Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

« La collection d'anatomies » 2ème partie. Par Sevrin et Pourbaix. Chez Paquet.

Pierre Pourbaix et Marc Sevrin réussissent avec « La collection d'anatomies » un récit captivant, à la frange du fantastique et de la comédie humaine. Les personnages qu'ils nous proposent sont d'une épaisseur inattendue. Notamment le héros, Félix Demy, qu'il ont doté d'un passé et d'un univers personnel très fouillé. Les ingrédients qu'ils ont injectés dans cette histoire personnelle (drame de la soeur tuée sur un parking de supermarché (allusion évidente, pour les Belges, à la célèbre affaire des « Tueurs du Brabant »), psychanalyste aussi vénale que pertinente dans ses analyses, ami libraire au coin de la rue ...) crédibilisent un héros qui doit justifier à la fois un profil sympathique et une déviance grave -pour ne pas dire totalement obsessionnelle- dans ses comportements. Le peintre qui rêve de réaliser d'après nature un tableau montrant le corps humain de l'intérieur (la « nudité de la nudité » comme il l'appelle dans le tome 1) se perd dans les méandres de sa folie monomaniaque. Mais en dépit de ce thème sordide, jamais Sevrin et Pourbaix ne tombent dans le glauque. Les dessins de l'un y sont pour autant que l'humour de l'autre, ce second degré proche d'un certain détachement surréaliste qui caractérise parfois les créateurs belges. Bref, cette histoire qui rappelle par son goût immodéré pour l'anatomie humaine quelques autres productions récentes (Gloria Lopez, Autoportrait du vampire d'en face, Montmartre No Future...) n'est pas loin de la perfection. Le ton est original. Le graphisme magnifique. Et l'apparente naïveté de l'ensemble masque bien mal la profondeur du travail de ces deux jeunes auteurs.
« Hyter de Flok », tome 1 de la série « Le Monde des Nombreux Noms », par Trillo et Domingues,chez Albin Michel.

Trillo, là où on ne l'attendait pas. La surprise est totale. Le scénariste sulfureux de « Vieilles canailles », « La grande arnaque », « Je suis un vampire » et quelques autres BD tout aussi noires comme « Vidéo Noire » se met à l'Héroïc Fantasy. Et l'essai est plus que concluant. Parce que Trillo transcende le genre. Dans son monde imaginaire peuplé de petits êtres aux oreilles pointues (les Callicantzarois) et d'autres à la peau bleue -plus ou moins frustes et poilus selon qu'ils appartiennent à l'une des deux autres races (les Orques ou les Fankenmannikins)- l'homme existe sous forme de légende. Un conteur raconte des histoires d'humains. Mais sans croire qu'il en rencontrera un jour. Vous allez me dire : avec des ingrédients pareils, on peut déjà deviner qu'il va en rencontrer, des hommes. Oui, mais ce qui est moins attendu, c'est que l'homme en question est le fruit des amours « bâtardes » d'une « Orque » et d'un « Callicantzarois ». L'Homme, accident de la nature, produit du hasard, dans le monde de Trillo ? Presque. Car à la fin de ce premier tome, le génial scénariste redistribue toutes les cartes.
Faut-il le dire ?, cet exercice de style m'a emballé. D'autant plus que pour le mener à bien, Trillo a fait appel à un dessinateur très différent de ses habituels comparses. Domingues propose un dessin plus humoristique, plus stylisé et une mise en couleur ad hoc, aux antipodes des habituels albums en noir et blanc tranché scénarisés par Trillo. Bref, « Hyter de Flok » se présente comme une incursion réussie d'Albin Michel sur les terres très protégées de Soleil et de Dargaud (La quête de l'oiseau du temps).
Niaq Micmac (Spoon & White) par Thierry Bellefroid
« Niaq micmac », tome 3 des aventures de Spoon & White, par Léturgie et Yann. Dans la collection Humour Libre des éditions Dupuis.

Le trio composé de Yann et des Léturgie père et fils continue de sévir avec sa paire de flics aussi grotesque qu'hilarante. Pour ce troisième album, Spoon & White changent de décor. Tout se passe à Chinatown. Mais les ingrédients restent les mêmes. Castagne tournée en totale dérision. Bêtise humaine érigée en religion. Et Courtney Balconi, pareille à elle-même, c'est-à-dire arriviste, à la recherche du bon scoop... et délicieusement appétissante. Pas de chance, les deux flics les plus cons de toute l'histoire de la BD feraient n'importe quoi pour s'attirer ses faveurs. Ce qui les pousse, une fois de plus, à se tirer dans les pattes l'un de l'autre et à provoquer un nombre impressionnant de catastrophes. Yann et « les » Léturgie s'amusent comme des fous. Au passage, ils truffent leur album d'hommages ou d'allusions. On retrouve les caïmans, la bande à Tatane, dans un terrain vague qui a tout de celui de la Ribambelle (merci Roba), on s'offre une caricature de Jean-Claude Vandamme en vendeur de frites belges décidé à faire son « trou » aux States, un « 13 » en chiffres romains tatoué sur son gros bras. Tout ça sent bon la complicité dans la dérision. Un album qu'on ne pourra apprécier qu'à condition de ne pas le prendre au sérieux, comme ses prédécesseurs, d'ailleurs. Spoon & White, c'est la farce « hénaurme », la grosse artillerie du rire...jusque dans les noms des protagonistes, qui sont autant de jeu de mots (parfois très gros, d'ailleurs). L'indic Hû-Ghî rappellera Starsky et Hutch. Quant aux méchants, ils s'appellent Pi Soo Lui et Chee Soo Lui (je vous laisse deviner le parfum de ce jeu de mots) etc... Mais à force de s'amuser en ne respectant plus rien, on se dissipe parfois un peu trop.
La première page est un véritable mode d'emploi pour la rubrique du pinailleur de BoDoï. Pour obtenir le reflet de la statue de la Liberté dans les lunettes du personnage tel que présenté, il faut être imaginatif. Mais bon, c'était juste pour dire quelque chose. Car dans l'ensemble, Simon Léturgie éclabousse cette BD de son insolent talent. Et sa paire de compères dont son père n'est pas le moindre n'a rien à lui envier !
La Ville Jaune (Sky Doll) par Thierry Bellefroid
« La ville jaune », tome 1 de Sky Doll par Barbucci et Canepa. Chez Soleil.

Comment réinventer la SF ? La question mérite d'être posée quand on voit la multiplication des séries qui ont souvent l'air d'être de vagues clones les unes des autres. Peut-être en la confiant à des mains féminines ? Ou en exaltant des personnages qui sentent un peu moins l'univers macho et confiné que la plupart des récits du genre. Barbara Canepa et Alessandro Barbucci y sont parvenus. Leur récit est à cheval entre la SF et la fable onirique. On y retrouve une sensibilité assez proche de celle développée dans « Fée et tendres automates » (par Téhy et Béatrice Tillier, chez vents d'Ouest). L'idée d'avoir choisi pour personnage principal une poupée de plastic incapable de pleurer mais pourtant bien plus humaine dans ses sentiments que de nombreux héros de BD permet d'installer d'emblée un climat différent, merveilleusement rehaussé par un dessin (Barbucci) qui exalte les seventies et des couleurs acidulées (Canepa)qui viennent renforcer le côté « jouet » de l'ensemble. Sky Doll doit sans doute beaucoup au fait que les deux auteurs se sont partagé le travail du début à la fin et ont mélangé leur savoir-faire et leurs univers durant toutes les étapes. Mais tout ça ne nous dit rien de l'histoire. Sans en dévoiler la teneur, sachez qu'elle tient parfaitement la route et que, comme beaucoup d'autres, elle va chercher dans le fanatisme religieux les fondements nécessaires à une société duale, partagée entre une dévotion obligatoire pour une déesse « officielle » et l'attraction irrésistible qu'exerce Agape, la papesse reniée dont le culte est interdit. Tout est dit. Ne reste qu'à embarquer à la suite de ce duo italien pour un univers trompeusement rose aux allures de Barbie du futur. A découvrir.


« Le grand passage », tome 1 de la série « les processionnaires », par Séra et Saimbert. Chez Albin Michel.

Ouvrir cet album et le feuilleter ne vous laissera forcément pas indifférent. Le dessin de Sera est hallucinant. Il opte pour le mélange des techniques à chaque page et même à chaque case. Sa mise en couleur est audacieuse, expressionniste. Ses encrages sont faussement maladroits et induisent une étrange impression de malaise qui transforme souvent la plume en couteau. Ses décors sont oppressants -et c'est bien le but de cette histoire. Mais ce premier tome des « Processionnaires » ne se résume pas à des qualités graphiques évidentes. Il nous emmène dans une version de l'Enfer où rien ne nous est donné. A nous de comprendre entre les lignes, de lire au-delà des cases et des codes, de combler les blancs en attendant « la grande explication ». Ce faisant, Saimbert ne choisit pas de noyer le poisson, il ne dilue pas pour le plaisir, il met tout simplement son lecteur dans la situation du héros. Lui non plus ne comprend rien à ce qui lui arrive, lui non plus n'a plus de repère. La lecture de cet album est donc une plongée malsaine dans une jungle qui rappelle peut-être l'Amazonie vénézuélienne par la présence de « tepuyes » (les grandes montagnes plates) mais qui n'en connaît pas les lois. On attend avec impatience de savoir où les auteurs veulent nous mener avec cet univers parallèle.
Le prisonnier du Kibu (Ginger) par Thierry Bellefroid
« Le prisonnier du Kibu », une aventure de Ginger, par Jidéhem. Chez Joker éditions.

Vous vous souvenez de Jidéhem ? Oui, évidemment. Qui a oublié les chroniques de Starter dans Spirou ? Ou les aventures de Sophie ? Ou encore, justement, celles de Ginger ? Jidéhem -pour Jean De Maesmaker, un nom qui inspira Franquin pour l'un des personnages les plus célèbres de Gaston Lagaffe- a commencé Ginger en 1954, c'était d'ailleurs sa première BD. Deux ans plus tard, il mettait un terme à la série, faute de support, vu la disparition d'Héroïc-Albums où elle était publiée. Passé chez Spirou, Jidéhem assiste André Franquin sur les aventures du célèbre reporter et sur les décors de Lagaffe, lance Starter et Sophie. Puis, en 1979, retrouve son héros de jeunesse, Ginger. Un détective qui, dans cette deuxième vie, reçoit l'appui de Véraline, une blondinette qui rappelle un peu la Seccotine de Spirou et Fantasio. Les éditions Joker ont eu l'idée de rééditer les épisodes des aventures de Ginger datant de cette deuxième période... et d'y ajouter un inédit. Sont ainsi ressortis « Les yeux de feu », « L'affaire Azinski » et « Les mouches de Satan ». Puis, un nouvelle aventure intitulée « Le prisonnier du Kibu ». Pas loin de quarante-cinq ans après avoir créé son héros, Jidéhem s'est replongé dans l'ambiance. A tel point qu'il est allé chercher pas mal d'ingrédients chez les détectives de son époque, les Félix, Marc Jaguar et autres Gil Jourdan. Difficile d'accepter sans ciller que l'enquête de Ginger commence ici presque exactement comme l'une des enquêtes de Jourdan : le frère qui a reçu une lettre codée de son jumeau, scientifique exilé en Afrique. Passé ces « emprunts » (il y en a d'autres, une cascade qui masque une anfractuosité naturelle par exemple, merci Hergé), on retrouve avec plaisir le talent de décorateur de Jidéhem. Son histoire se passe dans un pays imaginaire, le Kibu, dont le nom rappellera bien sûr le Kivu, une région du Congo. Dommage que cette BD soit si bavarde (on croule parfois sous la taille des phylactères) et que Jidéhem ait mis tant de cases sur chaque page (il n'est pas rare d'en trouver de douze à quinze, voire vingt sur une seule planche, comme à la planche 34 !) car son sens des décors fait merveille. L'histoire ultra-classique n'est finalement pas désagréable à lire et dégage un sympathique parfum de nostalgie. Saluons en tout cas l'idée des éditions Joker d'avoir pris le risque d'exhumer les anciens albums et de leur ajouter cet inédit.
Hé Nic, tu rêves par Thierry Bellefroid
« Hé, Nic, tu rêves ? », par Hermann et Morphée. Chez Semic.

Abandonnée faute de succès, cette très belle incursion d'Hermann dans le monde du rêve a désormais les honneurs de la réédition chez Semic. Elle est pourtant parue dans l'hebdomadaire Spirou entre 1980 et 1983. Trois albums avaient vu le jour chez Dupuis (qui ne les a pas davantage réédités que les Ginger de Jidéhem aujourd'hui réédités chez Joker) avant que Morphée et Hermann ne jettent l'éponge. Pour la petite histoire, derrière le pseudo de Morphée se cachait celui qui était à l'époque le rédacteur en chef de Spirou, Philippe Vandooren, beau-frère d'Hermann qui lança celui-ci dans la BD bien des années auparavant.
Cet hommage évident au Little Nemo de Winsor Mc Cay (pour ceux qui ne l'auraient pas compris tout de suite en lisant l'album, les auteurs avaient décidé de lui dédier un chapitre) est sans doute ce qui s'est fait de mieux dans le genre (sorry pour Bruno Marchand qui poursuit aujourd'hui un hommage à Little Nemo chez Casterman). Hermann est dans cette période de remise en question de son dessin qui se situe entre la fin de Comanche et l'apogée de Jérémiah. Il n'a pas encore découvert la couleur directe (ce sera pour bien plus tard) mais il est retourné à un trait plus « gravé », moins épais. Ses dessins d'animaux sont stupéfiants (même Boucq n'arrive pas à faire aussi bien) et les scénarios sont des rêves délicieusement poétiques qui vous emportent dans un imaginaire à la fois riche et universel. Le personnage du capitaine Bang qui disparaît chaque fois qu'il est en colère et réapparaît là où est resté sa casquette est très drôle, surtout dans sa façon de parler toute en rimes originales. Bref, il n'est jamais trop tard pour lire ou relire une bonne histoire et le moins que je puisse dire c'est que celle-ci le mérite.
La poursuite par Thierry Bellefroid
« La poursuite » de William Henne. Aux éditions « La cinquième couche »

Voilà une excellente histoire kafkaïenne qui mériterait de sortir des cénacles un rien confinés où l'on trouve généralement les albums de « La cinquième couche ». Parue dans une nouvelle collection de petit format qui publie également « Hareng couvre-chef » de Christophe Poot et « Empenadas » de Damien Rocour, cette nouvelle graphique témoigne à la fois d'un vrai talent de scénariste et d'une belle approche du dessin.
Au début de l'histoire, un homme reçoit des mains d'un juge sa « licence de suicide ». On plonge immédiatement dans l'étrange. Les décors sommaires évoquent Bruxelles, sous la silhouette omniprésente du Palais de Justice déjà immortalisé par François Schuiten (voir « Brusel » chez Casterman). Notre homme a dû présenter un dossier très étayé pour recevoir l'autorisation de mettre fin à ses jours. Il sort de l'audience, son précieux sésame en mains. Une silhouette s'approche, se présente à lui. « Vous vous rappelez ? Au Commissariat, le bureau numéro six ? » Commence alors un flash-back dans lequel le héros revit les derniers jours qui ont précédé l'audience, depuis une première tentative de suicide « illégale » et son interrogatoire par les forces de l'ordre. Avec beaucoup d'ironie, William Henne invente un monde de bureaucratie coercitive dans les arcanes duquel notre héros n'est pas loin de se perdre, oubliant les motivations même de son acte. La plongée dans l'absurde est parfaite. La porte de sortie trouvée par l'auteur pour conclure l'est aussi, même si on la devine un peu trop tôt. Quant au traitement graphique, qui mêle très habilement des silhouettes ou des décors dessinés d'une plume presque maladroite et un lavis aux contours anguleux, il n'a rien à envier au reste.
White Flower Day par Thierry Bellefroid
« White flower day » de Steve Weissman. Aux éditions Amok.

Amok continue la publication en français des histoires de Steve Weissman. Après le très épais « Fichtre », à la bichromie orange fluo, voici un ouvrage beaucoup plus mince (il est même très vite lu !), imprimé sur le même principe, mais cette fois avec une dominante verte. On y retrouve Kit Méduse et Raymond X, qui sont d'ailleurs les protagonistes principaux de l'album. Les enfants n'y sont pas montrés sous leur meilleur jour, mais on pouvait s'en douter, Steve Weissman aime surprendre avec des gosses qui sont comme des loupes grossissantes des mythes et anti-héros créés par la société américaine. C'est donc gentiment cruel, un rien trash... et très américain. Pour tout dire, le premier m'eût suffi. Mais on suppose que les fans apprécieront tout autant le second.
La favorite (Djinn) par Thierry Bellefroid
« La favorite », tome 1 de la série « Djinn » par Dufaux et Miralles. Chez Dargaud.

Voilà ce qu'on appelle une excellente surprise. La lecture de ce premier album révèle à la fois un Jean Dufaux au sommet de sa forme et une Ana Miralles tout simplement époustouflante. Dufaux n'est jamais meilleur que dans les histoires les plus directement inspirées de la réalité où l'humain l'emporte sur le fantastique, ce sont pourtant les moins nombreuses dans sa production. Il rejoint quelque part ici le souffle qui l'avait amené à créer Murena, avec Delaby (également chez Dargaud). Plus direct, moins baroque, il « entre » dans ses personnages et il les livre aux lecteurs sans faux-semblants, sans artifices excessifs. L'histoire est envoûtante. Car elle touche à un monde aussi inconnu que parcouru de clichés, celui des harems, du pouvoir des femmes de l'ombre. Et cela dans une société, la société turque, décrite à deux phases opposées de son existence : contemporaine d'une part, crépusculaire de l'autre (c'est-à-dire avant la période de démocratisation introduite par Mustafa Kémal en 1923, sur les débris de l'Empire Ottoman). La page d'Histoire choisie par Dufaux est passionnante, l'angle choisi pour l'aborder l'est tout autant. Et Ana Miralles dans tout ça ? La dessinatrice espagnole que l'on a connu à travers « Eva Medusa » et « A la recherche de la Licorne » chez Glénat nous gratifie d'un dessin absolument magnifique en couleurs directes. Les lumières, les décors, les costumes sont splendides. Mais que dire des femmes ? Elles devaient forcément être belles à couper le souffle, vu le rôle que leur réservait le scénariste. Ana Miralles a relevé ce pari. Peut-être même mieux que ne l'aurait fait n'importe quel dessinateur. Le regard d'une femme sur les femmes, sur la femme. A la fois pudique et complice, connaisseur et inspiré.
Laona (Toran) par Thierry Bellefroid
« Laona », tome 1 de la série Toran. Par Plongeon et Peynet. Chez Nucléa.

Déjà partenaires sur la série « Les Apatrides » (un album chez Pointe Noire, critique sur ce site), Isabelle Plongeon et Frédéric Peynet entament une nouvelle collaboration très différente de la première -et au moins aussi réussie ! Ce premier album commence sur une excellente scène. L'image est très forte et les quatre premières planches ne peuvent que vous donner envie d'en savoir plus. Un guerrier armé d'un arc et de quelques flèches est enfermé derrière un champ de force. De l'autre côté, une bête monstrueuse est prise au même piège. Qui va tuer l'autre ? Pourquoi sont-ils là ? Un long flash-back va nous permettre de le comprendre. L'histoire imaginée par Isabelle Plongeon est originale. Les explications arrivent à point nommé. Pas trop tôt, pour conserver une agréable part de mystère. Pas trop tard, pour permettre au lecteur d'avancer en trouvant les réponses à ses questions. L'idée de cette peuplade qui utilise le principe de la chrysalide est excellente et l'ensemble de l'univers très cohérent rappelle quelque part le talent d'un Léo. Il faut dire qu'en dépit de son (très) jeune âge (22 ans !), Frédéric Peynet se montre bon dessinateur et redoutable coloriste ! Tout cela est de très bon augure pour la suite. Ces deux-là ne resteront peut-être pas des années dans de « petites » maisons comme Nucléa ou Pointe Noire.
Au turf (La Nef des Fous) par Thierry Bellefroid
« Au turf » , quatrième tome de « La Nef des Fous », par Turf. Chez Delcourt.

Série presque culte, « La nef des fous » doit tout à Turf. Normal. C'est « son » univers. D'un bout à l'autre. Scénario. Dessins. Couleurs. Tout est 100% maison. Ce qui explique sans doute que la patience est de rigueur. Car quatre albums (en dehors du hors-série paru en 98) en l'espace de 8 ans, ce n'est pas beaucoup. La patience des plus fidèles lecteurs de la série est enfin récompensée. Non seulement parce qu'ils ont attendu très longtemps ce quatrième album. Mais en outre parce qu'il entre vraiment dans le vif du sujet. Turf est un merveilleux magicien du crayon. Il dessine avec brio, découpe ses planches d'une manière très personnelle, crée un univers qui ne ressemble à aucun autre. Mais le seul reproche qu'on peut lui faire, c'est que son histoire n'avance pas vite. Au bout de ce quatrième volume, on en sait heureusement plus sur cette fameuse « nef » (ne fût-ce que sur ses limites dans l'espace, grâce à un « trou » dans le ciel, je ne vous en dis pas plus). Mais combien de questions restent sans réponse, alors que le bon roi retrouve la liberté ? Trop, sans doute, pour ne pas ressentir le brin de frustration que provoque la dernière page de chacun des albums de la série. Mais le plaisir de la lecture est bien là. Couleurs, personnages, humour et imaginaire se combinent pour créer une fresque de moins en moins fantaisiste. Tout ça sent le travail d'un auteur généreux et incroyablement imaginatif. Normal, dès lors, qu'il se soit permis un clin d'oeil gros comme un chien royal dans le titre de cette quatrième aventure !
Nettoyage par le vide par Thierry Bellefroid
« Nettoyage par le vide » par Ptoma, sur un texte de Mickey Spillane. Dans la collection « Petits Meurtres » des éditions du Masque.

Revoilà les « Petits Meurtres ». Deux ans après la création de cette collection de polars en noir et blanc caractérisée par le brassage de jeunes dessinateurs et de romanciers (ce qui ne fut pas le cas pour tous les albums), Ptoma inaugure une nouvelle fournée. Son « Nettoyage par le vide » est une adaptation. Le texte original paru en 1979 est signé Mickey Spillane, le créateur du privé Mike Hammer. L'histoire est noire comme la poche à encre d'une seiche. Elle joue sur la ressemblance de deux hommes au passé trouble. L'un est amnésique à la suite d'un accident de voiture qu'il a eu avec le second, recherché pour un meurtre qu'il n'a pas commis. Leur ressemblance les pousse à devenir amis, et le jour où le « faux » meurtrier meurt, l'autre décide de prendre sa place et de retourner dans la ville où le meurtre a été commis pour régler les comptes. On frôle souvent l'exagération dans ce récit, et le hasard semble avoir donné un sacré coup de main à Mickey Spillane pour l'écriture de son histoire. Mais l'intérêt réside surtout dans la galerie de personnages d'une ville soumise à la violence de quelques potentats locaux. Et puis il y a ce héros, qui ne sait pas toujours qui il est et qui sait encore moins qui tire les ficelles. C'est nerveux, bien écrit, et très bien découpé. Ptoma a parfaitement retranscrit l'univers original en BD avec parfois de bonnes trouvailles visuelles (comme le « coup de la sonnette » utilisé à la page 36 et à la page 62) et un style qui privilégie l'ombre. Les gueules des personnages sont assez laides, ce qui est souvent inversement proportionnel à leur corps. Les femmes sont sculpturales, plus pulpeuses les unes que les autres, très glamour. Il y a vraiment un exercice de genre qui colle parfaitement à ce type de polar, manichéen et parfois simpliste, mais efficace.
Jo Nuage et Kay Mc Cloud par Thierry Bellefroid
« Jo Nuage et Kay Mc Cloud », par Dany et Greg. Aux éditions Joker.

Il y a trente ans, Dany n'était encore « que » le jeune dessinateur d'Olivier Rameau. Placé sous l'aile protectrice et bienveillante de Greg dans l'atelier duquel il travaillait, Dany rêvait pourtant d'action. Rêverose lui plaisait, mais son crayon le poussait vers un univers plus aventureux. C'est l'éphémère « Achille Talon Magazine » qui allait permettre à Greg de satisfaire ses désirs. Le grand scénariste allait pondre une aventure (et même plus, puisque la deuxième qui n'a connu qu'une demi-douzaine de pages avant la disparition du magazine est également reproduite dans cet album) humoristique qui convenait à la fois au style de Dany et à ses aspirations. Jo Nuage et Kay Mc Cloud étaient nés. Les voilà parus en album sous la bannière de l'actuel éditeur d'Olivier Rameau (et surtout des recueils d'histoires « coquines » de Dany). Et la lecture -ou la relecture en ce qui me concerne- de ces aventures vous emportera dans un léger tourbillon nostalgique. En dépit d'une certaine légèreté et de l'utilisation de ficelles un peu faciles, Greg s'y adonne à l'exercice de la parodie et de la comédie en ridiculisant le pauvre instructeur chargé de faire d'un petit groupe d'aspirants policiers de parfaits agents spéciaux. Pour l'époque, le fait d'y avoir placé une femme -et qui plus est, une femme aux arguments très... féminins, on peut faire confiance à Dany !- et de lui donner un « premier rôle » à l'égal des hommes, est assez étonnant. Sans être révolutionnaire pour autant, la lecture de cette première histoire et des quelques pages dessinées pour la seconde est un moment délicieux. Et vous prouvera combien le graphisme d'un dessinateur peut évoluer sur une trentaine d'années.
Cosmique tralala par Thierry Bellefroid
« Cosmique tralala » par Baladi. Aux éditions « La cafetière ».

Difficile de résumer un album aussi déjanté. Baladi a manifestement deux idées à la minute et les couche aussitôt sur le papier. Son titre donne le ton ; « Cosmique tralala » est un album de second degré. Des ex-Terriens, les Goloches actifs, se distinguent par leur capacité à dévorer la vie sous toute ses formes. Ces jouisseurs sont avant tout de grands gloutons. Ils se promènent dans l'espace avec une idée fixe : manger. L'album devient vite un prétexte pour parler de la bouffe et du plaisir de bâfrer. Le moment le plus drôle étant l'évocation d'une fondue géante en plein ciel qui débouche sur une chasse loufoque pour « capturer » la matière première. Impossible de raconter tous les rêves que Baladi a mis sur le papier. Il faut accepter de chevaucher à sa suite et de pénétrer son univers, un univers qui possède sa propre logique et son vocabulaire. Les esprits ouverts se régaleront. Les autres refermeront très vite cet album en disant : rien compris. Quant au dessin du Suisse, il est à l'image de son univers : tortueux à souhait. Reste que la fin est un peu prévisible. Dommage, quand on évolue dans un récit où, justement, la surprise est la règle à chaque page.
Essai de sentimentalisme par Thierry Bellefroid
« Essai de sentimentalisme », par Loïc Nehou et Frédéric Poincelet. Chez Ego Comme X.

Livre déconcertant, « Essai de sentimentalisme » pousse l'autobiographie jusque dans ses derniers retranchements. Peut-on tout dire, tout raconter ? Y a-t-il une limite à l'impudeur ? Difficile de se prononcer tant chacun aura un avis différent sur la question. Mais ce qui est sûr, c'est que les lecteurs pourront aussi bien apprécier la liberté de ton de Loïc Nehou que la trouver indécente. De quoi s'agit-il ? De raconter en près de 100 pages quelques moments personnels liés à des conquêtes féminines. Il y a la toute première, celle qui ne voudra pas croire que Loïc était puceau et s'offusquera de ce qu'elle prendra pour un mensonge destiné à lui masquer l'existence des « autres ». Il y a Nicole, Patricia, Laure, Aurélie... Et puis, il y a Géraldine. On passe d'une histoire à l'autre, d'une fille à l'autre, comme on tournerait les pages d'un carnet intime. « Essai de sentimentalisme » n'est d'ailleurs pas autre chose qu'un carnet intime. Loïc arrive à rapporter des détails presque insignifiants qui rendent son histoire réelle, en dépit du dessin minimaliste de Frédéric Poincelet duquel sont absents presque tous les éléments de décor. Mais le carnet nous entraîne parfois très loin. C'est le cas avec Géraldine. Ce chapitre est particulièrement cru, puisque l'auteur raconte par le menu tous les jeux sexuels auxquels il s'est livré. Et l'impudeur transforme le lecteur en voyeur consentant. Le dessin ne masque rien. Au contraire, il semble tirer parti de son trait de plume acérée pour décrire des manière redondante et sans aucune poésie les ébats et trouvailles des amants. Dans un récit qui a priori n'a rien de pornographique, une telle démarche est pour le moins surprenante. Elle témoigne en tout cas de la sincérité totale des auteurs. Et se place dans la tradition d'une petite maison d'édition indépendante qui a fait de l'autobiographie sans concession sa marque de fabrique.
Prémonition (Le maître de jeu) par Thierry Bellefroid
« Prémonition », tome 2 de la série « Le maître de jeu », par Corbeyran et Charlet. Chez Delcourt.

Corbeyran continue à tisser sa toile strygienne. Mais plus il en parle, moins on en voit ! Que ce soit dans ce deuxième volet du « Maître de Jeu » ou dans le premier du « Clan des Chimères », le rapport aux Stryges semble plutôt allusif. Cela n'empêche nullement ce deuxième album de nous emmener dans une intrigue complexe, où plusieurs histoires se télescopent et forment un savant écheveau. Eric Corbeyran sait y faire. Il sait aussi faire durer, comme il l'a prouvé avec la série maîtresse, « Le chant des Stryges ». C'est vrai qu'on ne s'ennuie pas en lisant cette suite. Mais c'est vrai aussi qu'on aimerait aller un rien plus vite au coeur du sujet. Quant au jeu de rôles qui semblait être l'élément le plus original du premier album, il passe ici tout à fait au second plan. Bref, on ne sait pas trop où l'auteur veut nous mener, mais on s'y laisse guider avec plaisir... et une certaine impatience. Après un album de mise en place, un autre de transition... à quand l'album de « révélation » ?
Le maître de Novijanka (Vlad) par Thierry Bellefroid
« La maître de Novijanka », tome 2 de la série « Vlad », par Swolfs et Griffo, dans la collection « Troisième Vague » du Lombard.

Le premier tome ne m'avait pas littéralement emballé. Le deuxième non plus. Swolfs continue de recycler un monceau d'idées ou de thèmes ultra-éculés, comme il en a désormais pris l'habitude. Vlad se voit en outre affublé d'un faire-valoir « lunetteux et intello » qui va évidemment passer son temps à lui sauver la mise de manière plus ou moins volontaire, histoire de tempérer un peu son côté « héros solitaire trop indestructible ». La Russie futuriste de Swolfs doit plus à Mad Max qu'à Soljénitsyne, on a la culture qu'on peut. Bref, tout cela n'explique pas le succès du premier volume de la série -30.000 exemplaires annoncés par l'éditeur en un an- mais la BD a elle aussi ses mystères insondables. La lecture de ce deuxième album est tout aussi « gentiment » délassante que celle du premier opus. Mais lorsqu'on les compare à quelques productions récentes de la maison-soeur, Dargaud -comme Betelgeuse, Djinn ou ApocalypseMania- ces deux albums ne tiennent pas la distance. Et face à d'autres albums de la même collection Troisième Vague, comme le dernier Capricorne ou Alvin Norge, ceci paraît avoir de faibles arguments. Le dessin de Griffo ne sauve pas le projet... Pour se convaincre de l'inutilité de nombreuses pages, il suffit de lire l'album puis de se le raconter. Vous verrez, l'histoire -la vraie- tient en peu de pages.
Le plein et le vide (Replay) par Thierry Bellefroid
« Le plein... et le vide », tome 2 de la série Replay, par Sala et Zentner. Chez Casterman.

Avec une mise en couleurs qui rappelle de plus en plus celle de de Crécy (non seulement le de Crécy de Léon La Came, mais aussi celui du Bibendum Céleste), David sala poursuit cette très belle évocation du parcours d'un joueur professionnel imaginée par Jorge Zentener, l'un des plus talentueux scénaristes de la BD. Après un premier album très centré sur la relation d'amitié étrange entre deux adolescents -Don et Chubby-, nous suivons Don, seul. Et nous comprenons comment il devient un joueur professionnel, pourquoi et comment il est devenu superstitieux au point de pouvoir abandonner une femme à laquelle il tient sans l'ombre d'une hésitation. Toute sa vie va tourner autour de deux règles simples et Don ne voudra les remettre en cause sous aucun prétexte. On retrouve ici les traits de caractère de l'adolescent, exploités à l'âge adulte. Zentner a grandi avec son héros, il le suit de l'intérieur. Cela n'empêche pas cet album d'être un peu plus faible que le premier. D'abord parce qu'il s'y passe moins de choses. Ensuite parce que certaines pages sont carrément creuses, surtout celles qui représentent une année de la vie de Don par case. En soi, ce n'est pas nécessairement gênant, mais cela empêche en revanche de donner plus de place au personnage de Monna, qui tombe un peu du ciel vers la fin du livre. Dommage. Mais ne boudons pas notre plaisir. D'abord, il y a l'excellent dessin de Sala. Ensuite, il y a de très bons moments dans cette histoire. Notamment la partie relative aux frères jumeaux, les Fornasaro, qui fabriquent la meilleure crème glacée des Etats-Unis avec l'aide d'un Saint. On se croirait dans un film des frères Cohen !
« Couleurs spectrales », tome 1 de la série « ApocalypseMania », par Bollée et Aymond. Chez Dargaud.

Je l'avoue, le titre de cette série ne m'a pas nécessairement encouragé à me ruer sur l'album. « ApocalypseMania », difficile de trouver plus tarte ou plus primaire. Quant à la couverture, elle ne m'a pas inspiré davantage. Tout cela me semblait dénoter un réel mauvais goût. Heureusement, ma conscience professionnelle (sic) et ma curiosité m'ont poussé à lire « Couleurs spectrales » et je n'ai pas été déçu. Difficile de se prononcer définitivement à ce stade, mais le scénario de Bollée a tout l'air d'être en béton armé. Rien à dire, en tout cas, il ferre son lecteur à la vitesse grand « V » et le promène très intelligemment dans des endroits et/ou des moments différents pour nous livrer les ingrédients de ce qui a tout d'un puzzle maléfique. Au terme de ce premier album, « ApocalypseMania » se présente comme un fameux thriller d'anticipation et repose sur un personnage central -Jacob Kandahar- qui est tout à fait crédible. Le dessin d'Aymond -hors couverture, j'insiste !- est parfaitement efficace et sert le propos sans en faire des tonnes. On ne peut que se réjouir de le voir s'associer à quelqu'un d'autre que Christin qui ne lui a donné jusqu'ici que les plus pauvres de ses scénarios. Si l'histoire qui démarre avec cet album continue à ce rythme, en tout cas, « ApocalypseMania » deviendra vite un énorme succès. Et plus personne (même moi ?) ne critiquera ses couvertures...
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