 | " Mais si un matin je me sens motivé par une étiquette de boîte de fromage et pas du tout par La
Quête, je dessine la boîte de fromage. C'est peut-être malheureux, mais c'est ainsi "
Comment se retrouve-t-on dessinateur d'une série aussi célèbre que La Quête de l'Oiseau du Temps ?
Loisel et moi étions voisins en Bretagne. Il y a cinq ans, au cours d'une fête, il me lança, comme ça : " Tiens, si tu
dessinais la suite de La Quête ? ".Je n'en revenais pas. Au début il voulait que je la crayonne et que lui l'encre.
Quinze jour plus tard, j'ai dessiné une scène de taverne dans laquelle j'ai introduit Bragon et Pelisse. Pour voir. 
Mais je désirais également faire l'encrage. Voulant vérifier si j'avais
un trait assez nerveux, je me suis donné une heure pile poil pour
encrer. Résultat, je n'ai pu en faire que la moitié...
J'ai quand même envoyé le dessin en l'état à Régis, tout en
réservant ma réponse. J'avais encore Le Loup d'Oz à terminer
pour Delcourt.
Après huit mois d'hésitation, j'ai fait une planche d'essai et je l'ai
portée à Loisel. Le Tendre, que je connaissais peu, était là. La
page lui a plu. Dans la seconde il a sorti un crayon et corrigé une virgule. Comme le scénario m'excitait, je leur ai
dit " chiche "...
Et puis, j'ai bien aimé la manière qu'a eu Serge de me dire clairement qu'il aurait préféré que ce soit Régis qui s'y
colle!
En fin de compte, Loisel a fait le story board...
Il avait commencer pour Cromwell, contacté avant moi pour ce travail. J'ai donc pris le bateau en marche. C'était
un handicap, j'ai dû trouver mes marques. Mais avoir un story board, c'était travailler avec filet. Et c'est plutôt
rassurant. Car j'étais dans mes petits souliers devant un " gros morceau " comme La Quête...
Comment vient-on derrière Loisel ?
Régis balaie tout sur son passage, il a un crayon greffé dans la main. Il était évident qu'il possèdait une puissance
dans le trait que je n'aurai jamais. Si j'avais essayé de l'imiter, cela aurait été forcément mauvais. J'ai donc essayé
d'oublier Loisel pour penser Quête, et faire L'Ami Javin en prenant le chemin qu'il avait balisé et en y amenant
quelques chose qui m'est propre. Plus facile à dire qu'à faire !..
Lui dessine comme il respire. Moi, je ne peux le faire que si j'ai en face de moi un interlocuteur que je veux
surprendre, choquer, séduire. Le dessin pour moi est seulement un outil pour communiquer.
J'ai fait Le Dernier Loup d'Oz pour " faire plaisir " à Delcourt, et La Quête pour " faire plaisir " à Régis et Serge.
En dehors du dessin, qu'avez-vous apporté à L'Ami Javin ?
J'avais un brouillon de mise en page et lattitude de m'en servir comme je voulais. Eux intervenaient sur mon dessin,
et moi je pouvais leur proposer de changer un dialogue, apporter une idée. Quand ils sentaient que c'était un plus
pour La Quête, ils m'ont toujours dit oui. J'étais vraiment associé au projet.
Ainsi, j'ai créé le Wiuk Wiuk qui accompagne les ravisseurs de Bragon et Javin. Le Tendre m'a seulement
demandé de lui enlever la couche-culotte dont je l'avais affublé...
J'ai réalisé quelques planches sur mon propre story board. J'ai également proposé de développer l'épisode de
l'évasion en deux pages. Ils l'ont accepté. De 58 planches, on est ainsi tout doucettement passé à 62. Un an de
boulot en plus. Ha, ha, ha !
Quatre années bon poids pour faire La Quête, vous dessinez moins vite que votre ombre ?
Mais pas du tout ! J'ai réalisé les 44 planches de Zaza, la chienne de Drucker en quatre mois. Et une nuit j'ai mis
au point la conception de Conrad Deschamps et réalisé toutes ses d'illustrations en deux mois.
 Je peux dessiner une page en trois jours aussi bien qu'un autre. Mais je ne peux travailler
que si ce que je fait est relié à ma famille, mes amis, à ma vie en général. Pour dessiner
une case il me faut une raison, un sens, je n'y peux rien.
C'est pour ça qu'un travail que j'aurais pu faire en un an s'est étalé sur quatre.
Si un matin je me sens motivé par, disons l'étiquette d'une boîte de fromage et pas du tout
par mon travail sur La Quête, travail qui me rapportera pourtant infiniment plus, je ne
pourrais que dessiner la boîte de fromage. C'est peut-être malheureux, mais c'est ainsi .
Aucun impératif professionnel ne me fait dessiner, seulement le besoin impérieux de
communiquer et d'avancer dans la vie.
Pour l'avenir, Le Tendre voudrait un album tous les deux ans et demi, au plus...
C'est pourquoi ils vont faire le suivant tous les deux. C'est une bonne chose que Régis
reprenne le dessin de La Quête. Tout au plus, je l'assisterai. Mais, peut-être sur le terrain
s'apercevra-t-il qu'il ira beaucoup plus vite en travaillant tout seul...
Que retirez-vous de l'expérience ?
J'ai appris énormément de choses sur le dessin, le découpage, les dialogues. Et surtout, j'en ai tiré un immense
plaisir, malgré les difficultés inhérentes à une telle reprise. On a vraiment réalisé cet album à six mains. Le tout dans
une belle amitié.
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