Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Slide à mort (Franky Snow) par Thierry Bellefroid
« Samson & Néon N°1 : Mon copain dans l'espace », « Marie Frisson N°1 : Il est revenu le temps du muguet » et « Franky Snow N°1 : Slide à mort ». Chez Glénat.

Pourquoi réunir ces trois albums en une seule chronique ? Tout simplement parce qu'il existe un lien entre eux, et non des moindres. Tébo, Baptizat, Supiot et Buche, leurs auteurs, travaillent pour le magazine « Tchô » et signent ici leur premier recueil chacun. (Malika Secouss en est, quant à elle, à son deuxième album, raison pour laquelle je ne la range pas dans la même catégorie) Mais, au-delà du fait qu'ils sont publiés dans le même magazine, ces nouveaux auteurs appartiennent-ils réellement à ce qu'on pourrait appeler une école ? Je pense que oui et c'est pour cette raison qu'ils méritent qu'on en parle.

Deux de ces trois séries -Samson & Néon et Franky Snow- fonctionnent sur un humour qui rappelle inévitablement celui de Zep. La troisième, Marie Frisson, peut sembler plus différente de prime abord, mais elle s'adresse au même public et assume pleinement un choix de couleurs qui n'a rien à envier à celui du Zep des grands jours (il faut voir des originaux du Suisse pour se rendre compte à quel point il emploie, lui aussi, des couleurs pures). Ce que Marie Frisson perd en mécanique humoristique, elle le regagne en poésie, essentiellement grâce à un dessin novateur privilégiant délibérément la couleur, à tel point que celle-ci est l'unique support des personnages, remplaçant à elle seule tous les décors. Le seul risque est d'effrayer certains enfants en usant de tons aussi agressifs qui rendent encore plus terribles les monstres en tout genre croisés par la petite Marie.

Franky Snow, le roi de la glisse, ça pourrait être Titeuf en jeune adulte. Comme lui, il est ultra branché. Comme lui, il maîtrise les sports et les passions de son époque. Comme lui, il est le REFLET de son époque. Et n'est-ce pas là une des raisons du succès de Titeuf auprès de millions d'écoliers ? L'influence de Zep est énorme, tant dans le dessin (la façon dont Buche dessine les jolies filles, par exemple) que dans le découpage (les cases remplacées par des bulles aux contours flous, comme le fait souvent Zep...) Certains gags pourraient même être transposés tels quels dans l'univers de Titeuf (je pense à « Crazy Roller » ou « Le bus de 7H43 », par exemple) ce qui ne veut pas dire que Buche manque d'une personnalité propre. Comme ceux de Zep, ses gags sont tout simplement très visuels, avec un sens aigu de l'observation et du mouvement.

Enfin, Samson & Néon. Les remarques faites pour Buche valent aussi pour Tébo. La filiation du dessin avec celui de Zep est évidente, même si Tébo préfère un trait plus stylisé, plus proche du Comics américain. Ici aussi, le sens du gag est parfait. Comme dans beaucoup de séries d'humour (du Gowap à Boule et Bill...), la différence entre les deux personnages principaux (ici, un gamin et un extra-terrestre) produit les ingrédients du rire et ça fonctionne comme une mécanique parfaitement huilée.

Bref, la carrière de ces « enfants de Zep » semble promise à un bel avenir.

« Samson & Néon N°1 : Mon copain dans l'espace », « Marie Frisson N°1 : Il est revenu le temps du muguet » et « Franky Snow N°1 : Slide à mort ». Chez Glénat.

Pourquoi réunir ces trois albums en une seule chronique ? Tout simplement parce qu'il existe un lien entre eux, et non des moindres. Tébo, Baptizat, Supiot et Buche, leurs auteurs, travaillent pour le magazine « Tchô » et signent ici leur premier recueil chacun. (Malika Secouss en est, quant à elle, à son deuxième album, raison pour laquelle je ne la range pas dans la même catégorie) Mais, au-delà du fait qu'ils sont publiés dans le même magazine, ces nouveaux auteurs appartiennent-ils réellement à ce qu'on pourrait appeler une école ? Je pense que oui et c'est pour cette raison qu'ils méritent qu'on en parle.

Deux de ces trois séries -Samson & Néon et Franky Snow- fonctionnent sur un humour qui rappelle inévitablement celui de Zep. La troisième, Marie Frisson, peut sembler plus différente de prime abord, mais elle s'adresse au même public et assume pleinement un choix de couleurs qui n'a rien à envier à celui du Zep des grands jours (il faut voir des originaux du Suisse pour se rendre compte à quel point il emploie, lui aussi, des couleurs pures). Ce que Marie Frisson perd en mécanique humoristique, elle le regagne en poésie, essentiellement grâce à un dessin novateur privilégiant délibérément la couleur, à tel point que celle-ci est l'unique support des personnages, remplaçant à elle seule tous les décors. Le seul risque est d'effrayer certains enfants en usant de tons aussi agressifs qui rendent encore plus terribles les monstres en tout genre croisés par la petite Marie.

Franky Snow, le roi de la glisse, ça pourrait être Titeuf en jeune adulte. Comme lui, il est ultra branché. Comme lui, il maîtrise les sports et les passions de son époque. Comme lui, il est le REFLET de son époque. Et n'est-ce pas là une des raisons du succès de Titeuf auprès de millions d'écoliers ? L'influence de Zep est énorme, tant dans le dessin (la façon dont Buche dessine les jolies filles, par exemple) que dans le découpage (les cases remplacées par des bulles aux contours flous, comme le fait souvent Zep...) Certains gags pourraient même être transposés tels quels dans l'univers de Titeuf (je pense à « Crazy Roller » ou « Le bus de 7H43 », par exemple) ce qui ne veut pas dire que Buche manque d'une personnalité propre. Comme ceux de Zep, ses gags sont tout simplement très visuels, avec un sens aigu de l'observation et du mouvement.

Enfin, Samson & Néon. Les remarques faites pour Buche valent aussi pour Tébo. La filiation du dessin avec celui de Zep est évidente, même si Tébo préfère un trait plus stylisé, plus proche du Comics américain. Ici aussi, le sens du gag est parfait. Comme dans beaucoup de séries d'humour (du Gowap à Boule et Bill...), la différence entre les deux personnages principaux (ici, un gamin et un extra-terrestre) produit les ingrédients du rire et ça fonctionne comme une mécanique parfaitement huilée.

Bref, la carrière de ces « enfants de Zep » semble promise à un bel avenir.

"La soufrière", troisième et dernier volet du "Passage de la dinde sauvage" de Joe G. Pinelli, chez PLG.

J'ai une tendresse particulière pour les ouvrages de Joe G. Pinelli. Ce vétéran de la BD autobiographique affiche un tel mépris des règles en vigueur qu'il force l'admiration. Professeur de dessin à l'académie de Liège, ce globe-trotter continue, depuis vingt ans, à publier des albums totalement en marge du circuit commercial où il se raconte, avec plus ou moins de fantaisie. Les personnages croisés au gré des voyages tissent une toile autour de ce héros mi-chauve et musculeux, toujours dessiné le cigarillo au bec, qui n'est autre que le reflet de papier de l'auteur. Dans cette trilogie entamée en 96 avec "Sainte Victoire", Pinelli part à la recherche d'un message écrit sur des galets par un de ses anciens étudiants en dessin qui s'est suicidé. C'est le point de départ d'une série de rencontres dont la moindre ne sera pas Cham, qui élucidera l'énigme au bout d'une longue quête hasardeuse. Des gens, des accents, des lieux, des réminiscences, Pinelli aime jouer du flash-back et fouiller sa mémoire sans prévenir. Le fil est parfois ténu, le lecteur perdu, mais on finit toujours par s'y retrouver, guidé par une écriture à la syntaxe guerrière. Car Pinelli, c'est à la fois un trait, un ton et une écriture. Impossible d'en faire le tour en quelques lignes, il faut l'avoir lu pour l'apprécier... ou détester ! A près de quarante ans, ce Liégeois épris de l'accent de son terroir (la tirade sur l'emploi du "w" -qui se prononce "oué" en Wallonie- en atteste) semble vouloir revenir aux choses essentielles. Sa trilogie débouche en tout cas sur un message superbe, emprunté à Jean Giono : on ne peut pas vivre dans un monde où l'on croit que l'élégance exquise du plumage de la pintade est inutile. A méditer !
Red Movie par Thierry Bellefroid
« Red Movie », par Chritian Lax, chez Pierre Paquet.

Il fallait s'en douter : Christian Lax est plus qu'un simple dessinateur. Après avoir magnifiquement illustré les scénarios de Franck Giroud (« Les oubliés d'Annam », « La fille aux Ibis » et le diptyque « Azrayen », tous parus dans la collection Aire Libre de Dupuis), on le croyait arrivé au sommet de son art. Azrayen, surtout, qui fut l'occasion d'un long travail de gestation et de réflexion sur le dessin, nous avait livré un dessinateur en pleine maturité, dépoussiéré de tout tic, grand coloriste et portraitiste. Pourtant, s'il avait fallu des mois dans le secret de son atelier à Christian Lax pour trouver son nouveau trait lors de l'élaboration de ce projet sur l'Algérie avec Giroud, il y avait encore moyen d'aller plus loin, et il vient de le prouver.

Cette nouvelle, car c'est bien d'une nouvelle qu'il s'agit, vient prouver l'étendue des talents de Christian Lax. Et ce n'est pas tant dans le dessin que j'ai trouvé l'objet de ma stupéfaction, c'est dans l'écriture. Lax n'est peut-être pas (encore) un grand scénariste, au sens BD du terme. Ici, pas moyen de juger de son talent en matière de découpage ni de dialogues. Mais il s'affirme réellement comme un auteur, au sens noble du terme. Un auteur, c'est quelqu'un qui a quelque chose à dire, à raconter. Et qui sait quelles voies emprunter pour sublimer son histoire. Cette voie, en l'occurrence, ce sont les mots et le dessin. Lax maîtrise les mots bien plus que son passé de dessinateur pouvait le laisser supposer. Son écriture est belle, limpide, parfois drôle, toujours légère. Et elle se sert admirablement du renvoi au dessin, puisque l'histoire est celle d'un dessinateur qui raconte comment quelques portraits de femme ont fait basculer sa vie... et sa raison. Quant aux crobards dessinés par ce « héros » sur des papiers en tout genre (notes d'hôtel, papier d'emballage, etc), ils montrent à quel point Lax a travaillé sa patte. En quelques traits, il donne vie à des visages (voire à des dos, c'est le cas du deuxième Indien et c'est très réussi !). Christian Lax est arrivé à la quintessence du dessin : quand il ne faut plus chercher à trouver de nouvelles couleurs ni surcharger ses portraits, quand l'émotion vient à fleur de crayon, de manière brute, immédiate. Pour toutes ces raisons, « Red Movie » -qui n'est pas à proprement parler une BD- mérite de sortir de l'ombre.
« Urban Games », tome 1, les rues de Monplaisir, par Brunschwig , Raufflet, Cagniat, Hirn et Van den Abeele, paru aux Humanoïdes Associés.

De plus en plus couramment, une nouvelle génération d'auteurs propose des projets élaborés en équipe de quatre ou cinq personnes. Chacun y fonctionne comme un rouage essentiel de la machine et voit son nom apparaître au même titre que les autres en haut de la couverture. C'était déjà le cas depuis quelques années pour les coloristes, c'est en train de le devenir aussi pour les concepteurs graphiques ou les co-scénaristes responsables du découpage. Ici, ils se sont mis à quatre autour de Luc Brunschwig, l'un des scénaristes les plus captivants de cette deuxième moitié de décennie (« Le Pouvoir des Innocents » -un must-, mais aussi « L'esprit de Warren » ou encore « Vauriens », trois séries parues chez Delcourt). Il y a le complice de la première heure, Laurent Hirn, dont le dessin en constante évolution est l'une des clés du succès du « Pouvoir des Innocents ». Il a signé le story-board d'Urban Games. Laurent Cagniat est un autre complice de Brunschwig, c'est le dessinateur de « Vauriens ». Il signe le design de la série. Jean-Christophe Raufflet est le nouveau venu. Illustrateur pour des éditeurs de jeunesse, il a mis en dessin les personnages « préparés » par les trois autres dans un style personnel, combinant un réalisme saisissant avec une rondeur caricaturale, presque humoristique. Enfin, Caroline Van den Abeele a mis tout cela en couleur. Résultat : pour leur entrée aux Humanos, ces mousquetaires de Delcourt frappent fort.

Urban Games est une série qui promet d'être palpitante. Menée sur un rythme effréné, une action à tiroirs comme les aime Luc Brunschwig et surtout, des personnages qui sont loin d'avoir livré ce qu'ils ont dans le ventre. Dans notre société où le jeu vidéo est en train de dépasser auprès des jeunes le pouvoir de la télé elle-même, Urban games vient à point, comme une parabole, ou à tout le moins, un reflet de son époque. Brunschwig recycle bien quelques ingrédients déjà utilisés, notamment au cinéma, mais il le fait avec cette habilité qui le caractérise. L'entrée en matière, par exemple, est brillamment réussie, qui mélange cotillons, déguisements, clowns, jeu et violence. La suite continue de jouer sur le mélange des genres et des registres. Magie et cirque, combats et justiciers, roublardises et naïveté se renvoient incessamment la balle. Dans ce Las Vegas futuriste sous la coupe de l'inquiétant Srpingy Fool affublé d'un costume de lapin, les vies ne pèsent pas lourd. Surtout quand démarre l'Urban Interceptor, et que commence, en « direct live », une chasse à l'homme qui donne lieu à des paris démesurés. Urban Games est une BD au carrefour de tous les genres, aussi inclassable que son scénariste dont la première qualité est de savoir bien s'entourer !
La semaine des 7 Noël par Thierry Bellefroid
"La semaine des 7 Noël", par O. GROJnowski, dans la collection grand format de Casterman.

J'avoue, j'ai eu chaud en ouvrant cet album. Une république de Pères Noël, ça faisait plutôt "déjà vu", pour ne pas dire dangereusement faisandé. L'ami Tronchet allait-il lancer sa meute d'avocats aux trousses d'Olivier Grojnowski, bientôt suivi par ceux de Nicolas de Crécy pour la parenté du dessin ? Pourtant, malgré ces apparences de plagiat, j'ai eu envie d'en lire davantage. Faut dire que le dessin à la de Crécy, non seulement c'est pas pour me déplaire, mais en plus, ça s'explique par le fait que les deux dessinateurs ont côtoyé les bancs de l'école des Beaux Arts d'Angoulême au même moment et faisaient partie de la "bande" dans laquelle se trouvaient également Chomet et Chevillard, pour ne citer qu'eux.

Et puis il y a la préface de Tronchet himself. Là, j'avoue, ça m'en a bouché un coin. Aller demander à la concurrence de signer un petit texte sur la parenté de votre oeuvre avec la sienne, y a pas mieux pour désamorcer les critiques ! En ce qui me concerne, ça m'a rassuré. Au moins, O'Groj ne nous la jouait pas : "comment, y a déjà un gars qui a fait une république de Pères Noël ? ¯. L'honnêteté paie toujours, comme dirait maman, et dans le cas présent, elle m'a permis de laisser mes préjugés au vestiaire et de lire cet album avec tout le respect qu'il mérite. Je ne le regrette pas. O'Groj, auteur des "Dragz" dans les pages de Spirou, manie parfaitement dans cet album les ingrédients de l'univers kafkaïen type.

"La semaine des 7 Noël" m'a fait rire, beaucoup rire. Le scénario est redoutable. Dans une république de Pères Noël, un serial killer assassine ceux-ci les uns après les autres, dérobant leurs bottes aux cadavres. Fins comme peuvent l'être les policiers dans un état qui porte leur nom (un Etat policier, quoi), ils décident de mettre les cordonniers sous surveillance. Les bottes des Pères Noël passeront par là tôt ou tard. La famille Prion, sous prétexte d'avoir gagné un répondeur à la loterie, se retrouve prise au piège. Car en fait de répondeur, les Prion héritent d'un homme, un vrai, qui répond au téléphone, mais qu'il faut loger, nourrir, supporter continuellement. Et cet homme, qui plus est, n'est autre qu'un super flic très heureux de régner en despote sur les Prion, qui n'y voient que du feu. Les situations les plus absurdes se suivent, entraînant le lecteur dans la confidence dès la mise en place du piège. A côté de cela, les trouvailles continuelles d'O'Groj viennent rehausser le niveau de l'histoire (les deux super flics nommés "Staline et Stalone", par exemple) Bref, de l'humour noir, de l'humour décalé, et comme chez Tronchet, une envie de se moquer de la fête obligatoire, cela tout en arrivant à faire oublier Houppeland. Voilà pour le scénario. Mais la "Semaine des 7 Noël", c'est aussi un dessin en noir, blanc et rouge qui malgré sa ressemblance avec celui de de Crécy m'a enchanté d'un bout à l'autre (si ce n'est dans le prologue où, justement, O'Groj a joué la carte de la couleur). Voilà un album qui méritait bien de paraître dans le nouveau grand format de Casterman. Ce qui n'est malheureusement pas le cas de toutes les autres nouveautés de cette jeune collection.
"Merlin contre le Père Noël", par Sfar et Munuera, chez Dargaud

Décidément, on arrive à peine à suivre la production de Joann Sfar. Tantôt scénariste, tantôt auteur complet, il suit les traces de Trondheim (avec qui il travaille sur "Donjon", rappellons-le) en matière de productivité et d'inventivité. J'avoue une préférence pour ce "Merlin" parmi les nombreux projets concrétisés cette année (quoique... "Petit Vampire va à l'école" est une grande réussite également) . Cette excellente parodie de Merlin l'Enchanteur enfant a le don de me faire rire comme peu de BD y parviennent. Le dessin de José Luis Munuera (avec qui Sfar a déjà commis "Les Potamoks" chez Delcourt) convient parfaitement pour ajouter la touche de légèreté et d'humour graphique qui rendent Merlin, Jambon et Tartine si sympathiques. Le reste, c'est de l'humour à dose parfaite, mâtiné de poésie et de clins d'oeil à l'enfance qui sommeille en chacun de nous.

Quelle bonne idée d'avoir "invité le Père Noël dans ce deuxième album ! Un album qui vient, soulignons-le, six mois à peine après le premier opus et qui prouve que cadence peut aller de pair avec qualité. Mais revenons à notre propos, à savoir, le Père Noël. Enfin, quand on dit le Père, ce qui fait tout l'intérêt de cet album, c'est que Merlin n'est pas le seul enfant de la bande, le Père Noël est tout aussi juvénile. Et comme il n'a aucune expérience, tout peut lui arriver, y compris se retrouver pris dans un piège à loup disposé au pied de la cheminée par Merlin, Jambon (le cochon) et Tartine (l'ogre repenti), les trois amis, qui craignaient -à juste titre- de s'endormir avant l'arrivée du livreur de cadeaux. Vous l'avez compris, tout cela est totalement ébouriffant, d'autant que les potions magiques ne produisent pas les effets escomptés et que les ogres ont grand appétit... je ne vous en dis pas plus, sachez que Merlin est l'une de ces BD qu'on peut mettre entre les mains de tous : enfants comme parents-, avec un égal bonheur !
"Lanfeust de Troy" N°7 : "Les pétaures se cachent pour mourir". Par Scotch Arleston et Didier Tarquin, aux éditions Soleil.

Que dire encore de Lanfeust de Troy ? Soit vous faites partie des fans de la série, vous savez déjà tout, vous connaissez le site de Lanfeust par coeur, vous pouvez réciter la biographie d'Arleston et Tarquin à trente mots par seconde, vous possédez tous les coffrets, tirages de tête et objets de collection dont Soleil a le secret, vous lisez Lanfeust Mag tous les mois, vous courez tous les festivals en l'espoir d'arracher une nouvelle dédicace à Tarquin (il faut avoir assisté à une quasi émeute, l'an dernier, à Angoulême, pour réaliser jusqu'où peut aller l'idolâtrie en BD !) et vous trouverez ma critique molle, mal documentée, dépourvue du moindre scoop (rassurez-vous tout de suite, c'est le cas !). Soit vous ne connaissez pas encore la série. Et votre cas n'est pas moins désespéré. Ne me dites pas que vous n'en avez jamais entendu parler, je vous croirais difficilement. Donc, vous êtes rétif. Ou paresseux. Ou les deux. Et vous vous demandez si vous avez raison. Laissez-moi vous dire que non.

Lanfeust de Troy est un succès pour de multiples raisons. La première est que les auteurs ont du talent. C'est incontestable. Comme dans la Quête de l'Oiseau du Temps, on oscille sans cesse entre le conte de fées, le jeu de rôles en BD, l'héroïc fantasy... et la BD d'humour. Astérix n'est pas loin. Il l'est moins encore à la lecture de la série "satellite", Trolls de Troy, qui exploite avec talent les trucs de René Gosciny pour provoquer le rire. Et c'est sans doute ce savant mélange de rire et d'aventure qui est l'ingrédient le plus précieux de la réussite. Une réussite que « Lanfeust Mag » vient bien évidemment alimenter comme le font tous les magazines qui portent le nom d'un héros ou d'une série. Alors, la question qui se pose est de savoir si, portés par le succès, les auteurs tiendront la distance. On peut dire à la lecture de ce septième Lanfeust qu'ils sont loin de s'essouffler. L'imaginaire de Scotch Arleston ne semble pas avoir de limites et son potentiel humoristique est totalement intact. Les dialogues sont toujours excellents et la jalousie entre C'ian (la fiancée de Lanfeust, pour ceux qui l'ignoreraient) et Falordelle, la jolie gitane fille du chef de la caravane qui accueille Lanfeust est l'occasion de quelques très belles réparties. Le Troll continue d'être une valeur sûre, lui aussi, avec sa bêtise incommensurable et son ton naïf, primesautier. Des personnages auxquels les lecteurs sont désormais coutumiers au point de rendre la quête presque secondaire. Rassurez-vous, celle-ci n'est cependant pas oubliée, au contraire. Lanfeust avance. Lentement. Mais comme on ne s'ennuie pas une seconde, on le lui pardonne volontiers.
"La collection d'anatomies", 1ère partie, par Sevrin et Pourbaix, aux éditions Paquet.

La "Collection d'anatomies", dans la collection "Tango Noir" des éditions Paquet. Fichtre, friserait-on la mise en abîme ? Rassurez-vous, il n'en est rien, cette "Collection" promet d'être un excellent récit, entre policier et portrait psychologique. Dans une ville qui ressemble fort à Bruxelles (comme le confirme le journal "Le Soir" lu par le héros) et qui rappelle un peu l'univers de Broussaille (le Museum des Sciences Naturelles), un homme cherche à réaliser sa quête artistique. Mais le tableau parfait n'est pas qu'une question de métier ou de couleurs. C'est aussi une question de modèle. Et quand on a des goûts bizarres, une fascination pour l'anatomie, une obsession pour les insectes, une thérapeute qui s'intéresse beaucoup à votre enfance, tous les ingrédients sont là pour mettre le doigt dans un dangereux engrenage.

Le scénario de cette "Collection d'anatomies" est charpenté, intelligent. Il ne cède pas à la facilité et propose de déjouer les pièges. Félix Demy, le héros, n'est peut-être pas celui qu'il dit, mais il n'est pas non plus celui qu'il croit être. Il semble en tout cas ne pas être pressé de régler tous les comptes en suspens depuis l'enfance. Pierre Pourbaix nous entraîne donc sur les traces d'un sympathique et apparemment inoffensif déséquilibré obsédé par sa quête du "beau". Et Marc Sevrin donne corps à ce récit en dessinant avec une fausse maladresse une ligne claire qui serait le produit d'un croisement entre Hergé, Wasterlain et Joann Sfar. La mise en couleur d'Isabelle Busschaert (la coloriste de Dupuy et Berberian herself !) vient presque prendre le lecteur à contre-pied et lui faire oublier qu'il est en train de basculer dans l'horreur. Tout cela est habile, inventif et frais à la fois. Dommage qu'il faille attendre le tome deux pour résoudre le mystère de cette "collection d'anatomies". Les grandes cases et le nombre restreint de phylactères font passer à toute allure la lecture de ce premier volume et on reste un peu sur sa faim. Mais il est vrai que Pierre Paquet aime les histoires courtes, qui caractérisent généralement son catalogue. Alors, vivement le tome deux, qu'on en finisse !

O Sancta simplicitas (Alban) par Thierry Bellefroid
« Alban » N°3 : O Sancta simplicitas. Par Dieter, Fourquemin et Voillat, aux éditions Le Téméraire.

Chassant sur des terres assez proches d'Odilon Verjus, Alban a réussi d'emblée à s'en distinguer. Dans les deux séries, des hommes d'église sont utilisés à des fins burlesques, ce qui n'est pas si courant en bande dessinée. Mais si Yann se plaît à faire vivre à ses héros des aventures dans lesquelles ils croisent tous les personnages importants du début du siècle et voyagent d'un bout à l'autre de la planète pour le compte du Vatican, Dieter, lui, a choisi la voie d'une quête unique, placée dans un monde aux frontières très imaginaires juste après les Croisades. Son personnage principal : Alban, un moinillon de l'ordre des Cabécous (miam), copain comme cochon avec Orphéon (qui en est un) et Laïus, autre moinillon qui l'accompagne dans sa quête. Alban est le Gaston Lagaffe de la BD ecclésiastique ! Partout où il met les pieds avec son porcelet Orphéon, il sème désordre et désolation. Mais il le fait avec une telle candeur et une telle volonté de bien faire qu'on lui pardonne tout (c'est pas tout à fait vrai, quelques méchants veulent carrément sa peau, mais bon...)

Trois albums, déjà, que le pauvre Alban cherche le saint Suaire pour le compte de l'archevêque. En trois albums, que de rencontres et de retournements de situations cette quête a-t-elle provoqués ! A chaque fois, le rire est au rendez-vous, car le personnage d'Alban est totalement irrésistible. Le voilà qui tente de faire la paix avec les nains qui infestent les terres du seigneur évêque Renaud, et vlan, il réussit tout juste à signer son arrêt de mort. Sa maladresse confondante (qui n'a d'égal que son coeur d'or) est une véritable « bénédiction » pour Dieter qui semble se laisser porter par son personnage pour écrire les scénarios. Le dessin de Xavier Fourquemin gagne quant à lui en souplesse et en énergie. Tant mieux, le premier tome était quand même fort grossier. Bref, une vitesse de croisière qui semble de bien bon augure.


Je viens (enfin) de lire... « L'ascension du Haut Mal », volumes 1 à 4, par David B, à L'Association.

Je ne sais pour quelle étrange raison je n'ai pas suivi immédiatement le conseil de nombreux amis qui avaient lu avant moi cette œuvre magistrale. Peut-être ai-je été rebuté par le côté très sombre du dessin. Peut-être ne savais-je pas, tout simplement, que cette série d'albums était la clé de toutes les autres histoires de David B (j'avais lu « Le cheval Blême », « Le Tengû carré », « La révolte d'Hop-Frog » et « Les incidents de la nuit » sans soupçonner un instant d'où pouvait surgir un tel univers). J'ai été bouleversé par ce long récit autobiographique, je dois le reconnaître. Pourquoi ? D'abord parce que j'ai rarement vu un auteur se mettre à nu comme le fait David Beauchard. Ensuite parce que son histoire est poignante, passionnante et pathétique à la fois. Dans mon adolescence, j'ai eu une amie épileptique, je croyais donc connaître ce problème. Je me rends compte à la lecture de cette histoire que j'étais bien loin des réalités quotidiennes vécues par la famille d'un tel enfant, confrontée à l'incompétence du corps médical, désignée du doigt par les voisins, les collègues, les compagnons de classe ou de jeu, placée à la merci de tous les gourous et de tous les charlatans. On se demande à la lecture de cette « ascension du Haut Mal » jusqu'où ce frère malade peut entraîner les siens, dans quel engrenage délirant ils vont encore mettre le doigt, mus par cette volonté de « faire quelque chose », de ne pas baisser les bras. La macrobiotique, les gourous plus ou moins honnêtes, les savants mégalos, la société secrète, et même, la recherche de la pierre philosophale... la famille aura tout tenté, tout connu. Quant à l'honnêteté avec laquelle David se raconte, elle est tout simplement stupéfiante ! On a l'impression d'être tombé sur un journal intime ou d'assister à une psychothérapie sans y avoir été convié. Parfois, on ressent même un certain malaise : ne sommes-nous pas devenus les voyeurs de la vie de David ? Ne profitons-nous pas de son « impudeur » pour nous repaître de ses malheurs ? Et ces dessins au symbolisme troublant, cet imaginaire peuplé de monstres et d'êtres hybrides, nous est-il vraiment destiné ? Sincèrement, je crois que oui. Je crois que David ne se dessine pas par hasard. Parce qu'il a senti que sa voie était là, qu'il était né pour raconter des histoires et que la plus incroyable de toutes, la plus émouvante et la plus vraie était forcément la sienne.
Gaston 19 (Gaston) par Thierry Bellefroid
« Gaston N°19 » par André Franquin, chez Marsu Productions

La question que je me pose à la lecture de cet album est simple : André Franquin aurait-il permis la parution de ce dix-neuvième et -nous promet-on- ultime Gaston ? Vraisemblablement non. Franquin, indécrottable perfectionniste, n'aurait pas accepté de se moquer ainsi de son public. Cela n'empêchera nullement des milliers de lecteurs de se jeter sur cet ersatz d'album avec l'espoir de rire une dernière fois en lisant des gags inédits (n'ai-je pas fait la même chose ?).

Annoncé par l'éditeur comme la future meilleure vente de l'année (Je cite : « Avec une mise en place de 700.000 exemplaires en français (donc 100.000 en Belgique francophone), « Gaston 19 » sera la meilleure vente de l'année »... on a rarement lu quelque chose d'aussi immodeste dans un dossier de presse !), cet album ne cache pas ses ambitions : faire un carton. Et s'il est un peu tôt pour décréter qu'il s'agira bel et bien de la meilleure vente de l'année, il y a fort à parier en revanche que cet acte mercantile trouvera une réponse à la mesure de ses objectifs. Pourtant, il me reste un goût amer dans la bouche après avoir lu cet opus : comme si j'avais contribué à trahir la mémoire de Franquin. Déjà, l'avant-dernier Gaston, publié juste avant le décès du Maître, ne contenait pas plus d'une moitié de gags inédits. Le reste provenait de fonds de tiroirs divers. Cette fois, c'est encore plus grave. En vertu de la recette qui veut que pour faire un album, il faut avoir de quoi le remplir, les joyeux éditeurs ont compilé tout ce qu'ils ont pu trouver. Pour un peu, on découvrirait des dédicaces au coin de l'une ou l'autre page. Fait de bric et de broc, ce N°19 réunit des dessins de toutes les époques et surtout de tous les genres. Couvertures de Spirou, gags, dessins démesurément agrandis (il faut bien remplir), quatorze ( !) pages de gags publicitaires... On va même jusqu'à laisser traîner quelques monstres dans les marges laissées libres par un minuscule gag de quatre cases (un peu peu pour remplir une page entière, en effet)

Vous l'aurez compris, je ne défendrai pas cet album. Pourtant, il y a quelques beaux moments. Il y a surtout les quatre dernières planches qui constituent les véritables inédits de Gaston, elles n'avaient jamais été publiées et la quatrième n'est pas terminée. Mais devant un tel déploiement d'astuces pour réaliser un album de quarante-quatre pages, on peut tout simplement se demander pourquoi Marsu n'a pas fait un vrai et beau livre d'hommage, reprenant le matériel « intéressant » en sa possession et l'agrémentant -pourquoi pas ?- de textes, interviews, photos... Il est évidemment plus facile de vendre un « faux » nouveau Gaston qu'un livre d'exégèse, une biographie ou « les inédits de Franquin ». Le premier garnira tous les rayons des supermarchés. Le second ne se serait vendu qu'en librairie. CQFD.
Robinsonne - la naufragée par Thierry Bellefroid
« Robinsonne, la naufragée », par Eric Maltaite, chez Albin Michel

On ne peut pas dire que Maltaite nous ait inondé de ses productions, ces dernières années. L'ex-complice de Desberg (« Jules et Gil », « 421 », « Carmen Lamour »...) et surtout de Will, son père (avec qui il débuta sur Tif et Tondu), ne semblait guère pressé de revenir sur les présentoirs des libraires. Et voilà qu'il publie un album solo, assurant à la fois dessin et scénario (bien qu'il se soit fait aider par Daniel De Foe pour celui-ci !) que ne devrait pas dédaigner son père. Car comme lui, Maltaite est attiré par les jolies femmes et les plaisirs de l'amour (pour ceux qui en seraient restés à « Tif et Tondu » ou à « Isabelle », Will a en effet publié plusieurs albums chez Aire Libre et chez P&T dans lesquels il s'est affranchi de la BD « 7 à 77 ans » !)

Côté scénario, Eric Maltaite ne vous empêchera pas de dormir. Robinsonne est tout simplement l'équivalent féminin de Robinson Crusoë (et même plus. Si vous lisez l'album jusqu'à la dernière page, vous comprendrez ce que je veux dire) dont le souci essentiel est plus de perdre sa virginité que d'assurer sa survie. La jeune femme rêve de tomber sur un homme, un vrai (voire plusieurs) qui lui ferait connaître les joies de l'amour. Elle doit se contenter de ce que l'île peut lui offrir. D'abord les joies solitaires. Puis la compagnie d'une indigène -qu'elle appelle Friday, bien sûr !- et qui l'initie à d'autres jeux (finalement assez allusifs, si l'on compare à ce qu'un Manara peut nous montrer dans ce genre de situations). Enfin, arrive un homme... qui n'aime que les hommes ! C'est léger mais ça fonctionne, essentiellement grâce au dessin de Maltaite rehaussé par de jolies couleurs. Il nous prouve ici qu'il a hérité du talent de son père tout en réussissant à s'en démarquer pleinement.
Kin' la Belle par Thierry Bellefroid
« Kin' la belle » par Warnauts, Raives et Vandam, dans la collection grand format de Casterman.

Kin' la belle est un très bel album. Une histoire simple, avec des personnages qui « sentent le vrai » et des dialogues qui sonnent juste. Dans un petit quartier de la ville de Liège (Belgique), la communauté noire de l'ancienne colonie et les natifs de coin vivent un quotidien rythmé par les affaires de coeur des uns, les embrouilles des autres, les rêves brisés ou inachevés, les quêtes impossibles et les petites morts. Chaque personnage est à sa place. Roger, le vieil épicier facho. Umberto, l'ancien mineur qui aime prendre le temps de contempler le monde (et le fond de son verre). Marie-Constance, dont la joie de vivre presque insouciante n'arrive pas à terrasser le spleen de Vincent, l'étudiant-artiste. Et puis bien sûr, il y a le Père Mutien, l'ancien missionnaire, amoureux des femmes. Et Papa The Boss, le patron du Kin' la belle qui est allé se frotter aux Amériques avant de revenir se fixer à Liège. Toute une galerie de portraits qui nous en dit long sur le talent d'observation de Vandam et de ses deux acolytes dessinateurs.

On retrouve des ingrédients très proches de ceux que le duo Warnauts-Raives promène d'un album à l'autre depuis Congo 40 : le ton, proche de la chronique, l'Afrique -et surtout les femmes africaines-, pour qui ils éprouvent une véritable fascination (aux dires de Guy Raives, cette fascination est surtout présente chez son comparse), les gens en général et les histoires qui tissent le quotidien en particulier. Portraitistes, les deux Liégeois le sont donc depuis longtemps. Mais il y a dans cet album un petit quelque chose de plus qu'amène Michel Vandam et qui donne fraîcheur et authenticité au récit. Là où les Warnauts et Raives pêchent parfois par immobilisme, là où leurs récits frôlent le roman-photo ou la carte postale parlante, cette histoire-ci répond par ses côtés authentiques. Kin' la belle est en tout cas, à mon sens, leur plus bel album depuis longtemps. Quant aux couleurs de Guy Raives, elles sont de plus en plus maîtrisées, de plus en plus justes. Que ce soit dans la grisaille belge (plus facile à vivre qu'à rendre par le dessin !) ou dans les couleurs africaines (les planches 15 à 19 comportent quelques cases magnifiques), il y a une justesse qui s'exprime merveilleusement à travers les couleurs.

Quelque part, cet album est la preuve qu'on ne parle jamais mieux que de ce qu'on connaît bien. Quand trois auteurs liégeois (même si l'un des trois a quitté la Cité Ardente pour de vertes campagnes) se mettent à rêver leur ville, cela donne une histoire limpide et sincère.
« Le réseau Bombyce », tome Un : papillons de nuit. Par Cécil et Corbeyran, aux Humanos.

Le bombyx, papillon de nuit dont la chenille est le ver à soie. Un nom qui convient parfaitement au réseau de voleurs « de haut vol » que nous décrit Corbeyran dans cette mise en place. Une mise en place particulièrement réussie, à plus d'un titre. Le dessin de Cécil, notamment, est d'une justesse et d'une beauté qui méritent d'être soulignées, mais nous y reviendrons. Parlons d'abord des deux personnages principaux, les deux acrobates voleurs, Mouche et Eustache. Couple à la Double Patte et Pattachon ou à la Laurel & Hardy, Mouche et Eustache sont deux excellents personnages. Différents autant qu'on peut l'être, complémentaires, inventifs pour ne pas dire fascinants, ces Arsène Lupin des airs m'ont plu d'emblée. Là encore, le dessin y est pour beaucoup. Le casting est excellent. Mouche et Eustache, en effet, ce sont d'abord deux gueules. Celle du grand échalas intello et plus romantique que ne le laisse supposer sa profession. Et celle du nain au faciès de boxeur, presque extraterrestre (il a quelque chose de E.T.) qui n'a pas froid aux yeux. Et puis il y a l'histoire. L'idée des deux voleurs qui tombent sur un « snuff movie » dans un coffre qu'ils cambriolent est évidemment tout à fait plausible. Et le fait qu'une fois passés à la phase du chantage, ils se retrouvent face à un réseau surprotégé et bien organisé ne l'est pas moins. Ce qui est vraiment original, c'est d'avoir placé ce récit non pas à une époque contemporaine, mais bien dans une ville de Bordeaux imaginaire du début du siècle où le cinéma en est encore à ses balbutiements. Et quelle ville ! Ici encore, le dessin de Cécil, ses couleurs, son inventivité architecturale (à partir de styles hétéroclites dominés par l'Art Nouveau) et ses angles de vue sont une des toutes grandes qualités de l'album.

Corbeyran multiplie les projets... et les maisons d'édition. (Comme tous les scénaristes « qui marchent », il ne met pas tous ses oeufs dans le même panier ; je pense ici à des Dufaux, Cothias, Van Hamme, etc... qui ont montré la voie aux plus jeunes) Avec une qualité de plus en plus affirmée (Le Chant des Stryges, Lie-de-vin, ...) il semble aussi à l'aise dans la BD enfantine (Soupetard, Sales mioches) que dans le fantastique (Le fond du monde...). Ce Réseau Bombyce est à la croisée des chemins. Réaliste dans ses inspirations : les snuff-movies, la cambriole. Totalement imaginaire dans son contexte : l'époque, les lieux, les gens. On imagine cependant que le décor de Bordeaux doit beaucoup à des documents d'époque, mais la villa du Baron Guillaume Bernard ne devait pas y figurer. C'est pourtant un bâtiment superbement imaginé qui pourrait très bien se trouver à Samaris ou à Urbicande. Les jeux de lumière sont très réussis, seul le découpage me laisse par moment perplexe. Si l'on doit reconnaître une réelle volonté de dynamiser les pages, le recours à un grand nombre de très petites cases pour découper l'action offre des dessins parfois trop petits (exemple la course-poursuite de la page 32) et finit par lasser la vue.

Avec Urban Games (voir par ailleurs), ce Réseau Bombyce prouve en tout cas que si les Humanos ne sortent pas beaucoup d'albums (ce n'est pas le cas de tout le monde, cet automne !), cette programmation parcimonieuse s'assortit d'un réel souci de qualité.
J'assure ! (Jérôme Moucherot) par Thierry Bellefroid
Les aventures de Jérôme Moucherot, tome 4 : J'assure ! Par François Boucq, Casterman.

Y a-t-il encore des lecteurs qui ne savent pas que Boucq est un dessinateur de génie ? Si tel est le cas, il faut qu'ils lisent de toute urgence les quatre albums de Jérôme Moucherot. Boucq y donne toute la mesure de son talent. Pourquoi ? Essentiellement parce que s'il a créé le désormais célèbre « Tigre du Bengale », c'est avant toute chose pour se défouler graphiquement. A côté d'univers plus contraignants scénarisés par d'autres (Charyn, Jodo), la liberté totale que s'octroie Boucq dans les aventures de Moucherot lui permet de s'essayer à toutes les audaces visuelles. Le résultat est époustouflant. Ceux qui en douteraient n'ont qu'à lire « retour à la genèse des origines du commencement de l'assurance », l'une des histoires de cet album qui, en douze planches, constitue presque un cours de dessin (les quatre premières pages sont stupéfiantes de sens du mouvement... du moins si vous n'êtes pas des habitués de Moucherot, sinon, vous risquez d'être blasés)

Entre absurde, burlesque, surréalisme et poésie, Boucq laisse son imagination lui dicter des histoires qui peuvent aller du gag en une planche (l'excellent « Contrat du troisième type ») au récit de plus de dix pages. Tout est décalé, ironique (« Le millénaire à bout »), onirique (« Petit rêve dans un verre d'eau », un bel hommage à Little Nemo au passage) ou caricatural (« Troubles circulatoires »). Les trouvailles visuelles s'enchaînent (genre la corne de rhino qui n'est autre que le bonnet du lutin qui conduit l'animal. Oui, je sais, dit comme ça, c'est pas nécessairement clair, mais lisez-le et vous verrez !) prouvant l'étendue de l'imaginaire de Boucq. Ajoutons-y des couleurs parfaitement maîtrisées et en adéquation avec le genre d'histoires de Moucherot, le cocktail est parfait. Une réserve, toutefois, l'imagination graphique ne fait pas toujours le bon scénario. Les histoires sont inégales. Et quand on mesure le talent de dessinateur de Boucq, on se dit qu'il pourrait être utilisé à meilleur escient. L'histoire retiendra plus facilement de lui des albums comme « Bouche du diable » ou « Face de lune » que les Moucherot. N'empêche, il faut avoir lu les aventures du Tigre du Bengale pour savoir jusqu'où peuvent aller la virtuosité et l'imagination en liberté !
L'Arpenteur (Le Transperceneige) par Thierry Bellefroid
« Le Transperceneige », tome Deux : L'Arpenteur, par Jean-Marc Rochette et Benjamin Legrand, chez Casterman.

Décidément, Casterman a la réédition facile, ces derniers temps. A priori, c'est tant mieux ; il y a suffisamment de chefs d'oeuvre de la BD qui méritent de passer la rampe des générations et qui ne peuvent le faire, faute de se trouver dans les rayons des librairies. Le Transperceneige en fait partie. Il faut dire qu'à la lecture de cette histoire, on avait le sentiment de se retrouver dans une société future qui ressemblait étrangement à certaines de nos dictatures bien connues : pouvoir cadenassé par l'armée, organisation en castes sociales où les nantis surprotégés bénéficient de tout pendant que le « peuple » crève de faim, etc... Le génie de Jacques Lob avait été de placer tous ces éléments dans une société future en proie à un phénomène de glaciation planétaire et obligée de se réfugier dans un train en mouvement perpétuel. La patte de Rochette avait fait le reste, plaçant cette histoire au rang des très bons récits d'anticipation. Rappelons pour l'anecdote que si la mort n'avait pas fauché Alexis en 1977, c'est lui qui aurait dessiné le Transperceneige, finalement retardé jusqu'en 1982, date à laquelle le récit commençait à paraître dans (A SUIVRE).

Et voilà que quinze ans après, le Transperceneige traverse à nouveau les étendues glacées du globe. Une suite inattendue à plus d'un titre. D'abord parce que Jacques Lob, le créateur du Transperceneige, est mort à son tour. Ensuite, parce que plutôt que de ressusciter à l'aide de quelque stratagème le héros du premier album (Proloff), le nouveau scénariste a imaginé un prolongement inattendu. Un deuxième train roule sur le même réseau que le premier et vit dans la terreur de la collision. Ce Transperceneige 2 est prétexte à une autre organisation sociale, il emmène de nouveaux personnages. Ne restent du récit initial que les fondements historiques, prétextes à cette suite que Benjamin Legrand a conçue comme un hommage à Jacques Lob. Et non seulement c'est un très bel hommage, mais en plus, ça fonctionne bien. On retrouve avec plaisir cet univers de glace et de trains, on découvre, un peu curieux, la profession d'Arpenteur (le titre de l'album et la principale invention de ce deuxième tome), celle de ces hommes qui se risquent au dehors pour retrouver des objets du passé. Des hommes qui ont été sacrifiés au profit d'un « grand secret » que se partagent jalousement quelques initiés, à la tête du Transperceneige 2. Comme dans le premier album, science-fiction et fresque sociale se superposent. Comme dans le premier album, il y a deux héros, un homme et une femme, qui vont tomber amoureux l'un de l'autre. Quant au dessin de Jean-Marc Rochette, inutile de dire qu'il a beaucoup évolué en une décennie et demi ! Ce deuxième Transeperceneige paraît moins daté, au plan du dessin, que ne l'est le premier. Pourtant, la technique n'a pas fondamentalement changé et on retrouve une façon de dessiner plus portée sur le noir et gris ou le noir et anthracite que sur le noir et blanc. Les aplats blancs, justement, sont employés ici avec beaucoup plus de finesse.

Une réussite, donc, même si « L'échappé » reste très au-dessus de « L'arpenteur » au plan du scénario. Ce deuxième Transperceneige est toutefois l'une des bonnes surprises de l'automne et permettra certainement à de nombreux lecteurs de se frotter au premier récit imaginé par Jacques Lob qu'il eût été dommage de laisser tomber dans les oubliettes souvent béantes de la BD !
Lone Racer par Thierry Bellefroid
Lone Racer, par Mahler, dans la collection Mimolette de L'Association.

Minimaliste, c'est sans doute le mot qui convient le mieux à ce récit traduit de l'allemand et qui ne compte que 30 planches. Un ancien pilote dont la vie est rythmée par les visites qu'il fait à sa femme, à l'hôpital (elle a une conversation très limitée) et celles qu'il fait au Juanjo, son bar préféré. Des histoires de comptoir avec son ami Dupneu, un casse qui a tourné court avec un certain Pompant; l'humour est désabusé, le second degré permanent, les situations aussi simples que drôles. En quelques cases et autant de phylactères, les personnages prennent vie, le Pompant se retrouve embarqué par les flics pendant que notre Lone Racer vit les prémices d'une histoire d'amour sans lendemain, puis, renoue avec l'ivresse de la victoire. C'est plein de choses de la vie, de réflexions qui sonnent juste, de bon sens et de légèreté.

Mais Lone Racer, c'est aussi le dessin de Mahler. Et là, il faut reconnaître que ce petit livre méritait de voir le jour. Parce que si, ici aussi, on peut parler de minimalisme, il ne faut pas pour autant y voir de connotation péjorative. Au contraire, avec une économie de moyens incroyable, Mahler arrive à planter décors et personnages dans un style très personnel qui serait une savante synthèse de Dupuy-Berbérian, Seth et Trondheim dans ses exercices non lapiniens (voir les Genèses Apocalyptiques dans la même collection, par exemple). Mahler a une véritable personnalité, il arrive à rendre amusants ses personnages sans visage tout en nous livrant son tourment sur les années qui passent et vous transforment en "has been".
Hôtel Noir par Thierry Bellefroid
« Hôtel Noir » par Ozanam et Lachard, aux éditions Paquet

« Hôtel Noir » n'est pas une BD. « Hôtel Noir » n'est pas un livre. « Hôtel Noir » est un OVNI. Et un fameux ! Dans une dictature imaginaire, une nuit qui pourrait bien être celle de la révolution. Il fait chaud. Un homme sort de sa cachette qu'il s'est imposée dans une chambre d'hôtel : il a rendez-vous avec ses souvenirs. Jusque-là, ça paraît presque banal. Et ce le serait peut-être s'il n'y avait la forme. Indissociables, la BD (mais peut-on encore appeler cela une BD ?) et le CD-ROM racontent la formidable histoire d'un défi : celui de créer une sorte de roman-photo sur décors dessinés avec des personnages en pâte à modeler !

Tous les protagonistes d'Hôtel Noir sont en effet en pâte à modeler. Ils ont été photographiés dans les poses exactes qui allaient servir le récit et selon les éclairages précis qui leur avaient été attribués dès la conception du projet. Patiemment détourés à l'ordinateur, ils ont ensuite trouvé place dans des décors dessinés à partir de clichés et mis en couleur dans une phase ultime. Cerise sur le gâteau, les affiches qui fleurissent sur les murs de cette ville imaginaire sont la seule vraie référence visuelle au contexte totalitaire dans lequel évoluent les personnages ; elles ont été conçues par Bruno Lachard, qui a soigné le détail au point de dessiner au trait les affiches du pouvoir en place et à la gouache celles de la résistance. Les affiches au trait sont saisissantes de réalisme et les slogans donnent froid dans le dos (exemple, cet appel à la délation : « pour ton pays, dénonce ! »). Et comme les décors, très proches de la photographie malgré le travail graphique, ont un côté particulièrement réaliste, on marche avec aisance dans ce labyrinthe « multi-techniques ».

A ceux qui se diraient que finalement, tout ça c'est bien joli, mais que c'est pas de la BD, je dirais ceci : l'entièreté de l'histoire existe sous sa forme « conventionnelle », en bande dessinée. Chaque planche a été « story-bordée » au crayon par Antoine Ozanam, le découpage est celui d'une BD, le style narratif aussi. Et après tout, seuls comptent le résultat et l'incroyable audace artistique des auteurs... et de l'éditeur. C'est vrai, une fois n'est pas coutume, il faut ici saluer le travail de la maison d'édition. Avec une structure encore jeune et une diffusion relativement confidentielle (du moins en Belgique), Pierre Paquet a pris le risque de soutenir un projet qui, dès le départ, prévoyait une interaction entre la BD et le CD-ROM (très instructif, par ailleurs). Il ne s'agit donc pas ici d'un CD-ROM démo ou prétexte, mais bien d'un prolongement de l'oeuvre, qui comprend même une musique originale.

Si vous êtes quelqu'un de curieux, d'ouvert aux évolutions, tentez l'expérience, entrez dans l'univers d'Ozanam « mis en pâte » par Lachard et photographié par JPK. Vous ne le regretterez pas. D'autant que les textes sont d'une excellente qualité littéraire. Quand on pense au temps qu'il a fallu aux auteurs pour venir à bout de leur projet, on peut même s'étonner du prix très modique demandé pour l'album et le CD-ROM (79FF/545 BEF). Signalons au passage qu'au terme de l'histoire, la « galerie » propose les dessins que le scénario a inspirés à 7 dessinateurs, dont Bruno Lachard lui-même.
Cotton Kid, tome Un : « Au nom de la loi et de Mr Pinkerton », par Léturgie et Pearce, chez Vents d'Ouest.

Jean Léturgie nous avait récemment prouvé sa bonne santé en inaugurant pour la collection Humour Libre de Dupuis les aventures de Spoon & White, « la pire paire de flics de la BD ». Un duo amusant qui devait cependant beaucoup au fait que Léturgie était bien entouré : d'un côté son fils (Simon) au dessin, de l'autre, Yann, qui cosignait le scénario. Cette fois, Jean Léturgie est seul scénariste, mais il nous revient, plus en forme que jamais. A se demander si c'est bien le même homme qui a commis quelques-uns des plus mauvais Lucky Luke et des gags les plus faibles de Rantanplan, tant cet album respire la fraîcheur et l'humour.

Avec un dessin volontairement très proche de Morris, cette série joue à fond sur les codes de ressemblance avec Lucky Luke et de manière générale, avec les mythes de la bande dessinée de western. A commencer par les nurses noires qu'on renvoie aux champs de coton parce qu'elles oublient de parler en woulant les w, comme dans toute bonne BD du genre (ou du genwe, pawdon). De la fausse copie de Calamity Jane au blanchisseur chinois qui ne rêve que de devenir avocat, les personnages sont employés à contre-emploi. Y compris le tombeur de ces dames, Trevor, le grand frère de Kid. Pour une agent de la Pinkerton, il est plutôt couard ! Ou encore le bandit tant recherché, Nathan Maroney, pas plus haut que trois pommes. Quant aux dialogues, ils sont savoureux.

Exemple choisi :
-Conchita, va tuer les punaises dans les chambres, j'ai encore eu des plaintes !
-Si patron... Quand je vois la tronche de certains clients, je comprends que ces pauvres petites bêtes se plaignent !
(Conchita découvre Cotton Kid qui s'est endormi sous une table)
-Patron ? Les punaises, jusqu'à quelle taille on peut les tuer sans risquer la corde de chanvre ?

Et ce n'est qu'un petit exemple hors contexte... En fait, de la première à la dernière page, on est constamment surpris, cueilli par l'humour des situations ou le choc des dialogues (entre les deux enfants, Cotton Kid et son petit copain noir Ulysse, par exemple) Le dessin de Pearce permet en outre de placer cet album tant dans les mains des plus petits que dans celles des adultes. De la bonne BD d'humour tout terrain ! Et tant pis pour ceux qui reprocheront la trop grande filiation du trait avec celui de Morris.
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