Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Rural ! par Thierry Bellefroid
« Rural ! », par Etienne Davodeau. Dans la collection Encrages des éditions Delcourt.

Il fallait le faire et il l'a fait. Davodeau, le plus « social » de nos auteurs de BD, le Ken Loach du neuvième art, est tout simplement passé au stade du documentaire. Le terme reportage serait inexact. Comme dans le documentaire, il y a ici une notion de longueur dans le temps, mais aussi de point de vue personnel qui vont au-delà du reportage. Pourtant, la méthode de départ est la même : s'immerger, avec un carnet et un crayon, dans une réalité et la décrire.

J'avoue ne pas être un spécialiste de l'agriculture et encore moins du bio. A ce sujet, chaque page de cet ouvrage, ou presque, m'a appris quelque chose. Etienne ne s'est pas contenté de raconter l'histoire de ces quelques agriculteurs et habitants menacés d'expulsion par la construction d'une autoroute. Par un travail de fourmi, il a réussi à nous faire pénétrer leur univers au jour le jour. Le résultat, c'est un album de près de 140 pages réalisé en plusieurs mois, une plongée rurale comme l'indique son titre, qui ne laissera pas le lecteur indifférent. Pour moi, l'objectif est atteint. Non seulement je ne me suis jamais ennuyé (Davodeau distille parfaitement les informations « didactiques »), non seulement j'ai appris beaucoup de choses, non seulement j'ai lu cette BD de la même manière qu'une fiction (ce qui veut dire qu'on y trouve les mêmes ingrédients : suspense, trame, personnages, etc...) mais en plus je me suis attaché à son univers, ses protagonistes, son propos.
Avec « Rural ! », Etienne Davodeau ne fait oeuvre ni de journaliste, ni de cinéaste, ni d'écrivain, ni même d'auteur de BD. Il fait tout ça à la fois !
La mission (Wayne Shelton) par Thierry Bellefroid
« La mission », tome 1 de Wayne Shelton, par Van Hamme et Denayer. Chez Dargaud.

Bruno Brazil est de retour ! Il s'appelle Wayne Shelton. Scénariste : LE faiseur de best sellers, Jean Van Hamme. Dessinateur : Christian Denayer. Après le dessin assez mièvre de Génération Collège, le père de Yalek, des Casseurs et d'Alain Chevallier renoue avec les scènes d'action et les gros camions (y compris sur la couverture, d'ailleurs). Rien à dire, ça lui va mieux. D'autant que Van Hamme lui a concocté une histoire sur mesure.
Parti d'un fait réel, le scénario est donc un hommage à peine déguisé à feu Bruno Brazil. Ce n'est pas la première fois que Van Hamme louche sur l'oeuvre de Greg. C'est peut-être la première fois qu'il s'en inspire aussi ouvertement. Le héros, un moustachu (c'est rare, de nos jours, parmi les héros de BD) aux tempes grisonnantes qui quitte rarement son imper, accepte un très juteux contrat dont l'objet est la libération d'un Français prisonnier dans une petite -et fictive- république de l'ex-URSS. A la manière du Commando Caïman, Wayne Shelton va se constituer une équipe pour partir à l'assaut de la forteresse. Il va même mettre tout l'album à la constituer, cette équipe. Un joli prétexte pour nous emmener un peu partout et nous distiller du frisson et de l'action à toutes les pages. Problème : le héros n'est pas très sympathique. Et tout ça ne « sue » pas l'humour. Mais Jean Van Hamme connaît son affaire. Wayne Shelton devrait rencontrer le succès. Et donc... d'autres épisodes après l'inévitable N°2 ?
« Pourquoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ? », tome 1 de la série « Les olives noires » par Sfar et Guibert, dans la collection « Repérages » des éditions Dupuis.

Personne n'a oublié « La fille du professeur », qui avait révélé l'immense talent graphique de Guibert et l'imaginaire débridé de Joann Sfar au grand public. Aujourd'hui, tout le monde apprécie leur contribution essentielle au renouvellement de la BD française. En solo, en duo ou en association à géométrie variable, Joann multiplie les projets et ne cesse de surprendre. Plus discret mais tout aussi intéressé par le fait de travailler avec des partenaires qui sont avant tout des amis, Emmanuel a prouvé qu'il était l'un de ceux avec lesquels il faudrait compter dans les années à venir. « Le Capitaine écarlate » et « La guerre d'Alan » ont assis son talent. Il manquait toutefois encore l'album où ces deux-là pourraient livrer ensemble le meilleur d'eux-mêmes. Et ce n'est pas avec cet album qu'ils arrivent mais carrément avec une série dont ce « Pourquoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ? » n'est que le prologue. Un prologue magistral, touchant, drôle, caustique, magnifiquement mis en scène et « joué » par les personnages qu'Emmanuel a mis sur le papier.
« Les olives noires », c'est du Sfar pur jus. On y retrouve à la fois une prédilection pour l'histoire juive, un ton résolument moderne, un traitement mêlant parfaitement humour et émotion. Mais l'album ne serait pas le même sans l'intelligence et la sensibilité qu'apporte Emmanuel Guibert. Un gaufrier basique à six cases, un dessin qui s'approche des visages et nous fait partager émotions, frayeurs, interrogations et même... humour. Et tout ça sans le moindre artifice. C'est ça, Guibert. L'efficacité au service de l'histoire, la mise en scène confiée au seul crayon et non au tube de colle... Résultat, un album vibrant, vivant, léger et grave à la fois, qu'on a envie de relire aussitôt refermé.
Il y a dans le traitement des deux soldats déserteurs un humour désespérément salutaire. Pour nous faire « avaler » l'injustice de ces deux Gaulois enrôlés de force dans l'armée romaine et craintifs face au sort qui les attend, Sfar choisit la carte de l'humour (et de l'amour). Cette légèreté dans le désespoir, cette façon de rire dans le malheur (ils se font quand même circoncire, les pauvres) est sans doute l'une des manifestations de l'humour juif qui caractérise Joann. S'y ajoute ici une volonté de traiter de l'Histoire antique avec un langage contemporain. Ce traitement amplifie encore le côté décalé, drôle mais aussi personnel de l'album. Emmanuel Guibert apporte sa pierre à l'édifice. Ses deux soldats sont terriblement expressifs, proches de nous aussi (l'un des deux est même une copie assez conforme de Christophe Blain). Quant au héros, le petit garçon qui a perdu sa maman (comme Sfar, voir interview sur ce site !) et que le destin va à son tour séparer de son père, il prend des traits proches de ceux que l'on pourrait prêter à Sfar lui-même, enfant. Dans un jeu de zoom avant délicat et dosé, Guibert nous rapproche de ses yeux, de ce regard pur et triste à la fois, bouleversant d'humanité. Il n'y a qu'à lire les quatre cases reprises en quatrième de couverture pour voir à quel point ces deux-là ont du talent quand ils conjuguent leurs qualités respectives !
Rapaces - tome 3 (Rapaces) par Thierry Bellefroid
« Rapaces III » par Dufaux et Marini. Chez Dargaud.

Difficile de nier le talent époustouflant d'Enrico Marini. Le dessinateur de Rapaces le prouve cette fois encore : il sait tout faire. Et il dessine les ambiances, campe les couleurs directes, travaille les lumières comme personne. Rapaces vaut avant tout pour ce témoignage d'un grand dessinateur qui, en plus des qualités que je viens de citer, est aussi un maître des scènes d'action. Chaque page est remarquablement équilibrée, nourrie d'un rapport à la couleur qui ne cesse de s'affiner au fil des albums. Pour le reste, ce troisième tome est clairement un album de transition. Le scénario ne fait pas de surplace, mais il n'avance pas à pas de géant pour autant. Dufaux s'amuse quand même au passage. « Ses » créatures en viennent à se demander s'il ne serait pas temps de préserver la race humaine dont les derniers specimens sont en voie d'extinction. A part ça, pour résumer l'ensemble, disons que les forces du mal se livrent un combat sans fin, ce qui permet à Marini de continuer à dessiner les combattants dans des tenues de latex ultra sexy en leur faisant des biscottos d'enfer. Bref, tout le monde est content.
« Farces macabres », tome 2 de Comptine d'Halloween, par Callede, Denys et Hubert. Dans la collection Sang Froid des éditions Delcourt.

Deuxième volume de cette trilogie très hollywoodienne. Betsy continue sa descente aux enfers. Les cadavres se ramassent à la pelle dans cet album où l'on commence à comprendre ce qui motive le tueur. Il faut dire que l'histoire démarre par un flash-back qui permet de mieux saisir ce que les auteurs avaient jusque-là volontairement laissé dans l'ombre. Tout comme le premier opus, ce deuxième tome nous emmène dans une histoire de serial killer à l'américaine, bourrée de références cinématographiques et de clichés, mais qui fonctionne grâce à un bon découpage et à son personnage central, la fragile comédienne prise dans une toile aux enjeux inquiétants. Le suspense est bien construit. Et sans parler de chef d'oeuvre, on recommandera la lecture de ces deux albums aux fans de films du genre et de romans de Stephen King.
« De cendre et d'or », tome III de la série « Le Triangle Secret », par Convard, Falque, Gine, Kraehn, ... Chez Glénat.

Annonçant discrètement la mise en place de la collection « La loge noire » confiée à Didier Convard, ce tome trois a pour invité Jean-Charles Kraehn. Comme ses prédécesseurs, il offre un panorama de deux mille ans de duperie en postulant que l'Eglise a toujours caché ce qu'on pourrait appeler « le mensonge originel » : Jésus a envoyé son frère jumeau sur la croix. Partant de là, intrigues de pouvoir et documents secrets (dont le Cinquième Evangile écrit de la main du Christ) vont se croiser pendant des siècles jusqu'à ce qu'un historien par ailleurs franc-maçon se mêle de découvrir la vérité. L'intrigue construite par Convard est solide, même si ce troisième album est celui qui me semble le moins utile au récit. On reste cependant captivé par cette enquête policière menée par-delà les siècles et par les personnages principaux tout à fait crédibles dans leurs rôles respectifs. Dommage que le dessin de Falque ne convainque pas davantage. Dommage que le propos certes sérieux mais pas pour autant dénué d'intérêt soit parfois un peu noyé par un intellectualisme forcené. Pour le reste, rien à dire, on attend d'avoir les sept albums de la série en mains pour les relire d'une traite !
Petits miracles par Thierry Bellefroid
« Petits miracles », par Will Eisner, chez Delcourt.

Si vous ne croyez pas aux miracles, peut-être conviendrez-vous qu'il est temps de revoir votre jugement à la lecture de cet album. Ici, les miracles n'ont pas grand chose à voir avec la foi. Ils se produisent presque à l'insu de tous et prennent l'apparence « d'heureux hasards » (mais s'agit-il vraiment d'autre chose ?). Eisner décrit comme personne les rues et les gens de son enfance new yorkaise, campant des personnages et des situations qui flirtent avec le merveilleux. C'est d'une poésie et d'un génie confondants. Il faut dire qu'Eisner n'a plus de leçon de dessin à recevoir de personne depuis quarante ans, au moins. Sa patte, qui élimine tout élément inutile de la page pour se concentrer sur la lisibilité du sujet, est l'une des plus belles qui soit. Difficile de ne pas aimer.
London Dakota (Mille Visages) par Thierry Bellefroid
« London Dakota », tome 1 de la série « Mille visages », par Thirault et Malès. Aux Humanos.

Voilà un western qui ne ressemble pas à un western. Normal, ce n'est pas un western. Ça commence dans l'Ouest lointain et impitoyable, ça trompe avec un petit côté Buddy Longway pour adultes et puis... surprise, on vire de bord ! Thirault nous raconte le parcours incroyable d'un médecin anglais, jeune chirurgien prodige, qui se laisse entraîner dans des expériences occultes par son mentor, le docteur Laney. Ces expériences dans lesquelles il approfondit des méthodes de transfusion sanguine encore à leurs balbutiements, vont précipiter sa chute et le pousser à partir pour les Etats-Unis. Dans un incessant aller-retour entre présent et passé, l'auteur nous raconte à la fois un destin tragique et passionnant sur les terres de l'Oncle Sam et les origines d'une malédiction. Tout cela avec la plume qu'on connaît à Philippe Thirault (auteur de l'excellent « Miss », entre autres). Les textes récitatifs sont soignés (l'ouverture de l'album est à ce sujet remarquable) et les héros ont une belle épaisseur au terme de ces 54 premières pages. Le dessin de Malès que l'on connaît surtout pour la série « Les révoltés » (avec Jean Dufaux chez Glénat) est plus enthousiasmant quand il se « déploie » sur deux pages à la fois, mais il gagnerait à être plus spontané et surtout, plus aéré. Certaines pages croulent littéralement sous le nombre de cases.
« Cas de conscience », tome 3 de la série « Les coulisses du pouvoir » de Delitte et Richelle. Chez Casterman.

Album après album, cette série s'impose comme une des plus remarquables histoires de politique-fiction de la BD. Philippe Richelle parvient à maintenir le suspense tout en faisant avancer une intrigue intelligente et parfaitement plausible. Chaque tome apporte son lot de petites révélations, ce qui rend la lecture agréable et la frustration moins grande. Mais rien ne permet pour autant de deviner comment l'histoire s'achèvera. Le talent de Philippe Richelle tient notamment au fait qu'il s'intéresse aux deux côtés de l'enquête. Le lecteur ne suit en effet pas les seuls inspecteurs du Yard qui tentent de savoir pourquoi on a tué l'ancien ministre Stuart Parkinson. Comme le dit très bien le titre de la série, il pénètre en même temps les coulisses du pouvoir et suit, de l'intérieur, l'évolution des personnages qui sont concernés, de près ou de loin, par cette affaire. Le postulat est intéressant. Il permet au scénariste de raconter deux histoires à la fois. Celle de Clive, le héros, écrivain raté mais brillant rédacteur politique. Ancien collaborateur de Stuart Parkinson, il est passé au service d'un autre membre influent du parti et passe son temps dans les coulisses de la course au pouvoir. Et puis celle de l'enquête sur le meurtre de Parkinson. Ces deux histoires commencent à dangereusement se rejoindre. Comme on pouvait s'en douter, Clive ne va pas tarder à se retrouver au coeur de l'affaire. Mais la psychologie que lui a inventé l'auteur ne permet pas encore de dire comment il réagira. Clive, comme beaucoup d'autres personnages dans cet histoire, offre un profil ambigu. C'est vrai que Richelle soigne ses protagonistes. Tant les bons que les méchants. Ils ont de l'épaisseur et n'arrivent jamais par hasard dans le récit. Bref, un scénario brillant, captivant aussi. Le dessin de Jean-Philippe Delitte est fidèle à lui-même : efficace et lisible, mais en même temps très fouillé. Delitte dessine tout : ses décors sont extrêmement crédibles et ses intérieurs regorgent de détails. On regrettera juste une mise en couleur parfois exagérément agressive qui commence à souffrir de quelques tics. Ainsi, les lumières verticales jaunes sur le nez et la lèvre inférieure des personnages qui étaient discrètes dans les volumes précédents deviennent ici une véritable obsession, avec pour effet de transformer certains visages en leur donnant une apparence clownesque qui ne sied pas au récit. Mais hormis ce petit bémol, rien à dire, tout cela fonctionne rudement bien.
Blue Ice (I.R.$.) par Thierry Bellefroid
« Blue Ice », tome 3 de la série I.R.S. par Vrancken et Desberg. Dans la collection Troisième Vague du Lombard.

Le James Bond du fisc américain est de retour pour une nouvelle aventure en deux tomes et, ma foi, elle me plaît davantage que la première. Pourquoi ? Parce que Desberg a mis les côtés les plus extravagants de son personnage en veilleuse, au profit de l'intrigue elle-même. Si je n'arrive pas à vraiment « épouser » Larry B. Max, son train de vie et ses contours trop parfaits, je reconnais en revanche que je conçois tout-à-fait l'existence de super-agents du fisc américain, aux prérogatives à peu près équivalentes à celles du FBI ou de la DEA. Et c'est justement parce qu'il collabore au moins en partie avec la DEA (sur fond de guerre des polices au début) dans cette nouvelles aventure que Larry B. Max y est plus crédible. L'idée de base imaginée par Desberg est redoutable : la revente d'un cartel de drogue à un intermédiaire spécialisé dans le blanchiment d'argent. C'est tout-à-fait plausible et c'est un excellent préalable à un « thriller économico-policier ». Reste à voir où tout cela nous mènera. Et si tout le monde arrivera à suivre un début d'album à la structure complexe, parfois bavard (comme le briefing des pages 14-15) et qui multiplie peut-être exagérément les effets de « planting » (le coup de fil à Gloria en première page d'abord, la rencontre avec la soeur de Larry ensuite). Quant au dessin de Vrancken, il garde la même rigidité que dans les deux premiers tomes. Tout est carré, froid, métallique, y compris les regards étincelants des protagonistes. On est loin de la rondeur parfois « romantique » du Sang Noir. C'est un choix. Il faut dire que le propos est différent.
Le météore (Le Décalogue) par Thierry Bellefroid
« Le météore » tome 3 de la série « Le décalogue » par Giroud et Charles. Chez Glénat.

Même si j'avoue une préférence pour le tome 4 que je trouve remarquable et très bien dessiné, ce troisième opus de la fresque lancée en janvier par Giroud est intéressant à plus d'un titre. Tout d'abord, parce que les ingrédients de base sont excellents. Le troisième des dix commandements du décalogue de Franck Giroud -qui n'est pas celui de la Bible, rappelons-le- qu'explore cette histoire est : « Tu n'attribueras point d'image à ton dieu ». Partant de là -et de l'obligation de construire son histoire transversale où l'on retrouve « Nahik » le livre-clé, à travers les siècles-, Franck nous a concocté un très bon suspense. Jean-François Charles lui donne des allures un peu surannées avec un traitement graphique « à l'ancienne » et nous propose une vision de la Grèce enneigée qui est aux antipodes des clichés du genre. Le principe d'introduire un psychopathe dans un petit groupe de gens coupés du monde et qui ne se connaissent que par la correspondance qu'ils ont échangée est radical. Le lecteur, qui ne sait pas qui est le tueur, suit les fausses pistes du scénario et entre dans le jeu. Résultat : ce tome trois est un bon cru, peut-être moins intellectuel et moins subtil que le suivant mais aux éléments dramatiques incontestables.

La veuve Pigeon (Sales mioches) par Thierry Bellefroid
« La veuve Pigeon », tome 5 de la série « Sales mioches ! », par Berlion et Corbeyran. Chez Casterman.

La bande à Mig est de retour. Et comme dans chaque album de la série, elle nous propose une histoire mêlant habilement une certaine nostalgie à l'esprit d'aventure. Une vieille femme d'apparence inoffensive attire l'attention de nos amis. La veuve Pigeon a-t-elle un secret ? On la soupçonne de voler des bijoux mais personne n'a jamais pu la prendre en flagrant délit. Avec sa détermination et son humour habituels, Nino enquête. Il veut savoir. Et cette enquête est une fois encore un prétexte pour nous parler de l'amitié qui règne entre les membres de cette étrange petite communauté, pour nous parler de la ville de Lyon, aussi. Et de ces gens à peu près normaux qui font parfois les héros des histoires. Ce ton, propre à la série, on le retrouve d'album en album ; Corbeyran semble ne pas l'oublier au moment d'aborder une nouvelle histoire. Tant mieux. C'est ce qui rend « Sales mioches ! » attachant, de même que les dialogues savoureux et plein d'esprit que l'auteur s'amuse à mettre dans la bouche de ses jeunes héros. Quant au dessin de Berlion, il acquiert de plus en plus de personnalité. Les nouveaux visages sont davantage réalistes, s'éloignant d'un style BD qui les caractérisait au début. Et les ambiances de couleur qu'on reconnaît désormais de loin ont un petit côté impressionniste qui sied bien à la série.
Seconde chance (Mobilis) par Thierry Bellefroid
« Seconde chance », deuxième tome de la série Mobilis, par Andréas et Durieux, chez Delcourt.

Avec un certain étonnement, j'ai découvert à la fin de ce deuxième tome que la conclusion se trouverait déjà dans le suivant. Au terme de ces 92 premières pages, il est pourtant bien difficile de savoir où Andréas veut en venir. Mystérieux, le premier tome plantait le décor. Sulfureux, le deuxième brouille les pistes. Depuis les débuts, on sait que le héros, Ross Nevada, est manipulé. On sait que l'un des manipulateurs, au moins, est le général Heirsch Breitenbach. Mais on ne sait toujours pas à quelles fins. Et le suspense est joliment entretenu dans ce deuxième album très différent du premier. L'écrivain raté qui s'était fait jeter de l'agence de pub pour laquelle il travaillait se retrouve ici dans un inquiétant huis-clos. Payé pour écrire à la main la biographie d'un milliardaire chez qui il est logé, nourri et blanchi, il débarque au milieu d'un fameux panier de crabes. Je l'avoue, ce récit m'intrigue. Ce qui n'a rien d'étonnant pour du Andréas, car on sait que le bonhomme n'est pas du genre à nous livrer des histoires prévisibles. Et même si j'ai une préférence pour le dessin « naïf » de Durieux, façon Bénito Mambo ou plus récemment façon « Oscar » (la nouvelle série qu'il dessine chez Dupuis sur scénario de Denis Lapière), j'avoue que son trait réaliste a beaucoup progressé ces dernières années. Après de bons débuts avec Jean Dufaux sur la série Avel chez Glénat, on avait plutôt eu le sentiment d'une régression lors de son passage au Lombard, sur la série Foudre. Aujourd'hui, la page est tournée. Son dessin est plus fluide, plus aéré, plus clair. Et ses personnages ont physiquement acquis de la maturité, même s'il reste quelques tics chez certains d'entre eux. Bref, un dessinateur qui « vieillit » plutôt bien. Et qui parvient, pour le moment, à maintenir deux styles radicalement opposés dans sa production.
« Le jardin des lys », tome 1 de la série « Gibier de potence », par Capuron, Duval, Jarzaguet et Rabarot. Chez Delcourt.

Voilà une nouvelle série de western enthousiasmante. De l'action savamment dosée, des premiers rôles féminins plutôt rares dans ce domaine, une intrigue solide, un dessin et des couleurs soignés : « Gibier de potence » promet. Bien sûr, il ne m'a pas fallu longtemps avant de comprendre qu'on allait une fois de plus nous reparler du mythe du trésor confédéré, sur lequel on a déjà écrit des tonnes de fictions. Mais il y a ici une approche familiale totalement différente, qui colle en outre parfaitement à l'esprit du Sud. L'histoire est bien racontée, tout n'est pas donné d'emblée, ce qui n'empêche pas le lecteur d'être ferré dès la première scène, excellente au demeurant. Certaines images sont relativement inédites et ajoutent à la crédibilité de l'ensemble. Par exemple, ce fort intégrant une fonderie dont les hautes tours accrochent le regard. Les auteurs n'ont pas réussi à éviter tous les clichés pour autant. Le méchant capitaine Lopeman a un peu trop la gueule de l'emploi, par exemple. Mais dans l'ensemble, ils se démarquent bien de tout ce qui a déjà été fait sur le sujet, tout en construisant une ambiance qui sonne un peu comme « La jeunesse de Blueberry ».
« Les idées noires », l'intégrale, par Franquin. Aux éditions Fluide Glacial.

Pas besoin de faire de longs discours. Les idées noires, si vous ne les avez pas encore lues, doivent être votre prochaine lecture. Chef d'oeuvre d'humour, de concision, de dessin aussi, elles constituent quelque part le sommet d'une oeuvre dont on a surtout retenu les créations plus sages, « Spirou et Fantasio » (qui n'est pas une création de Franquin, mais une reprise, comme chacun sait) ou « Gaston Lagaffe ». Pourtant, cette série lancée dans l'éphémère « Trombonne Illustré » (supplément gentiment irrévérencieux encarté dans le Journal de Spirou en 1977 et qui survivra trente numéros) est un véritable concentré de tout ce que Franquin savait faire. Ces gags fustigent volontiers ce qu'il abhorrait par-desus tout : la chasse, les armes, la pollution et de manière générale, la bêtise humaine. Mais ils ne sont jamais moralisateurs. Le ton est léger, caustique, grinçant parfois. Mais le noir et blanc en silhouette fait tout passer, même les scènes les plus « gore ».
Quant à cette intégrale, qui remplace désormais les deux livres, l'un au format album, l'autre au format italien, elle aura le mérite d'attirer l'attention d'un nouveau public sur cette oeuvre magistrale. Personnellement, je regrette le papier mat des précédentes éditions et surtout les gags présentés en demi-pages dans l'ex tome 2. Mais c'est un combat d'arrière-garde. D'autant que Fluide a même repris les pages de garde des anciens albums pour que le lecteur ne perde rien dans cette nouvelle édition. Alors, ne boudez pas votre plaisir ; si vous n'avez pas encore les Idées noires, précipitez-vous dessus. Et ne loupez surtout pas la lecture des petites maximes de Yvan Delporte qui ornent les hauts de page des gags de ce qui fut jadis le tome 1. C'est un régal.
« La rose des sables », tome 17 des aventures de Johan et Pirlouit. Au Lombard.

Quand on aborde un nouveau Johan et Pirlouit, tout comme un nouveau Benoît Brisefer ou un nouvel album des Schtroumpfs, il faut oublier ce qu'on a lu du temps de Peyo. Sinon, la déception est inévitable. Et la comparaison ne pardonne pas. Comparez cette histoire à la « Flûte à six schtroumpfs »... vous aurez compris ce que je veux dire.
Ce nouvel album est donc plus à prendre comme le prolongement d'un univers familier, qui remonte à notre enfance. Ouvrir « La rose des sables », c'est déjà un peu humer le papier jauni de nos vieux albums. On pense au « Châtiment de Basenhau », au « Lutin du bois aux roches », au « Serment des vikings ». Et immédiatement vous reviennent en mémoire quelques caractéristiques des personnages et de la série. Ce sont ces caractéristiques que Luc Parthoens et Thierry Culliford, le fils de Peyo, ont su cultiver. J'ai aimé dans cet album un humour bon enfant qui met gentiment le mauvais caractère de Pirlouit en valeur. Le gag récurrent de la sacquebute (mais qui rappelle dangereusement le barde Assurancetourix d'Astérix) ou celui de la cruche marchandée au triple de son prix (qui rappelle, elle, le capitaine Haddock). J'ai moins aimé les grosses ficelles d'un scénario cousu de fil blanc. Et des personnages parfois trop différents du graphisme de Peyo, comme celui de la princesse Aïcha, qui doit plus à Walthéry ou à De Gieter qu'au père des Schtroumpfs. Bref, un plaisir un rien nostalgique mais un peu court.
Les ombres du passé (Vasco) par Thierry Bellefroid
« Les ombres du passé », tome 19 des aventures de Vasco. Par Gilles Chaillet. Au Lombard.

Cette fois ça y est, c'est la fin de la saga entamée il y a plus de vingt ans dans « L'or et le fer », le tout premier tome de la série. On peut dire que Cola di Rienzo aura été un bon filon pour Gilles Chaillet, qui raconte dans cette ultime histoire la seconde marche du tribun sur Rome et sa fin que l'on ne pouvait imaginer que tragique. Peu de surprises, dans cet album. Les personnages sont si connus qu'on sait presque par avance ce qui va leur arriver. Où est la magie des débuts ? Sûrement pas dans le dessin de Chaillet dont le héros parfois carrément méconnaissable (comme en haut de la page 5) est la plupart du temps montré de loin, en plan large ou américain. Seul le siège de Palestrina ménage quelques moments plus forts. Pour le reste, ça sent le pilotage automatique.
« La résolution », tome 4 de « Je suis un vampire », par Trillo et Risso. Chez Albin Michel.

J'ai l'impression d'avoir déjà tout dit sur cette remarquable série. Pas la peine d'épiloguer à l'infini : « Je suis un vampire » reste d'un niveau supérieur à toutes les autres histoires du genre. Ce quatrième volume ne donne aucun signe de faiblesse ou d'essoufflement. Trillo propose un thriller à la fois haletant, fantastique, inquiétant et touchant. C'est une performance rare. L'enfant sans nom est un héros magnifique. Même lorsqu'il tient sa rivale en son pouvoir, il cherche davantage à comprendre qu'à se venger, à se protéger qu'à punir. L'arme suprême qui permet aux vampires de quitter la vie éternelle est à la fois simple et inattendue. Plus inattendue encore, la transformation de l'enfant sur la fin. Un conte noir qui se clôt en laissant la porte entrouverte pour une éventuelle suite ou simplement, pour permettre au lecteur de s'en imaginer une. Quant au dessin de Risso, il est d'une beauté et d'une efficacité redoutables. Sans doute l'un des plus grands dessinateurs en noir et blanc du moment.
Gargantua et Pantagruel par Thierry Bellefroid
« Gargantua et Pantagruel », par Battaglia et Rabelais. Chez Mosquito.

L'éditeur grenoblois haut de gamme Mosquito poursuit son oeuvre de traduction et de réédition de quelques classiques italiens méconnus chez nous. Après le fameux Sharaz-de de Toppi qui exaltait l'univers des Mille et Une Nuits, voilà le tour d'un Rabelais revisité par Dino Battaglia. Connu pour ses adaptations nombreuses d'oeuvres littéraires, Battaglia s'attaquait ici non pas à un livre mais à la fois à un monde et à une pensée. Le monde, c'est celui de Gargantua et Pantagruel. Drôle, fantasque, démesuré pour faire passer son côté caustique, l'univers de Rabelais ne perd rien de son intérêt sous la plume de Battaglia. Quant à l'esprit rabelaisien, il trouve ici son juste prolongement. Lire ces récits vous persuadera de la modernité de l'oeuvre. C'est truculent, joyeux, parfois incroyablement irrévérencieux. Le trait du dessinateur italien est tantôt austère tantôt d'une insoupçonnable légèreté. Il confère à cet album un parfum de chef d'oeuvre que les couleurs de Laura Battaglia viennent compléter très à propos. Rien à dire, du beau travail. D'autant que le texte « original » est magnifique.
Frida Kahlo par Thierry Bellefroid
« Frida Kahlo », par Marco Corona. Chez Rackham.

Frida Khalo est un album audacieux, difficile d'accès, à cheval entre BD et biographie illustrée. Passionnant à de nombreux égards, il devrait cependant dissuader de nombreux lecteurs de par son austérité. Très bavard, au point parfois de proposer des pages où une case sur deux ne contient que du texte et l'autre du dessin, il nous fait pénétrer l'univers d'une femme fascinante, marquée par la douleur, la maladie, la mort, l'amour et l'art. Peintre mexicaine, Frida Kahlo doit son talent aux nombreux revers qui l'ont marquée dès sa plus tendre enfance. Poliomyélite, puis accident de la circulation, elle aura très vite connu les affres de la douleur et la libération que peut représenter la peinture. Surtout, elle aura été confrontée à la contrainte, celle de devoir peindre dans son lit, une contrainte qui peut s'avérer déterminante dans une démarche artistique. Raconter sa vie est donc un pari passionnant que Marco Corona relève avec plus ou moins de bonheur. On regrettera ce côté parfois outrageusement bavard, au détriment d'un traitement plus graphique, plus propre à la BD. On a également l'impression que le parti-pris esthétique qui constitue à figer Frida dans quelques positions et expressions récurrentes nous la rend plus lointaine et rend parfois très mal les véritables conditions dans lesquelles elle a vécu. Il n'empêche, la lecture de cet album est particulièrement instructive et intéressera tous ceux qui veulent en savoir plus sur cette artiste peintre qui a en quelque sorte préfiguré le surréalisme. Une biographie qualifiée de « surréelle » par l'éditeur. A juste titre.
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