Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

La promesse que je te fais (Yiu) par Thierry Bellefroid
« La promesse que je te fais » tome 2 de la série Yiu. Par Téhy, Guenet, Renéaume, Vee. Chez Soleil.

La disparition des éditions du Téméraire ne pouvait pas entraîner la perte d'un projet aussi pharaonique. Déjà « acheteur » d'un autre fleuron du Téméraire -« Alban »- Mourad Boudjellal a décidé de reprendre à son compte la série « Yiu » qui en était à ses tout débuts. Deux albums sont aujourd'hui parus. Et il faut bien dire que c'est un minimum pour entrer dans l'histoire. La lecture du premier était en effet plus frustrante qu'autre chose. Développant 14,28% (chiffre donné par les auteurs) du récit total, c'était surtout une mise en place très théorique d'un univers hyper-complexe. Il fallait s'accrocher pour retenir toutes les données historico-géopolitico-religieuses livrées au cours des 70 pages... dont 32 sans un seul phylactère !
Cette fois, on entre vraiment dans le vif du sujet. Et dans les motivations qui font de Yiu -l'héroïne- une redoutable mercenaire. Plus déterminée et plus vénale encore que Carmen Mc Callum à ses débuts, Yiu a en effet des raisons de frôler la mort si souvent. Et ces raisons nous ramènent aux yeux d'un petit garçon. La scène à l'hôpital (je ne vous en dis pas plus) est très belle. Pas seulement parce qu'elle donne du sens à l'histoire de Yiu ou parce qu'elle l'humanise, mais parce qu'elle est justement en totale opposition avec le monde d'une violence inouïe que les auteurs ont inventé.
Créé sur les travers de notre monde, l'univers futuriste régi par les religions qu'ont imaginé Téhy et Vee est apocalyptique à souhait. Normal, c'est l'Apocalypse qui les a guidés. Une fin du monde qui s'annonce dores et déjà comme un véritable grand spectacle. Calez-vous dans votre fauteuil, Yiu, c'est un peu le cinéma en BD ; on aime ou on déteste cette façon de raconter toute en effets, en emphases. Il y a quelque chose de Jodo mais aussi de Druillet dans tout ça. La nouvelle génération est en place !
Hors Limites par Thierry Bellefroid
« Hors limites » de Hanouka et Daeninckx. Chez Hors Collection.

Ils avaient déjà commis un excellent « Carton Jaune » ensemble, c'était dans la collection « Atmosphères » des éditions du Masque, dirigée par un certain... Emmanuel Proust. Le même Emmanuel Proust est le directeur de la collection « One shot » chez Hors Collection, où prend place ce nouveau récit. Mais cette fois, il ne s'agit pas d'un scénario original. « Hors limites » est une adaptation d'une nouvelle de 1992. L'histoire est à la fois simple et très forte. Comment une bande de gosses de Seine St Denis va s'embarquer dans un casse foireux et comment des parents inquiets pour l'avenir de leur fils vont mettre un détective privé sur l'affaire sans le savoir. Les deux univers se télescopent, les éléments du drame sont en place. Personne n'en sort indemne, tous les personnages présentent un défaut à leur cuirasse. Les plus « accablés », sans doute, sont les parents du héros et surtout le privé qui n'est vraiment pas présenté sous son meilleur jour. Tout cela est sordide à souhait et nous vaut une belle galerie de portraits de banlieue comme Daeninckx peut les faire. Normal, il est né à deux pas des décors de cette histoire. Des décors que le dessinateur Assaf Hanouka a recomposés chez lui, en Israël, à des milliers de kilomètres de là. C'est hyper-réaliste, d'une facture plus moderne que « Carton Jaune ». La mise en couleur est volontiers agressive et le trait s'est épaissi. Mais l'ensemble est percutant. La fin, en revanche, paraît un peu expédiée.
« Le petit garçon qui n'existait pas », par Dupuy et Berberian, sur un texte d'Anna Rozen. Chez Cornelius.

Paru dans la récente collection intitulée « Louise », ce petit bijou pourra vous paraître bien léger. Le principe des ouvrages de cette collection est en effet de pouvoir se ranger dans votre poche et se lire en quelques minutes. Mais on y revient ensuite pour en apprécier toute la subtilité. C'est surtout le cas avec ce « Petit garçon qui n'existait pas » et avec « L'enclos » de Blexbolex. Le texte d'Anna Rozen est très court. Chaque page reprend une phrase, deux tout au plus. Dupuy et Berberian ne se contentent pas d'en faire l'illustration. Leurs dessins ne sont pas redondants. Ils donnent vie aux phrases d'Anna Rozen et au petit personnage qu'elle a imaginé pour ce conte un rien cruel. La stylisation est maximale, le trait épaissi à l'extrême. On est dans un processus d'économie qui traduit bien le souci des dessinateurs d'en dire le plus avec le moins. (Lire à ce sujet le livre paru chez PLG « Jeux d'influences, 30 auteurs de bandes dessinées parlent de leurs livres fétiches » ; Charles Berberian y raconte comment le minimalisme de Petit-Roulet l'influence dans son travail. Signalons par ailleurs qu'un livre de Petit-Roulet -« L'objet invisible »- existe aussi dans la collection Louise de Cornélius) La trichromie est utilisée de manière très poétique et l'ensemble apparaît comme un témoignage parmi d'autres du talent des pères de Monsieur Jean, aussi à l'aise dans le récit d'inspiration autobiographique que dans l'illustration sous toute ses formes.
Manara Memory par Thierry Bellefroid
« Manara Memory », chez Pierre Paquet.

Voilà un livre qui réconciliera tout le monde avec Milo Manara. Impossible de le lire (ou plutôt de le regarder, puisqu'il y a assez peu de texte) sans prendre la mesure du talent de ce dessinateur surtout connu à travers le Déclic, Giuseppe Bergman et ses deux collaborations avec Hugo Pratt, El Gaucho et L'été indien. « Manara Memory » se propose de poser un regard rétrospectif sur l'univers complet de Manara. On y trouve donc aussi bien des dessins historiques réalisés par exemple pour l'Histoire de France, d'Italie ou de Russie que des projets d'affiches ou des illustrations de couvertures de magazines les plus divers. Le livre est divisé en sections. Chacune explore une facette du talent de ce dessinateur-affichiste-story-border et j'en passe. Après la section historique, qui ouvre cette galerie de papier, l'érotisme offre de très beaux dessins mais ce sont sans doute les plus attendus. Stupeur en revanche lorsqu'on découvre la section « voyages » où, à côté de travaux de commande, on peut trouver des fusains pris sur le vif, des croquis aux crayons de couleur et des aquarelles magnifiques. On entre ensuite dans le domaine de la publicité où Manara est très actif, puis dans celui de la musique avant de conclure avec deux sections plus hétéroclites appelées « Mémoire I » et « Mémoire II ». Quand on referme le livre, on se promet d'y retourner très vite, on le range à portée de main. Ce large éventail de travaux est le meilleur moyen de se convaincre de la richesse de Manara, une richesse qui va bien au-delà de quelques jolis dessins de femmes sulfureuses.
L'artiste peintre (Lucky Luke) par Thierry Bellefroid
« L'artiste peintre », une aventure de Lucky Luke, chez Lucky Comics. Par Bob De Groot et Morris.

Dans une interview accordée au journal belge « Le Matin » le jour de la sortie d'Astérix et Latraviata, Albert Uderzo n'hésitait pas à affirmer que Dargaud avait avancé de plus d'un mois la sortie du nouveau Lucky Luke afin qu'il soit en librairie en même temps que le nouvel Astérix. Difficile, pourtant, de dire lequel des deux est le plus mauvais. La rareté des Astérix (sept albums, seulement, depuis la mort de Gosciny) attire sans doute davantage l'attention sur les défauts de l'album. D'autant que la non-communication et le marketing agressif qui ont accompagné sa sortie n'ont rien arrangé. Mais il faut reconnaître que le manque d'inspiration se sent aussi bien dans le chef du Gaulois que dans celui du cow-boy qui tire plus vite que son ombre. Bob De Groot qui, décidément, a l'air de se plaire en compagnie de Morris, applique sagement le concept de l'album à thème et nous propose de faire jouer à Lucky Luke un rôle de garde du corps à peu près inutile auprès du peintre Frederic Remington. Deux minutes cinquante sept secondes et trois dixièmes vous suffiront pour flairer les ingrédients principaux de cet album, parmi lesquels un piètre desperado, Curly, qui va passer la moitié de l'histoire à tenter de venger une correction reçue en page 7. Mais que tout ça est pauvre et prévisible... A la décharge de Bob De Groot, la rumeur veut que Morris respecte rarement les gags et les idées développées par ses scénaristes qui ne découvrent paraît-il l'histoire dans sa version définitive qu'une fois l'album publié. Mais bon, est-ce la peine de perdre davantage de temps à vous dire que ce Lucky Luke, pas plus qu'Astérix et Latraviata, n'a pas besoin de la critique pour exister ? Alors, taisons-nous et passons à autre chose.
Jupons et Corbillards (Outlaw) par Thierry Bellefroid
« Jupons et corbillards », tome 1 de la série « Outlaw » par Dieter et Fourquemin. Dans la collection Grafica des éditions Glénat.

Dieter et Fourquemin, on connaît déjà. D'abord publié au Téméraire et repris l'an dernier chez Soleil, Alban est un modèle de BD humoristique où le traitement graphique rejoint parfaitement le propos du scénariste. En voulaient-ils davantage ? Toujours est-il que les deux auteurs remettent le couvert avec des ambitions pratiquement identiques. « Outlaw » s'annonce en effet comme une transposition d'Alban dans le monde du western. Les ingrédients sont d'apparence assez différents. D'un côté, un moinillon et son cochon s'attaquent aux missions les plus dangereuses dans un Moyen Age réinventé. De l'autre, un gamin brimé par sa mère décide de partir sur les traces de son père, un dangereux bandit, et d'aligner sa vie sur ce qu'il croit être celle de ce géniteur dont il a été séparé dès la naissance. A y regarder de plus près, ces deux histoires permettent à Dieter d'employer les mêmes ficelles. Alban et Jason sont deux parfaits anti-héros. Ils se lancent dans la Grande Aventure avec la même candeur et semblent s'en sortir davantage par leur innocence que par leurs vertus d'intelligence ou de débrouillardise. La lecture d'Outlaw est plaisante. Fourquemin soigne les couleurs, joue sur les gueules pour souligner l'effet burlesque de l'ensemble. Dieter multiplie les situations grotesques. Mais il n'apporte rien de neuf. Et c'est bien dommage, car on ne peut s'empêcher de rester sur un sentiment de « déjà vu » à la fin de ce premier album, malgré ses évidentes qualités.
Murmure par Thierry Bellefroid
« Murmure » de Kramsky et Mattotti. Au Seuil.

Les éditions du Seuil ont décidément uni leur destin à celui de Lorenzo Mattotti. Non content d'éditer en français les nouveautés de ce génial dessinateur italien, l'éditeur poursuit parallèlement la réédition de titres épuisés. C'est le cas de ce « Murmure » qui bénéficie pour l'occasion d'une nouvelle (et superbe) couverture et succède à la réédition de « Labyrinthes ». Parue chez Albin Michel en 1989, « Murmure » est une histoire d'initiation. Le héros, affublé d'une tache rouge sur le visage, et surnommé « Murmure » par deux drôles de compagnons colorés, va tenter de comprendre qui il est et pourquoi il a atterri sur cette plage -ou cette île ?- étrange. Dans l'eau s'ébattent les poissons-cerfs, avec leurs bois qui dépassent des vagues. Säfran, un homme inquiétant au sabir « esperantesque » les pêche sans relâche. Une femme aux longs cheveux noirs vient également troubler l'introspection de « Murmure ». Vous l'aurez compris, le récit est onirique, pour ne pas dire symbolique. Mais à mesure qu'on y pénètre se développe la magnifique complicité des auteurs. Jerry Kramsky arrive à se faire oublier totalement en proposant des histoires dont le moteur -et souvent l'intérêt- est le dessin de Mattotti. Au point qu'on a parfois l'impression de se trouver devant une oeuvre d'auteur, un de ces livres où les dessinateurs laissent libre cours à leur imagination. Mais à mieux y regarder, on s'aperçoit cependant que le livre doit aussi beaucoup à l'exceptionnelle musicalité des textes de Kramsky. Une telle osmose n'est pas courante. Il faut dire que Lorenzo Mattotti n'est pas un dessinateur banal non plus. Ses couleurs et ses cadrages en attestent. Le mélange des crayons de couleur, de la craie ou de la pointe grasse et des pastels donne des résultats que l'on ne peut qu'admirer. Le final (les trois dernières pages) est à ce sujet tout simplement magistral ! Lorenzo a tout compris au dessin et depuis très longtemps. Même ses élèves -comme Gabriella Giandelli (également publiée au Seuil)- avouent qu'ils n'arrivent pas, comme lui, à maîtriser la lumière en plus de la couleur.
Lorenzo Mattotti expose ses travaux BD à Paris, depuis le 10 janvier et jusqu'au 23 février 2001. A l'Istituto Italiano di Cultura, 50, rue de Varenne, dans le 7ème arrondissement (Métro Rue du Bac). Ouvert du lundi au vendredi de 9H30 à 13H et de 15H à 18H.
Tom Strong - tome 1 (Tom Strong) par Thierry Bellefroid
« Tom Strong N°1 », par Alan Moore et Chris Sprouse. Chez Semic.

Semic publie trois des récentes séries lancées par LE maître britannique du scénario, Alan Moore (Watchmen, V pour Vendetta, From Hell,... tout ça c'est lui !). Ces trois séries, Tom Strong, Promethea et Top Ten, explorent à leur façon les grandes figures archétypiques des média américains. Top Ten raconte les tribulations d'un commissariat futuriste, Promethea explore un mythe littéraire, celui de Prométhée, et Tom Strong propose un croisement entre Superman et Doc Savage. C'est le super héros à la sauce Moore. On y retrouve plus une exégèse presque critique de ce que l'Amérique a produit en la matière qu'un véritable super héros. A l'aide de mises en abîme, de construction temporelles éclatées ou encore d'ingrédients humanistes ou écologiques, Moore explore le domaine tout en le réinventant. Son Tom Strong, garçon privé de contacts humains et dont la vie est dévolue à la connaissance dès son plus jeune âge, est un personnage attachant. D'abord parce qu'il conserve de son séjour sur une île oubliée des hommes un peu de la sagesse indigène... et une charmante épouse. Ce n'est donc pas un vrai héros urbain comme le sont presque tous les super héros américains. Ensuite, parce qu'il ne cherche ni vraiment la gloire ni à sauver l'Amérique ; il se contente de répondre aux appels qu'on lui lance et prend son rôle de défenseur de l'espèce humaine à coeur en se servant de ses connaissances scientifiques pour venir à bout d'ennemis parfois lointains. Tout cela permet à Alan Moore d'emmener son lecteur où il veut, y compris à travers un vingtième siècle qu'il parcourt d'un bout à l'autre. C'est très réussi et pour qui aime les bons comics, c'est un pur moment de plaisir rehaussé par le dessin sans faille de Chris Sprouse. Tom Strong mérite bien de figurer dans la collection ABC lancée par Alan Moore et dont les trois lettres signifient : America's Best Comics.
« Sam & Twitch, volume 1 » par Brian Michael Bendis et Angel Medina. Chez Semic Books.

Vous aimez le polar ? Le vrai, avec des personnages béton, une intrigue qui ne l'est pas moins, du suspense, du mystère, des embrouilles, des cadavres sanguinolents, une pointe de fantastique qui pourrait ne pas l'être tant que ça, des phrases choc prononcées par des flics désabusés ? Alors, vous allez adorer cette histoire ! Sam & Twitch, c'est ce que l'Amérique fait de mieux en matière de BD. Un découpage parfait au service d'une histoire solide (dont ce premier album ne livre pas la solution, autant vous prévenir tout de suite, faudra patienter pour la fin...) que le dessinateur Angel Medina (le repreneur de Spawn) habille d'un trait tantôt effrayant tantôt à la limite de la caricature. Il faut dire que le polar à la « Seven » de Brian Michael Bendis n'empêche pas les répliques humoristiques, ce qui est un exercice aussi périlleux que payant.
Deux flics, partis jouer les privés mais revenus dans la police après avoir bouffé les pissenlits par la racine, vont se trouver confrontés à une « épidémie » de cadavres de mafiosi. Ils proviennent tous de la même famille et surtout, on trouve près de certains d'entre eux de bien étranges indices : quatre pouces (dont l'ADN atteste qu'ils viennent d'une même personne, cherchez l'erreur), quatre oreilles et un sexe dont les cellules n'ont pas l'air de vouloir mourir. Qu'est-ce qui se cache là-dessous ? Croyez-moi, j'aimerais bien le savoir ! Un must !
La gagne par Thierry Bellefroid
« La gagne » par Etienne Davodeau et Jean-Luc Simon, aux éditions « Charrette », dans la collection « La petite saloperie ».

Petit fascicule au format italien, « La gagne » est une histoire courte de treize demi-pages. Autant dire que la lecture de cette plaquette ne vous prendra pas plus de quelques minutes. Mais ce conte moderne plaira aux fans de Davodeau au même titre que ses albums en solo chez Delcourt. Etienne y développe une fois de plus un thème social et s'attaque cette fois aux prédateurs du « bizzness ». L'un est un cadre supérieur très content de lui, l'autre un apparent SDF bien plus malin qu'il n'y paraît. Entre eux va naître une étrange relation, le temps d'un trajet en voiture. Avec une fin inattendue. Et une morale à la Davodeau. Le tout est mis en image par Jean-Luc Simon dans un noir et blanc volontiers hachuré et un rien carnassier qui habille l'histoire sans la surcharger.
Le cri du vampire par Thierry Bellefroid
« Le cri du vampire » de Trillo et Bernet. Chez Albin Michel.

Quand un auteur n'arrive pas à rivaliser avec l'un de ces confrères, on ne peut que s'en désoler. Quand il tente de rivaliser avec lui-même, on est forcément encore plus méfiant. Après l'extraordinaire « Je suis un vampire » (trois tomes et un quatrième en préparation chez Albin Michel, dessin de Risso), Trillo s'attaque en effet pour la seconde fois aux vampires, cette fois en compagnie du dessinateur de Torpedo, Bernet. Et s'il n'arrive pas à faire aussi bien, on ne peut que trouver l'histoire au-dessus de la plupart des histoires actuelles inspirées par le vampirisme. Après avoir décliné le thème sur le mode de l'enfance, Trillo le décline cette fois sur celui de l'amour éternel. Deux vampires peuvent-ils s'aimer à travers les siècles sans ressentir de lassitude ? Apparemment non. C'est parce que les paroles « je t'aimerai toujours » lui ont fait peur que Lorenzo Luna a plaqué Ludmila, il y a deux cents ans. L'idée d'un amour qui ne s'éteindrait jamais, jusqu'à consommation des siècles, lui avait semblé insupportable. Mais Ludmila, elle, ne vit que pour retrouver celui qui a été son mentor et son amant. Les retrouvailles sont inévitables. Elles seront à la fois touchantes et tragiques. Trillo joue sur tous les registres à la fois. Et nous montre des vampires déchirés par l'amour, ce qui n'est pas courant. Ceci étant, l'histoire est plus conventionnelle, plus attendue que le précédente. Le dessin de Bernet lui convient bien, sans être aussi exemplaire que celui de Risso. Quant au scénario, il passe assez prês de la banalité dans les premières pages mais se rachète bien ensuite. Il reste toutefois un défaut essentiel : sans doute le personnage du photographe est-il vraiment trop con pour qu'on y croie. Sans lui, l'histoire ne tient plus. Avec lui, elle est presque trop facile.
Les survivants (Bételgeuse) par Thierry Bellefroid
« Les survivants », tome 2 de la série Betelgeuse. Par Léo. Chez Dargaud.

Après un enthousiasme tout à fait justifié à la sortie du précédent album, mes attentes étaient grandes lorsque j'ai entrepris la lecture de ce deuxième volume de Betelgeuse. Elles n'ont pas été déçues une seconde. Non seulement Léo est un grand (un très grand ?) scénariste, mais il arrive en outre à doser à la perfection les aspects d'aventure et de suspense qui rendent son histoire attractive et les côtés humains -pour ne pas dire humanistes- qui en font le véritable sel. Kim et ses quatre compagnons d'infortune vont ici en fournir une preuve éclatante. Il y a des scènes percutantes (la rencontre avec une énorme créature verte aux planches trois et quatre, par exemple ou la bagarre entre les « affreux » et l'ourson aux planches 32-33). Il y a des décors toujours aussi incroyables et fascinants. Il y a des relations complexes entre les personnages principaux, une intrigue solide où rien n'est donné d'avance. Et puis il y a le rôle que Léo choisit de donner à Kim dans cette aventure, avec toute la sensibilité qu'on lui connaît. Fragile, balancée entre des attitudes contradictoires, Kim doute plus qu'autre chose. Elle est pourtant la clé qui réconciliera les clans opposés installés -ou plutôt échoués- sur Betelgeuse, on le sent. En deux albums, Léo nous a presque fait oublier combien Aldébaran était génial. Son nouveau monde est encore plus passionnant. Et son intrigue au moins aussi intelligente. Quant à ces « bestioles » qui naissent dans l'imagination de l'auteur, elles sont toujours à la fois surprenantes et superbes. Un « must ».
Mémoires 99 (XXe Ciel.com) par Thierry Bellefroid
« Mémoires 99 », tome 2 de « XXème Ciel.com » par Bernard Yslaire. Aux Humanoïdes Associés.

Il est décidément bien ardu de suivre Bernard Yslaire sur la voie du XXème Ciel. Non pas que l'album soit compliqué. Au contraire, ce deuxième tome est sans doute plus direct, plus fluide que le premier. Mais il n'empêche que la forme est désarçonnante. Ni à proprement parler BD. Ni roman photo. Encore moins roman tout court. Un assemblage, sorte de tirage papier d'un récit informatique qui pousse Bernard à livrer des dessins soit très proches du document photographique soit, au contraire, au crayonné apparent, presque non achevés. Yslaire donne très peu de réponses aux questions que se pose son lecteur. Il remplit tout de même certains vides et propose, à l'aide de flash-back, d'apporter quelques éclaircissements aux prémisses du premier tome. Certains continueront de penser que l'auteur ne sait pas où il va, voire qu'il n'a rien à dire. D'autres, au contraire, trouveront ça génial. Je me contenterai de patienter jusqu'à ce que l'oeuvre prenne vraiment forme. Car si les deux premiers volumes me parlent, notamment au travers de leur vision extrêmement noire du siècle qui vient de s'achever, je ne dirai pas qu'ils me comblent. On ne peut pas empêcher un auteur comme Yslaire d'aller au bout de ce qu'il ressent comme une forme ultime d'expression. Mais on peut espérer qu'on sera en mesure de l'y suivre. Certains ont malheureusement déjà décroché.
« Les Icariades, tome 1 », par Termens et Efa. Chez Paquet.

Si vous ouvrez cet album, vous serez forcément frappés par ses couleurs et même par son dessin en général. On aurait presque envie de ne parler que de ça, tant on reste séduit par la forme. Pourtant, ce n'est pas au détriment du fond. « Les Icariades » racontent comment un peuple simple mais pacifique vivant dans une grande steppe au bord de lacs sacrés voit son destin basculer à cause de la mésentente régnant entre ses voisins. Le territoire du centre est en effet une sorte de no man's land sur une planète dont on devine (on n'en voit encore presque rien dans ce premier tome) qu'elle est en grande partie dévolue à la guerre. Le destin de ce bout de terre va changer grâce à l'arrivée inopinée d'une vaisseau venu du Nord pour des repérages photographiques. Pris en chasse et abattu au-dessus de la région des lacs sacrés, le vaisseau en question s'écrase. Un jeune homme survit et est recueilli par les autochtones. Il va devenir l'ami inséparable de Clio, une jeune fille qui n'a pas froid aux yeux et vivre avec elle des aventures parfois palpitantes pour sauver la paix...
Mais revenons au splendide dessin de Efa, pratiqué sur des papiers de couleur qui permettent de garder des fonds uniformes tantôt bruns, tantôt bleus ou verts. Un travail en négatif, si l'on peut dire, où l'artiste se sert de la matière première pour donner une couleur générale à la planche ou à une partie de planche. Sur ce fond coloré, la peinture et la craie se mélangent avec beaucoup de grâce et une vivacité exemplaire. Il y a une véritable magie dans le dessin d'Efa. Il y a aussi beaucoup de maîtrise, à la fois dans l'art des gros plans et dans celui des paysages. Difficile de trouver des défauts à cet album, si ce n'est qu'on le voudrait plus long pour être moins frustré lorsqu'on arrive en bas de la page 50...
Racken (ARQ) par Thierry Bellefroid
« Racken » tome 4 de la série « Arq » par Andréas, chez Delcourt.

Cette fois, on entre dans le vif du sujet avec ce quatrième album. Après une mise en place particulièrement réussie et deux albums de transition (« Mémoires 1 » et « Mémoires 2 ») qui exploraient le passé et la psychologie des protagonistes, Andréas peut s'attaquer à leur devenir dans le monde parallèle où ils ont échoué tous en même temps, à la première page de la série. Le personnage principal de cet album est Pascoe Montana, le criminel au visage bandé. Il apparaît plus que jamais comme totalement dénué de scrupule ou d'humanité. Assoiffé de pouvoir, il tente de s'imposer dans ce monde dont il ne connaît pas les règles. Face à lui va se dresser Nonac, le Maître des Esprits qu'il a tenté de supprimer dans le premier album. Un combat entre le Bien et le Mal ? Pas sûr, car le caractère de Nonac n'est pas encore défini avec beaucoup de précision. Ce qui est sûr, apparemment, c'est qu'Andréas se sert de ce monde parallèle pour livrer une métaphore sur l'âme humaine. L'entreprise semble réussir. Du moins jusqu'ici. Son histoire est forte, bien charpentée. Ses personnages sont intriguants, denses. La narration, plus fluide peut-être que dans d'autres de ses séries, est efficace et soutenue par un rythme régulier ; Andréas est un éclusier à la main sûre, il sait quand et comment il doit « lâcher les eaux ». Arq est peut-être la série la plus « tous publics » qu'il ait faite jusqu'ici. Moins ésotérique que d'autres, elle n'en pose pas moins un certain nombre de questions. Les réponses arrivent au compte-goutte. Mais il faut bien dire qu'on ne sait toujours pas vraiment où tout ça va nous mener. Laissons-nous faire...
« The Magic of Aria », tome 1, par Brian Holguin et Jay Anacleto, chez Semic Books.

Quand les Américains s'emparent du monde des fées et des elfes, ça donne forcément autre chose que ce qu'on en fait chez nous. Aussi, ne vous étonnez pas de voir ce récit commencer en plein New York. Lady Kildare a quitté son royaume il y a quelques siècles pour partager la vie des humains dans la « Grande Pomme ». Et apparemment, elle ne le regrette pas. Elle prend d'ailleurs du bon temps. Mais la vie d'une fée ne se cantonne pas à la consommation oisive des siècles. Le Mal rôde toujours quelque part. En l 'occurrence, le Mal a investi le ventre de sa cousine Gwynnion il y a longtemps déjà... et elle ne s'en est jamais vraiment remis. Le Mal sillonne aussi les artères de la ville et laisse derrière lui des corps mutilés ou des monstres à la tête d'insecte géant. Bref, Lady Kildare va prendre le chemin du combat, comme on pouvait s'y attendre. Le choc des cultures et des décors est bien exploité par Brian Holguin qui est secondé par le dessin très « aérographe » du philippin Jay Anacleto, sauf pour le troisième chapitre où Roy Martinez prend le relais (habitude aux Etats-Unis où les dessinateurs sont interchangeables et ne sont pas attachés à une série) avec un graphisme sensiblement différent. Ce premier tome est plaisant, typiquement US (mais c'est tout ce qu'on demande quand on lit du comics, non ?) et parsemé de scènes efficaces. Bien sûr, tout cela est parfois très convenu et sans le mélange entre époque contemporaine et royaume des elfes, ça manquerait franchement d'intérêt. Mais Holguin et Anacleto ont su créer une alchimie qui fonctionne plutôt bien.
« C'est la vie, t.1 », par Carlos Trillo et Laura Scarpa. Aux éditions La Mascara (groupe Semic)

Judicieusement sous-titré « à quoi bon tomber amoureux quand on est jeune, timide et con ? », ce petit opus de l'Argentin Trillo est un vrai régal. Plus proche de la chronique quotidienne que du polar où il excelle généralement, l'auteur nous fait entrer dans l'intimité de deux jeunes ados aussi mal dans leur peau l'un que l'autre. Un jeune boutonneux, Toine, dont le père ne pense qu'à sauter des filles plus jeunes que son fils. Et une fille introvertie, Anne, coincée entre les rêves égocentriques d'une soeur anorexique qui se voit mannequin et les névroses d'une mère elle-même obsédée par ses prothèses en silicone. Le tableau ! D'autant que tout ce petit monde vit dans le même immeuble. Voisins, les deux adolescents n'en finissent pas de se rater. L'un comme l'autre, ils aimeraient profiter des hasards d'une rencontre pour faire mieux connaissance. Mais Trillo a parfaitement reproduit les comportements maladivement timides que l'on peut avoir à cet âge-là. Il n'y a pas que leurs comportements qui soient finement observés. Cette galerie de portraits avec amant jaloux, nymphomane aux identités multiples et élève de dessin réfugié dans ses fantasmes est parfaite. On suit le cours du récit, entre quiproquos, disputes, frustrations, peines et faux espoirs avec ce mélange de jubilation et de complicité que provoquent les bonnes BD. Quant au dessin de l'italienne Laura Scarpa, il est le complément parfait de l'histoire imaginée par Trillo (excellents, ces « portraits » de la soeur anorexique devant sa glace !) et oscille parfois entre plusieurs genres -jusqu'à approcher le comics américain dans sa mise en page- sans jamais pour autant dévier d'une volonté de simplicité et de clarté.
Dixie Road - tome 4 (Dixie Road) par Thierry Bellefroid
« Dixie Road » tome 4. Par Labiano et Dufaux. Chez Dargaud.

Fin de cycle pour Dixie, la jeune ado ballottée au gré du vent par des parents en cavale, dans le Sud des Etats-Unis, au beau milieu des années trente. Pour rappel, son père est une petite frappe qui ne ramène que des ennuis à la maison (quand il y passe) et sa mère est l'héritière d'une grande famille qu'elle a fui pour suivre l'homme qu'elle aimait. Dixie ne rêve que d'une chose : que ces deux-là fassent la paix et repartent d'un bon pied. Mais ses parents sont bien mal assortis. Et le destin ne les laisse pas souvent souffler. Cette fois, dans le camp où ils se sont réfugiés, un camp où la grève des ouvriers menace de faire éclater la violence la plus grave, la dysenterie vient exécuter sa danse de mort. Le danger est partout (un peu trop peut-être, depuis le début de la série) et Dixie ne sait plus à qui se fier. On comprend ce que Jean Dufaux a voulu faire. Dixie Road est à la fois un road-movie en BD, une « mini-saga » familiale, une peinture de moeurs et d'époque, une fresque sociale à la « gloire » des plus pauvres, une histoire policière... le tout, vu par les yeux d'une gamine. C'est peut-être courir trop de lièvres à la fois. A force de vouloir faire le grand écart, on a l'impression que tout cela manque de chaleur, d'unité, d'humanité, de cohérence. C'est plus encore le cas dans cet album de dénouement, où la mécanique semble suivre son cours par elle-même. Le dessin de Labiano est agréable, certes, l'histoire aussi d'ailleurs. Mais on ne peut s'empêcher de penser qu'il y avait moyen de faire mieux. Et on a bien du mal à croire, à certains moments, que c'est bien une jeune adolescente qui parle à travers la voix-off .
« Montmartre No Future », une aventure d'Eugène de Tourcoing-Startrec, peintre visionnaire, par Edith et Corcal. Chez Casterman.

Le scénariste des Zorilles (album N°2 récemment paru aux éditions Dupuis, soit dit en passant) et des « Enfants-hiboux » (voir critique par ailleurs) est décidément très en forme. Avec ce nouveau héros, il invente un monde fantasque, à cheval sur des genres aussi opposés que l'aventure, l'humour, le fantastique, l'onirique et l'historique. Peut-être certains lecteurs auront-ils justement du mal à se retrouver dans ce « melting-pot » scénaristique. Mais c'est justement ce qui fait tout le sel d'un album magnifique, qui doit aussi beaucoup à sa dessinatrice, Edith. Deux peintres un rien bohèmes et très portés sur l'absinthe, Eugène de Tourcoing-Startrec et Paumelle, vont vivre une étonnante aventure. L'alcool aidant, Eugène se met à peindre des tableaux en partie visionnaires. Il peint les modèles qu'il a devant lui, mais les décors, eux, sont ceux de la fin du siècle, alors qu'il vit au début des années 1900. Partant de là, une histoire rocambolesque nous emporte sur les ailes de l'aventure où tout est permis : le rêve, la prémonition éthylique, le viandisme (une nouvelle forme de peinture très odorante à laquelle s'initie Paumelle), les très drôles comparses révolutionnaires à l'accent espagnol (les O.R.T.E.I.L.S., pour Organisacion Revolucionar y Terriblé por la Expansion Illimitad de la Libertad) et surtout... la poésie. Un très bel album qui révèle toute la palette d'une dessinatrice trop longtemps absente du monde la BD, Edith. Sa mise en couleurs impressionniste, ses personnages et ses décors sont parfaits. Voilà bien une des ces BD que ni le cinéma ni la littérature ne pourraient égaler. N'est-ce pas tout ce que l'on demande à la bande dessinée : créer ses propres mondes ?...
« Mes voisins sont formidables », l'album. Par Gnaedig et Thirault. Aux éditions du Cycliste.

J'avais déjà eu l'occasion d'écrire tout le bien que je pensais du premier et deuxième volet de « Mes voisins sont formidables ». Ils étaient alors parus dans la collection Comix du Cycliste. Cette fois, agrémentés d'un troisième volet, « mes voisins » sortent au grand jour, en album cartonné, avec un port-folio signé Andréas, Dupuy-Berberian, Dérian, Boiscommun, Taduc, Durieux, Robin et quelques autres. On y trouve donc les deux excellentes histoires intitulées « Mes voisins sont formidables » (26 pages, dans une version revisitée ici) et « Un bon plan de chez bon plan » (24 pages). Quant à l'inédit (26 pages lui aussi), il s'appelle « Je vous demande de vous arrêter » et nous met sur la piste d'un détective privé totalement coincé que ne pouvait inventer que Philippe Thirault (l'auteur, pour rappel, de la série « Miss » (aux Humanos) et de quelques romans noirs au Serpent à Plumes) L'écriture de Thirault reste un pur bonheur, d'autant que les récitatifs nous mettent ici dans la tête du privé en question, puceau, soutien d'une mère acariâtre et malade dont il ramasse les sarcasmes aussi bien que les excréments. La voix-off est décidément un genre dans lequel Philippe Thirault excelle. Quant à l'histoire, elle se mord la queue. Au bout de cette non enquête, on s'aperçoit que l'auteur nous a baladés une fois de plus dans sa galerie de portraits et que les meurtriers n'étaient peut-être pas là où on les attendait. Le dessin de Sébastien Gnaedig, devenu entre-temps directeur de collection chez Dupuis (il dirige les collections « Repérages » et « Aire Libre » après avoir présidé aux destinées éditoriales des Humanos), reste toujours aussi spontané et clair. Bref, si vous aimez le polar et l'écriture à l'encre de seiche... ne ratez pas cet album.
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