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Comme les précédents, ce 4ème album de Sillage explore un univers clos, séparé. On est à la fois dans une logique de série et face à des "one-shot". Cette fois-ci, c'est l'heroic-fantasy qui sert de toile de fond à l'album. C'était une volonté de faire quelque chose de tout à fait nouveau ?
Ceci étant, dès le départ, on avait cette idée de faire une série où chaque album serait un détournement de BD de genre. On a fait du "steampunk", dans le 3ème, un récit de jungle dans le 1er, de la SF pure dans le tome deux et le thème du prochain sera le polar. Que reste-t-il comme détournement de genre potentiels ? Est-il encore possible de continuer - étant donné qu'il semblerait que vous souhaitiez au moins réaliser une quinzaine d'albums - à explorer les genres, album après album, sans se répéter ? Morvan : Je l'espère, oui ! Par exemple, le prochain sera une prise d'otages, le suivant se déroulera dans une prison spatiale et sera donc une BD d'action, le tome 7 se passera sur un planète en guerre.. Il y a plein de possibilités.. On fera peut-être une "Loft Story" un jour (rires).. et pour finir, peut-être un film d'accouchement… Aurais-tu, comme Pierre Christin, dans un coffre quelque part, le dernier épisode de Sillage, à dessiner par ton dessinateur après ta mort ? Morvan : Non, il n'est pas dans un coffre, mais on l'a dans la tête.. Si je parle de Pierre Christin, ce n'est pas par hasard. Valérian, c'est le grand frère de Nävis ?
Parallèlement à ces genres que tu explores à travers chaque album, l'héroïne évolue, elle aussi. On l'a connue très jeune, pré-ado, puis ado puis adulte... Dans le troisième album, elle connaît sa première expérience amoureuse… La voilà tout à fait adulte. Va-t-elle continuer à évoluer ou as-tu l'impression qu'elle est arrivée à une certaine maturité et que ce sont plutôt les histoires qui vont la faire évoluer… ? Morvan : Normalement, dans nos têtes, elle va continuer à évoluer. Par contre, graphiquement, je ne sais pas comment on va pouvoir faire. De toute façon, dans la dernière histoire, elle devra être âgée, donc elle doit évoluer. On veut raconter toute sa vie. Ca ne va pas être facile à rendre graphiquement... Mais, personnellement, je ne fais pas attention à cet aspect-là. J'écris une histoire et c'est Philippe qui la fait évoluer. Je pense qu'il le fait à peine exprès. C'est naturel. Certains auteurs disent que faire vieillir ses personnages, c'est un peu scier la branche sur laquelle on est assis, parce que tôt ou tard, il va falloir les faire mourir, ou faire disparaître des gens qu'ils aiment, qui sont autour d'eux. C'est déjà arrivé dans Sillage…
Les personnages sont les vecteurs d'une histoire et éventuellement des émotions qu'on réussit à faire passer au travers d'eux. Si, pour obtenir une émotion forte dans une BD, je dois faire mourir un personnage, cela ne me pose pas de problème… Et ce n'est pas grave. C'est bien qu'on s'attache aux gens, mais ils meurent tous tôt ou tard. De toute façon, c'est comme ça que ça se passe… En l'occurrence, en plus, il y a moyen de faire mourir certains d'entre eux plus d'une fois… C'est très vache ce que tu as fait avec Houyo, quand même ; tu nous l'as ressuscité, pour le faire mourir une seconde fois… sans compter ce que tu en fais après et qu'on ne dévoilera pas ! C'était un plaisir personnel, ça ? Morvan : C'était pour les lecteurs qui m'ont demandé à corps et à cris de le faire revenir. On s'était dit avec Philippe que ce serait drôle : le faire revenir pour le faire "re-mourir", même s'il ne meurt pas vraiment… C'était un petit clin d'œil à tout ça.. La SF, c'est un monde où tout est possible ?
En même temps, on sent qu'il y a chez toi une volonté, un souci d'avoir un univers très cohérent ; notamment parce que les lecteurs sont parfois très attentifs aux moindres détails ou noms qui auraient pu être donnés.. Morvan : Oui, et c'est un peu la vraie difficulté de Sillage. On a voulu faire une aventure par album, on s'était dit que ce serait vraiment très bien, et on le pense toujours. Mais 46 pages, c'est peu pour raconter une aventure, faire découvrir un nouvel univers, faire évoluer Nävis, revoir d'anciens personnages, en présenter de nouveaux, en apprendre davantage sur le convoi Sillage… C'est assez dur. Ca donne parfois lieu à des intrigues assez serrées, denses. On se tient donc à notre concept de départ, mais il est clair que parfois, il serait plus facile de développer une intrigue sur 2 albums.
Dans le premier, ce qui est magistral, c'est la fin. L'histoire est très belle, les personnages intéressants, mais lorsque Navïs s'aperçoit que sa planète n'est plus autour d'elle et qu'elle est dans le convoi interstellaire, on assiste à une fin tout à fait inattendue. As-tu travaillé tes autres fins de la même manière afin de créer une surprise aussi forte ? Morvan : En fait non. C'est vrai que le premier album était très basé sur la fin. Je voulais cette conclusion-là pour cette histoire. On se souvient souvent d'une histoire, d'un livre, d'un film ou d'un album lorsque la fin est vraiment forte. L'impression qui en reste est très importante et je voulais donc cette issue assez dure. Ce n'est pas un happy end - même si Nävis est sauvée - et on a basé quasi tout l'album là-dessus. On donne d'abord cette impression de fin de scénario en boucle, comme si son aventure était un cauchemar... et finalement, on passe dans la réalité qui est pire…
Je suppose que le personnage trouble du consul Enshu Atchukan reviendra dans les prochains albums ? Morvan : Oui. Notamment, il fait une petite apparition dans le début du prochain. Va-t-il y avoir des personnages de plus en plus récurrents ?
Notre envie sur Sillage, ce n'est pas de faire faire telle ou telle chose à Nävis, mais plutôt de trouver une thématique de départ qui nous intéresse et qui soit en rapport avec l'univers qu'on traite. Pour nous, la base d'un album, c'est ça. Là, on rejoint très fort le travail de Christin sur Valérian. Il y a à chaque fois, effectivement, une trame de science-fiction quel que soit le genre. Mais cette trame est davantage un moyen de nous renvoyer à la société actuelle. On parlait du viol ci-dessus, il y a aussi, par exemple, dans l'album suivant, les Püntas, qui sont les derniers Indiens d'Amérique, parqués dans leur réserve, dépréciés, avec leurs troupeaux décimés. Même le révolutionnaire Clément Valdieu, qui se bat pour un monde égalitaire, les considère comme des êtres inférieurs. Dans cet album, on trouve aussi le thème de la révolte contre l'ère industrielle, etc... Toutes ces idées, ce sont des thèmes qui vous sont chers à tous les deux et qui sont finalement la raison d'être de la SF, non ?
A propos d'idéalisme, le personnage de Clément Valdieu, on peut presque le retrouver, sous une forme différente, dans le quatrième tome, quand on constate que Beampte est lui aussi quelqu'un qui s'est révolté contre un système corrompu. Il y a toujours cette envie de personnages idéalistes qui ne soient pas nécessairement le héros du premier plan ? Morvan : Oui, c'est ça. Mes thématiques
sont finalement très proches. L'univers change du tout au tout, mais le
fond de l'histoire est assez proche. Dans le prochain album, qui traite
du terorrisme, un thème que j'aime beaucoup - dans Nomad (chez Glénat),
je traite aussi beaucoup ce thème - il y a également un personnage similaire.
C'est d'ailleurs toute la thématique de Sillage ; à savoir : comment parvenir à s'intégrer dans un monde pour lequel on n'a pas été fait. Nävis n'a pas été faite pour être recueillie au sein de Sillage et pour travailler pour la Constituante. Comment s'en tirer dans ce monde assez étrange qui a ses propres règles, comment ce personnage peut-il se comporter face à des lois et des exigeances qu'il n'avait pas prévu ? C'est un peu ta philosophie dans le monde qui t'entoure ? Morvan : Oui. Parce que j'essaie de comprendre ce qui se passe. Je n'ai pas l'impression qu'on est davantage fait pour le monde dans lequel on vit que Nävis, en fait ! On découvre plein de choses au fur et à mesure, c'est ça qui est passionnant. Mais c'est vrai que je n'ai pas l'impression que la vie que je vis aujourd'hui est celle dont on m'avait parlé lorsque j'était petit, à tous les nivaux, amour, travail… Je pense qu'on n'est pas préparé pour ce que l'on vit… mais ça se passe plutôt bien, donc ce n'est pas grave.. C'est bien d'essayer de comprendre comment ça fonctionne.
Morvan : C'est ce qui m'intéressait beaucoup dans le personnage de Valdieu : c'était un vrai révolutionnaire, mais de son époque. Nous-mêmes, on se révolte contre certaines choses aujourd'hui, en faisant complètement l'impasse sur d'autres choses. Par exemple, en lisant "La controverse de Valladolid" (par Jean-Claude Carrière, paru chez Actes Sud, ndlr), roman passionnant qui se déroule pendant l'Inquisition, on se rend compte que quand les Espagnols finissent par se mettre d'accord sur le fait que les Indiens sont des êtres humains, ils excluent les Noirs de la catégorie. On a l'impression aujourd'hui qu'on est un peu plus humanistes, mais lorsqu'on regardera notre Histoire dans 50 ans, on mesurera les choses au travers desquelles on est passé sans s'en rendre compte. C'est ce que j'ai voulu exprimer à travers l'histoire de Clément Valdieu. Ce personnage très XIXème siècle qui se révolte contre le système et veut sauver les gens, ce personnage qu'on admire, mais pour qui, les Püntas, une race avec laquelle il coexiste, ce n'est rien. Il ne se rend pas compte de ce racisme auquel il participe, lui qui combat pour la liberté. Et en plus, il se goure complètement de cible. Morvan : C'est aussi le problème de l'idéalisme. Peut-être qu'on arrivera à saboter notre série à cause de ces bêtises-là… (rires) On parlait de "fin" tout à l'heure. Dans ce troisième album, c'est vrai que la dernière page avec lui, Clément Valdieu - sans être vraiment la fin du récit proprement dit- est quand même assez forte.
A travers ces différents albums, on sent que tu tiens beaucoup à Nävis, c'est presque une fille virtuelle que tu aurais souhaitée… Tu as des enfants ? Morvan : Non, pas encore… C'est ta fille, quelque part ? Morvan : C'est notre fille, à Philippe et à moi. On a eu de la chance, elle est plutôt jolie, ce qui n'était pas évident avec des parents comme nous .. (rires). Ce qui est incroyable, c'est qu'on la fait vivre tous les deux, mais qu'on n'a jamais de conflit à son sujet. Je l'écris, il la dessine… j'interviens parfois dans des expressions qu'il lui donne, et lui dans des propos que je lui fais tenir.. On se l'est vraiment appropriée. Je ne veux pas dire qu'elle existe -je suis contre le fait de dire qu'on crée un personnage et qu'ensuite, on le laisse vivre sa vie - mais en même temps, elle existe… Elle est très coquette aussi. Elle change de coiffure, de tenue pratiquement tout le temps..
As-tu parfois la crainte d'être "à côté", dans les propos qu'elle tient ? Morvan : Non, je ne pense pas… Et puis je ne me pose pas la question, à vrai dire. Elle a quand même un côté un peu mec, pas physiquement parlant, mais dans ses propos et dans ses attitudes…
Tu as un public féminin sur Sillage ? Morvan : Oui, une partie. Qu'en pensent-elles ? Morvan : Elles disent que c'est bien qu'elle n'ait pas de gros seins, en majorité… (rires). Les filles ont l'air de ne pas trop la détester..
Morvan : Je pense que c'est un peu une star dans le convoi - dans le 5, elle le sera encore plus. On est toujours intéressé par ce qui est unique, et elle l'est ! On se demande toujours comment fonctionne ce qui est original. Quand on se pose des questions sur quelqu'un, c'est qu'on lui porte déjà un certain intérêt… Et puis, c'est pratique pour l'histoire. Si personne ne s'intéressait à elle, je n'aurais pas grand chose à raconter ! Morvan : Non, elle est chiante, en fait… (rires). Mais elle est rigolote quand même. Attachante. Enfin, je l'espère. Parfois, elle se trompe aussi. Mais même ça, ça fait partie d'elle. Elle n'est pas infaillible. En plus, je suis très méchant avec elle, exprès pour que le lecteur s'y attache. Il n'y a pas un album où elle ne se prend pas une raclée, où elle ne soit pas assommée… On lui casse tous ses jouets et ses amis… On ne la ménage pas vraiment. Mais je pense que ça la rend attachante… Est-ce qu'elle a des failles ? Morvan : Oui, je pense. Mais je ne la connais pas encore très très bien, finalement. On verra au fur et à mesure. A chaque album, elle prend du corps, elle s'enrichit… et elle est entourée de nouveaux personnages. Je n'ai pas de problèmes à en faire disparaître certains ; c'est indispensable, si tu ne veux pas avoir une kyrielle de personnages derrière le héros, qu'elle traîne partout et qui n'apportent rien... Je pense que c'est bien d'être capable de s'en séparer. Suite 2/2 de l'interview de JD Morvan
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