de l'Américain David Lapham, d'ailleurs en noir et blanc, ne voit pas vraiment la vie en rose .. pour le plus grand bonheur des amateurs de polars. Le dessin de couverture annonce le côté obscur de Lapham : deux jambes suspendues dans le vide, une chaussure qui manque. Mort violente. Eve, la riche femme du pianiste Steven, a décidé d'en finir avec la vie, ce qui va sérieusement compliquer la vie du nouveau veuf harcelé par le privé embauché par la belle famille, accusé de meurtre, traqué par les paparazzis et dénigré pour une liaison avec une ex-amie du lycée qui va bientôt occuper le rôle central de l'histoire en imposant au lecteur le très classique et efficace dilemme : ange ou démon ? L'engrenage fatal se met peu à peu en place et rares seront les protagonistes qui survivront à ces quelques 240 pages très drues. Une descente aux enfers dont Lapham (qui a reçu un Eisner Award, récompensant les comics) affiche clairement les influences ; à savoir les films noirs des années 30 à 50 : "Ils étaient capables de tout véhiculer. La sobriété était changée en subversion. La véritable horreur laissée à l'état brut pour bouillonner dans nos mémoires." Et l'hommage est superbe.

Le dernier jour :
"Pardonne-moi,
mais je ne peux plus continuer.
Ce monde ira beaucoup mieux sans moi"
(Une phrase apocryphe attribuée à Eve)
Seule contre la loi (Mysteries) par Jean-Marc Lernould
"Seule contre la loi", "Mysteries" tome 1 de Seiter et Wagner. Casterman.

Ce premier volume séduira surtout les inconditionnels des ambiances "so brittish" puisque la série est adaptée de "Seule contre la loi", un roman victorien de Wilkie Collins. Cette histoire de lourd secret qu'un homme, qui vient de se marier, ne veut pas livrer à sa jeune épouse, n'est pas sans rappeler "Rebecca" de Daphné du Maurier moins enlevé, certes, que la version du film d'Hitchcock). Valeria, dont elle ne sait plus finalement quel est le vrai nom de son mari, devra faire preuve d'une ténacité exemplaire dans l'Angleterre de 1875 afin d'innocenter son époux. Le dessin de Vincent Wagner et le scénario de Roger Seiter (auteur de la série Fog) sont bien léchés mais on conseillera essentiellement cet album aux fans de la reine Victoria.

La compassion du jour :
"Dieu m'est témoin,
mon enfant, j'ai pitié de vous
du fond du coeur !"
(La tirade la plus rigolote de l'album)
80 jours par Jean-Marc Lernould
"80 jours" de Guéret et Vadot. Casterman.

Le moins que l'on puisse dire; c'est qu'Olivier Guéret a pondu un scénario des plus originaux et de surcroît magnifiquement servi par le trait et les couleurs de Nicolas Vadot. Le postulat de départ : un grabataire de 80 ans se met à rajeunir d'un an par jour au contact de son aide soignante, la ravissante Juliette. Une aubaine pour celui qui peut repasser du lit au fauteuil roulant puis à la simple canne avant de pouvoir jogger comme un gamin. Les auteurs décrivent par petites touches cette mutation progressive, une aubaine au début, puis le malaise s'installe car dans un sens comme dans l'autre, les jours et les années sont comptés. A l'humour de retrouver la vie sous un jour nouveau (ah, si on avait de nouveau 20 ans !) succède le syndrome de "l'Homme qui rapetisse" : jusqu'où cela va-t-il s'arrêter ? Et quid des nouvelles relations ambiguës qui s'instaurent entre Edmond et Juliette, qui finissent par avoir tous les deux 35 ans le même jour ?

Un vertige superbement traité par le dessin mais aussi par les couleurs de Nicolas Vadot qui passe d'un vert étrange à des bleus profonds, d'un trait crayonné à une netteté étincelante. Ce compte à rebours sera-t-il une fin ou une renaissance ? La réponse à la fin de ce one-shot dont l'une des séquences les plus hallucinantes reste cette DS rouge en flammes, suspendue à un fil et qui fonce droit dans le mur. Pas comme cet album en tous cas.

A signaler que Vadot et Guéret ont déjà travaillé ensemble sur la trilogie "Norbert l'Imaginaire".

La gourmandise du jour :
"Puisque mon âge change tous les jours,
c'est donc tous les jours mon anniversaire.
Par conséquent je m'offre tous les jours
Un gâteau d'anniversaire"
(Edmond a un faible pour les Saint-Honorés)
L' Archifou (Double Masque) par Jean-Marc Lernould
"L'archifou", "Double Masque" tome 3 de Dufaux et Jamar. Editions Dargaud.

Nous allons commencer par un bémol : le scénariste Dufaux est un ton en dessous par rapport à sa série "Murena" dont le tome 5 paraît simultanément chez le même éditeur Dargaud. Le trait de Jamar, quant à lui, qui a déjà dessiné "les Voleurs d'Empire" avec Dufaux, reste convaincant. Par contre, Dufaux traite son sujet par dessous la jambe en mélangeant du Vidocq avec du fantastique tout en malaxant un doigt de Napoléon premier consul avec l'intimité de quelques intrigantes que ne renierait pas Mata Hari. Revenons à Vidocq qui n'apparaît pas dans ce troisième tome mais dont le double transpire via "la Torpille", escroc à la belle gueule, ce qui emmêle justement le contexte historique puisqu'on tombe dans un nid d'espions dont le ministre-flic Fouché, imputrescible, qui a survécu à moult régimes (Révolution française, Consulat, Empire puis royauté) tire son bas de laine.

On ne sait pas si c'est "Murena" qui déteint mais Dufaux rentre une fois de plus dans le monde de l'homosexualité masculine qui n'apparaît pourtant pas comme un tournant de la Révolution ou de l'Empire français à naître au début du XIXème siècle. La première des libertés est d'aimer qui on veut. Apparemment, il est plus facile de dénuder des esclaves romains que des dandys du XIXème siècle.

Le gynéco du jour :
"Le mari doit coucher
à gauche de sa femme
et soulever la fesse droite de cette dernière
pour que sa hanche forme un angle de 25 à 30°
avec le plan du lit".
(Non chéri pas ce soir j'ai la migraine) (1)

(1) Rappelons que les citations du jour sont issues des albums chroniqués.
Secret (Le Clan des Chimères) par Jean-Marc Lernould
"Secrets", "Le Clan des chimères" tome 5 de Corbeyran et Michel Suro. Delcourt.

On n'en finit pas avec la saga des stryges, un univers mené par Corbeyran en trois séries : "le Chant des stryges", "le Maître de jeu" et "le Clan des chimères" dessiné cette fois par Suro. On en est quand même à 18 volumes pour l'ensemble. Ce tome 5 explicite les premiers albums, levant quelques coins d'ombre sur les relations assez spéciales qu'entretiennent ces démons ailés avec les humains. De l'héroïc fantasy pure et dure mise en couleurs par Yannick, bien découpée mais à réserver aux inconditionnels.

La lapalissade du jour :
"Inutile de nous entretuer !
Nous ne sommes pas en nombre suffisant !"
(On peut toujours faire un duel ?)
La déesse noire (Murena) par Jean-Marc Lernould
"La Déesse noire", "Murena" tome 5 par Dufaux et Delaby. Edtions Dargaud.

Enfin le très prolifique Dufaux sort du bois en poursuivant les scénarios de deux très belles séries, à commencer par la saga "Murena" menée avec les dessins superbes de Delaby réhaussés par les couleurs de Jérémy Petiqueux, puis avec le troisième tome de "Double Masque" avec Jamar.

Dieux que les femmes sont belles mais tout autant dangereuses dans la Rome de 62 après JC, où l'on croise l'apôtre Pierre mais aussi un véritable panier de crabes où s'emmêlent les intrigues de cour, les gladiateurs immondes qui n'hésitent pas à faire embrocher vivant un histrion pour nourrir sa panthère apprivoisée, le tout sur fond de folie de Néron qui pète de plus en plus les plombs, victime cette fois non plus de sa mère Agripinne mais de la séduisante et redoutable Poppée dont le visage révèle parfois un aspect démoniaque.

En bon historien, Dufaux cite ses sources, ce qui est rarissime dans la bande dessinée et adjoint comme dans chaque volume un glossaire précieux, n'hésitant pas à admettre qu'il a fallu transiger sur quelques détails pour des raisons techniques (les cochers de la course de char, qui n'a rien à envier à celle de Ben Hur, sont sensés passer les rênes autour de leur taille, ce que n'a pu représenté le dessinateur).

On en voudra certainement pas à Delaby qui est aussi doué pour s'attaquer à l'architecture, qu'aux paysages et aux corps superbes qui hantent cette Ville Eternelle, à la fois "ville gouffre, ville puits, ville marécage aux rues étroites, tordues, suintantes, aux cadavres de chiens aux entrailles répandues". Bref Rome sous l'ère Néron ne sent pas la rose mais respire la cruauté. L'ensemble forme pourtant une très belle leçon d'histoire qui est loin de s'essouffler au bout de ce cinquième tome, prenant même un élan nouveau.

A propos de Dufaux, on peut rappeler la série des "Voleurs d'Empire" avec Martin Jamar, et surtout "Monsieur Noir" avec Griffo, un double volume qui n'est pas prêt d'être égalé tant par le fond que par la forme. Quant aux autres séries du scénariste, les titres parlent d'eux-mêmes : "l'Impératrice rouge" (avec Adamov), "Ombres" (avec Rollin), "Rapaces" (avec Marini). On va s'arrêter là sinon on va faire un roman..

L'amour du jour :
"J'aime bien les prostituées.
Leur art nous sauve de l'ennui
et des froideurs vertigineuses de nos matrones"
(Un Romain qui ferait bien de faire un tour en Allemagne
lors de la prochaine coupe du monde de foot..)
Fatalitas (Chéri-Bibi) par Jean-Marc Lernould
"Fatalitas", "Cheri-Bibi" tome 1 de Bertho et Boidin. Delcourt.

Le Chéri de ces dames est de retour.. L'un des fleurons de Gaston Leroux est en effet passé à la trappe à quelques exceptions près. Il y a déjà eu une BD publiée dans feu le journal France Soir dans les années 50 (1) puis dans les années 70 une série télévisée avec notamment Jean Lefèbvre dans le fameux second rôle de "la Ficelle". Et puis, plus rien jusqu'à ce que le scénariste Pascal Bertho et son compère Marc-Antoine Boidin (ils ont déjà travaillé ensemble sur la série "Kérioth") exhument ce classique et remettent au goût du jour et en trois tomes le matricule 3216 échappé du bagne de Cayenne.

A propos d'échappée belle, Boidin évite l'écueil d'un dessin trop réaliste que l'on voit souvent appliqué dans l'illustration de classiques, et ce, malgré le recours à l'ordinateur. Le trait de Boidin est tantôt anguleux, tantôt tempéré par un bon fondu des couleurs, toujours vigoureux. Dans ce premier opus, Chéri Bibi n'apparaît que peu à peu, qu'il s'agisse de sa jeunesse tragique ou de son rôle dans la révolte des bagnards à bord du navire qui les conduit à Cayenne. Mais les seconds rôles sont là pour nous mener en bateau, de la Ficelle à la mystérieuse Comtesse en passant par le Kanak, autant de sbires et de "tronches" qui amèneront l'herculéen Jean Mascart allias Chéri Bibi vers sa vengeance (il y a du Monte-Christo dans cette histoire..).

On imagine que Bertho, qui fut objecteur de conscience, saura comme Leroux prendre la défense du matricule 3216, et activement puisque le second tome est déjà fixé pour janvier 2007. A noter que les deux auteurs ont également tâté du dessin d'animation dans leur parcours.

Enfin si l'enfer du bagne de Cayenne fut dénoncé dans les années 30 par Albert Londres, n'oublions pas que l'auteur du "Fantôme de l'opéra" et du "Mystère de la chambre jaune" a publié "Chéri-Bibi" dès 1913.

(1) Le site www.pressibus.org propose à la vente cette BD de Regino Bernad, scénarisée par.. Alfred-Gaston Leroux, fils de Gaston.

Le tatouage du jour :
"A Cécily
pour la vie"
(C'est sûr il l'a dans la peau)
Les essuie-glaces par Jean-Marc Lernould
"Les Essuie-glaces", de Edmond Baudoin. Dupuis.

Largement autobiographique, on ne s'étonnera pas que le dernier album de Baudoin soit très pudique. Le livre débute par une conversation improbable sur un quai de gare avec une femme aux yeux magnifiques, car le trait souvent noir et épais du dessinateur sait aussi se faire délicat. On se dit donc d'étranges choses dans un étrange lieu perdu en rase campagne et Baudoin finit par esquisser une tranche de vie au Canada (il fut lui-même professeur de dessin trois ans durant près d'Ottawa). Une histoire de rencontres avec une double narration originale : au bas de chaque planche un bandeau contient un petit texte complémentaire beaucoup plus introspectif que descriptif. On y devine un échec amoureux qui n'est pas renié mais à partir duquel il faut bâtir l'avenir.

Les amis canadiens sont décrits par petites touches : Guy le poète, Violette, Laurence qui "aimait s'en aller à l'écart, marcher seule sur les longues plages", tous réunis pour un étrange voyage en Acadie. Violette dont le beau visage se confond avec la mer tandis que ses cheveux se mêlent aux nuages.

On sait Baudoin maître du noir et blanc mais ses incursions dans le monde de la couleur restent un régal, pour ses paysages suggérés, pour ses portraits qui jalonnent "les Essuie-glaces", troisième volet d'une quête intérieure après "les Yeux dans le mur" et "le Chant des baleines".

Amour toujours :
"Quitter pour pouvoir revivre.
Les Indiens disaient :
Aujourd'hui c'est un beau jour pour mourir."
(Laurence).
"Le Rêveur", "L'Héritage d'Emilie" tome 4 de Florence Magnin. Dagaud.

Florence Magnin sait tout faire et avec brio : scénario, dessin, couleurs.. Le quatrième tome de la saga d'Emilie le prouve encore avec de surcroît un degré supplémentaire franchi dans la maîtrise de la plume et du pinceau. L'imagination de l'auteur lui permet de créer de multiples mondes reliés par de mystérieuses portes : classique mais efficace pour représenter des décors très différents, aussi beaux que variés. On remarquera que la dame prend un soin particulier à dessiner des végétations luxuriantes qui cachent parfois des fruits étranges et qu'elle prend un malin plaisir à exploser les cadres, faisant valser des petites vignettes dans des décors qui s'alanguissent sur des double pages ou en réservant une planche entière à un seul et magnifique dessin (ce n'est pas pour rien que Florence Magnin a dessiné des couvertures de livres de SF ou fantastiques) : une alternance intelligente qui dynamise le récit.

La trame se dévoile doucement mais pas trop dans "le Rêveur". Il ne reste plus qu'un tome à venir pour savoir le fin de mot de l'histoire.

L'espoir un jour :
"J'ai toujours pensé
qu'il ne pouvait pas y avoir
autant d'étoiles et rien dessus !"
(Un rêve du soir..)
"Rendez-vous à Paris", Le Sommeil du Monstre 3, Enki Bilal. Casterman.

On attendait avec impatience la fin d'une trilogie et c'est avec un peu de déception que l'on apprend que ce sera rebelote puisque l'auteur – ou l'éditeur – ne se sont pas résolus à clore en trois actes une histoire merveilleusement commencée avec "le Sommeil du monstre" et suivie par "32 décembre". Comme Tardi pour son "Cri du peuple", Bilal n'a pas su ou pas voulu contenir son épopée et a réclamé des planches supplémentaires au point d'en faire un quatrième album, ce qui engendre pour le tome du printemps 2006 une narration trop délayée (il n'y a que 14 cases dans les 7 premières planches..) alors qu'en cumulant les trois premiers livres, on en est quand même à 200 pages, une possibilité que n'ont pas tous les auteurs.

Il faudra donc patienter une dizaine de mois pour savoir le mot de la fin d'une histoire très complexe qui demande souvent une deuxième lecture pour s'y retrouver entre clones, leurres et complots. Ce qui ne veut pas dire que l'on puisse se passer de cette dernière saga de Bilal qui décortique l'obscurantisme planétaire, prône le métissage (les peaux changent de couleur sans choquer pour autant) et poursuit de façon anecdotique sa vision futuriste du football, un sport très impliqué dans le politico-religieux puisqu'un ex-mafioso rachète une épave de porte-avion qui servira de terrain d'entraînement pour une équipe mixte de joueurs et joueuses de toutes confessions afin de défier les puissantes formations fondamentalistes..

On retrouve évidemment les trois personnages principaux nés dans le même hôpital éventré de Sarajevo en 1993, Nike, Amir et Leyla. Et comme il s'agit finalement d'une tétralogie ajoutons-y Sacha, la petite amie d'Amir.. et un savant-artiste fou, Warhole qui se greffe littéralement sur le ventre de Nike et le dote de fabuleux moyens olfactifs pour qu'il retrouve ses deux compères de maternité (ce qui fait parfois de lui une sorte de chien policier !). Bilal revient évidemment sur l'explosion de la Yougoslavie qui a d'ailleurs été encore amputée du Monténégro cette semaine..

L'obscurantisme reste en ligne de mire de Bilal qui pourtant déteste les snipers. Mais ce "troisième acte reste néanmoins en deçà des deux premiers opus", tant par le scénario trop extensif que par un dessin contemplatif. On ne saurait cependant s'en passer..

Le flair du jour :
"Leyla est bien passée par ici..
Sniiif.. direction terminal 3."
(Nike à quatre pattes dans l'aérogare).
Angela par Jean-Marc Lernould
"Angela" de Vatine et Pecqueur. Delcourt.

Après "Adios Palomita" et "500 fusils", Vatine renoue avec le western chez Delcourt sur le label "Série BD" qu'il co-dirige. Il aura quand même dû attendre la bagatelle de huit années pour que le bonhomme boucle ses planches sur un scénario conçu avec Daniel Pecqueur, mais on ne sent pas trop d'évolution dans le dessin car Olivier Vatine ne s'est pas jeté sur l'ordinateur comme il a pu l'utiliser par exemple pour la série "Aquablue". Restent les couleurs de sa compagne Isabelle Rabarot tendant à harmoniser les premières planches et les dernières.

Le western, Vatine et Pecqueur adorent et ils citent Sergio Léone dont certains plans sont indubitablement inspirés, mais ils évoquent aussi Howard Hawks et John Ford côté cinéma, Hermann et Giraud pour le dessin.

L'ensemble est honnête avec une jeune fille pour héroïne dont on peut dire que sa mère n'est pas un modèle de vertu familiale. On a droit à un audacieux hold-up à bord d'un train où le wagon comprenant l'escorte de l'or est transformé en bordel pour faire diversion. Pas très crédible mais après tout, ça nous change et donne lieu à de très belles scènes panoramiques. Enfin, le crime ne paiera pas pour tout le monde.. Mais la fin laisse la porte ouverte à une suite.

Le boum du jour :
"Papa c'est fait avec quoi la dynamite ?"
"Avec de la nitroglycérine. C'est une belle invention.
Dommage que les criminels l'utilisent pour tuer !"
Angela y réfléchira à deux fois..
"Protecto", "la Genèse" suivie du tome 1 "la Fabrique des mères éplorées", de Matteo et Zidrou. Dupuis.

"La Genèse" est le faux tome un de la série "Protecto", en fait une nouvelle édition intégrale de "Mèche rebelle". On y fait la première rencontre avec la Mort sous les traits de "Madame", aussi séduisante que cruelle et plutôt caractérielle et qui est toujours bien accueillie dans les hôpitaux lorsqu'il s'agit de libérer des lits. Car Madame doit tenir à jour son carnet de route et règle physiquement et radicalement les décès programmés puisque les destins (passé et avenir) sont écrits sur les scriptors, sortes d'ordinateurs portables. On retrouve là la roue du destin chère à Jean Ray. Bien sûr il fallait un pendant à ce mal absolu et c'est la société "Protecto" qui est chargée de faire respecter ce destin en employant d'anciens suicidés en tant qu'anges gardiens des "élites", des personnages clés de l'humanité. Mais l'accord tacite entre le Bien et le Mal peut aussi être.. mis à mal. Quand Madame rate son coup, elle l'a plutôt mauvaise, tout comme l'ange Lorenzo que des sentiments amoureux égarent.

Ce classique aller et retour entre la vie et la mort est servi par un dessin pourtant très réaliste et par un scénario bien tourné puisqu'il n'était pas évident de retomber sur ses pieds, et par un humour très cynique. Le tome un "la Fabrique des mères éplorées" voit Madame poursuivre de sa vengeance la jolie Kim, non sans dégâts collatéraux. A suivre dans le tome deux qui s'appellera tout simplement "Madame".

Le programme du jour :
"Madame m'a promis de résorber
son retard d'ici la fin de la semaine"
(ça sent le souffre..)
Trois artistes à Paris par Jean-Marc Lernould
"Trois artistes à Paris", de Sampayo et Zarate. Dupuis.

Il faut bien deux lectures pour appréhender les arcanes du récit des deux Argentins Zarate et Sampayo, consacré à la genèse de la création mais dont le scénario est particulièrement complexe. C'est la réunion de trois artistes célèbres qui viennent à Paris recevoir une bourse pour leurs travaux : un peintre, maître obsédé par son autoportrait et dont les toiles évoluent au fil de la chirurgie esthétique qui détruit son faciès, un pianiste un peu coincé par son père lui même grand musicien et enfin un écrivain qui se refuse à utiliser certains mots dans ses ouvrages au point d'y avoir gagné une réputation et d'avoir créer un nouveau style. Tous ont un lourd secret dans leur propre processus de création, secret que fera éclater une journaliste, le tout sur fond de chassés-croisés amoureux, de rencontres et de ruptures, avec des personnages de second plan assez frappadingues (cf le détective de l'hôtel, complètement paranoïaque et chargé d'espionner nos trois artistes).

Les citations abondent, argentines bien sûr avec Borgès ou son compatriote Cortazar qui lui aussi a donné dans le fantastique, tout comme le compositeur russe Scriabine imprégné de philosophie hindoue. D'autres références sont plus communes à Sampayo : Tatcher, la dictature argentine, Gorbatchev ou le Liban. Le public parmi lequel évoluent les personnages principaux a également son mot à dire.

Bref, on a là 80 pages et une histoire peu évidente au premier abord, de quoi être un peu "Lost in translation" comme dirait la fille Coppola : raison de plus pour une seconde lecture qui fera profiter de la subtilité des dessins d'Oscar Zarate.

Le diagnostic du jour :
"Je peux vous recommander un expert.
C'est lui qui s'occupe des retouches
D'Alain Delon."
(Encore un docteur Mabuse ?)
"la Dame aux chiens", "La maison aux 100 portes" tome 1 d'Isabelle Dethan. Decourt.

Ce récit fantastique met en scène deux jeunes filles, Théo qui vient d'hériter d'une imposante et inquiétante maison et où la rejoint Claire, copine et colocataire. Une vieille dame qui fait partie des meubles et fait office de cuisinière prépare dans son antre d'autres mixtures moins avouables et ne lâche que par bribe les secrets de cette maison aux 100 portes, certaines plus ou moins cachées mais dont l'une, protégée par d'étranges qui se consument doit empêcher l'entrée de visiteurs d'autres mondes et au drôle de look. Pourtant la redoutable Hécate et l'énigmatique Mathusalem vont forcer cette entrée et utiliser la demeure comme champ de bataille, au grand effarement de Théo et de sa colocataire Claire qui vont devoir résoudre un puzzle pour le moins ésotérique.

Isabelle Dethan change heureusement d'univers bien qu'elle continue en parallèle ses très beaux travaux sur l'Egypte ancienne ("Khetti fils du Nil" est tout frais, réalisé avec son compagnon Mazan, toujours chez Delcourt, avec cette fois l'intention de toucher un lectorat plus jeune que celui qui s'est régalé des "Mémoires d'Horus"). Côté dessin, les filles de Dethan sont toujours aussi craquantes et les cadrages soigneusement diversifiés.

Dans le huis clos de ce premier album on retrouvera quelque chose de l'ambiance fascinante de "Malpertuis" de Jean Ray, en espérant que l'auteur fasse de cette maison un personnage à part entière. Allez savoir ce que les dieux nous réservent..

Le jardinage du jour :
"Que la maison nous protège..
Il me faut des herbes
dès que la lune sera favorable..
On ne sait jamais !"
(Nicolas le jardinier un soir de pleine lune)
"L'île aux démons", "Lune d'ombre" tome 3 de Sylviane Corgiat et Christelle Pecout, aux Humanoïdes Associés.

On n'arrive guère à s'emballer avec ce troisième album, guère plus trépidant que les deux premiers qui voient belle Andalouse Soledad se faire pirate pour venger la mort de son enfant. Enfin elle y parviendra ce qui est toujours ça de pris mais les tribulations qui se déroulent vers la fin du douzième siècle au large de la Syrie et la moitié du temps sur des bateaux à échapper aux vizirs et autres forbans ne passionnent guère malgré des intrigues subsidiaires. Le dessin manque un peu de punch pour vraiment accrocher et la quête de "Lune d'ombre" est loin d'égaler "l'île au Trésor" de Stevenson. Peut-être la magie prendra-t-elle enfin dans le prochain volume "l'Arbre carnivore". A noter que pour les couleurs Delphine Lacroix a cédé la place à Daniel Perez.

La menace du jour :
"Nous nous partagerons le corps de cette truie
de Soledad que nous dépècerons vivante".
(Ah l'amour, toujours l'amour..)
"Je veux un bébé ! (moi non plus !)" de Lynda Corazza, éditions Delcourt.

Attention ! Le titre avec moult points d'exclamation doit absolument être dissocié des pseudo-guides ou séries de "BD-réalité" qui inondent les rayons à bas prix. Lynda Corazza fait elle du "vrai vécu" et non pas du prêt à mâcher en tenant un journal de grossesse qui 9 mois durant oscille entre les angoisses de la future mère, l'incrédulité j'm'en-foutisme du père et une nouvelle forme de vie sociale avec potes et parents.

Le dessin est simple pour mieux mettre en valeur des situations quotidiennes qui vont crescendo. Des saynètes de 2 pages qui vont du désir de maternité à l'âge vénérable de 31 ans pour la dame ("je vais faire hurler les quadras..") à la concrétisation de ce fruit du couple qui arrive cependant comme un chien dans un jeu de quilles.

Ce journal de bord devrait en rafraîchir plus d'une, ne serait-ce que lorsqu'il s'agit de changer de garde-robe ou de trépigner avant la naissance faute de savoir comment habiller le futur nouveau-né. Et les questions existentielles reviennent à la pelle : "Vous avez ovulé le 29 avril." "Qu'est-ce qu'on a fait ce jour là ? On était où ?" se demande la mère qui craint déjà la toxoplasmose et va vite devoir s'habituer à s'imposer dans les queues des caisses prioritaires en grande surface.

Lynda Corazza a déjà fait ses preuves dans le livre pour enfant. Il lui restait à concevoir ce beau bébé dans la BD.

Bref un album très mignon mais au regard avisé, impeccable à offrir à la copine enceinte jusqu'au yeux..

L'échographie du jour
"C'est un garçon !"
"Vous voyez ce petit truc là ?"
"Ah oui on dirait son père !"
"Merci c'est sympa.."
Crescendo (Idoles) par Jean-Marc Lernould
"Crescendo", "Idoles" tome 2 de Gabella, Emem et Lou. Editions Delcourt.

La collection Conquistador de Delcourt suit attentivement la trajectoire de cet OVNI baptisé "Idoles" qui n'est en fait qu'un – bon comics – en format BD habituel, donc inhabituel. Le jeune dessinateur Emem ne cache d'ailleurs pas ses goûts prononcés pour la bande à Marvel tandis que le scénariste Matthieu Gabella lâche ses idoles à lui : Alan Moore et Charlie Kaufman. Place donc aux supers héros accommodés à la sauce frenchy, ce qui signifie un peu plus de dérision et des tenues tricolores moins hardies que les shorts trois étoiles de Wonder Women.

On est bien ici dans la patrie de Super Dupont et la génétique du gouvernement fachiste ne dévie pas vraiment du héros imaginé par Lob et Gotlib, sauf que le muscle l'emporte définitivement sur le cerveau camembert chez les 3 clones de l'armée française. Reste dans la nature le "Vétéran", un flic sorte de Robocop rebelle qui a pris le large en bousillant au jet d'eau style Karsher puissance 10, d'abord les "indiens du far-west" de Mantes-la-Jolie en région parisienne puis en découpant en rondelle un peu tout ce qui dépasse, alors qu'il était sensé assurer un "security show".

Le scénario peut sembler basique mais n'est pas dénué d'humour. Le dessin reste dans la veine SF mais on regrette que l'ensemble ne décrive pas plus précisément les fondements idéologiques de ce que pourrait donner une union entre extrême-droite et génétique folle. L'important est que ça reste de la fiction.

La série est prévue en 3 tomes. Les couleurs sont de Lou.

La cible du jour :
C'est en code "Gargamel"
Pour désigner le "Vétéran"
Dans la ligne de mire
du pilote de chasse.
"Schtroumpfé !" selon la tour de contrôle.
L'enragé - T. 2 (L'enragé) par Jean-Marc Lernould
"L'Enragé" tome 2, de Baru. Dupuis.

Sur la couverture, Anton Witkowski fait toujours la gueule, mais ça ressemble un peu plus à une sale gueule que dans le premier tome. C'est que le boxeur de la Cité des Oiseaux, quartier humble, a entre temps subi une descente aux enfers et se retrouve devant un tribunal, victime d'une machination machiavélique. Baru n'a pas oublié les origines ouvrières de sa propre famille et si son personnage principal n'a qu'une envie, se faire une montagne de fric grâce à ses poings en or, Witko reviendra se battre au sein de sa cité tout en renouant avec un père qui n'admet pas la voie pour laquelle son fils a opté.

Au passage, Baru montre un paysage connu, celui des milieux de la boxe où gravitent des requins plus ou moins gros, des femmes plus ou moins sincères et cette rage qui fait croire à Witko qu'il peut dominer ce petit monde et devenir un modèle pour les enfants de sa cité et pour ses parents. Mais la promesse d'ascension sociale fera long feu et coupe même l'arriviste de son plus fidèle ami.

Pour la scène du procès, Baru s'excuse presque d'avoir caricaturé un avocat trop médiatique mais l'auteur s'est bien renseigné sur ce qu'il appelle le "Barnum judiciaire" : combien de témoins appelés à comparaître, ne serait-ce qu'au cours d'une audience correctionnelle, donnent du "votre honneur" au président du tribunal, comme dans les séries TV ? On remarquera, au passage, la différence de traitement des séances de procès avec le récent tome 2 de "l'Ordre de Cicéro"n : c'est sûr, Baru a plus de punch..

Malgré l'univers du ring, cette dernière BD de Baru est plus sentimentale qu'il n'y paraît. Un Baru qui, à près de 60 ans, montre toujours qu'il a la rage et qu'il n'a pas oublié ses origines modestes, sans en avoir aucune honte. Côté technique, Baru poursuit sa collaboration avec Daniel Ledran pour les couleurs et le tout donne des tronches coupées au couteau comme dans ces cases mixtes qui mélangent la gueule du boxeur à celles des managers qui tirent les ficelles. Bref, c'est pas encore cette fois-ci que Baru ira dans les cordes. Après tout, le bonhomme n'a-t-il pas débuté comme professeur d'éducation physique ?

Le direct du jour :
"Anna.. c'était qu'une pute.
C'est rien, de la viande à bourrer, c'est tout.."
(On n'imagine pas la tendresse des boxeurs..)

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