Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Baptême du feu (Authority) par Thierry Bellefroid
« Baptême du feu », tome 1 de la série « Authority », par Warren Ellis et Bryan Hitch. Chez Soleil Comics.

Sans doute la moins enthousiasmante des sorties de cette nouvelle collection dédiée à la BD US chez Soleil. Sans doute aussi la plus purement dédiée à l'action pour l'action. C'est vrai que c'est une BD grand spectacle. Ça bastonne dans tous les sens d'un bout à l'autre de l'album. Faut dire qu'un méchant a décidé de rayer les grandes capitales de la carte en y envoyant des légions de clones volants presque indestructibles. Et tout ça, juste pour se venger. En face, la panoplie habituelle de super héros dotés chacun d'un pouvoir bien spécifique. Une équipe qui échappe à tout contrôle, à toute autorité, et qui décide de sa propre initiative de sauver le monde. Evidemment, ils gagnent à la fin. Evidemment, la scénario ne couperait pas trois pattes à un canard. Evidemment, c'est efficace et rudement bien découpé. Mais bon, au-delà de ça, y a pas photo, je conseille plutôt l'autre série de Warren Ellis, Planetary.
L'Affaire Madame Paul par Thierry Bellefroid
« L'affaire Madame Paul », par Julie Doucet. A L'Association.

Ça commence comme une chronique « villageoise » à Montréal. Tout y est. Julie et son « chum » emménagent dans un nouvel appartement. Il ne le sent pas, il ne se privera pas de le lui rappeler tout au long de ces 40 pages, d'ailleurs. L'appart en question se trouve dans un environnement assez moyen. Julie est souvent dérangée, que ce soit par les voisins bruyants et parfois violents, par sa logeuse très bavarde Madame Paul ou par les neveux de cette dernière, qui sont plus nombreux qu'il y paraît au début. On croit que la vie va s'écouler comme ça, chronique douce-amère de la vie de deux jeunes gens dans leur nouveau lieu de vie. Et puis tout à coup, Madame Paul disparaît de la circulation sans laisser de trace. Julie joue les limiers avec sa copine (au grand dam de son ami que la jalousie a tendance à aveugler) et l'album change de propos. Publiée sous forme de feuilleton d'une page, l'histoire est gentiment loufoque. Un résumé commence chaque planche, qui est conçue comme un tout. Les arguments finaux ne convainquent pas nécessairement, mais l'ambiance est sympa. Quant au dessin, il ne séduira que les lecteurs habitués à l'alternatif, les autres n'iront pas au-delà de la couverture. Ce qui fait à la fois la fraîcheur de l'album et à la longue, son handicap, c'est qu'il est écrit en français du cru... Truffé d'expression inconnues sous nos latitudes mais aussi d'argot, de mots amputés, de transcriptions phonétiques, il a indéniablement « le goût du voyage » pour les lecteurs du Vieux Continent. C'est amusant mais c'est parfois difficile à suivre.
« Voleurs d'étincelles », tome deux de la série « Candélabres », par Algésiras. Chez Delcourt.

L'impression laissée par la lecture du premier album se confirme : Candélabres s'annonce comme une excellente série. Elle a tout ce qu'il faut pour ça. Un graphisme simple mais efficace, des personnages denses, attachants, bien exploités. Des couleurs soignées. Une intrigue à la fois complexe et captivante. Un rythme agréable. Un propos intéressant qui joue notamment sur la psychologie des personnages. Bref, plus on avance dans ce récit dont la base et le principal mystère résident dans le pouvoir du feu qui relie tous les personnages, plus on se surprend à échafauder soi-même des explications ou des hypothèses. Car au bout de deux albums, Algésiras a laissé beaucoup de questions sans réponse. Sans en avoir l'air, il dévoile un coin du secret par ci, un autre par là. Mais la grande explication, elle, n'a pas encore eu lieu. L'intelligence tient dans le fait que le lecteur n'a pas pour autant l'impression d'être délibérément baladé afin de faire traîner l'histoire en longueur. Des événements se passent, de nouveaux personnages viennent compléter le puzzle complexe des Candélabres, surgissant avec leur propre part de vérité. Et surtout, le héros -mais peut-on appeler Paul un héros ?- suit son propre parcours sans se focaliser sur la seule résolution de l'énigme. Sensible, fragile, l'ex-danseur décrit le monde qui l'entoure et ceux qui ont contribué à faire de lui ce qu'il est aujourd'hui. Ça fonctionne parfaitement et le lecteur pénètre un univers où la chaleur de la flamme semble cacher une part d'ombre inquiétante.
Angel Rock (Caroline Baldwin) par Thierry Bellefroid
« Angel Rock », le tome six de la série Caroline Baldwin, par André Taymans. Chez Casterman.

Quelques jours avant la sortie pléthorique des nouveaux titres « tout public » de Casterman (onze nouvelles séries rien que pour cette année 2000 !), voici le sixième Caroline Baldwyn, l'un des piliers de ce renouveau éditorial. Pas vraiment BD adulte comme l'étaient les romans (A SUIVRE), Caroline n'est pas pour autant une détective pour lecteurs en culottes courtes. C'est que les thèmes abordés sont volontiers difficiles. Plus encore dans ce nouvel album où André Taymans change radicalement de ton. Confrontée à sa séropositivité -un élément avec lequel Caroline va devoir « vivre », désormais-, l'héroïne n'est plus à proprement parler ici la détective qu'elle était dans les précédents épisodes. Taymans a choisi d'en faire plutôt une femme fragile, spectatrice plus qu'actrice. Une démarche assez semblable à celle de Benoît Roels dans les albums de « Bleu Lézard ». Passé une certaine dose d'événements personnels incroyables, le héros perd parfois sa part humaine, son potentiel d'identification. Ici, en renversant les rôles, l'auteur le rapproche au contraire du lecteur. Jamais, sans doute, Caroline Baldwyn n'a semblé si accessible, si proche de nous, de nos réactions, de nos doutes aussi. Même si le prologue constitue un modèle de faux suspense (qui peut croire un instant que l'héroïne appuiera sur la détente pour se suicider ?), la suite constitue la plus belle histoire de la série. Les paysages sont superbement exploités (notamment la partie en canoë, très belle), les personnages sont originaux -surtout celui du jeune artiste muet qui donne un beau relief à l'album- et l'histoire est assez crédible dans son ensemble. Le tout est servi par cette ligne claire que l'on connaît bien et qui atteint peut-être parfois ses limites ici. Il est en effet assez difficile de créer un véritable climat intimiste et des profils psychologiques prépondérants à l'aide d'un dessin qui privilégie à ce point la clarté, l'esthétique, la propreté. Hormis ce petit reproche, je n'ai que des raisons de vous pousser à lire cet album décisif qui sera le pivot vers une exploitation plus aventureuse, moins policière, du personnage central. Bravo à André pour son audace : peu d'auteurs auraient osé faire de leur héroïne principale un personnage séropositif. Bravo aussi à Stephane Caluwaerts, auteur d'une très belle interview d'André Taymans parue parallèlement à la sortie de l'album dans la nouvelle collection « A propos de », des éditions Nautilus.
Sous deux Soleils (Broussaille) par Thierry Bellefroid
« Sous deux soleils », tome 4 de la série Broussaille, par Frank et Bom. Aux éditions Dupuis.

« La nuit du chat », troisième et dernier album en date des aventures de Broussaille, datait de... 1989 ! Depuis, absorbé comme chacun sait par la saga de « Zoo » pour la collection Aire Libre (avec Bonifay), Frank avait délaissé son premier héros ; Broussaille n'avait connu qu'une vingtaine de pages non publiées en album, en 1993. Elles constituent la première des deux histoires reprises sous le titre « Sous deux soleils » que Dupuis édite enfin, après onze ans de silence. Quand l'attente est longue, les attentes sont démesurées. Les miennes l'étaient forcément. Je ne dirai pas que j'ai été déçu par cet album qui, rien que pour le dessin magistral de Frank, vaut déjà l'achat. Mais je n'y ai pas retrouvé le même enchantement que dans les trois premiers. « Le discret pouvoir de Jizô », première aventure qui date donc de 93, est une sorte de projections de diapositives entre amis sur le thème du Japon. D'autres diront « un carnet de voyage », mais je trouve que l'élément personnel est trop faible ici pour employer ce terme. L'histoire est vraiment une excuse et même un ticket de métro serait trop grand pour y jeter les bases du scénario. Heureusement, il y a la deuxième histoire, « Sandrine des collines », qui nous emmène à Bujumbura. Les images sont magnifiques, mais il n'y a pas que ça. « Sandrine des collines » renoue avec ce qui fait le sel de cette série depuis ses débuts : les personnages, les relations entre des hommes, des femmes et la nature. La fillette emmurée dans son silence que Broussaille va réveiller sans le chercher vraiment, est le véritable intérêt de cette histoire. Sans elle, on passerait à côté de l'essentiel et ce « Sandrine des collines » serait un deuxième catalogue de voyage derrière « Le discret pouvoir de Jizô ». Heureusement, il n'en est rien. Beaucoup de sensibilité dans le traitement de cette histoire de famille et cette marque de fabrique de la série qu'on retrouve : l'aventure, c'est le quotidien, les gens, la vie tout simplement. Mon seul regret tient dans le format très court de l'histoire. Même si beaucoup de choses passent en 25 pages (certains feraient bien d'en prendre de la graine... en une case, Frank plante tellement de choses et d'ambiance que beaucoup de ses collègues doivent en être verts de jalousie), on regrette que les auteurs n'aient pas laissé aller leurs imaginations vers une histoire de 46 planches qui eût permis de fouiller davantage le profil des personnages et de ne pas être obligé, comme c'est le cas ici, de filer droit vers le mot fin sans vraiment prendre le temps de s'arrêter, de douter, de réfléchir, d'apprivoiser le lecteur.
« La mort comme un piment », tome 1 de la série L'Orfèvre, par Warnauts et Raives. Dans la collection Grafica des éditions Glénat.

De plus en plus productif, le duo Warnauts-Raives. Après un one-shot publié chez Casterman (Kin' la belle) avec Michal Vandam au scénario et un nouveau cycle des « Suites vénitiennes », voilà qu'ils entament une nouvelle série chez Glénat. L'Orfèvre, c'est ce drôle de flic au physique un rien grassouillet et poupon, mais qui combine apparemment sans état d'âme ses fréquentations peu recommandables, son érudition, sa mission plus ou moins diplomatique et sa précision au tir. Un homme étrange, un héros atypique très réussi, du moins jusqu'ici. Le lecteur est intrigué, il ne reçoit pas toutes les clés pour décoder les comportements de Charles-Albert Lafleur dit L'Orfèvre. Il reçoit encore moins celles de l'énigme qui se clôt sur un insoutenable suspense (merci de jouer avec nos nerfs, les gars, rendez-vous dans un an pour savoir ce qui se passe dans la case suivante ?...) Mais il pénètre un univers intéressant et crédible fait d'éléments d'Histoire et de fiction. Nous nous trouvons en effet dans une république bananière d'Amérique Centrale dont le nom ne figure pas sur les Atlas. Mais confrontés à des événements qui eux, sont tout à fait réalistes. Comme le quasi monopole de la production de la banane par une société « United Fruit » qui rappelle étrangement ce qui s'est passé à peu près à la même époque au Costa Rica. Comme les moeurs déliquescentes de certains milieux diplomatiques au retour d'Indochine. Bref, un travail « à la Hergé » mêlant parfaitement le vrai et l'imaginaire, jusque dans l'architecture très soignée de ce Puerto Caballo de BD.
En résumé, Warnauts et Raives nous proposent tout à la fois une étude de moeurs et une intrigue policière sous les tropiques qui constitue peut-être à ce jour ce qu'ils ont fait de mieux. Guy Raives parvient encore à perfectionner des couleurs déjà très soignées dans ses dernières productions. Il est parfois à la limite du mièvre, mais il arrive toujours à rester en-deça de la frontière du mauvais goût. Là où d'autres céderaient à la facilité, il plonge dans la subtilité. Du travail d'orfèvre, quoi.
« Novembre toute l'année », tome 11 des aventures de Théodore Poussin, par Frank Le Gall. Dans la collection « Repérages » des éditions Dupuis.

Habilement publié... en novembre, ce nouvel opus était très attendu par tous les amateurs de Théodore Poussin. Il nous propose, sinon un huis-clos au sens propre du terme, une enquête en milieu clos. L'essentiel de l'histoire se passe en effet à bord du Cap Padaran où Poussin est commissaire de bord. Une enquête policière qui n'est finalement qu'un prétexte pour mieux explorer les troubles relations que la suspicion peut faire naître entre les personnages. Au centre de l'album, le grand retour de l'énigmatique Novembre et sa relation non moins énigmatique avec Théodore Poussin, convaincu de tenir en la personne de son ancien meilleur ennemi le tueur en série qui s'attaque à tous les gens blessés, attiré par l'odeur du sang. Novembre ne cesse pas de professer son innocence, mais l'ambiguïté du personnage est remarquablement entretenue par l'auteur. Très différent de la dernière aventure en deux tomes parue avant cette longue interruption, cet album est un modèle de sobriété, de concision, de retenue. C'est aussi une sorte de retour aux sources. Les décors sont presque insignifiants et réduits aux espaces du bateau lui-même. Finis les paysages luxuriants ou coloniaux de « La terrasse des audiences ». Ici, pas d'Asie, mais de l'eau, tout le temps ou presque. Et une gamme de couleurs qui privilégie un climat intimiste. Les personnages, nombreux, ont chacun leur intérêt. L'histoire se déroule comme un roman d'Agatha Christie, avec son inévitable dénouement final que l'on ne pourra s'empêcher de trouver un rien trop facile. Pour le reste, du plaisir et du bonheur. Même si l'on sait que ce ne sont pas précisément les mots qui ont présidé à la création de cet album ! Car Frank Le Gall a sué sang et eau sur ce nouvel opus, comme il l'explique dans l'excellent dossier de nos amis de Bodoï publié dans leur numéro 34 du mois d'octobre... et dont la lecture est un excellent complément à celle de l'album.
La couleur de l'enfer (Lapinot) par Thierry Bellefroid
« La couleur de l'enfer », septième tome des « formidables aventures de Lapinot », par Lewis Trondheim. Dans la collection Poisson Pilote des éditions Dargaud.

A force de produire comme un forcené, il faut bien que le génial Lewis Trondheim finisse par livrer un album ou l'autre un peu moins excitant. Celui-ci en est l'exemple parfait. Parcouru d'un bout à l'autre d'excellents dialogues (Trondheim est vraiment un grand dialoguiste) il n'en est pas moins faiblard en regard des premiers épisodes de la série, récemment réédités dans leur version Poisson Pilote par les éditions Dargaud. Lapinot devient de plus en plus réaliste et perd du même coup l'intérêt qu'il avait à ses débuts, ce côté inclassable et surprenant qui déroutait à chaque nouvelle histoire. Désormais, comme s'il identifiait l'univers de la série aux tribulations qu'il fait vivre à son héros, Trondheim a choisi la continuité. Une continuité en forme de « tranche de vie ». La bande de copains s'est réduite, Nadia et Lapinot qui ont si longtemps joué à cache-cache travaillent ensemble en attendant de faire le grand plongeon de la vie commune. Bref, ça ronronne sec. Ça ronronne même un peu trop. On se laisse faire sans grand enthousiasme, on sourit gentiment. Les choses semblent presque prévisibles. Dommage parce qu'il y a tout de même quelques très bons moments dans cet album. Le meilleur est sans aucun doute la visite de l'appartement du vieil homme sur lequel Nadia fait un reportage avec l'aide de Lapinot. Appartement qui semble tout d'abord très ordinaire et qui est finalement... tout à fait fou. Toujours efficace, également, le bon copain Richard et ses aventures avec la « créature » du voisin de palier, un animal nommé Dark Vador. Bref, il y a la patte de Trondheim, l'humour de Trondheim, le talent de Trondheim, mais pas la magie de Lewis.
Déogratias par Thierry Bellefroid
« Deogratias » de Stassen. Dans la collection Aire Libre des éditions Dupuis .

Le génocide des Tutsis en 1994 (un million de morts, pour rappel) a frappé toutes les mémoires. Plus que les Français sans doute, les Belges n'ont pas oublié. Parce qu'ils ont administré le pays dans leur lointain passé colonial. Parce qu'ils en ont façonné les structures. Parce que l'Eglise missionnaire belge y a joué un rôle déterminant, souvent dénoncé depuis. Parce que la Belgique y a perdu dix Casques Bleus, assassinés dans des circonstances atroces en avril 94 dans un climat de haine propagé par une radio locale (radio Mille Collines, à laquelle Stassen fait d'ailleurs allusion dans cet album). Parce que la Belgique a été le premier pays à mettre sur pied une commission d'enquête parlementaire pour analyser son propre rôle dans cette terrible page d'histoire. Mais le Rwanda n'est pas qu'une histoire belge, loin s'en faut. Souvent montrée du doigt, la France n'a jamais admis sa part de responsabilité dans l'un des plus graves échecs de l'après-guerre, comme dans l'imbroglio politique autour de l'assassinat du président Habyarimana qui a finalement servi d'excuse au déclenchement du génocide. La publication de cet album permettra donc peut-être aux plus jeunes de poser ou de ses poser des questions à propos des événements de 94. En cela, « Deogratias » est déjà un album salutaire. A l'instar des « Oubliés d'Annam » ou « d'Azrayen », il vient empêcher le temps de refermer les mémoires.
Jean-Philippe Stassen y ajoute une part personnelle primordiale. Car cet album n'est ni un pamphlet ni un essai. C'est une belle histoire, tragique sans doute, mais touchante, humaine, pudique surtout. En suggérant le génocide, Stassen ne lui donne que plus de poids. Certains lecteurs comprendront peut-être enfin ce qu'ils n'ont pas ressenti en voyant les infos à la télé. Car le pouvoir de suggestion de ces images est incroyable. Il tient sans doute essentiellement à la qualité des personnages, tous plus vrais que nature. Le principal d'entre eux -et sans conteste le plus touchant en dépit du sang qu'il a sur les mains- est Deogratias, le héros. Pauvre gosse devenu fou d'avoir tué celles qu'il aimait, d'avoir suivi le troupeau, cédé à la haine gratuite, sanguinaire, bestiale et veule. En choisissant de raconter l'histoire à travers lui, Stassen se grandit. Car il choisit la difficulté. Car il transcende les questions de culpabilité ou de responsabilité un peu trop vite évacuées.
Il y a des images magnifiques dans cet album. Notamment celles où Deogratias se transforme en chien (une transformation qui est un thème cher à Stassen comme en témoigne notamment son précédent album). Mais aussi la scène de l'école où l'instituteur prêche la haine entre Tutsis et Hutus. Ou ces fillettes qui sortent de leur cachette immonde (les latrines où elles ont passé des semaines) pour implorer les tueurs de les épargner. Une BD poignante, empreinte de respect, d'émotion et d'une justesse rare. Une BD comme seule la collection « Aire Libre » nous en livre. Et je n'ai même pas parlé ici du talent pictural de Stassen, tant cela semble presque secondaire...
« Diablo et Juliette », le tome trois de la série « Un drôle d'ange gardien ». Par Filippi et Revel. Chez Delcourt Jeunesse.

Trente nouvelles pages de bonheur pour les lecteurs d'un « drôle d'ange gardien ». Chaque histoire apporte la confirmation du talent des auteurs. Avec cette légèreté qui les caractérise, ils arrivent à emmener les enfants dans un monde imaginaire particulièrement riche tout en ravissant les adultes par les côtés esthétiques de leur projet. Car le dessin de Sandrine Revel reste l'atout majeur de la série. Toujours plus beau, avec des couleurs toujours plus soignées, il nous emmène cette fois des toits parisiens aux canaux de Venise et aux maisons bigarrées de Burano. Un enchantement. Tout ça sur fond d'histoires très mignonnes où même les méchants n'arrivent pas à l'être vraiment (sauf, peut-être, la cousine de Diablo, Diablotta qui est le moteur de ce troisième tome) et où les créatures de l'Enfer révèlent leur bon coeur à chaque page. C'est drôle, enlevé, magique, inattendu. Pour les enfants, ça se lit comme un conte et pour les adultes, c'est une bonne BD enfantine. L'irruption des enfants de Diablo et Juliette (qui sont respectivement le bon petit diable et l'ange gardien, pour rappel) a ajouté du piment à la série. Elle permet aussi aux plus jeunes lecteurs de s'identifier plus encore au monde qui y est développé. Mais les parents ne résisteront pas non plus. Rien que pour la qualité époustouflante du dessin, n'hésitez pas, plongez-vous dans cet album !
« La Guilde du Safran », tome 1 de la série « Le prophète de Tadmor », par Gomez, Montero et Tarek. Chez Vents d'Ouest.

Une belle surprise, cette nouvelle série. Projeté dans un futur pas si lointain (l'histoire se passe en 2070), le lecteur découvre un univers imaginaire intéressant. Istanbul, puis Tunis et surtout Dakar offrent des visages inconnus et intriguants. On est parfois proche des visions d'un Sergio Garcia dans les Géographies Martiennes. L'idée d'interdire l'utilisation des épices dans les rites religieux est originale. C'est une variation sur un thème connu, celui de la prohibition religieuse. Mais elle débouche sur une situation bien exploitée par les auteurs qui emmènent leur héros dans des situations troubles et difficiles où il s'aperçoit qu'il y a un prix à payer pour la liberté. Car les personnages de cette nouvelle saga ne sont pas plus sympathiques les uns que les autres, ne fût-ce que par les « gueules » que leur a faites le dessinateur, Ivan Gomez Montero. C'est d'ailleurs le dessin qui m'a attiré le premier. Des cases larges, d'une très grande lisibilité, des couleurs cohérentes et typées à la fois, des personnages aux visages anguleux, coupants, malheureusement trop souvent caricaturaux mais pour autant plutôt accrocheurs. Le côté Iznogoud du physique de Elzar le Mourid me gêne un peu, de même que ses mimiques très dessin animé (mâchoires crispées, dents en exposition) lorsqu'il est en colère ou lorsqu'il se bat, mais bon, ce n'est pas pour ça qu'il faut refermer l'album ! Le crayonné se veut apparent, même après la mise au net, un peu comme celui de Delaby sur le premier Murena. Tout cela confère une atmosphère à cet album. Malgré les quelques passages un peu faciles ou bâclés de l'histoire, on a envie d'en lire davantage, pour confirmer cette bonne impression.
La boîte noire par Thierry Bellefroid
« La boîte noire » de Ferrandez et Benacquista. Chez Futuropolis/Gallimard.

Après un très beau duo chez Casterman (L'outremangeur), on espérait au moins aussi bien. C'est raté. « La boîte noire » aurait dû rester cette nouvelle de Benacquista publiée dans le recueil « Tout à l'ego ». Inadaptable en BD, l'histoire de cet accidenté de la route dont la mémoire se débloque le temps d'une nuit, lui donnant la clé de son existence, est une aventure intérieure et comme telle, est tout sauf imagée. Résultat, la BD n'apporte rien, si ce n'est de plaquer des images redondantes sur un texte qui n'en avait nul besoin pour vivre. Les trois quarts des cases montrent Laurent Aubier, 35 ans, réparateur de photocopieuses et présentement héros de l'histoire, en train de déambuler d'un endroit à l'autre pour recoudre le patchwork de son existence. Qui plus est, le dessin de Jacques Ferrandez paraît bâclé. Il suffit de rouvrir « L'outremangeur » pour s'en convaincre. La différence est flagrante. Elle l'est encore davantage si vous relisez les derniers Carnets d'Orient. Tout ceci manque de finesse, de vision, de finition. Le dessin de cette « Boîte noire » paraît aussi brouillon que les pensées de son héros et ce n'est pas peu dire ! Bref, un objet dispensable, qui prouve qu'on ne peut pas sortir deux BD par an et faire deux cartons, uniquement parce qu'elles sont écrites par des romanciers. C'est pourtant l'impression qu'on a en voyant que Gallimard s'offre cette « Boîte noire » après un Tardi-Pennac (La débauche) qui a beaucoup fait parler de lui en janvier dernier. Comme si cet éditeur voulait s'approprier les duos « dessinateur-romancier » sans autre vision que d'aligner les noms disponibles dans sa bibliothèque. Un vrai directeur éditorial de BD n'aurait sans doute pas publié cet album tel quel... Dommage, parce que l'histoire est loin d'être mauvaise.
Auschwitz par Thierry Bellefroid
« Auschwitz » de Pascal Croci. Un album du label « Atmosphères » des éditions du Masque.

Publié à peu près au même moment que « Déogratias » (par Stassen, chez Aire Libre, Dupuis, voir critique par ailleurs), cet album sur Auschwitz frappe par son côté brut, presque documentaire. D'un côté, Stassen propose de mieux comprendre le génocide rwandais en créant un vrai récit de fiction, avec des enfants pour principaux protagonistes. Son but est de permettre au lecteur une certaine identification qui va entraîner un intérêt pour l'Histoire. De l'autre, la démarche de Pascal Croci est de combattre l'oubli avec un album dur, entièrement basé sur des témoignages réels, très peu « fictionnalisé », si l'on me permet ce néologisme. En dépit du temps et de l'énergie qu'il y a consacré, force est de constater que le résultat est moins probant. « Auscwhitz » reste un livre d'école, une BD pour professeurs de morale. Cela n'enlève rien à son talent graphique. Car Croci dessine remarquablement bien et donne à travers son noir et blanc une vision parfois plus effrayante que ne l'eût fait la couleur. Les décors rigoureusement reproduits, le souci du détail, le travail sur les gris : tout cela est remarquable. Mais on aime moins les regards exagérément agrandis pour insister sur l'horreur des camps, les phylactères aux formes tourmentées qui rappellent un peu les BD d'épouvante et surtout, ces personnages sans véritable histoire personnelle auxquels on ne peut que difficilement s'attacher. Outre le fait qu'il est difficile de croire que c'est à la fin de leur vie qu'un couple de rescapés se racontent mutuellement l'horreur des camps et la façon dont leur fille y a laissé la vie, le fait d'avoir placé ce récit en flash-back dans une guerre en ex-yougoslavie dont l'auteur n'exploite finalement que le nom paraît inutile. Bien sûr, l'idée est de dire que rien n'est fini et que l'Histoire peut se répéter. Mais à force de collectionner les bonnes intentions, on sabote son propre discours. C'est une peu ce qui apparaît à la lecture de cet album. Pascal Croci semble s'être laissé enfermer dans les souvenirs de ses témoins, comme s'il n'avait plus eu le droit de faire une vraie fiction. Cela manque d'humanité. Le regard est froid, clinique, extérieur. On est loin de films qui ont ému comme « La liste de Schindler » ou, dans un registre plus discuté mais pas moins efficace, « La vie est belle ». Bref, si j'ai frissonné plus d'une fois en lisant cet album (certaines scènes sont vraiment très fortes. Notamment, les pages 45-55 qui constituent véritablement le pivot et le coeur de ce récit, lorsque le héros, Kazik, doit entrer dans la chambre à gaz encore fumante pour en enlever les corps), je suis resté sur un malaise. L'impression que vouloir faire une fiction réaliste a finalement moins d'impact sur le lecteur que le « Maus » de Spiegelman, avec ses souris et ses chats dans la situation des Juifs et des Allemands. Mais cet avis peut-être un peu sévère ne doit pas masquer le fait que « Auscwhitz » est une oeuvre utile (s'il l'est ne fût-ce que dans les classes d'école, c'est déjà gagné, non ?) et courageuse. Croci s'est manifestement très bien documenté et beaucoup investi, ce qui est d'autant plus remarquable qu'il n'est pas Juif lui-même ; il a simplement voulu témoigner d'une réalité de son siècle. La lecture de l'album ne laissera pas indifférent. J'ai simplement peur que l'option retenue n'éloigne une partie du public et notamment la cible principale : les plus jeunes.
L'usine électrique par Thierry Bellefroid
« L'usine électrique » de Vincent Vanoli. A L'Association.

L'usine électrique est sans doute l'un des meilleurs ouvrages de Vincent Vanoli, si pas le meilleur. D'abord pour le ton qui y est développé. Intimiste et mystérieux, industriel et poétique, social et fantastique. Les contraires s'attirent, dit-on. Ils le font ici très naturellement et composent une toile narrative étonnante, en marge de ce que la BD traditionnelle nous propose. Vanoli est aussi au sommet de son art graphique et profite d'un huis-clos dans les paysages enneigés des Vosges pour nous prouver sa maîtrise des gris et des compositions. Tant dans l'usine (où l'on repense à certains dessins de Christophe Blain dans « Le réducteur de vitesse ») qu'à l'extérieur, son style s'affiche avec beaucoup d'aisance et de grâce. « L'usine électrique » réserve en effet quelques cases magnifiques et un dessin que l'on peut véritablement qualifier d'esthétique. Dommage, d'ailleurs, que la couverture soit si pauvre, alors que l'album recèle, lui, quelques très beaux tableaux qui eussent pu donner du souffle à l'album en paraissant en couverture à la place de ce personnage attablé un rien tristounet. Mais ne boudons pas notre plaisir. J'ai dévoré cet album sans m'ennuyer une seconde, tant le ton du début (pas un seul phylactère pendant les 22 premières pages ! Seulement une alternance de voix-off et de dessins muets...) m'a enthousiasmé d'emblée. Et comme la suite était tout-à-fait inattendue, le plaisir n'a fait que croître.
Secret Défense (XIII) par Thierry Bellefroid
« Secret Defense », le tome 14 de la série XIII. Par vance et Van Hamme. Chez Dargaud.

La couverture annonce le programme. Il y aura des femmes et des flammes dans ce nouvel épisode. Elle révèle surtout que William Vance est tombé dans le pot de couleur orange. En ouvrant et feuilletant l'album, vous verrez que sa coloriste, Petra, a elle aussi un faible pour le rouge et le roux qui tranchent dangereusement sur des tons de base assez ternes. Mais ne résumons pas cette nouvelle aventure aux qualités et défauts de sa mise en couleur. L'histoire ? Attendue, dans tous les sens du terme. Car il est évident qu'après trois ans sans nouveauté (en dehors du treizième album, hors collection, « The XIII Mystery, l'enquête »), l'attente du public est forte, très forte. Dargaud fait tout ce qu'il faut pour l'attiser, d'ailleurs, puisque XIII fait l'objet d'une campagne de promotion phénoménale avec pour ambition de vendre 500.000 albums de cette nouveauté (soit 150.000 de plus que « Le Jugement », paru en septembre 97 !)
Attendu, ce XIII l'est aussi au plan du scénario. Le retour d'Irvina Svetlanova, les nouvelles cartes venant brouiller les pistes sur l'identité de XIII, la course-poursuite qui occupe la moitié de l'histoire (et qui se prolongera dans la suivante)... Rien que de très classique. Et rien de très passionnant, même si en bon lecteur de la série, je me suis laissé guider jusqu'à la dernière page sans trop résister. Mon seul étonnement aura été de découvrir un clin d'oeil à Bruno Brazil (de Greg et Vance, pour rappel) en tombant sur un sosie plus vrai que nature de Gaucho Morales (même les célèbres « tamale ! » sortent de sa bouche comme si c'était lui). Pour le reste, je me demande toujours jusqu'où pourra aller Jean Van Hamme avant de lasser ses lecteurs. Il est vrai que le succès croissant de la série ne peut pas déboucher sur son arrêt à plus ou moins court terme (quel éditeur et quels auteurs seraient assez fous pour s'arrêter en si bon chemin ?). Mais il est tout aussi vrai que si XIII n'avait pas dépassé les huit premiers épisodes, je ne serais pas en train de le critiquer aujourd'hui. De géniale, la série s'est transformée en... commerciale. Et même si les chiffres de vente viennent rappeler au journaliste que je suis que son avis est bien peu de chose face au succès public, je ne peux m'empêcher de regretter une inévitable baisse de régime depuis plusieurs années. Remettons quand même les pendules à l'heure : Jean Van Hamme est incontestablement un des grands scénaristes du moment. A eux seuls, le nouveau XIII et le nouveau Largo Winch dépasseront le million d'exemplaires à l'impression ! Ça force le respect... et ça vient rappeler, comme une évidence trop vite oubliée, que c'est aussi grâce à Jean Van Hamme que Dupuis peut publier des albums moins « rentables » comme ceux de la collection Aire Libre, ou Dargaud, ceux de la collection Poisson Pilote.
Pleine Lune par Thierry Bellefroid
Je viens de lire... « Pleine lune » par Chabouté. Chez vents d'Ouest.

« Zoé », le précédent opus de Christophe Chabouté, louchait trop vers le « maître » Comès pour qu'on puisse lui reconnaître de réelles qualités. Pourtant, il n'en manquait pas, comme l'avait déjà prouvé le précédent essai, « Quelques jours d'été », une petit album paru chez Pierre Paquet qui avait obtenu l'Alph'Art Coup de Cœur à Angoulême.
Et voici que paraît enfin l'ouvrage de maturité, la BD dans laquelle Chabouté laisse éclater son talent, libère son dessin, se dégage des influences et des héritages. Derrière une superbe couverture (sans doute une des plus réussies de l'année !), 120 pages en noir et blanc entre farce sociale et thriller haletant. On entre dans cet album sans aucune difficulté, car la scène du début est parfaite de vérité : un petit fonctionnaire coincé joue de son modeste pouvoir derrière son guichet. Discours raciste et réac, physique de beauf, Chabouté a tapé juste. Son « héros » est détestable, dès la première minute... et jusqu'à la dernière. C'est sans doute ce qui est le plus inattendu. Malgré toutes les horreurs qui lui tombent sur le coin de la gueule, Edouard Tolweck ne change pas d'un iota et reste le même con de la première à la dernière page. Pleutre, primaire, misanthrope, égoïste. Et jusqu'à la fin, on est totalement incapable d'éprouver quelque sympathie pour le personnage. Chabouté a totalement réussi son pari : faire un livre à la fois drôle, noir et « moral ». Cette BD parle peut-être mieux du racisme et de l'extrême-droite que des ouvrages plus politiques. Elle fait rire, mais jaune. Et puis, même si la descente aux enfers menée tambour battant paraît parfois accumuler trop de coups du sort, on se laisse faire avec un bonheur certain. D'abord parce que le rythme est remarquable. Ensuite parce que le dessin est extraordinaire. Il y a notamment quelques visions magistrales (je pense au clown et à l'éléphant, bien sûr). Enfin, il y a la fin, inattendue et magnifique, qui justifie tout. Un très grand album qui mérite bien de figurer dans la collection « Intégra » de Laurent Galmot, où l'on trouve aussi Ibicus, une collection qui réalise un véritable sans faute.
« Les spectres du Caire », tome 1 de la série Ada Enigma, par Dutreuil et Maingoval. Dans la collection « Carrément BD » de Glénat.

Voici enfin le deuxième album de cette collection au format carré. Après un troublant « Immondys », on était curieux de savoir ce que nous réservait ce nouveau concept. « Ada Enigma » vient nous prouver l'intérêt du format. Regardez le découpage de cet album, observez bien l'agencement des cases, vous verrez qu'il n'aurait pas été le même dans un format traditionnel. En cela, Paul Herman justifie pleinement la création de sa collection. Le plus curieux, sans doute, étant que c'est justement grâce au format carré que les auteurs jouent régulièrement sur de longues bandes plates un peu à la façon du 16/9 ou du cinémascope. En effet, les cases exploitées dans toute la largeur du format mais de faible hauteur sont les plus intéressantes de l'album (en plus des pleines pages, évidemment). Pour le reste, le dessin est superbe, ainsi que les couleurs, même si l'on reprochera (surtout dans les premières pages) un climat exagérément sombre. Vincent Dutreuil (dont c'est le premier vrai album de BD) a du talent et un sens du découpage. On lui pardonne volontiers quelques maladresses dans les proportions des visages. On aimerait en revanche qu'il évite d'entourer ses personnages de lignes blanches ou de traits d'encrage très prononcés qui en font des silhouettes en relief sur un décor de carton, ce qui accentue inutilement l'effet 2D de la BD. Pour ce qui est de l'histoire, il y a beaucoup de bon... et une grande frustration. La fin de l'album n'apporte pas les réponses que le lecteur espère. Mais il y a une héroïne attachante et intéressante, un décor bien exploité et un contexte historique qui ne l'est pas moins. Les personnages centraux et secondaires directs sont bien campés, le mystère plane d'un bout à l'autre, bref, tout ça fonctionne plutôt bien. On attend un deuxième tome aussi bon, avec des réponses en plus !
Petit Trent (Trent) par Thierry Bellefroid
« Petit Trent », tome 8 de la série Trent, par Rodolphe & Léo. Chez Dargaud.

Incontestablement, le fait d'avoir introduit un enfant au coeur de ce huitième tome a changé quelque chose à l'esprit de la série. Cet album est de loin le plus sensible, le plus humain de tous. Le personnage de Jeremy est très crédible, non seulement parce qu'il s'exprime comme un gosse, mais aussi parce qu'il réagit comme tel. A cet égard, la fin relativement inattendue est exemplaire, car elle donne à la fois du sens et de l'épaisseur à cet épisode. Rodolphe ne nous a pas habitués à jouer ainsi sur le velours, même si l'on sait depuis longtemps qu'il est l'un des scénaristes les plus portés sur l'aspect psychologique de ses personnages (ceux qui voudraient s'en convaincre liront « Le Blaireau », « Dock 21 » ou « Cliff Burton »). Ciselé tout en finesse, donc, ce scénario permet d'affiner le côté humain de Trent. C'est très réussi. Le policier n'en est que plus attachant. Belle idée également, celle de la lettre rendue invisible par un séjour dans l'eau, lettre par laquelle sa compagne semble avoir annoncé à Trent la venue d'un enfant. Basée sur le fantasme de paternité que nourrit la lettre d'Agnès, se construit une relation entre le policier et Jeremy, l'enfant dont il assure la sécurité. C'est le véritable objet de l'album. Bref, histoire après histoire, Rodolphe conçoit un monde et des personnages à taille humaine, ce qui ne peut que convenir à Léo qui a construit toute son oeuvre solo sur ce principe. Leur association se justifie pleinement, même si l'on préférerait voir Léo s'occuper exclusivement de « Bételgeuse » et, par conséquent, satisfaire plus rapidement nos envies de suite.
« Pourquoi toujours moi ? », tome trois de la série Doggyguard, par De Groot et Rodrigue. Au Lombard.

On reconnaît les séries de Bob De Groot à cent mètres, même lorsqu'il change de dessinateur. C'est le cas avec ce Doggyguard. Le premier album jouait déjà comme celui-ci sur les mêmes recettes que Léonard ou Robin Dubois. Avec cet humour gros comme une maison, où les balles font des trous inoffensifs et les chutes de 100 mètres ne débouchent jamais que sur de gros plâtres. Rien à dire, De Groot a regardé tous les Tex Avery. On retrouve dans son comique la même mécanique transformant la violence en dérision, proposant des héros indestructibles à qui l'on peut faire subir chausse-trappe sur chausse-trappe. Mais là où la vitalité du dessin animé peut faire oublier une certaine lourdeur et une certaine systématisation, la BD trouve vite ses limites. C'est le cas ici. Au point qu'on en vient parfois à avoir l'impression que De Groot se caricature lui-même. Gag après gag, ce sont les mêmes recettes, les mêmes mimiques, les mêmes trouvailles visuelles qui sont recyclées jusqu'à plus soif. A force, on finit par décrocher, d'autant que la bêtise affligeante des deux personnages centraux n'arrange rien. A tout prendre, mieux vaut relire un vieux Léonard...
Le fils de l'autre (Bitume) par Thierry Bellefroid
« Le fils de l'autre », tome 5 de la série Bitume, par Michel Constant et Michel Vandam. Chez Casterman.

On ne peut pas dire que cet album soit un modèle de délicatesse. Les deux auteurs foncent à travers tout vers leur dénouement en forme de fin inéluctable. Les intentions sont louables. Avec cette nouvelle histoire, les deux Michel ont voulu s'attaquer à la violence familiale et construire autour de ce thème une sorte de polar psychologique vengeur. Seulement, en la matière, il y a embouteillage, tant en littérature qu'au cinéma. Et pour inventer un profil de psychopathe valable et accrocheur, il ne suffit plus aujourd'hui de l'avoir fait s'interposer entre un père infidèle aux moeurs violentes et une mère éplorée. D'autant que les cartes sont dévoilées sans mystère, juste après le début de l'histoire. Semer les cadavres d'abord, donner les indices ensuite eût été plus percutant. On assiste donc à une sorte de démonstration sans surprise, le long d'un bitume lui-même peu excitant. Seules les trois premières pages m'ont semblé excellentes. Cette scène d'enterrement insolite est particulièrement bien imaginée et très bien découpée, un modèle de prologue. Dommage que tout soit si convenu ensuite. Et ce n'est pas la fine observation du milieu des routiers ni le carnet de route joint à l'album qui sauveront les meubles. Sans compter que les personnages de Michel Constant continuent d'afficher des gueules qui ressemblent à des masques de latex au nez retroussé et aux yeux étirés. Vous l'aurez compris, je n'ai pas craqué. Surtout après un assez joli et intimiste « Paris-Trottoir », de loin le meilleur album de la série.
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