Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Le chasseur (Gil Saint-André) par Thierry Bellefroid
« Le chasseur » tome 4 de la série « Gil St André » par Jean-Charles Kraehn et Sylvain Vallée. Dans la collection Bulle Noire des éditions Glénat.

Avant-dernier album de ce cycle qui est déjà un classique. Cette fois, on va droit vers le dénouement. Jean-Charles Kraehn a définitivement abandonné l'idée des fausses pistes qui caractérisaient les premiers albums et risquaient d'irriter le lecteur. Ce qui ne veut pas dire pour autant que nous aurons le moindre indice nous permettant de démêler l'écheveau. Kraehn est très fort. Il dilue sans ennuyer. Il prolonge sans lâcher de lest. En refermant cet album d'aventures, on se dit que si on ne s'est pas ennuyé une minute, on ne sait toujours pas qui a enlevé la femme de Gil St André et pourquoi. Evidemment, l'auteur sait jusqu'où il peut aller. Il terminera bel et bien cette histoire dans le cinquième tome, qui a intérêt à être particulièrement soigné pour ne pas décevoir l'attente que le lecteur y a placé.
Ce quatrième volume est sans doute le plus trépidant, le plus purement aventureux de la série. Gil y réalise quelques beaux actes de bravoure (un rien trop, même, parfois ?) et progresse, plus seul que jamais. Sa principale alliée, Djida, passe au second plan. Elle est surveillée de près par Fourrier, le flic qui veut rretrouver Gil St André. Mais elle reste un pion important sur un échiquier où Jean-Charles Kraehn avance ses tours, ses cavaliers son fou vers un implacable « échec et mat ». Quant au dessin de Sylvain Vallée, il fait désormais déjà partie des meubles. Vallée a réussi à faire oublier en deux albums qu'il n'était « que » le repreneur de la série. Un bon point aussi pour le résumé des épisodes précédents proposé en page une. On a pas toujours le temps ou l'envie de relire trois albums avant de commencer une nouveauté.
« Frontière sanglante », le tome trois de la série Marshal Blueberry. Par Giraud et Rouge.

Fin de ce cycle d'aventures commencé avec « Sur ordre de Washington », il y a tout juste neuf ans ! Neuf ans pour trois albums, c'est beaucoup, même si l'on sait que la cycle était destiné à être publié plus vite (après les deuxième tome en 93, Vance a abandonné de fait, en ne dessinant jamais le tome trois de la série). On peut dire que ce « marshal » aura créé l'attente. Et qu'il s'en tire, au final, au moins aussi bien que le « lieutenant » (aujourd'hui démobilisé et devenu « Mister », pour les spécialistes). Si pas mieux. Car à la fin de ce cycle, on n'a pas du tout l'impression d'avoir été trompé sur la marchandise. L'histoire est bonne, bien dosée, sans longueurs. Comme toujours, Blueberry n'arrive au bout de sa mission que grâce à sa ténacité et à l'aide de quelque jolie femme. Comme toujours, le coupable supposé n'est pas seul à tirer les ficelles. Comme toujours, il y a quelques surprises de taille et quelques scènes d'anthologie dans chacun des trois albums de ce triptyque. Ici, le final entre Sam, Harry et Jessica révèle un potentiel dramatique digne des grands scénaristes. Giraud sait comment ferrer son lecteur. Et il sait aussi que c'est justement ce que celui-ci attend de lui. Loin du huis-clos interminable qui se poursuit parallèlement et qui voit un Blueberry alité assister presque impuissant au film de sa vie (voir « Ombres sur Tombstone » et « Géronimo l'Apache », les deux derniers albums de la série), Giraud privilégie ici les recettes qui ont fait et qui continuent de faire le sel de cette BD : action, complots, coups tordus et retournements de situation. J'ai relu les deux premiers et terminé d'une traite avec ce troisième et dernier, passant un excellent moment en compagnie de ce marshal peu à l'écoute des problèmes de ses concitoyens. Frondeur et têtu comme il l'a toujours été, Blueberry m'est cependant apparu fort différent du shérif qu'il a déjà été dans une autre aventure (« L'homme à l'étoile d'argent »), imaginée par Jean-Michel Charlier, celle-là. Moins solitaire, plus fragile, plus humain, peut-être. J'avoue que ça ne me déplaît pas. Comme ne me déplaît pas la reprise du dessin par Michel Rouge. S'il n'a pas le talent de Jean Giraud, il a au moins le mérite de dessiner un Blueberry « dans l'esprit » de son créateur, ce qui n'était absolument pas le cas de William Vance. Son dessin me semble meilleur que sur la reprise de Comanche, plus précis, plus achevé. Et j'avoue qu'il est plus aéré que les derniers albums dessinés par Giraud lui-même, qui me donnent l'impression d'être très étriqués, en dépit de leurs qualités. Bref, cette digression imaginée par Giraud entre les albums « Général Tête Jaune » et « La mine de l'Allemand perdu » datant tous deux du début des années 70, est une vraie réussite.
Venise (7 Secondes) par Thierry Bellefroid
« Venise » tome 1 de la série « 7 secondes », par Morvan, Parel et Color Twins. Dans la collection Sang-Froid des éditions Delcourt.

« Venise n'est pas en Italie »... cette célèbre chanson de Serge Reggiani tombe à pic pour signaler en guise de préambule que le Venise qui donne son titre à cet album... est un prénom. Venise, c'est l'un des deux personnages principaux de ce premier tome de « 7 secondes », un porte-flingue chargé de récupérer un disque apparemment compromettant et d'éliminer quelques témoins gênants. Il fera une partie du boulot, choisissant d'épargner Gabe (l'autre personnage principal de l'album, son ami d'enfance) et décidant d'éliminer trois de ses coéquipiers pour mieux contrôler la situation. Dans ce premier album, difficile de savoir qui sont les bons et les méchants. Difficile aussi de voir où va l'histoire. Mais le rythme est là. Les bases du scénario jetées par Jean-David Morvan -l'un des scénaristes en forme du moment- sont intéressantes. Pour l'heure, c'est à peu près tout ce qu'on peut dire de ce « 7 secondes » qui promet d'être un bon thriller mais doit encore le prouver. Un reproche, à ce stade : même si le titre de la série est évidemment à l'origine de ce stratagème, le recours systématique à l'horloge pour introduire chaque action est assez fastidieux. Qu'on me trouve un lecteur qui se fatigue à mémoriser chacune des heures, minutes et secondes données toutes les deux pages et demies en moyenne ! Autre trait de scénario un peu troublant, le personnage de Lithal, dont on ne sait trop s'il est vraiment mort (et donc, si c'est en rêve qu'il apparaît mutilé à Venise) ou s'il s'agit d'une sorte d'androïde indestructible qui choisit de faire un bout de route avec celui qui est sensé l'avoir abattu. Pas clair, tout ça. Mais bien entendu, ce premier tome est une mise en place et l'on peut s'attendre à comprendre bien davantage de choses dès le tome deux. Pour le reste, on retiendra un dessin efficace sans être toujours très précis, des couleurs tout à fait dans l'air du temps (c'est évidemment ce qu'on pouvait attendre de Color Twins) et une superbe couverture qui devrait attirer l'attention d'un large public sur les présentoirs des libraires. Bref, on attend la suite et on en reparle.
Fleurs de sang (Bleu Lézard) par Thierry Bellefroid
« Fleurs de sang », le tome 3 de la série Bleu Lézard, par Benoît Roels, dans la collection Bulle Noire.

Après un beau diptyque, nous retrouvons Ellen Olivier dans cette nouvelle aventure imaginée et dessinée par Benoît Roels. Seule, désormais, (Matt, son mari, n'aura pas réussi à empêcher leur inéluctable séparation) elle semble avoir retrouvé une raison de vivre après le désenchantement de la fin de « Poings liés ». Benoît Roels nous propose un étrange parcours sur les traces d'une héroïne qui n'en est pas une et dont l'univers évolue radicalement d'un album à l'autre. On ne peut que s'en réjouir. Après une histoire qui avait tout du « Patient anglais » en version marine, nous voici la plupart du temps sur la terre ferme, dans le milieu des peintres amateurs. Le changement est radical. Mais pas l'esprit. « Fleurs de sang » est une petite histoire « policière » sans autre prétention que de faire mûrir Ellen, de la confronter à la douleur et à l'amour, une nouvelle fois. Une histoire où les gentils ne sont pas aussi gentils qu'ils en ont l'air, où les méchants ne sont pas forcément antipathiques. Une histoire sur la fragilité, la vengeance et la compassion. J'avoue, je l'ai lue avec plaisir, me disant qu'il y avait chez cet auteur une démarche décidément très proche de celle de Jean-Charles Kraehn (les deux premiers albums évoquaient bien entendu l'univers de « Tramp » mais cette similitude dans la démarche va au-delà d'une ressemblance de lieux ou de personnages) Bref, c'est plaisant et divertissant sans être gratuit. Dommage que le dessin de Benoît Roels louche un peu trop vers celui de Philippe Francq et que les couleurs soient si criardes.
« La ville des mauvais rêves, Urani » par Sfar et David B. Dans la collection « Poisson Pilote » des éditions Dargaud.

L'un publie depuis près de dix ans, l'autre six. On a pourtant l'impression qu'ils font partie des meubles et qu'on les a toujours connus. David B et Joann Sfar ont contribué, chacun à leur manière, au renouvellement de la BD. Avec des auteurs comme Lewis Tronddheim, Christophe Blain ou Emmanuel Guibert, tous plus ou moins proches de L'Association, ils essaiment gaiement aujourd'hui, parmi les « grandes maisons ». On l'a souvent dit, on croirait la collection « Poisson Pilote » faite pour eux. Ce n'est pas ce nouvel opus qui viendra démentir cette impression. La couverture nous prouve à elle seule à quelle osmose peuvent arriver les deux auteurs qui dessinent ici à quatre mains. Comme sur d'autres projets (Donjon, chez Delcourt, par exemple), cette génération de dessinateurs semble vouée à travailler en duo (ou plus si affinités, voir « Donjon », justement). Aucun des deux créateurs ne perd ou ne renie sa personnalité. Ainsi, on reconnaît tout de suite le trait de Sfar dans certains personnages, à commencer par « Europe », la créature en couverture. Mais on reconnaît tout aussi facilement à l'arrière-plan des maisons que seul David B peut avoir dessinées. Il en va de même à l'intérieur de la BD, mais un lecteur non averti croira, lui, qu'un seul dessinateur a réalisé l'ensemble. Cette complémentarité graphique est déjà en soi une réussite. Mais le duo n'a pas fait que dessiner à quatre mains. Il a pensé à quatre hémisphères, aussi. Et avec leurs imaginaires respectifs particulièrement féconds, David et Joann ne pouvaient que créer une histoire folle, originale, drôle (sans être comique, nuance), intelligente, inventive. C'est le cas d'Urani, qui vient prouver à quel point cette année 2000 est un grand cru, tant pour l'auteur de l'Ascension du Haut Mal (on pense au Capitaine Ecarlate ou aux Ogres) que pour celui du Professeur Bell (Petit Vampire, Merlin, Pascin, Donjon...).
Que dire de l'histoire sinon qu'elle étonne à chaque page ? L'idée du Super Héros qui échappe à son inventeur n'est pas neuve, amis elle trouve ici un prolongement totalement inattendu. Le fantastique n'est jamais gratuit et tout ce qui peut paraître trop gros (comme ce tigre qui parle et qui se tient sur deux pattes) finit par trouver une explication au bon moment. Car la force de ce récit tient aussi au rythme de ses explications. Et à son mode de narration, en chapitres très courts, très rythmés, stylisés à l'extrême. Pas de déchet, pas de digression inutile, rien que de l'aventure et de l'imagination pure distillées sur 46 planches avec brio. Vivement le prochain.
Le baiser (Emma) par Thierry Bellefroid
« Le baiser », tome 3 de la série Emma. Par Christian de Metter. Chez Triskel.

Parus à quelques mois d'intervalle, les trois tomes d'Emma constituent une des bonnes surprises de cette année, en BD. Un auteur atypique, au dessin attachant, nous propose une histoire de faux-semblants très esthétisante. Comme on pouvait s'en douter, la vraie question de ce triptyque n'est pas de savoir qui est le héros amnésique ni de révéler son passé. Cette question-là restera sans réponse. Ce qui importe, c'est le rapport obsessionnel du peintre au modèle, la fascination éprouvée pour une femme au visage d'ange, incarnation de ce que peut-être la féminité sur une toile. En cela, le pari est gagné. Cette BD imaginée par l'auteur il y a près de dix ans méritait amplement de sortir des cartons. Il aura fallu une maison d'édition confidentielle pour nous révéler un auteur de talent qui utilise la peinture comme d'autres l'encre de Chine. Chaque case de de Metter est un tableau, chaque planche est un parcours initiatique. Et dans ce dernier album mystérieux, plus sombre encore que les précédents, la maîtrise picturale de l'auteur s'affiche comme une évidence. Christian de Metter est depuis lors sorti définitivement de l'anonymat avec « Dusk » (voir critique par ailleurs), la très bonne histoire imaginée par Richard Marazano publiée en septembre par les Humanos. Mais Emma reste plus personnel, plus audacieux et de loin plus artistique que « Dusk ». Moins abouti au plan du scénario, soit, mais tellement réussi au plan du dessin qu'en parler devient inutile, il faut l'acheter et la lire...
« La marque du diable », tome un de la série « Le scorpion », par Marini et Desberg. Chez Dargaud.

Avec 60.000 albums tirés en français, Dargaud mise assurément sur cette nouvelle série (pour la comparaison, beaucoup de séries tout à fait honorables plafonnent à 20.000 exemplaires...). L'éditeur misait d'ailleurs dessus très tôt, commençant une campagne de communication plus de six mois avant la sortie de l'album ce qui est pour le moins exceptionnel... avec le risque d'agacer un peu les journalistes spécialisés, généralement méfiants face aux grosses machines marketing des éditeurs. Mais le résultat ne déçoit pas ! Rome, le dix-huitième siècle, la grande Aventure pimentée d'un zeste de mystère : tous les ingrédients réussissent aussi bien à Marini qu'à Desberg. L'histoire est plaisante et mouvementée tout en maniant sans cesse l'humour et la distance du second degré. Le dessin, magistral, convient parfaitement à un Marini au mieux de sa forme. Curieusement, le choix du format « standard » et non du grand format est une idée des auteurs. Ils voulaient privilégier ce côté populaire de Scorpion. L'album sera évidemment plus facile à écouler, car moins cher et plus conforme au souhait des grandes surfaces, principaux « faiseurs » de best-sellers. Ce n'est donc pas Dargaud (et en l'occurrence Yves Schlirff, le directeur éditorial) qui a conseillé à Marini et Desberg d'adopter ce format. Pourtant, plusieurs lecteurs seront sans doute un peu tristes, comme moi, de ne pas pouvoir bénéficier d'un album plus grand, mettant mieux en avant le formidable talent graphique du Suisse d'adoption (il est Italien et il y tient !). Bien sûr, la plupart des ingrédients ont déjà été utilisés ailleurs. Mais la force de Stephen Desberg est justement de nous rappeler les films de cape et d'épée et les livres de Dumas que nous avons tous en mémoire sans vraiment les plagier. C'est réussi. On ressort de cette lecture avec le sentiment qu'une telle série s'imposait dans le paysage BD actuel. Qu'on se rassure, le tandem n'est pas à court d'idées ni d'enthousiasme. Enrico souhaitait travailler sur le sujet mais cherchait des idées. Stephen les lui a amenées, sous la forme d'une dizaine de scénarios à peu près charpentés ! Scorpion est donc bien décidé à prendre sa place dans les grandes séries populaires de la BD. Et Dargaud fera sans doute tout ce qu'il faut pour ça. Quand ce n'est pas au détriment de la qualité, pourquoi pas ?
Sanctions (Alpha) par Thierry Bellefroid
« Sanctions », N°5 de la série Alpha, par Jigounov et Mythic. . Dans la collection Troisième vague du Lombard.

Alpha s'est imposé en peu de temps comme le chouchou de Troisième Vague. Au Lombard, on se frotte les mains :non seulement, la série cartonne, mais en plus, elle tire derrière elle toute cette jeune collection dont les chiffres de vente ne sont pas négligeables. Pourtant, Alpha a beaucoup changé. Passant du papier à l'ordinateur, Youri Jigounov a peut-être perdu un peu de spontanéité. Mais il a surtout gagné en efficacité et en propreté. Le côté un peu brouillon des débuts a maintenant disparu de son dessin, aujourd'hui plus précis et dégagé de traits inutiles. Les découpages ont suivi la même voie. Même les couleurs sont un peu moins criardes, mais l'ordinateur leur donne en revanche ce côté trop lisse et artificiel qui caractérise nombre de BD actuelles (et que certains, à tort, imputent à la technique informatique, faisant bien rire ceux qui arrivent à manier celle-ci sans qu'on se doute une seconde qu'ils y ont eu recours). Quant au personnage, il semble cette fois fort en retrait, presque spectateur de sa propre enquête ce qui ne peut que le rendre plus sympathique. Dommage qu'il effectue un triple salto arrière sur la fin en se posant comme le grand détenteur de la vérité en trois pages finales très bavardes qui gâchent l'ensemble. Il n'empêche, cet Alpha est plutôt à placer dans les bons que dans les mauvais albums de la série. Sans innover d'une virgule, Mythic recycle habilement des ingrédients déjà mille fois employés en BD et au cinéma pour faire monter la sauce. Qu'à cela ne tienne, l'intrigue n'est pas mauvaise, l'histoire bien menée et le public en redemandera.
« Anna des mille jours », Dallas Barr N°5 par Marvano et Haldeman. Dans la collection « Repérages » de Dupuis.

Nouvelle histoire pour notre immortel, Dallas Barr. Et là où on croyait s'installer dans une certaine routine, Haldeman parvient à nous surprendre. L'idée de faire surgir du passé une fille de plus d'une cinquantaine d'années qui vienne demander son dû au père qui ne l'a pas élevée est surprenante, car elle ne cadre pas avec l'esprit de la série. Anna est donc un beau cadeau, pour Dallas Barr. Un cadeau empoisonné, bien sûr. Mais Anna est-elle vraiment la fille de Dallas Barr ? Les auteurs s'amusent à jeter le lecteur sur des fausses pistes, et même les analyses d'ADN peuvent devenir suspectes dans un monde à la technologie aussi avancée que celui dans lequel vivent nos héros. Bref, les ingrédients sont à la fois originaux et intéressants, le rythme reste soutenu, les surprises sont nombreuses. Cerise sur le gâteau, l'album ne nous laisse pas sur notre faim et offre une fin provisoire à l'histoire, tout en laissant ouvertes une série de portes intriguantes pour la suite. Bref, tout cela est diablement bien mené, toujours aussi bien découpé, dessiné sans effets inutiles (mais avec des couleurs qui ne sont guère excitantes, elles). Du bon boulot, quoi.
« Aphrodite, livre troisième », par Pierre Louÿs et Claire Wendling, aux Humanoïdes Associés.

Incroyable, quand on y pense. Claire Wendling n'a derrière elle qu'une seule série -et quelle série- : « Les lumières de l'Amalou » (disponible -et hautement recommandable, même- sous forme intégrale aux éditions Delcourt. Scénario de Gibelin à qui l'on doit aussi les excellents « Vieux Ferrand » et « Ailes de plomb » chez le même éditeur) Pourtant, cette dessinatrice originaire de Montpellier a déjà une réputation internationale. En 1997, elle s'envolait d'ailleurs pour les Studios Warner, à Los Angeles, après avoir travaillé sur « The Quest for Camelot » (Excalibur) à la demande de Warner France. Delcourt a d'ailleurs réuni quelques-uns de ces dessins « américains » sous le titre « Desk », un petit bijou de 64 pages. C'est que Claire a de l'or dans les doigts. Elle le prouve en assurant le troisième volet de l'adaptation de Pierre Louÿs entreprise par les Humanos. Une troisième partie plus noire que les précédentes qui lui va à ravir. Car Claire, tournant le dos à son prénom, s'aventure dans les souffrances de l'âme humaine (en l'occurrence, celle d'Aphrodisia) et nous propose des dessins au fusain sur carton et quelques aquarelles dont le trait commun est avant tout la noirceur. Très loin des deux premiers essais magistralement assurés par Manara et Bess, Wendling ne se soucie plus d'évoquer ici la sensualité. Epousant parfaitement le tournant que prend le récit de Pierre Louÿs, elle se fond dans l'univers de peintres pratiquement contemporains de l'auteur d'Aphrodite.
Ainsi, comment ne pas penser à Gustav Klimt en découvrant la couverture, l'huile de la page 46 ou le fusain de la page 33 ? Il y a la même approche de la femme, le même type de postures, les mêmes ornements de décor (même si le dessin de la page 33 va beaucoup moins loin que les tableaux du maître autrichien dans le domaine de l'ornementation). En revanche, les corps noueux et décharnés des pages 7, 9, 21 ou 39, évoquent immanquablement Egon Schiele, né en 1890, soit six ans avant la sortie du livre de Pierre Louÿs et mort en 1918. Schiele qui a régné en maître sur l'expressionnisme autrichien. D'autres dessins rappellent également le namurois Félicien Rops, né en 1830 et mort en 1898. Bref, Claire Wendling n'a pas travaillé ses illustrations au hasard et a voulu rendre hommage aux expressionnistes qui étaient à la fois les contemporains de Pierre Louÿs et les meilleurs ambassadeurs de cette partie du récit. Elle réussit brillamment à rehausser le livre initial et ne souffre pas de la comparaison des grands maîtres dont elle s'inspire car elle prend suffisamment de distance avec leurs oeuvres. Surtout, elle met la barre très haut pour le quatrième et dernier illustrateur chargé de conclure cet essai de symbiose entre art, littérature, érotisme et bande dessinée.
Leopold (Le dernier Marduk) par Thierry Bellefroid
« Léopold », tome 1 de la série « Le dernier Marduk », par Eric Liberge. Chez PMJ.

Eric Liberge quitte provisoirement Monsieur Mardi-Gras Descendres (deux tomes parus chez Pointe Noire) et nous prouve qu'il a plus d'une corde à son arc. Infographiste, Liberge nous montre ici ce qu'il peut faire en mélangeant habilement diverses techniques de dessin. L'ordinateur n'est jamais loin dans ce « Marduk », mais il s'insère dans un graphisme très BD qui ne renie ni le coup de crayon ni le trait de la plume. Le résultat est étonnant, notamment parce que le noir et blanc est très bien exploité, parce que les décors oscillent entre réalisme architectural et fantastique. En fait, « Le dernier Marduk » a quelque chose des Cités Obscures de Schuiten et Peeters, et pas seulement parce que l'histoire raconte comment une ville est victime de la maladie de la pierre qui tue, une sorte de gangrène qui fait s'écrouler les immeubles les uns après les autres... et disparaître leurs occupants. Cette ville malade qui déteint sur ses tristes habitants, cette architecture rappelant Prague mais jamais totalement fidèle, cette utilisation des mondes parallèles ont en effet un côté « Cités Obscures ». Mais la comparaison s'arrête là. Notamment parce que le dessin d'Eric Liberge n'a rien à voir avec celui de François Schuiten. Très libre, très inventif aussi, il explore les mondes à la façon d'un aventurier touche à tout. Le résultat est réussi. Léopold, sur les traces du dernier Marduk, découvre comment se prépare l'avènement de la nouvelle Babylone sur les ruines de Krpeliany (merci le nom facile à prononcer dans les conversations entre amis.. ou les chroniques radiophoniques !). Il nous entraîne dans une histoire peut-être un rien trop courte pour décoller vraiment. Mais le prochain volume viendra sans doute combler ce petit manque.
Mormol par Thierry Bellefroid
« Mormol », par Sardon. A L'Association.

Le très rare Sardon (trois albums en cinq ans dont deux dans la minuscule collection « Patte de Mouche » de L'Asso) nous propose une jolie fable toute en rondeur. On entre dans ce « Mormol » comme dans les ouvrages de Bruno Heitz. Comme un clin d'oeil, l'histoire démarre d'ailleurs par une conversation entre le héros et un livreur de volailles qui l'a pris en stop (plus ou moins forcé) dans sa fourgonnette, sur le thème « la cambrousse, ça sent mauvais ». Mais « Mormol » n'est pas le « privé à la cambrousse » et Sardon n'est pas Heitz. Il y a ici une chronique douce-amère de la vie d'un pauvre type. Mormol glisse sur la vie comme un ski fou sur une piste noire. On croirait qu'il ne peut rien lui arriver, tant le personnage semble transparent. Et de fait, il ne lui arrive pas grand chose, du moins dans un premier temps. Mais la machine se dérègle, puis s'emballe. Le gentil Mormol est-il le responsable des catastrophes en série qui jalonnent son parcours ? Attire-t-il les emmerdes comme un aimant la limaille ? Les habitant de St Balbin ne prennent pas le temps d'y réfléchir. C'est tellement plus simple de désigner un coupable que de le juger...
Ibicus - tome 3 (Ibicus) par Thierry Bellefroid
« Ibicus, Livre 3 », par Rabaté, chez Vents d'Ouest.

A force d'insister, je finirai par paraître suspect : Pascal Rabaté est un génie. Génie du dessin, d'abord. Après avoir travaillé ses deux premiers tomes au lavis, il s'est mis à l'acrylique. Le résultat, à l'impression, n'est guère différent des deux premiers. Mais voir ses planches originales permet de comprendre tout le trajet effectué depuis les débuts de cette audacieuse adaptation d'Alexis Tolstoï. Avec l'acrylique, Rabaté travaille moins la transparence et davantage la matière. Il privilégie les gris. Et surtout, il se passe désormais totalement de crayonné. Seul le pinceau le guide. Le résultat est toujours aussi magique. Ibicus reste un souffle qui vous emporte à chaque album, quelles que soient vos attentes. Avec ses visages déformés et ses « effets de caméra », Pascal nous entraîne dans l'univers tortueux et sans scrupule du plus veule des héros de BD. Siméon Nevzorov est plus pleutre que jamais dans ce livre troisième. Et Rabaté le maltraite avec un plaisir évident. Brillamment réussie, cette adaptation n'a rien d'un roman mis en image. C'est de la narration, de l'image et de l'évocation. Car à l'instar d'un Guibert, Pascal Rabaté n'en rajoute jamais. Aucun détail inutile dans les décors, aucun frein à la lisibilité. Juste ce savant mélange de signifiant et d'esthétique. Prenez une planche au hasard, mettez-la sous verre. Ca y est, vous avez un très joli cadre ! Tout ça pour dire que les planches d'Ibicus ne sont pas seulement belles. Elles sont équilibrées, chaque case y a sa place et met les autres en valeur. Avec ce livre troisième, Pascal se montre bel et bien à la hauteur de ce qu'on peut attendre d'un dessinateur qui a reçu l'Alph'Art du meilleur album.

Si vous passez par Bruxelles, ne manquez pas la superbe expo organisée par la librairie Brüsel (100, Boulevard Anspach, à 1000 Bruxelles, jusqu'au 6 novembre). Et si vous ne pouvez pas vous y rendre, faites un tour sur leur site, www.brusel.com, vous pourrez au moins y visiter l'expo virtuelle.
No Limits par Thierry Bellefroid
« No limits » par derib, dans la collection Signé des éditions du Lombard.

Bon, c'est vrai, « No limits » est très premier degré, très attendu, cousu de fil blanc. Mais passé ce constat évident, l'album n'est pas dépourvu de qualités, loin de là. A commencer par celles de son auteur, qui débordent des cases. Derib n'est pas à son coup d'essai en matière de BD « éducative ». Il signe ici la plus évidente d'entre elles. Qu'est-ce qui peut toucher plus de jeunes, en effet, que la simple crise d'adolescence décuplée par un divorce parental ? Plus que la drogue, plus que la prostitution ou le SIDA, il s'agit d'un thème universel qui concerne tous les ados. Reste à savoir s'ils se laisseront prendre par la main et conduire comme de gentils agneaux vers un happy end inéluctable... Rien n'est moins sûr. Car derrière les motivations tout à fait louables du projet demeurent certaines interrogations. Comment les jeunes élèves mis en présence de cette histoire par leur professeur de morale ou de français vont-ils prendre la chose ? Comment « l'obligation » de lecture jouera-t-elle en défaveur du propos ? Difficile d'y répondre. En Suisse, en tout cas, plusieurs « sponsors privés» ont rejoint les pouvoirs publics et ont déjà acheté des centaines d'exemplaires pour les offrir aux écoles. Leurs fonds s'ajouteront à ceux de la « Fondation pour la Vie » créée lors du projet « Jo », cette BD sur le SIDA dessinée au début des années 90 par Derib et que l'auteur voulait largement diffuser parmi les jeunes. Le principe, cette fois, est plus compliqué. « No limits » existera en deux versions. La version commerciale, disponible en librairie, servira de bailleur de fonds pour le projet. Les droits d'auteur seront intégralement reversés à la Fondation qui pourra, avec cet argent, imprimer l'autre version, la version éducative. Moins onéreuse et surtout agrémentée d'un dossier spécifique, cette BD-là devrait inonder les écoles suisses, françaises et belges, où elle sera proposée gratuitement.
Au-delà de l'aspect purement pédagogique du projet, la BD -la vraie, serait-on tenté de dire- se vendra donc en librairie ; elle figure dans la collection « Signé » d'une maison d'éditions très « morale », souvent décrite comme historiquement catholique. Mais elle figure aussi au milieu d'un catalogue qui reprend désormais l'ensemble de l'oeuvre de Derib. L'un ne va pas sans l'autre. Derib se sent bien au Lombard parce que le Lombard apprécie Derib, son engagement et son talent. Il faut donc voir ce nouveau livre « engagé » comme le résultat à la fois d'une volonté personnelle de l'auteur (qui s'affirme de plus en plus au fil des ans) et d'une complicité avec un éditeur qui sait pourtant que « No limits » n'atteindra sans doute pas des chiffres de vente proches de ceux d'un « Alpha », par exemple. Fort du succès de ses dernières séries, le Lombard peut se permettre de jouer les mécènes et on ne peut que l'en féliciter. Espérons simplement que le lecteur fera la différence entre cet album et d'autres titres de la série comme le récent « Liens de sang » de Hermann...
Quant à l'histoire, elle est aussi simple que révélatrice du malaise que peuvent ressentir les jeunes d'aujourd'hui. En choisissant un trio d'ados (la soeur aînée et ses deux frangins) très « dans l'air du temps » (beau talent d'observation de Derib en matière de look des personnages, entre autres) l'auteur peut espérer toucher plusieurs couches d'âge et les deux sexes, en dépit du côté très masculin de l'album. Le récit est bien découpé, bien mené. Même si, comme je l'écrivais plus haut, il ménage peu de surprises. Et surtout, il y a le trait de Derib, vif, aéré, que l'on connaît et que l'on apprécie depuis plus de 35 ans.
« Les mangeurs de rouille », tome 4 de la série Chinaman, par TaDuc et Le Tendre. Aux Humanoïdes Associés.

Retour en force du moins américain des western. Après avoir un peu perdu son âme en louchant vers les classiques du genre (dans « Pour Rose », le tome 3), Chinaman retrouve tout ce qui fait sa spécificité. Et c'est tant mieux. Car ce quatrième opus est peut-être bien le meilleur depuis le tout premier qui bénéficiait, lui, de l'effet de surprise.
Le Tendre s'amuse ici à confronter son héros chinois à un épisode du Far West pourtant totalement éculé : la construction du chemin de fer. Y penser, c'est déjà avoir un certain nombre d'images indélébiles en tête, allant de Blueberry à Lucky Luke en passant par Comanche. Pourtant, il y avait moyen de faire du neuf avec cette page d'Histoire déjà tant disséquée par la BD. Il suffisait d'adopter un autre point de vue, en l'occurrence celui du Chinois. Et Le Tendre réussit parfaitement à nous faire oublier les autres BD du genre. Mieux, il redonne à Chinaman une raison d'exister dans le paysage surchargé du western. La rivalité entre les ouvriers irlandais et chinois sur le chantier, les « hommes-paniers », les codes et les lois régissant la vie de la communauté chinoise, tout cela constitue la matière d'une histoire originale et inédite que TaDuc dessine avec beaucoup de minutie. Au contraire du précédent, que j'avais parfois ressenti comme bâclé, cet album me semble soigné. Découpage, décors et personnages sont efficaces et mériteraient peut-être un plus grand format.
« Le chemin de Laurie », tome 4 de la série « Le cercle des Sentinelles ». Par Desberg et Reculé, chez Casterman.

Pas facile de reprendre une série au pied levé. C'est pourtant ce que réussit Henri Reculé dans ce quatrième et ultime tome du cercle des sentinelles créé par Wurm et Desberg. Il n'y aura pas de suite pour autant. Reculé, qui travaille déjà avec Desberg chez les même éditeur sur la série Poppéa, a accepté de « dépanner » son ami et scénariste désireux de mettre fin à son association avec Wurm, mais soucieux de terminer une histoire inachevée. Pas la peine de chercher pour quelle obscure raison le tandem original n'a pu aller au-delà de trois albums, penchons-nous tout simplement sur le quatrième. En commençant d'abord par saluer la prestation graphique de Reculé qui donne au récit une vivacité ou une nervosité qu'il n'avait pas jusque-là et qui tombe fort à propos dans cet album plus violent que les précédents. Peu à peu, en effet, les collégiens de Cambridge ont vieilli. Une certaine innocence, qui caractérisait le début de la série, a fait place à davantage de réalisme. L'histoire entamée avec le troisième tome « Bienvenue Mister Gandhi » trouve ici un prolongement grave et tendu auquel on ne s'attendait pas nécessairement. Intelligent, documenté, historique, le scénario ne vire jamais pour autant à la tranche d'Histoire. Ces tomes trois et quatre reposent sur la fin de l'Empire colonial britannique et sur l'Indépendance de l'Inde et du Pakistan. Plusieurs personnages sont réels et leurs motivations tout à fait plausibles. Mais on est bien dans de la BD, dans la mesure où les principaux protagonistes sont des personnages de fiction souvent guidés par une vision romanesque de la vie. Le souffle de la grande aventure n'est pas loin. Et Desberg a la bonne idée d'y jeter de jeunes adultes pétris de défauts et de contradictions, ce qui les rend justement crédibles et intéressants. Dommage, bien sûr, que Wurm n'ait pas été de l'aventure jusqu'à la fin, pour une question de cohérence. Mais que cela ne vous empêche pas de lire cet album, ni les trois précédents.
« Marcher dans Carthage une nuit sans lune » tome 2 de la série Koblenz. Par Thierry Robin. Chez Delcourt.

Thierry Robin est un dessinateur hors norme. Soucieux du moindre détail -pour ne pas dire maniaque, mais au bon sens du terme !- il nous livre des albums qui sont autant de petits bijoux. Celui-ci nous emmène à Carthage, puisque Koblenz change d'époque et de lieu à chaque histoire. Et Thierry nous livre une vision personnelle, totalement onirique de cette ville détruite. Mais une vision qui s'appuie sur des recherches minutieuses et un patient travail d'archiviste. C'est là tout l'intérêt de ce livre, à cheval entre rêve et Histoire. Le lecteur perd un à un ses repères et plonge à l'intérieur du monde imaginé par Thierry Robin pour ses héros. Un monde qui renvoie aux lectures et aux films vus par l'auteur sans jamais les plagier. Ici, l'érudition sert l'imaginaire, à la manière d'un David B ou d'un Emmanuel Guibert. C'est rare. C'est riche. C'est beau. Et c'est, en plus, empreint d'une émotion toute personnelle qui déteint sur le lecteur. C'est vrai, les méandres de l'histoire ne sont pas toujours faciles à suivre. Mais vous serez pleinement récompensés si vous vous concentrez un peu. Un très beau livre.
« L'Ascension du Haut Mal N°5 » par David B. A L'Association.

David B poursuit sa petite psychanalyse personnelle en forme de chef d'oeuvre. C'est vrai, pour certains, ce déballage intérieur est dérangeant et malsain. Je reste convaincu pour ma part qu'il ne s'agit pas que d'une oeuvre égoïste ou égocentrique au voyeurisme insupportable. Oui, David B se montre sans aucune pudeur et montre avec lui tous ceux qui l'ont accompagné dans cette ascension du Haut Mal : son frère épileptique, sa soeur, ses parents. Mais il le fait avec cette distance qui caractérise les quatre premiers tomes. Et avec, cette fois, une volonté de transcender la confession familiale en nous faisant pénétrer comme jamais son petit monde intérieur.
Car si quelque chose rend cet album indispensable, ce n'est pas seulement d'être la suite d'une des histoires autobiographiques les plus troublantes de sincérité qui soient. C'est d'être la clé d'un monde intérieur dont la richesse est le ferment de quelques-unes des meilleures BD de ces dernières années (ne citons que « Le capitaine écarlate » chez Dupuis, l'un des deux ou trois meilleurs albums de l'année) En cela, la lecture de « L'ascension du Haut Mal » s'impose déjà. Elle vous permettra d'entrer dans les méandres d'un imaginaire à peu près sans limite et d'en comprendre la genèse. En parlant moins immédiatement de son parcours familial, David B vient en effet de nous livrer le tome le plus personnel et le plus abouti de cette série, y compris au plan graphique.
« Le retour de Mananifek », tome 1 de la série Chiquito la Muerte. Par J-L Capron et H. Micol.

Rien que le nom de la série donne envie d'ouvrir l'album. Chiquito la Muerte, ça sonne vachement bien. Jean-Louis Capron nous offre un délire digne du « Rancho Bravo » qu'il avait déjà commis chez Fluide avec Blutch au dessin (en attendant un album de plus de 150 pages avec Killoffer, à paraître sous peu au Seuil). On retrouve l'imaginaire et l'humour décalé de cette nouvelle génération d'auteurs français qui ont su renouveler la BD ces dix dernières années. Le dessin d'Hugues Micol, qui laisse volontiers apparaître la plume, rappelle quant à lui les Joann Sfar et Christophe Blain qui se sont taillés une jolie réputation dans ce créneau. Mais ne nous méprenons pas, cet album n'est pas un hommage ou un plagiat. Il a sa vie propre. Capron recycle habilement un thème usé jusqu'à la corde et nous raconte une histoire de vampires drôle et originale. Rien à voir avec « Rapaces » ! Ici, on nage dans la dérision, dans l'imagination totale. Deux esprits s'opposent (on pourrait résumer en disant qu'ils représentent le Mal et le Bien, mais le Bien est loin, ici, d'être parfait !) et entraînent avec eux tous ceux qu'ils croisent : hommes, enfants, animaux. Tout est permis dans cette farce macabre. Le ton est libéré, ce qui permet de rencontrer des situations ou des personnages tout à fait inattendus. Ainsi, le shériff Slim qui promène ses parties génitales au grand air. Ou le petit Chiquito dont le fantôme pleurnichard vient gâcher la vie de celui qui a volé son enveloppe corporelle. Vous passerez un bon moment à la lecture de cette BD qui aurait aussi bien pu paraître à L'Asso ou dans la collection Poisson Pilote de Dargaud, mais qui a finalement trouvé une place chez Delcourt, dans la collection qui abrite déjà les excellents albums de la galaxie « Donjon ». Preuve que le genre s'exporte bien...
Ante Genesem (Prophet) par Thierry Bellefroid
« Ante Genesem », le tome 1 de Prophet. Par Xavier Dorison et Mathieu Lauffray. Aux Humanos.

Ouvrez cet album à n'importe quelle page. Cherchez une erreur de découpage ou de dessin. Vous n'en trouverez pas. Au contraire, vous avez toutes les chances de tomber sur des planches d'anthologie et sur des dessins qui pourraient connaître une belle carrière sous forme de sérigraphie. A tel point que l'on regrette presque qu'un album aussi abouti accouche d'une couverture finalement assez moyenne. Certaines pages sont tout simplement incroyables. Ainsi, la double page 20-21. La page 26. L'autre double page 46-47. Et bien sûr, la page finale, la 48. Mais il y a bien d'autres planches extraordinaires et en faire le relevé prendrait trop de temps. Résumons en disant que non seulement Mathieu Lauffray est un très grand dessinateur qui a réussi à mettre en images les visions apocalyptico-dantesques de Dorison mais qu'en outre le découpage (qui doit sans doute beaucoup à Dorison lui-même) est un modèle du genre.
Quelques mois après le très remarqué tome 1 des « Mémoires mortes » imaginé par Denis Bajram et dessiné par Lionel Chouin, revoici une Manhattan d'Apocalypse, avec tout ce que cela permet d'images choc. Mais en véritable orfèvre du scénario, Dorison va chercher son inspiration dans les textes sacrés qui lui ont si bien réussi par ailleurs (qui n'a pas encore lu « Le troisième Testament », par Dorison et Alice, chez Glénat ?) Avec cet habituel mélange d'Indiana Jones et du Nom de la Rose, adapté cette fois à l'époque moderne et à un monde fantastique qui rappelle les maîtres du genre, Dorison construit un suspense haletant, peuplé d'images fortes. La construction du récit est intelligente, l'imaginaire du lecteur constamment suscité, l'horreur plus suggérée que montrée. A ce sujet, l'errance de Jack Stanton dans les marais est assez exemplaire, avec ce paroxysme atteint dans les pages 33-34. Rien à dire, on frise la perfection. Et pour un dessinateur qui a abandonné la BD après son premier essai (« Le serment de l'ambre », pour rappel), Mathieu Lauffray relève tous les défis avec brio. Cette nouvelle association vaut donc bien celle qui lie Xavier Dorison à Alex alice. Et même si quelques esprits chagrins ne manqueront pas de dire qu'il y a quelque chose du troisième Testament dans cette nouvelle série, il n'y a pas lieu de s'en formaliser. Car ce quelque chose, c'est avant tout le talent !
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