Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

« Les superhéros injustement méconnus » de Larcenet. Chez Fluide Glacial.

On connaît l'humour de Larcenet, qui essaime de plus en plus vers les grandes maisons d'édition. La sortie conjointe de ce nouvel album chez Fluide et du tome 1 de Pedro Coati chez Dupuis (avec Gaudelette au dessin) prouve qu'il n'est pas à court d'idées. Difficile de résister à l'humour décalé qui pave cet album d'un bout à l'autre. Ces superhéros injustement méconnus n'ont rien à envier au Super Dupont de Gotlib. Ils sont tout aussi ridicules et maladroits. Exemple, Super Timide Boy qui laisse une jeune fille se faire dévorer par Godzilla (et qui lui laisse raser le XIVème arrondissement au passage) parce que dès qu'il voit une donzelle il perd tous ses moyens. Ou Wonder Mecanicien, qui finit sa carrière méritoire en commettant une bévue de la taille d'une catastrophe naturelle. Ou encore Combustion Man qui n'est autre que Landru. Tous plus drôles et plus loufoques les uns que les autres, voilà des superhéros qui tournent généreusement le dos à leurs cousins d'Amérique. Si Larcenet devait recevoir une bourse pour soutenir l'humour français, cet album serait gagnant à tous les coups. Bref, c'est drôle, décalé, parfois gentiment cynique et toujours parfaitement dessiné par un Larcenet à qui le noir et blanc va comme un gant. Mention spéciale pour les mots de passe que doivent s'échanger Hyper défoncé Man et son dealer, ils m'ont bien fait rire...
« Comme un vol de flamants », tome 2. Par Ramon Finster et Franck Dumouilla. Chez Pointe Noire.

Suite et fin de cette histoire dessinée par Franck Dumouilla à partir du roman de son ami Ramon Finster. On retrouve tous les personnages du premier album pour un final presque allégorique. C'est vrai que lorsqu'on referme ce deuxième tome, on se dit qu'on vient de lire une histoire totalement idéaliste, qui n'a pas de rapport avec le monde tel qu'il est. Cette variation sur Don Quichotte est en effet trop pétrie de bons sentiments et trop merveilleuse pour pouvoir être prise au pied de la lettre. Car si Julien et son jeune ami narrateur se contentaient de jouer les « garnements irrévérencieux » dans le premier album, ils passent ici à la vitesse supérieure avec une facilité un rien déconcertante. Sans foi ni loi, ils expérimentent ce que peut vouloir dire le mot liberté lorsqu'on le prend dans son acception la plus dangereuse. « Carpe diem » est leur devise. Leur folle cavale les pousse loin au-delà de ce que la morale peut accepter, mais leur soif de justice et de fraternité excuse tout. C'est donc une fable plus qu'un roman que composent les auteurs. Une fable sur la vieillesse, la mort, l'amour, la liberté. Une fable sur la difficulté de rester en dehors des codes, de sortir des marges. Mais ces marginaux-ci sont finalement tellement ordinaires qu'ils nous renvoient au petit grain de folie qui sommeille en nous et ne demande qu'à se faire arroser. Non, l'histoire de Julien, en tant que telle, n'est guère crédible. Mais aidé du dessin « naïf » de Franck Dumouilla (qui a considérablement mûri depuis les premières planches !), Ramon Finster réussit, par delà la mort (pour rappel, il a disparu avant la fin du premier album) à nous faire rêver à ce monde d'utopies auquel il aspirait. C'est beau, généreux et presque désespéré à la fois.
Kyoto Béziers par Thierry Bellefroid
« Kyoto Béziers », par Pierre Duba et Daniel Jeanneteau, chez Six Pieds Sous Terre.

« Kyoto Béziers » est à la fois une bande dessinée, un livre et une expérience. Deux amis, Pierre Duba et Daniel Jeanneteau, décident d'établir une correspondance quotidienne pendant les quelques mois que le second, scénographe, va passer au Japon pour étudier le Nô. Pierre Duba dessine ce qu'évoquent pour lui les textes reçus de son ami, tout en racontant son quotidien : ses enfants, la région où il vit entre vignobles et mer, celle d'où il vient (l'Alsace), ses rêves et ses voyages intérieurs. L'ensemble pourrait être décousu, sans intérêt. Au contraire, cet aller-retour entre le Japon et la France fonctionne admirablement, parce qu'il a les accents de la sincérité. Daniel Jeanneteau commence tout naturellement par le récit de son voyage. Il en a retenu exactement les mêmes choses que le héros du livre « Attentat », d'Amélie Nothomb. Impossible de ne pas penser à elle, d'ailleurs, en lisant cette bande dessinée. Le Nô renvoie à son dernier ouvrage, où la romancière parle de sa prime enfance (« Métaphysique des tubes » chez Albin Michel). La différence entre les deux cultures rappelle d'autres ouvrages comme « Stupeur et tremblements » (même éditeur). Bref, il y a d'inévitables rapprochements. Et même si la langue de Daniel Jeanneteau ne peut rivaliser avec celle de la célèbre romancière, il y a une véritable musicalité dans les textes des deux auteurs, que ce soit chez Jeanneteau ou chez Duba (si l'on pardonne quelques fautes d'orthographe vraiment peu élégantes !). Une musicalité qui se double d'une approche du dessin très poétique. Déjà très proche d'Edmond Baudoin dans son graphisme, Pierre Duba assume encore davantage cette filiation dans le traitement de l'imaginaire intérieur. Son trait à l'encre de Chine fait fi des cases et se promène n'importe où sur la feuille, évoquant plus qu'il ne raconte, éthéré, léger, libre. En deux carnets, les auteurs ne racontent pas seulement le monde autour d'eux, ils se racontent, eux. Sans fausse pudeur. Sans artifice. C'est touchant, parfois grave, toujours sincère.
Le val des ânes par Thierry Bellefroid
« Le val des ânes » par Matthieu Blanchin. Chez Ego Comme X.

Il y a des gens qui sont doués pour se raconter. C'est le cas de Matthieu Blanchin. Dans cette chronique de son enfance, il nous emmène à la découverte du « Val des ânes », ce petit bout de campagne où il échoue avec ses deux frères, à l'âge où l'on a peur de rien, si ce n'est dormir dans le noir. Les trois Blanchin vont faire les 400 coups et Matthieu semble n'avoir rien oublié. Anecdotes, souvenirs émus et scènes d'anthologie se succèdent sur ce petit bout de terre. On met des pétards dans les bouses de vaches, on en teste l'un ou l'autre dans l'arrière-train d'une poule, on compare les anatomies des garçons et des filles, on terrorise le cadet en lui racontant d'horribles histoires, on fait des concours de lance-pierre sous les fenêtres, bref, une enfance insouciante et drôle, que Matthieu Blanchin raconte avec fraîcheur et spontanéité pour notre plus grand bonheur. La lecture de ce livre est un régal, elle a ce parfum d'authenticité des bons albums de récits de jeunesse, ceux qui vous touchent, vous font rire et vous rappellent vos propres bêtises d'enfant. Un beau moment.
Gabrielle par Thierry Bellefroid
« Gabrielle », par Kara. Chez Pointe Noire.

A lire cet album sans connaître son auteur, on pourrait croire qu'il s'agit d'une femme. Il se dégage en effet de cette histoire une « féminité » qui s'exprime tant dans le dessin que dans les caractères des personnages. Kara est pourtant un homme. Et ses personnages principaux ne sont pas tout à fait des femmes. Il s'agit plutôt de deux gamines, Gabrielle et Raphaëlle. Archanges de leur état, elles vont se livrer un étrange et terrible combat. L'une est revenue de tout ; elle sait que le Paradis a été anéanti et s'est associée au Diable pour gagner une place en Enfer, le seul lieu où la vie éternelle semble encore avoir un sens. L'autre est restée pure, idéaliste, jusqu'à mettre sa propre vie en péril. La confrontation peut avoir lieu.
Influencé par la manga et peut-être même surtout par le dessin animé japonais, Kara n'a pas hésité à dessiner deux fillettes aux grands yeux, qui semblent aussi innocentes que l'enfant qui vient de naître. Elles évoluent dans un décor qui doit beaucoup à l'Art Nouveau et qui pourrait s'inspirer au moins en grande partie du New York du début du XXème siècle. Couleurs et architecture témoignent en tout cas d'une recherche évidente. Quant à l'histoire, elle surprendra par son apparente cruauté. Kara ne ménage pas ses héroïnes à l'apparence trop innocente. Il les confronte à un monde violent, cynique et désabusé. Le résultat est intéressant. Même si le scénario est un peu convenu, l'univers, lui, est inventif.
La Prophétie de Korot (La roue) par Thierry Bellefroid
« La prophétie de Korot », tome 1 de la série « La roue », par Goran Skrobonja et Drazen Kovacevic. Dans la collection « Vécu » des éditions Glénat.

Pas à dire, ces deux-là n'ont pas usurpé leur première place au concours organisé en 99 par les éditions Glénat sur le thème du troisième millénaire. La Roue est une série qui promet. Et même si le dessin de Drazen Kovacevic est encore hésitant, voire imparfait, il laisse transparaître une certaine personnalité et une sensibilité intéressante dans le traitement des couleurs. Les choix chromatiques du dessinateur sont en effet très opportuns. Dans la partie « contemporaine » de l'histoire (futuriste serait plus judicieux si l'on se place du point de vue du lecteur, puisque l'action se passe en 2053), il privilégie les gris et les dominantes ternes, métalliques. Dans cette société futuriste dominée par la technologie, le héros « Chester », ancien sportif déchu aujourd'hui condamné pour le meurtre de sa femme, croupit en prison avant d'être soumis à « La roue ». Dans la partie « médiévale », en revanche, on retrouve une gamme de couleurs beaucoup plus vives dominée par les bleus (le cyan, surtout). Ces choix chromatiques balisent parfaitement deux univers que tout oppose... jusqu'au sexe du héros, transformé en femme lorsqu'il est soumis à l'autre époque.
L'idée sur laquelle repose la nouvelle de Goran Skrobonja est excellente. Afin de désengorger les prisons, on dissocie l'esprit du corps des prisonniers grâce à un procédé scientifique et l'on garde l'enveloppe charnelle du condamné pendant une durée déterminée dans des caissons cryogénisés, cela pendant que son âme est « aspirée » dans un vortex qui l'envoie dans une autre dimension. En l'occurrence, l'esprit de Chester se retrouve dans le corps d'une princesse, sur une planète inconnue, à une époque médiévale, à l'heure de conflits de pouvoir sanglants. Pour survivre, Chester doit s'adapter tout en jouant le rôle qu'on attend de lui. Tout cela fonctionne à merveille et permet à l'auteur de toucher à tout. Ni historique à proprement parler, ni fantastique au sens propre, son récit touche à la SF, à l'héroïc-fantasy, à l'anticipation... Flirtant avec tous les genres, il entraîne le lecteur dans une dimension proche du jeu de rôles (l'auteur avoue d'ailleurs avoir été en partie influencé par « Donjons et Dragons ») où l'imagination est sans limite. C'est original, vif, difficilement classable (ce qui déplaira forcément aux adeptes des étiquettes en tout genre...). Les défauts sont ceux d'une première BD (qui plus est adaptée d'une nouvelle) : trop bavard, parfois confus, tiré en longueur au risque de paraître creux ou gratuit à certains moments (trop de scènes de combat) et bien sûr, imparfait au plan du dessin. Mais ces petits défauts ne doivent en aucun cas vous arrêter, ce serait vous priver d'une bonne histoire.
Craquelures (Les faussaires) par Thierry Bellefroid
« Les faussaires », tome 1. Par Bazile. Chez Hors Collection.

Bruno Bazile, vous le connaissez peut-être déjà. Il a signé deux albums chez Dargaud, les Forell, sur scénario de Plessix. Le voilà qui débute en solo. Et on peut dire que ça lui réussit. Sur le thème de la peinture et de la création, il nous propose quatre nouvelles « policières », qui vont du milieu du XIXème à 1945. Quatre histoires qui rappellent le récent « Green manor » paru chez Dupuis, parce qu'elles puisent ici aussi aux sources de la logique. « Les faussaires » ne raconte pas nécessairement des histoires de faussaires, mais bien des histoires d'usurpation, de tricherie, de veulerie dont le point commun est d'avoir un rapport avec la peinture. C'est à chaque fois subtil et inattendu, intelligent et original. C'est aussi dessiné de main de maître par Bruno Bazile. Sur un fond gris tirant sur le beige, son noir et blanc granuleux fait des merveilles. Personnages, ambiances, décors, tout est donné sans effort apparent, mais avec une étonnante justesse. Un très bel album.
Love Story par Thierry Bellefroid
« Love Story », par Eco, chez Paquet.

Eco n'est pas le premier à tenter l'aventure de l'histoire muette. Mais il est peut-être le premier à avoir si brillamment joué sur des phylactères iconiques. Car contrairement à des expériences comme celles de Trondheim ou Robin, il y a ici une série d'informations complémentaires qui passe par les petits dessins contenus dans les phylactères. Un peu comme si le cinéma muet avait été doublé d'une bande sonore en chansons. Eco arrive à faire sourire aussi bien à travers l'histoire qu'il raconte que grâce à ces petits rébus placés au-dessus des personnages. Son dessin dépouillé au découpage ultra-classique (un gaufrier à six cases le plus souvent) est plaisant et fonctionne à l'économie. Le héros -qui se fait larguer par sa compagne au début de l'histoire- est plus une victime de l'amour qu'autre chose. Le titre « Love Story » est en effet un peu trompeur, car ce brave garçon s'en va expérimenter un large éventail de désillusions tout au long de l'album. Entre des filles qui lui préfèrent un grand blond baraqué, une voisine à la libido déchaînée aussi laide qu'un pou et un vieux marin qu'il croise de ci de là, il n'a en tout les cas pas le temps de s'ennuyer. Le lecteur non plus.
« Dans la peau d'une femme », par Walthéry, Di Sano et Mythic, chez Joker éditions.

Changement d'équipe pour le tome deux de cette histoire érotico-policière qui correspond parfaitement au catalogue des éditions Joker (ex-P&T). Le premier volume, « Une femme dans la peau », brillait davantage par ses défauts que par ses qualités. Le scénario de Fritax était confondant d'invraisemblance et se traînait en longueur. L'histoire était simple : un type qui s'est fait écraser par un bus se réveille dans le corps d'une superbe blonde à la suite d'une expérience diabolique perpétrée par un savant fou dans les sous-sol de la morgue. Décidément, les scénaristes masculins aiment beaucoup les histoires d'hommes emprisonnés dans des corps de femmes, puisqu'il y a deux autres albums conçus sur cette idée : « La roue » (chez Glénat) et « Tirésias » (Chez Casterman). Passé ce constat, le premier volume n'apportait pas grand chose, y compris au plan du dessin. Walthéry, qui a son nom en grand sur l'album, ne dessine pas grand chose, il se « contente » de diriger l'équipe. Pour le premier album, c'était Georges Van Linthout (« Falkenberg » au Lombard ou « Les enquêtes Scapola » chez Casterman) qui s'y collait et on sentait bien qu'il « faisait » du Walthéry comme un Tibet qui ferait du Peyo. Comble de l'affaire : les filles qui étaient censées nous faire perdre le sommeil étaient tout simplement vulgaires et pour tout dire... pas très jolies. Le dessin échoit désormais à Di Sano (qui a bien profité de « l'effet Dany » pour lancer sa propre carrière chez P&T) et on ne peut que constater que c'est beaucoup plus agréable à lire. Mais surtout, Mythic (déjà complice de Walthéry sur « Rubine ») a repris le scénario. Et là, il y a une vraie différence. Spécialiste des reprises au pied levé (c'est lui qui a déjà sauvé « Alpha » des eaux, lui construisant le succès que l'on sait), Mythic s'est attaché à trouver une suite originale, plus nourrie. L'histoire prétexte du mec devenu une fille passe au second plan et devient un récit plus ou moins policier dans lequel des anciens nazis fatigués veulent profiter de l'invention dont a bénéficié l'héroïne pour reconquérir le monde dans le corps de... jeunes filles de la bonne société. Ca paraît un peu n'importe quoi dit comme ça, mais j'avoue que j'ai trouvé l'idée amusante et que l'humour de Mythic fait passer la pilule. C'est finalement beaucoup plus drôle et beaucoup plus fin qu'annoncé dans le premier album. Mythic a même tenté de gommer toutes les incohérences du premier scénario (mais une entreprise de scénaristes dirigée par Van Hamme lui-même ne suffirait pas à la tâche ! ) et Di Sano semble s'amuser à ses côtés. Une surprise réjouissante, donc, après le sinistre du premier opus. A confirmer dans le prochain volume : « Au malheur des dames ».
« Extraits Naturels de carnets, t.2 », par Lolmède, à La Comédie Illustrée.

« Ce matin, avec ma femme, on est allé faire les courses. En sortant, on a croisé la voisine, elle nous a raconté qu'elle avait perdu son chat. La voiture était givrée. On a dû s'y prendre à trois fois pour la faire démarrer. »
Voilà à peu près le genre d'histoires que raconte Lolmède dans ses carnets. Totalement dénuées d'intérêt, d'une vacuité à peu près sans équivalent, ses petites histoires narcissiques n'ont même pas l'heur d'être bien dessinées. L'auteur est-il persuadé de son génie ou surfe-t-il sans inspiration sur la vague de la BD autobiographique, très en vogue depuis quelques années ? Toujours est-il qu'on est loin du « Journal » d'un Fabrice Neaud (Ego Comme X) ou de l' « Approximativement » d'un Trondheim (Cornélius). Aucune distance, un humour qui flirte avec le degré moins vingt, des personnages aussi inconsistants que les histoires... n'est pas Mattt Konture qui veut ! Ces carnets (datant de 1994 et publiés en 2000) méritaient de rester dans un tiroir, pas d'être publiés. Pour amis de l'auteur, uniquement !
L'Expédition perdue (Darkan) par Thierry Bellefroid
« L'expédition perdue », tome 1 de Darkan. Par Plongeon, Mougne et Pinchon. Chez Nucléa.

Beaucoup d'éléments de cette bande dessinée viennent en droite ligne d'autres ouvrages ou films. Le début m'a d'ailleurs paru un rien trop prévisible. Mais il faut reconnaître qu'on aurait tort de ne pas la lire jusqu'au bout. Empruntant beaucoup à A.L.I.E.N., l'histoire nous propulse dans une lointaine galaxie où des humanoïdes chauves semblent régner sans partage. Ils sont soumis à l'autorité d'une caste supérieure (merci Jodo) dont est issu le héros, Darkan, Commandeur, fils du Commandeur Suprême, en mission dans l'espace au début de cette histoire. Darkan et les siens vont entrer en contact avec des aliens, qui essaiment dans leur communauté en « piquant » leur victime et en intégrant leur corps, semant la confusion dans leurs rangs. Rien que de très classique jusque-là. Ce qui sauve l'histoire, c'est la découverte d'une femme, une Terrienne, que fait Darkan à bord d'un vaisseau étranger échoué. Maintenue en caisson cryogénique, cette « créature » possédant des cheveux (et un assez joli minois, d'ailleurs) pourrait bien être l'une des descendantes d'une expédition jadis disparue corps et biens, mais dont les anciens ont longtemps parlé. L'histoire peut rebondir et vraiment démarrer. Mais on n'est plus très loin, déjà, de la fin de ce premier album qui est donc surtout une mise en place. Dommage, sur la fin, on a vraiment envie d'en savoir plus. Mais Isabelle Plongeon, la scénariste, a au moins réussi à ferrer son lecteur, ce qui n'est pas si mal dans un genre où tant d'histoires se ressemblent. Reste à voir où nous mènera cette histoire dessinée « façon SF » par François Mougne et mise en couleurs par Emmanuel Pinchon.
« Le fléau des dieux », tome 1, « Morituri te salutant », par Valérie Mangin et Aleksa Gajic. Chez Soleil.

Il fallait y penser : transposer l'affrontement entre Huns et Romains dans l'espace ! Seul Denis Bajram pouvait avoir une idée aussi folle. Valérie Mangin (sa compagne à la ville) a sauté sur l'occasion pour se lancer à son tour dans la grande aventure de la BD. La jeune scénariste a toutefois dû prendre son mal en patience. Alors que Soleil était prêt à miser sur son projet, la guerre en Yougoslavie l'avait privée de son dessinateur. Le festival d'Angoulême 2000 devait lui permettre de renouer avec Aleksa Gajic et de publier, moins d'un an plus tard, le premier tome de cette étrange aventure de space opera. Baroque, violent et futuriste à la fois, le monde qu'a imaginé Valérie Mangin est dominé par une foi aveugle, côté Hun. Une déesse, Kerka, est l'objet de dévotions et de sacrifices sanglants. C'est justement à l'occasion d'un de ces sacrifices qu'une jolie prisonnière romaine, Flavia, va confondre son destin avec celui de la déesse. Echappant par miracle aux bourreaux, Flavia se relève du tas de corps sacrifiés. On crie au miracle. Sa ressemblance avec Kerka fait le reste. Mais être un objet de divination n'est rien d'autre qu'être en prison. Dans ce premier album, la belle prisonnière est partagée entre plusieurs alliés. Celui qu'elle choisit est le plus brutal, le plus sanguinaire de tous : Attila. Assoiffé de pouvoir et de conquêtes, cet Attila de SF va donc jouer les empereurs conquérants de l'espace. Le tout sur fond vaguement historique, puisqu'en face de lui se trouve bien une réplique de l'empire romain. L'entreprise permet évidemment de prendre des libertés avec l'Histoire. Elle permet aussi de renouveler deux genres à la fois : la BD historique d'une part, la SF de l'autre. Le risque, c'est que le mélange des genres finisse par lasser. Ce n'est pas le cas dans ce premier album qui a été un succès de librairie dès sa sortie.

« Comment faire de la « Bédé » sans passer pour un pied-nickelé », par Florence Cestac et Jean-Marc Thévenet. Chez Dargaud.

Dargaud ne pouvait pas rater la réédition de cet album, écrit en son temps par l'actuel Directeur Général du Festival d'Angoulême et dessiné par le Grand Prix d'Angoulême 2000, Florence Cestac. A côté d'un nouvel album des Déblok, cette galerie de portraits éditée il y a près de quatorze ans par Futuropolis vient donc enrichir la fameuse collection « Cestac pour les grands », collection dans laquelle on retrouve l'inénarrable « Démon de midi ». Publiés en 88 par Futuropolis, ces portraits, augmentés et rafraîchis (ça se sent dans les phylactères qui font la part belle aux techniques et au vocabulaire d'aujourd'hui) n'ont rien perdu de leur pertinence. Ils nous proposent un panorama complet de ce que nous appellerions la « jeune création en bande dessinée ». Avec son trait « gros nez » déjà bien affirmé à l'époque, Florence Cestac passait en revue le dessinateur introverti, le gaffeur, le motard, l'étranger, le fils de, etc... C'est de la caricature, mais pas si éloignée de la vérité. Certains se reconnaîtront. Et ceux qui ne se reconnaîtront pas peuvent faire confiance à leurs amis qui ne se priveront pas de leur dire : c'est tout à fait toi, ça ! En deux à trois pages, c'est à chaque fois un type d'attitudes avec ses tics de langage, d'habillement, ses regards, sa gestuelle et sa farde de dessin que les auteurs ont réussi à croquer. Il faut dire qu'ils étaient bien placés, à l'époque. Florence était l'une des deux chevilles ouvrières de Futuropolis et Jean-Marc y était directeur de la collection « X » A eux deux, ils en ont vu défiler, des « petits jeunes »...
Regards de femmes par Thierry Bellefroid
« Regards de femmes » par Marina, chez Paquet.

Pierre Paquet brouille les pistes. Alors qu'il publie un très bel ouvrage consacré à Manara, qui fait la part belle aux travaux non érotiques du « prince de la BD érotique », il publie cette BD qui a tout d'un Manara... mais qui a été imaginée et dessinée par une femme. Qui plus est, par une femme dont le nom n'est pas loin de ressembler à celui du Maître : Marina.
Un jeune homme victime d'une malédiction connaît les fantasmes de chaque femme dont il croise le regard. (Non, ce n'est pas l'adaptation d'une comédie jouée par Helen Hunt et Mel Gibson, c'est un pur hasard si la BD et le film sortent à peu près au même moment en exploitant une idée si proche) Le héros ne peut s'empêcher de réaliser les fantasmes qu'il « voit » dans les yeux des femmes, ce qui nous vaut des situations plus scabreuses les unes que les autres et ce qui lui cause pas mal d'ennuis. On est pas très loin du « Déclic » quand la femme de son patron se transforme en « chienne lubrique » en plein dîner d'affaires. Alors, plagiat ? Pas tout à fait, mais Marina ne nous fera pas croire qu'elle ne connaît pas ses classiques. Son histoire louche à la fois sur l'univers de Manara, on l'a dit, et sur celui de Jean-Claude Servais, car ici, sexe et sorcellerie se rejoignent. Elle va même jusqu'à épouser en partie le style graphique de l'un et de l'autre, ajoutant une touche plus personnelle, surtout au début. Bref, on ne peut s'empêcher de lire cette BD en lui trouvant un petit goût de déjà vu. Comme dirait Pierre Paquet : si cette histoire avait été du Manara, ce serait un best seller. Sans doute, mais comme elle n'est pas de lui, c'est donc une histoire érotique de plus, dessinée par une femme (ce qui n'est pas courant, c'est vrai) qui semble ne pas réussir à se choisir un style graphique définitif, ce qui ne veut pas dire qu'elle n'a pas de talent. Signalons que contrairement à d'autres, Marina ne s'est pas sentie obligée d'avoir recours à des gros plans « dégoulinants » pour exprimer ses fantasmes... ou ceux de ses personnages. « Regards de femmes » est en effet plutôt allusif que descriptif.
Gare au Garou (Krän le Barbare) par Thierry Bellefroid
« Gare aux garous », tome 3 de la série Krän de Eric Herenguel aux éditions Vents d'Ouest.

Après un deuxième album un rien plus faible, Herenguel retrouve la forme et nous propose un Krän qui n'est pas loin d'être parfait. On retrouve les héros désormais bien connus : Krän, Kunu, le Garou, etc... On retrouve aussi l'humour décalé de l'auteur. Herenguel s'amuse à flirter avec le genre « Conan le Brabare » tout en prenant de la distance par une dérision constante. Ses personnages musculeux ne sont jamais les derniers à balancer un jeu de mots idiot ou à livrer une réplique inattendue. Partis chasser la « garoue », ils font quelques rencontres amusantes en chemin, notamment celle d'un certain planteur de pieux, en lisière de forêt. « Salut, j'suis Krän, du royaume de Torgnol, et nous cherchons l'accès le plus direct pour Garouland » fait Krän. Et l'autre répond : « Moi, j'suis Charles Ingalls et j'habite dans la p'tite maison pourrave de la prairie ». Puis, Charles Ingalls explique à Krän qu'il plante des pieux pour canaliser son énergie parce qu'à la maison, entre sa femme qu'il peut pas toucher et ses deux filles, il s'emmerde ferme. Un clin d'oeil parmi d'autres. Herenguel détourne tout : les légendes, les films, les habitudes de genre. Seule la dérision guide sa démarche. C'est parfois gros comme Obélix (il y a quelque chose de Gosciny, d'ailleurs, dans la façon d'aborder la violence) mais c'est souvent très drôle. A lire quand on a la migraine et qu'on arrive difficilement au bout d'un roman d'Umberto Ecco.
Pastille par Thierry Bellefroid
« Pastille », par Francesca Ghermandi. Au Seuil.

La politique d'édition du Seuil, en matière de BD, reste d'une cohérence exemplaire. Le catalogue propose des auteurs complets, souvent de véritables artistes, comme Baudoin, Mattotti, Giandelli ou plus récemment Killoffer. Voilà qu'une nouvelle signature italienne vient s'ajouter aux autres, celle de Francesca Ghermandi. Son dessin doit beaucoup à Mattotti, même si elle a choisi de s'exprimer par le noir et blanc. Le crayon est affûté, les formes travaillées, recrées, en fonction d'un univers graphique personnel. Avec « Pastille », Francesca Ghermandi s'essaie à la BD muette, un genre de plus en plus prisé et pourtant bien difficile. Elle n'a recours à aucun stratagème pour raconter son histoire ; ni onomatopées ni phylactères en forme de rébus comme le récent Love Stroy de Eco, chez Paquet. Seul le dessin guide le lecteur. La force d'évocation des images est donc très grande, de même que la fluidité du récit. A cheval entre BD pour enfants (qui ne doivent même pas savoir lire pour entrer dans ce monde merveilleux et cruel à la fois) et BD adulte, Ghermandi invente comme elle respire. Ca sent l'inspiration immédiate, l'envie de raconter, d'emmener son lecteur au-delà des images et des miroirs. Et c'est vrai que la folle aventure de « Pastille » -une gamine au visage rond et plat comme un grand cachet d'aspirine- a quelque chose d'un Alice au Pays des Merveilles en version moderne. Preuve s'il en est qu'elle touche tous les publics. Car le conte de Lewis Carroll convient à tous les âges, comme cette BD sans paroles. Francesca Ghermandi maîtrise parfaitement le mouvement, la perspective, les expressions des visages, la stylisation, le découpage... bref le dessin ! Un bonheur.
« Hutch Owen travaille dur ! » par Tom Hart, à La Comédie Illustrée.

Il faut reconnaître que de prime abord, ce petit album ne paie pas de mine. Le dessin de Tom Hart est pour le moins naïf et minimaliste. Mais la lutte que se livrent Hutch Owen et Dennis Worner -les deux personnages principaux- est très réussie, car elle symbolise le David et le Goliath de l'Amérique d'aujourd'hui. D'un côté, un vieux garnement SDF, c'est Hutch Owen, il nargue l'autorité et pisse sur les affiches publicitaires du plus gros consortium de la ville. De l'autre, Dennis Worner, le patron de la Worner, une entreprise vouée au profit (mais ceci est sans doute un pléonasme !) qui se caractérise par les décisions dénuées de scrupules de son conseil de direction. Les deux personnages se détestent et se croisent sans cesse. A eux deux, ils symbolisent le capitalisme et l'anarchie. Aucun des deux ne peut gagner, même si le lecteur sent vite son coeur balancer vers le rebelle Hutch Owen. Et au milieu de tout ça, il y a la pureté de l'enfance, une sorte de Petit Prince qui voudrait se construire une cabane, Willie. A lire ce livre, on se rend compte qu'il est moins innocent qu'il paraissait, de prime abord. Et que Tom Hart arrive à faire passer bien des choses avec un minimum de moyens.
« Nouveaux marchés », numéro 2 des « exploits d'Hutch Owen, par Tom Hart, à La Comédie Illustrée.

Les deux ennemis quasi héréditaires que sont l'anarchiste Hutch Owen et le businessman sans scrupule Dennis Worner se retrouvent dans ce deuxième recueil, encore plus savoureux que le premier. Le cynisme atteint ici un degré qui confine à l'art. Dans un pays sous-développé pudiquement baptisé « Boïnga-Desh », Dennis Worner débarque des dollars plein les yeux. Il passe devant une marchande de tapis à 12 dollars pièce ? « Achetez l'usine », commande-t-il à son bras droit. Il voit qu'une chanteuse locale vend des cassettes par centaines ? « Il faut qu'on la mette sous contrat », dit-il au téléphone à un de ses collaborateurs. Et il ajoute : « dites, ils ont un truc terrible, ici, leurs bandes enregistrées cassent après quelques écoutes; pourquoi on a jamais pensé à ça, nous ? » Le monde du marketing en prend pour son grade. C'est toute la société de consommation, le capitalisme et la publicité que Tom Hart remet en question. Venant d'un Américain, voilà qui est doublement réjouissant.
Les Amériques (Isaac le Pirate) par Thierry Bellefroid
« Les Amériques », une aventure d'Isaac le pirate, par Blain. Dans la collection Poisson Pilote des éditions Dargaud.

Voilà ce qu'on peut appeler une grande BD d'aventure. Depuis Barbe-Rouge, beaucoup se sont essayé à la BD de piraterie. Peu ont réussi. Seul L'Epervier de Pellerin tire son épingle du jeu. Christophe Blain, fort de ses expériences maritimes plus modernes (Le réducteur de vitesse, entre autres), s'embarque à bord d'une histoire magnifique, sur les traces des plus grands. Parce que la piraterie en tant que telle n'est pas son propos. Parce que la vérité historique ne l'intéresse pas davantage. En fait, Blain est à la croisée des chemins entre Barbe-Rouge et L'Epervier d'une part, Les passagers du vent et Le passage de Vénus, de l'autre. Son héros est un brave homme, peintre un peu bohème, qui se laisse entraîner malgré lui dans une histoire incroyable. Un pirate célèbre veut le recruter pour qu'il immortalise un voyage aux confins des terres connues. Le pirate se mue en explorateur et Isaac, en journaliste du bord. Les situations se suivent sans jamais se ressembler. Le peintre apprend la vie à bord, la piraterie, les îles lointaines où de superbes femmes expatriées n'attendent qu'un aventurier pour tromper leur ennui (et accessoirement leur mari). L'imagination de Christophe Blain fait merveille. Cette croisière, on la fait avec lui sans hésiter, il nous fait si bien rêver. Et puis il y a ce dessin absolument magistral qui rappelle un peu Joann Sfar (son grand ami) en moins tourmenté. Un vrai régal !
Tea Time (Six jours et mourir) par Thierry Bellefroid
« 6 jours et mourir », par Dieter et Nicaise, dans la collection Bulle Noire des éditions Glénat.

Pas facile de permettre au lecteur de s'identifier à une héroïne tout en se promettant de la faire mourir en 6 jours. C'est pourtant ce qu'arrive à faire Dieter. Pour cela, il choisit de se mettre dans la peau de cette héroïne, de raconter l'histoire à travers ses yeux, ses mots. C'est en effet Ellen qui est la narratrice de cette étrange histoire policière où les éléments s'emboîtent à un rythme soutenu, peu après la visite d'un enquêteur de la police à son domicile. Trois jours se passent pendant ce premier album. La moitié de l'histoire nous laisse donc en plein suspense, même si Dieter a pris soin de nous donner quelques pistes avant de conclure le premier tome de ce diptyque. Il a en tout cas admirablement réussi à se fondre dans son personnage. Ellen est crédible et on suit son cheminement sans se forcer. Quant à Viviane Nicaise, elle a réussi à camper cette trentenaire anglaise aisée avec beaucoup de justesse. Décors et traits sont l'exacte réplique de l'univers suggéré par le scénario. Ellen est une belle femme mais elle reste transposable dans la réalité : Viviane Nicaise ne lui a pas inventé des mensurations ou des tenues trop « BD ». Dommage en revanche que trop d'attitudes soient empruntées, figées. On dirait que les corps -et principalement les mains- des personnages gênent souvent la dessinatrice. Le résultat est que pour se débarrasser de cette gêne, elle « surjoue », pour paraphraser le mari d'Ellen, lorsqu'il parle d'une des actrices qu'il dirige au théâtre. Pour le reste, la mécanique m'a paru bien huilée et le rythme parfait. On ne pourra se prononcer qu'à la fin du deuxième album, mais à première vue, les auteurs ont bien fait de choisir un nombre de pages plus restreint que pour « Loranne », leur précédente série ; ce choix évite de tirer l'histoire en longueur.
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