« Le journal d'Henriette, tome 2 », réédition, par Dupuy et Berberian. Aux Humanos.
Editeur des albums « d'Henriette » (à ne pas confondre. Près de dix ans séparent ces deux séries au nom très proche : « Henriette » et « Le journal d'Henriette »!) et éditeur de « Monsieur Jean », Humano ne pouvait pas laisser éternellement « Le journal d'Henriette » au rayon des introuvables. Après la réédition du tome 1, voici donc le deux, premier album entièrement en couleur des aventures de cette petite intello grassouillette qui a eu bien du mal à imposer sa silhouette et ses histoires dans Fluide Glacial à la fin des années 80. Une réédition, c'est à la fois un plaisir pour les lecteurs et un chemin de croix, parfois, pour les auteurs. Surtout quand il s'agit de remettre en vente un album qui a plus de dix ans. Les personnages plus ronds, les gueules hurlantes avec mâchoires à la dentition impressionnante en gros plan, les visages très rapprochés et de manière générale l'utilisation du grand angle (comme pour le chasseur de l'histoire intitulée « samedi 13 février ») sont toutes des options aujourd'hui abandonnées par le duo. Mais Philippe Dupuy et Charles Berberian ont assez d'humour et de détachement pour ne pas renier cette période.
Il y a dans « Le Journal d'Henriette » une rondeur presque exagérée qui n'ôte pas l'impression d'avoir à faire à une BD au trait un peu figé, statique. (Dupuy et Berberian ont été bien plus loin en la matière, lorsque, sous l'influence de Chaland, ils adoptaient une ligne claire quasi géométrique dans les histoires de « Wagner », que l'on peut retrouver dans la compilation de leurs travaux de jeunesse parue à L'Asso en 91, « Les héros ne meurent jamais »). Le premier Monsieur Jean (édité lui aussi en 91) aura marqué un tournant graphique dont on mesure aujourd'hui toute l'évolution. Un tournant négocié en douceur mais que l'on ne devine pas encore, par exemple, dans « Klondike », la première expérience « post-Henriette » parue chez Milan en 89, truffée, elle aussi, de gros plans et d'effets cinématographiques (mais où l'on trouve quand même déjà des « évasions » poétiques plus stylisées). Aujourd'hui, les lignes de Dupuy et Berberian se veulent plus fuyantes, les contours plus estompés, l'épaisseur du trait est partie prenante de la composition (comme dans les très beaux « Carnets de New York » et « Carnets de Barcelone » parus chez Cornélius en 96 et 99) et cette évolution graphique est l'une des clés du succès actuel de ce duo vieux de bientôt vingt ans. Autant dire qu'il faut regarder la réédition du journal d'Henriette avec une sorte de bienveillance qui ne signifie nullement qu'on doit ignorer les défauts de cette uvre de jeunesse. Quand je parle de bienveillance, c'est parce que la tentation est grande de prendre ces rééditions pour des suites d'Henriette, l'actuelle série dont deux tomes sont déjà parus aux Humanos avec un lay-out presque identique. Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts entre ces deux périodes créatrices, à tel point que pour certains amateurs, la lecture ou la relecture de cet album tiendra de l'archéologie. Pour les plus distraits, elle pourrait davantage s'apparenter à un raté... à tort !
Un mot -tout de même-, du fond de ce « Journal d'Henriette, tome 2 ». Léger, plus premier degré que certains travaux ultérieurs, il ménage cependant quelques belles surprises. Par exemple, l'histoire intitulée « Mercredi 23 novembre » dans laquelle Henriette sert de boîtes aux lettres entre un jeune amoureux transi et la fille qui l'a laissé tomber. C'est sans aucun doute l'histoire la plus drôle et surtout la plus inattendue de ce recueil. On y trouve notamment cette scène truculente, lorsque le jeune homme lit avec beaucoup de conviction la liste d'insultes qu'il a écrite à sa fiancée face à une Henriette entourée de curieux interloqués. J'aime aussi beaucoup « jeudi 7 avril », histoire de la première cuite d'Henriette qui permet notamment à nos auteurs de jouer à fond sur l'absence d'horizontalité et d'installer un running-gag en deux temps trois mouvements : celui de la machine à laver, à la fois objet des conversations d'adultes qui n'ont rien à se dire, et vague obsession de la « pocharde » (de petits détails comme les inscriptions salaces sur le mur de la cabine téléphonique montrent que Dupuy et Berberian se sont manifestement amusés en écrivant cette histoire). Les autres récits ne sont pas pour autant dénués d'intérêt. Simplement, ils font plus (trop ?) facilement appel aux recettes liées aux caractéristiques évidentes de l'héroïne (moche, grosse, rêveuse, etc...). Mention spéciale pour le « conte de Noël » final, une belle variation sur un genre éculé et presque obligatoire dans les magazines de l 'époque.