« Une trop bruyante solitude », par Lionel Tran, Ambre et Valérie Berge. D'après le roman de Bohumil Hrabal. Chez 6 Pieds Sous Terre.
S'il y avait un prix de la meilleure adaptation d'un roman en bande dessinée, peu de candidats pourraient rivaliser avec « Une trop bruyante solitude ». L'équipe qui a travaillé plusieurs années sur ce projet s'est attaquée à un livre d'une densité et d'une beauté magistrales. Un roman sur la modernité et ses travers, sur l'homme et sa place dans le monde, sur le sens de la culture, sur l'obsolescence sociale, sur la littérature elle-même. Le souffle qui traverse ce livre vous emporte immédiatement et la première qualité de cette adaptation est d'avoir su le conserver. Le texte est très présent. Magnifique, il se suffit parfois à lui-même, ce qui explique que certaines pages sont délibérément blanches, juste recouvertes de quelques phrases. Non seulement, cela permet au lecteur de s'arrêter sur le texte, mais cela confère un rythme au livre, une musicalité qu'il est rare de rencontrer en bande dessinée. Les auteurs ont ensuite choisi une voie particulièrement originale pour ce qui est de l'adaptation elle-même, refusant de montrer en dessin ce que le texte suggère. A partir des photos réalisées à Lyon par Valérie Berge, « Une trop bruyante solitude » s'est construit dans une zone de totale liberté graphique et de création pure. Exit, Prague et l'univers réel de Hrabal. De la même manière que Lionel Tran s'est réapproprié le texte du livre, allant jusqu'à mettre l'auteur en abîme dans son adaptation, Ambre, le dessinateur, produit sa propre vision de l'émotion qui étreint le lecteur à la lecture des aventures de Hanta, l'ouvrier alcoolique voué depuis son plus jeune page à la destruction des livres, tombé amoureux de la littérature qu'il arrache au pilon. Le résultat est troublant, la lecture pleine de surprises. Il faut fouiller cet album du regard, pousser les portes entrouvertes, gratter derrière les visages hachurés, relire, revoir.