Les 129 critiques de Jean-Marc Lernould sur Bd Paradisio...

Les sous-sols du révolu par Jean-Marc Lernould
"Les sous-sols du Révolu, extraits du journal d'un expert", de Marc-Antoine Mathieu. Une association du musée du Louvre et de Futuropolis.

Après Nicolas de Crécy ("Période glaciaire, 2005 ans après J-C"), c'est Mathieu qui s'y colle pour explorer les dessous du musée du Louvre, mieux que dans "Belphégor". Et le récit se décline durant des jours et des mois au fur et à mesure qu'un "expert" explore l'établissement et ses multiples fonctions, loufoques ou réalistes, ou bien secrètes.

Les anagrammes fleurissent et les "Sous-sol du révolu" n'en est qu'un parmi tant d'autres pour évoquer ce labyrinthe dont les fondations (les fameux vestiges de l'enceinte de Philippe Auguste) sont en fait le sommet à partir duquel il faut descendre au fond du fond.

L'expert – qui pour une fois n'est pas un personnage tout-puissant dans l'oeuvre de Mathieu – parcourt et découvre les différentes fonctions du musée façon "Fantôme de l'Opéra", avec la visite de l'atelier conservation, la galerie inondée, la salle de restauration.

Le noir et blanc de l'auteur s'adapte à la quête de l'expert, avec davantage de gris que coutume et un noir qui vire quasiment au négatif photo dans les galeries les plus anciennes. On aurait envie d'allumer sa torche mais un ancien spécialiste des moules fait tâter à l'expert le premier caillou sculpté par l'homme dont on ait retrouvé la trace. "Cette beauté n'est-elle pas plus évidente ici, dans l'obscurité totale, que la haut, dans une vitrine écrasée de lumière ?" demande le vénérable archiviste. Ce qui n'est pas faux puisque de nos jours nombre de musées jouent soigneusement sur la lumière afin de protéger les oeuvres les plus fragiles (certains tableaux du musée d'Orsay par exemple, sont exposés dans la pénombre pour leur pérennité. "La lumière n'est-elle pas l'ennemie de la couleur ?" demande-t-on dans l'atelier de restauration.

Mathieu explore réellement le bâtiment, assistant à une formation des guides à faire "Tss tss tss : on ne touche pas aux oeuvres." La Joconde a bien sûr sa place dans l'histoire, pleine de mises en abîmes. Les oeuvres visitées au fil du récit sont citées en fin d'album, qui est loin de ce moquer du Louvre mais qui le présente comme une immense mémoire. Les sous-sols de Mathieu révèlent bien des trésors.
"L'étrangleur", de Tardi, d'après Siniac. Casterman.

Les fans de Tardi n'en ont pas fini d'investir puisque, après les cinq numéros du feuilleton en grand format de l'adaptation du roman de Pierre Siniac - dont le titre original "Monsieur Cauchemar" est devenu "le Secret de l'Etrangleur" - sort en album avec la possibilité d'acheter également une reliure capable de protéger le tout. Et encore, on ne vous parle pas de l'édition de luxe à 29 euros avec quadri et DVD. Chacun y trouvera le format de son goût agrémenté des chroniques de Pierre Lebedel qui traite des actualités d'époque (l'action se situe à Paris en 1959), Dominique Grange (chroniques des petites résistances ordinaires) et de Michel Boujut, vieux collaborateur de Tardi pour le cinéma, qui critique "la Dolce Vita" ou "North by Norwest" d'Hitckock.

1959, l'insécurité régnait déjà à Paris. Faut dire que les flics sont en grève et que, profitant d'un épais brouillard, un écrivain raté, devenu libraire misanthrope, étrangle à tour de bras, entraînant dans son sillage un jeune gamin comme pour l'initier à sa haine des autres.

Le dessin de Tardi reste toujours aussi ébouriffant, quasiment sans gris (des hachures en font parfois office) mais on a essentiellement un noir et blanc très contrasté.

Les chroniques plus des pubs de l'époque renforcent l'atmosphère et l'album présente la particularité de proposer trois fins différentes, dont "deux inacceptables et une apparemment explicable" selon l'auteur. Des fins dont les pages sont collées et qu'il faut séparer au coupe papier. Une originalité de plus sans compter que la reliure est vendue avec un jeu d'une dizaine de dessins cartonnés. Que du bonheur..



"Le maître de Ballantrae", d'Hippolythe. Denoel Graphic.

Quand Denoel pratique la BD, il ne fait pas dans la demi-mesure et, avant d'aborder le contenu de l'album, on découvre d'abord un très bel objet à la couverture granuleuse et agréable au toucher. On verra que l'intérieur est aussi somptueux.

Frank Meynet, dit Hyppolite, adapte ici un roman de Roman Louis Stevenson, moins connu certes que "l'Île au Trésor" mais digne d'une tragédie grecque. Ecrit en 1888, l'histoire évoque l'affrontement déchirant de deux frères que tout oppose. Leur père, châtelain écossais, décide de miser sur deux tableaux en en envoyant un dans chaque camps, catholique et protestant, alors en pleine guerre en 1745. L'attribution des rôles se joue à pile ou face et, contrairement à toute attente, c'est James le libertin et l'aîné qui quitte le château dont il devrait naturellement être le maître, le cadet Henry, plutôt vertueux, reste dans les murs et épouse Miss Alison.. amoureuse de James. Ce dernier va passer pour mort à la bataille de Culloden avant de s'enrôler dans un équipage de pirates, puis revenir au domaine familial pour piller la fortune de sa famille. On le voit, l'histoire de ce premier tome (deux sont prévus) fourmille de rebondissements mais c'est surtout le dessin d'Hyppolite qui retient l'attention. Cet aquarelliste sait à merveille évoquer en bleuté la beauté de la nuit (voir par exemple la page 42, magnifique) mais d'autres situations n'ont rien à envier avec des pages vertes ou ocres quasiment monochromes. Et comme on reste dans le domaine de l'aquarelle, les couleurs débordent allègrement des cases, sans compter de très beaux clairs obscurs.

Après avoir adapté "l'Etrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde" et "Dracula", Hyppolite poursuit un joli bonhomme de chemin et on a hâte de pouvoir admirer ses planches grandeur nature. A signaler une préface de l'écrivain Michel Le Bris qui compare justement l'antagonisme entre Jekyll et Hyde et le conflit qui sépare les frères James et Henry.
La cinquième victime (Néro) par Jean-Marc Lernould
"La Cinquième victime", "Nero" tome 1, de Mutti, Crippa et Bussacchini. Casterman.

L'affaire débute bien, avec un joli travelling réalisé à partir de dessins estompés. Mais le polar oublie vite ses bonnes résolutions et les auteurs italiens de "Nero" retournent vite à une histoire terre à terre, sans brio.

Un privé est sollicité suite à la mort d'une femme de 26 ans, égorgée, et Massimo Scalia est l'assassin tout désigné, sauf que le père de la victime n'y croit pas. On cause de sérial killer, de plaies recousues post mortem par un certain "fossoyeur" sensé respecter la mort de ses victimes. L'enquête est plus cérébrale que physique, ce qui ne nous avance pas beaucoup.
Ophidia (Le Régulateur) par Jean-Marc Lernould
"Ophidia", "Le Régulateur" tome 3, de Corbeyran, Eric et Marc Moreno. Delcourt.

Corbeyran est un scénariste infatigable, pas pour le meilleur et le pire mais pour le moins bien ("la Loi des 12 tables", très moyen) et l'excellent comme "le Territoire". En ce qui concerne le tome 3 du "Régulateur" c'est du très très bon, et le talent des frères Moreno n'y est pas pour rien.

Côté ambiance, la BD raffole depuis Tardi de ce que l'on surnomme "l'uchronie", un monde où les machines imaginées par Jules Verne ou Michel Ange auraient prospéré dans un futur incertain à la façon de l'univers de Schuiten, ce qui offre aux graphistes de jolies constructions. Art nouveau, machines obscures, style Eiffel voisinent avec des poupées aux formes avantageuses qui sont soit moulées audacieusement soit mises en valeur par des vêtements rétro. Un concept rehaussé par une grande créativité dans les différents plans d'autant que le décor du très labyrinthique Institut (un lieu fondamental du récit, façon Gotham City pour les statues fantastiques et monumentales qui ornent sa façade) offre les possibilités d'un joli jonglage de cadrages. Un Institut dont on découvre peu à peu les dessous sordides, au niveau des égouts..

Comme dans les deux premiers tomes, l'action alterne avec la quête philosophique mais l'élégance l'emporte largement sur le gore, qu'il s'agisse d'une canne épée ou d'un simple masque de plumes. Le moindre détail est soigné, minutieusement élaboré. La suite est attendue avec impatience.
Damonte (Le temps des loups) par Jean-Marc Lernould
"Damonte", Le Temps des loups 1, de Christophe Bec. Les Humanoïdes Associés.

L'auteur de "Sanctuaire" débute une nouvelle série comme homme à tout faire : scénariste, dessinateur et coloriste. Une sorte de liberté intégrale (merci les Humano) et "le Temps des Loups" tome 1, fonctionne comme une saga prometteuse.

Selon l'auteur, on est aux prises avec "une sorte de western post apocalyptique" où les villes qui sont restées debout sont gérées par un gouverneur ou par une autre personnalité de la même trempe. On ne s'étonnera pas si Christophe Bec cite pour références "l'Homme des hautes plaines" (Ah Clint, où est tu ?), "Impitoyable" et des cinéastes comme John Carpenter et David Cronenberg, comme quoi la petite ville de Damonte et l'étranger qui y débarque après "Le" cataclysme de 2013 (fichtre, le temps nous est compté..) va avoir quelques problèmes d'intégration.

On a affaire à un western moderne, où les 4x4 ont remplacé les chevaux, et les loups font aussi peur que les indiens d'antan. Car le pétrole est rare et les méchants loups croquent les chasseurs. L'étranger qui débarque dans le village à bord de son beau coupé BMW n'est évidemment pas pris en odeur de sainteté (sauf par ces dames, le goût de l'exotisme) et encore moins les "gens de la scierie", sorte de secte à l'écart du bourg chez qui on retrouvera les squelettes d'enfants récemment disparus.

Christophe Bec assume son retour au fantastique : "Si je fais un second cycle, ce sera des zombies. Il me reste aussi les vampires.." Le scénariste cite en exergue "l'Appel de la Forêt" de Jack London mais l'auteur de "Sanctuaire" n'apprécie pas de tourner en rond et peaufine déjà trois autres séries : "Pandemonium", "Carthage" et "Deos", sans compter "Bunker" qui paraîtra bientôt chez Dupuis.

Malgré certains arrières plans minimalistes, Bec assure une belle histoire qu'il faudra monter en puissance : on n'a pas quatre mains, mais les dix doigts sont prometteurs..
"Bram Stoker", Sur les traces de Dracula 3, de Séra et Yves H. Casterman.

Après le décevant "Vlad l'Empaleur" signé par Yves H. et son père Hermann, on rentre dans le corps du sujet avec cette fois Séra au dessin et à la couleur. Ce second tome n'a rien à voir avec le premier, trop documenté et trop pointilleux sur "Vlad l'Empaleur" car les deux auteurs exhalent une respiration sans faille.

On quitte ici le mythe de Dracula pour s'attacher à la biographie d'Abraham Stoker, avec deux ou trois libertés selon Yves H. Mais l'auteur ne se retournera pas dans sa tombe. On découvre un écrivain en puissance mais souffreteux et alité, spirituellement marqué par d'horribles légendes irlandaises contées par sa mère. Heureusement ça nous restera à tous, car on parle déjà de vampires et de malades enterrés vivants, ce qui fera le lit de Dracula.

Le dessin qui accompagne le scénario est impeccable, fantomatique à souhait par sa transparence, presque un négatif ou tapi dans la pénombre. Il colle à la biographie vénéneuse, dans laquelle Bram Stoker suit la voix de son maître, l'acteur Henry Irving, "Vous méritez mieux que Dublin", avant de suivre la voie de la déchéance car le père Irving n'est pas un saint.

Qu'importe, "Count Wampuy" qui deviendra "Dracula" se retrouve par passages dans l'album, avec l'appui de besogneux du style Oscar Wilde ou Conan Doyle. L'auteur descendra aux enfers, victime de la mégalomanie et de l'égoïsme d'Irving, la star british de son époque, mais Dracula est un dur à cuire et on puisera dans Charcot ("Vous n'imaginez pas combien un homme sain d'esprit peut être soumis à la volonté d'un autre.") des influences qui feront de lui un personnage hors du commun.

A l'image du dessin, les personnages de ce Dracula sont les négatifs de l'entourage de Bram Stoker, dont la mort fut occultée par le naufrage d'un certain Titanic en avril 1912.
Les fantômes de Hanoï par Jean-Marc Lernould
"Les fantômes de Hanoï", de Gérald Gorridge. Casterman.

Carnet de bord, chronique urbaine, carnet de voyage.. Gorridge mêle le tout pour décrire un Viet-Nam qu'il connaît bien et qui lui est très personnel (il y a animé des ateliers de dessins et a également collaboré au collectif Delcourt "les Enfants du Nil"). Bref, le bonhomme sait de quoi il dessine, sauf cette phrase péremptoire : "Dans votre tête ne laissez pas s'insinuer Ha Nôi, elle ne vous lâcherait pas.."

L'auteur se met en scène avec Big Brother à l'appui sous la forme de haut-parleurs qui savent tout de vous et vous interpelle à chaque carrefour. Comme quoi le Vietnam aurait de forts relents totalitaires alors que le pays s'ouvre au tourisme.

Mais Gorridger s'en tape. "Je préfère flirter avec Hanoï (vous noterez au passage les différentes orthographes de la ville asiatique), fille du quotidien, un peu décoiffée". Donc peu de monuments officiels, d'ailleurs bien gardés, mais une entrée en douceur dans un labyrinthe relié par un pont mythique. On rencontre Hop, une vielle amie viet d'une rare élégance, mais les ex-colonisateurs et les ex-exploités se crêpent encore le chignon, mais Hop a encore les mots durs : "Bah ! on se ressemblera tous bientôt dans la mondialisation", ajoutant perfide mais lucide : "je ne suis pas prête à te ressembler."

Ha Nôi signifie "la ville en dehors du fleuve."

A ce fleuron en grande partie autobiographique le dessin adorable de Gérald Gorridge se prolonge d'une vingtaine de "pages fantomatiques", certaines très tramées pour les paysages, d'autres pleines de finesse pour des portraits. On a tous une perte : celle ne n'avoir jamais senti le parfum de Uyên, l'une des égéries de l'album. Qu'elle est belle.
"Les Orphelins", première partie, de Cyril Knittel. Editions Paquet.

La vie y était douce comme un songe.. mais il faut se réveiller. Cyril Knittel reprend en partie le mythe de l'Eden et des débuts du monde avec une vision toute personnelle et beaucoup de brio. Adam et Eve sont en fait Fêne et Tïa, deux drôles d'orphelins parachutés depuis une éternité dans une forêt fantastique mais qui ne semblent pas cumuler 20 ans à eux deux. Deux petits éros ailés qui sautent et jouent de branche en branche, livrés à eux-mêmes mis à part l'aide de certains loups, mais Knittel sait ne pas tomber dans un pastiche du "Livre de la Jungle", ou du moins pas dans le politiquement correct.

Mais les bonnes choses ont une fin, tout comme la forêt dont la demoiselle Tïa découvre les limites et en franchit l'orée vers un monde inconnu qu'il lui faudra gagner en traversant une large étendue d'herbe, inconnue dans le monde des arbres. L'angelot Fêne reste seul avec des animaux très bavards et un mystérieux personnage dont on ne voit que les yeux sous un large chapeau, pas vraiment sympathique de prime abord. Il verra cependant le premier lever de soleil de sa vie car l'histoire se déroule dans une nuit sans fin, magnifiée par le bleu profond du dessinateur qui a effectué un gros travail de couleurs. Le dessin a largement la place de respirer et on espère que les "Orphelins" vont vite faire des petits (l'histoire est prévue en deux volumes).
Bref une histoire très agréable à lire et à conseiller aux pré-ados.
Henri Désiré Landru par Jean-Marc Lernould
"Henri Désiré Landru", par Chabouté. Vent d'Ouest.

Pauvre Landru, celui que l'on croyait n'être qu'un vulgaire partisan de la femme au foyer aurait été en fait un escroc minable tout juste capable de soutirer quelque argent aux femmes qu'il séduit. C'est le parti pris original de Chabouté qui place l'homme sous la coupe d'un couple d'escroc dont une "gueule cassée" qui s'est fait déchiqueter la figure lors de cette horrible "Grande" guerre. Et comme le défiguré a besoin de peau humaine pour retrouver la face, les dames qui passent par la maison de l'Ermitage, petite propriété campagnarde de Landru, y laisseront littéralement leur peau, d'abord à l'insu d'Henri Désiré, qui, lui, n'aurait jamais tué qui que ce soit et prend le rôle de la victime.

Outre cette excellente idée, l'album d'un superbe noir et blanc (on n'y trouvera pas une trace de gris..) permet d'insister sur la boucherie des tranchées, sur les planqués de l'arrière (dont Landru puisque père de quatre enfants) et la lettre du poilu, qui a pu pour une fois échapper à la censure militaire est un modèle de désespoir, de soldaillons embrigadés. L'injustice est au coeur de "Landru", par ailleurs recommandé par la revue Historia. Le couple Chabouté-Vent d'Ouest reste l'un des mariages les plus réussis de la BD.
Mélodie au Crépuscule par Jean-Marc Lernould
"Mélodie au crépuscule" de Renaud Dillies. Editions Paquet.

Cet album atypique se veut un hommage à la musique de Django Reinhardt et ce dernier doit approuver le cadeau du haut de sa roulotte céleste. Ce livre est un rêve, celui d'un échassier qui marche dans sa tête, qui erre sans but jusqu'à ce que ce gadjo baptisé Scipion rencontre le gitan Tchavolo dont les notes si particulières redonnent l'envie de vivre et de liberté (d'autant que Scipion vient de se découvrir cocu). Cette amitié est traduite par un graphisme étonnant que l'on retrouve tout au long de l'album, comme ces pages dont les cases deviennent des fenêtres d'immeuble, avec toujours beaucoup de cohérence dans l'agencement des dessins. Sur des couleurs somptueuses de Christophe Bouchard.

Puis la vie éloignera les deux compères et notre échassier finira par perdre ses rêves en retrouvant son travail administratif qui n'est pas sans rappeler le film "Brazil". Mais les rêves et la musique suffisent-ils pour survivre ?

Rappelons que Dillies a été primé à Angoulême en 2004 et que son album a été un véritable déclic pour que Pierre Paquet lance sa collection "Blandice" (Blandice peut signifier charme, délice, séduction et toutes autres sortes de bonnes choses). Et comme c'est le dixième anniversaire des Editions Paquet, pour chaque "Blandice" acheté, on recevra gratos un recueil de couvertures où les auteurs se rendent mutuellement hommage : décidément Pierre met le paquet…
"Le trente et unième jour", "Daisuke et le géant" tome 1 de Bilotta, Pogliaro et Pancini. Delcourt.

C'est une belle brochette d'auteurs italiens qui s'en sont allés visiter un drôle de Japon, un pays encore fidèle à ses traditions mais où gagne le chemin de fer. Ce n'est pas du manga, bien qu'il y ait un petit air de parenté, mais le dessin d'Alberto Pagliaro est plus anguleux et comme il le dit lui-même "j'ai juste essayé de donner une interprétation du genre avec une large empreinte occidentale." D'autre part, les couleurs de Lorenzo Pancini font aussi la différence, en particulier avec l'utilisation d'un mélange de rouge, de jaune et d'orange pour les scènes de chaos, car il y a de l'action !

Sur fond de révoltes paysannes voilà que les dieux, fâchés d'être délaissés par les humains, envoient sur terre leurs pires démons, au point qu'on se demande si on n'est pas tombé chez Godzilla, mais rassurez-vous, le scénario est plus intelligent que celui de la grosse bébête radioactive. Pour contrer ces monstres, on ne peut guère compter que sur Daisuke, un garçon de 13 ans dont la famille fut massacrée lors d'une embuscade en allant le faire bénir tout bébé à son trente et unième jour. Cette absence de bénédiction le fera d'ailleurs considéré comme un marginal, mais Daisuke signifie "grande aide" en japonais et le héros devra s'engager dans un combat titanesque, non sans y perdre plus que quelques plumes.

On a là un scénario original doté d'un très beau graphisme. La série est prévue en trois tomes.
"Le Rival", "Les corsaires d'alcibiade" T. 2 de Liberge et Filippi. Dupuis.

Les pirates et autres flibustiers sont à la mode en BD ces temps-ci et c'est plutôt bon signe que Liberge ait délaissé son sac d'os qui commençait à tourner en rond et à s'éterniser pour la pleine mer. Cela dit, on est loin des Barbe Rouge ou Noire puisque le second tome reprend les "fabulous five", une équipe qui réunit un cambrioleur virtuose, une reine de la contrebande, un sportif et charmeur fini, une grosse tête et une brillante autodidacte.

On découvre de drôles de scaphandres dans le Londres de 1825, beaucoup d'ésotérisme mêlé à une quête au trésor, des navires surprenants qui se livrent bataille mais dans une confusion stylistique qui ne sert pas beaucoup l'intrigue et on regrette que les planches les moins bavardes ne soient pas plus nombreuses.

Par contre, les amateurs de gore seront servis dans le dernier tiers de l'histoire avec une confrontation entre marins aventuriers et cannibales et les pages se situant dans la jungle sont parfois hallucinantes.
On souhaite cependant atteindre d'autres continents plus fertiles en imagination dans ce qui se veut d'inspiration à la Jules Verne.
"Capturez la Danaë", "HMS" tome 2 de Roussel et Seiter. Casterman.

Attention polar.. Le fait qu'il y ait des bordées de canons et des voiles déployées au vent sur l'océan ne signifie pas une oeuvre historique mais tout simplement une intrigue policière sur fond de baston entre Français et Anglais, sur terre et surtout sur mer, à la fin du XVIIIème siècle.

Ce second tome, sans déplaire pour autant, n'a pas inventé la poudre. On confirme juste que le bateau "Danaë", pris de haute lutte par les Anglais, recèle dans ses cales et gros trésor que les Frenchies rêvent de récupérer. Comme chez Agatha Christie c'est un cérébral - le médecin du bord – qui devra élucider la mort de quelques cadavres.

Reste une bonne représentation de la vie à bord d'un bateau de la marine royale (quelle qu'elle soit) mais l'ensemble manque de corps.
Le sang des voyous par Jean-Marc Lernould
"Le sang des voyous", de Loustal et Paringaux. Casterman.

Cela fait 9 ans, depuis "Kind Congo", que les deux complices ne s'étaient pas retrouvés mais ils ont fini par craquer et collaborent une septième fois en forme d'apothéose avec cet album "le Sang des voyous". Le déclic ? Paringaux avait débuté un roman sur un ordinateur portable qu'il s'est fait piquer alors qu'il en était au treizième chapitre. Pas de sauvegarde, pas question de recommencer, sauf qu'il avait fait parvenir quelques notes à Loustal qui a craqué sur une phrase : "les douilles de cuivre rebondissaient sur le carrelage et les jumelles hurlaient de terreur tandis que le sang des voyous éclaboussait leurs robes jaunes.." Pas de doute, il y a clairement un hommage à la littérature noire et au film polar de l'après-guerre dans ce que les auteurs appellent un roman graphique alors qu'on a dans les mains un véritable album de BD, bien que les bulles demeurent rares et que les textes sont comme l'aiment les deux auteurs placés sous les dessins. Mais le graphisme est bien présent et Loustal a davantage de latitude pour des illustrations pleine page qui sont de véritables tableaux tout en s'insérant dans cette trame sordide tissée case à case.

Le récit suit les derniers pas d'un tueur à gages qui voit lui-même arriver la mort le jour où il tousse son premier sang. Mais le solitaire ne veut pas partir seul et dans un dernier sursaut il tire - littéralement - un grand trait sur son passé, règlement de compte sanglant à l'appui, jusqu'au bout de la nuit.

Loustal arrive à faire du noir avec sa palette de couleurs toujours aussi étonnante, soulignée par les phrases incisives de Paringaux : "la fumée des Balto se mélangeait à l'obscurité en même temps que la morphine à son sang". Quelques teintes sépia appuient les flash-back, du temps où le sang des voyous coulait entre leurs tempes, et non sur le carrelage.
La main du mort (Small Gods) par Jean-Marc Lernould
"Small gods" de Jason Rand et Juan Ferreyra. Decourt.

Il y a un peu de l'univers de "Sin City" dans ce roman graphique de 240 pages, bien qu'ici le gris l'emporte sur les contrastes de Frank Miller. Mais l'ambiance reste aussi noire.

Base de départ : dans un monde proche du nôtre, un individu sur cent dispose d'un pouvoir psychique : télékinésie, prémonition, télépathie. Ce qui paradoxalement les met au ban de la société : qui aurait envie de se faire trifouiller ses pensées les plus intimes. Il leur faut donc se déclarer mais certains passent entre les mailles du filet à la façon des androïdes de "Blade Runner".

Découpé en trois parties, l'album nous fait suivre deux "psi" : l'inspecteur Owen Young, dont seuls quelques collègues connaissent ses dons de voyance, et une petite frappe, Robert Pope. Chacun à sa façon va pâtir de son pouvoir en affrontant la pègre et les flics pourris mais en profitera pour réaliser sa propre introspection, ce qui, combiné à une bonne dose d'action, donne un récit excellent et étoffé.

On est loin ici du comic bête et méchant mais d'un roman mûri, soigneusement mis en pages et garni de cadrages souvent fabuleux malgré un dessin très réaliste. Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, un deuxième tome est envisagé, avec un développement relativement indépendant du premier.
Hertz (Le Triangle Secret) par Jean-Marc Lernould
"Le Triangle secret", "Hertz", de Convard, Falque et Juillard. Glénat.

Après les sept tomes bien tassés du "Triangle Secret" Convard continue à explorer la saga de son crû basée sur une confrontation plus que millénaire entre la Loge Première maçonnique et les Gardiens du Sang, sbires ecclésiastiques, autour du fameux "Evangile du Fou" susceptible d'ébranler les fondements de l'église.

Ce one-shot est centré sur le personnage clef de Martin Hertz, franc-maçon manipulateur, avec retour sur son enfance en 1943 lorsque avec son copain immigré Bartoloméo (le cardinal Montespa du "Triangle", qui veut déjà entrer au petit séminaire..). Les deux copains âgés d'une douzaine d'années sauvent un franc-maçon échappé d'un convoi en transit vers un camp de concentration et qui détient le lourd secret de "l'Evangile du Fou". Et c'est ainsi que la franc-maçonnerie entrera dans la vie des deux camarades, avec ses histoires cachées dont l'une est révélée sur le tard par Martin à sa femme Léa.

Le récit est bien mené, les dessins irréprochables, avec quelques piques lancées vers l'Eglise dont certains membres collaborent allègrement avec les nazis. Voilà un bel hommage collatéral au "Triangle Secret".

A signaler que Didier Convard sort en parallèle un roman, "le Triangle secret, les larmes du pape" dans une coédition Mazarine-Glénat.

Enfin le site de Glénat propose un jeu autour de la série INRI, elle aussi dérivée du "Triangle secret" (www.trianglesecret.com/inri/jeu.asp).
"Pourquoi les baleines bleues viennent-elles s'échouer sur nos rivages ?", de Moynot. Dupuis - Collection Aire Libre.

La fameuse baleine du titre est bien réelle : un certain James Whales, romancier américain qui s'échoue à Paris, épanchant son alcool de palace en grands hôtels tant que son éditeur lui avance du fric. Un écrivain mythique, "témoin de l'ordure" et amateur de cadavres découpés en morceaux, visiteur dans sa jeunesse de maisons inoccupées (ça ne sentirait pas le James Ellroy ?), donc voyeur mais incapable d'écrire les premières lignes de son "roman total", "une oeuvre à venir qui sera la vision ultime des entrailles de l'Amérique. Moi seul peut l'écrire. Moi seul les ai vues !"

Le dinosaure américain fait l'admiration d'un jeune auteur français en vogue, Simon Breuil, égoïste et surtout soucieux de reconnaissance bien qu'il ne doive sa notoriété qu'au talent de son éditrice-amante Bertie, allias Bertrande de la Roche-Jaubert, "une parisienne avec toutes les relations qu'il faut", car l'écrivain ne veux pas passer sa vie "dans cette ville de merde (les Bordelais apprécieront..) en attendant qu'on me découvre." Ses femmes sont malmenées, délaissées quand elles ne sont pas utiles, alors qu'en dédicace Moynot écrit en guise d'avertissement : "Aux femmes qui nous prennent pour ce que nous sommes et que l'on ne prend pas au sérieux." Mais finalement Simon sait-il vraiment qui il est ?

Au fil des planches, la lumière a du mal à s'imposer dans des dominantes grises, difficile à placer entre deux cases sordides au point qu'on n'a jamais l'impression de voir le jour dans cet univers d'écrivains ex-brillants et futurs ratés.

Après avoir dessiné "la Nuit de Saint-Germain des Prés" (Nestor Burma) et de très intéressantes collaborations avec Dieter Moynot vole de ses propres ailes, avec une très belle plume.
Izaël (Le codex angelique) par Jean-Marc Lernould
"Izaël", Le Codex Angélique, tome 1 de Thierry Gloris et Mikaël Bourgouin. Delcourt.

Delcourt propose une nouvelle fois un excellent premier album avec le tome 1 du "Codex Angélique", un thriller situé au début du XIXème siècle à Paris sur fond de sérial killer et d'anticipation façon Jules Verne. Jack l'Eventreur n'est pas loin, tout comme l'univers de Fantomas (une boutique de livres rares s'appelle P.Handor, hommage à Fandor, l'un des héros de Souvestre et Allain).

L'ambiance "belle époque" est renforcée par une visite dans le Paris d'antan dont les fameux bordels si chers à Toulouse Lautrec, et par un argot bien pesé. D'ailleurs le scénariste Gloris s'était amusé à rédiger un lexique qui a été oublié par l'éditeur dans le premier tirage.. Mais lors des dédicaces, on peut se le procurer sur une feuille volante où l'on apprend qu'un "macaou" est un chat, que les "penchants uraniens" ne détonneraient pas avec la Gay Pride ou qu'un "bavard" est un "personnage qui induit une langue bien pendue ou une plume bien acérée".

Pour le fantastique, les auteurs sortent là aussi les références : le "Nécronomicon" de Lovecraft, "le Grand Albert" ou les prophéties de Nostradamus, sans parler de l'oncle du héros, un fan de la résurrection qui habite 13 rue Faust. Un oncle qui n'hésite pas à capturer un ange pour faire chanter Dieu.

Le scénario est bien mené, un peu bavard parfois mais le dessin est un régal avec une belle maîtrise de la lumière et des variations de tons dans les couleurs. Un album tout en délicatesse.

L'avertissement du jour :
"En comparaison la bible n'est
qu'un vulgaire roman populaire.."
(Le Codex en odeur de sainteté..)
"Le Steamer fantôme", Hauteville House 3, de Duval, Gioux, Quet et Beau. Delcourt.

Dans ce troisième opus, on retrouve joyeusement emmêlés en 1864 les conquêtes de Napoléon III au Mexique, d'étranges vaisseaux volants ou des scaphandres tirés tout droit de Jules Verne, Victor Hugo qui, depuis Guernesey, tente de mettre les bâtons dans les roues à celui qu'il nommait avec mépris "Napoléon le Petit". Ce dernier et ses services secrets mettent d'ailleurs les pieds en Amérique Latine davantage pour y ramener une extraordinaire puissance que pour y établir une colonie française. Bref, on nage en pleine uchronie, qui part d'une histoire plausible – l'intervention française au Mexique – mais la fait dévier par une science improbable et avec des événements non moins fantasques.

Après les thèmes de la terre et de l'air, c'est de l'élément liquide qu'il s'agit dans ce troisième tome, en attendant le dernier volume qui évoquera le feu et la destruction d'Atlanta pendant la guerre de Sécession. L'histoire est complexe mais agréable à suivre avec un excellent dessin et une non moins belle mise en couleur.

Enfin, Delcourt qui nous appâtait depuis quelques jours par mails interposés par d'étranges suppléments publicitaires sur Hauteville House livre dans cet album un très joli journal de quatre pages où l'on retrouve de nombreux éléments dérivés du "Steamer Fantôme".
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