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Pouvez-vous nous éclairer sur la signification exacte de Kwaïdan ? Jung : En traduction littérale : histoire étrange. Mais Kwaïdan signifie également fantôme, monstre, tout ce qui touche à l'étrange en fait. Cela remonte à ma découverte du film Kwaïdan réalisé par Masaki Kobayashi dans les années 60 sur lequel j'ai vraiment flashé. Très longtemps après, j'ai découvert que c'était l'adaptation d'un livre qui avait été écrit au début du siècle par Lafadio Hearn, un écrivain anglais qui s'était installé au Japon, avait appris le japonais et épousé une japonaise. Il a même pris la nationalité japonaise, ce qui est assez rare. Le livre Kwaïdan est donc un recueil de contes populaires japonais qui se transmettaient oralement à l'époque et que Lafadio Hearn a eu l'idée de regrouper en un livre. Ce sont des petites nouvelles de 4 ou 5 pages au grand maximum avec lesquelles on apprend beaucoup sur la féerie japonaise. Par exemple, pour se protéger des mauvais esprits, il faut se peindre des textes sacrés sur la peau. Grâce à ces signes, les esprits ne vous voient pas tout simplement. Dans le livre Kwaïdan, un moine qui souhaitait se protéger d'un mauvais esprit se couvre de ces signes sacrés mais il oublie les oreilles.. et lorsque le mauvais esprit arriva, il ne vit que les oreilles et les lui coupa. C'est une scène qu'on retrouve dans votre album en quelques sortes. Jung : Oui, dans une des scènes de l'album, le peintre aveugle est protégé du mauvais esprit parce qu'il retire ses vêtements et est couverts de signes sacrés, donc invisible pour l'esprit. Tandis que l'héroïne, Setsuko, est tellement terrorisée, qu'elle ne bouge plus, oublie de retirer ses vêtements et se fait donc voir.
Kwaïdan, c'est donc un conte fantastique dans lequel vous nous entraînez dans un Japon médiéval où il est question de mythe, d'esprits, de réincarnation, etc. Ce sont des thèmes qui vous sont apparemment très chers, au vu de vos précédents albums..?
Le terrain de prédilection de vos histoires se situe au Japon. Outre les thèmes récurrents - ou non - d'esprit, de réincarnation, etc, le fil conducteur de vos albums est le Japon depuis le début.
Le Japon essentiellement. Vous êtes d'origine coréenne, je pense? Jung: Oui, je suis d'origine coréenne et j'ai été adopté par une famille belge quand j'avais 5 ou 6 ans - on ne connaît pas exactement ma date de naissance. J'ai moi-même été confronté à des problèmes d'identité. Je suis asiatique, je vis en Europe et donc, c'est vrai que j'ai eu énormément de problèmes par rapport à ça. Cette recherche d'identité de votre personnage, c'est un peu autobiographique ? Jung: Ce n'est pas réellement autobiographique mais c'est vrai qu'il y a des similitudes. J'ai probablement dû faire une sorte de report d'affectivité. Comme, à cette époque-là, je reniais tout ce qui venait de Corée, j'ai tout reporté sur la culture japonaise.
Dans vos recherches de documentation, vous vous intéressiez à tout ce qui touchait le Japon de près ou de loin ou plutôt justement, le côté légende, mythe ? Jung: A une époque, c'était tout ce qui touchait au Japon. Maintenant, avec l'âge, je peux faire la part des choses. Autant que Setsuko dans Kwaïdan qui est à la recherche de son identité, je le suis également et j'arrive à trouver des solutions, donc, à accepter… La recherche d'une mère aussi peut-être ?
Est-ce que l'album Kwaïdan est inspiré de l'histoire du film ou du livre qui l'ont précédés ? Exploitaient-ils également la symbolique du visage, la réincarnation, l'histoire de la Dame du Lac, etc.. Où est-ce une histoire entièrement imaginée par vous-même ? Jung: Non, je l'ai entièrement imaginée. Mon univers est celui des filmographies de Akira Kurosawa, Kenji Mizoguchi, Hayao Miyazaki, etc.. tous ces réalisateurs japonais des années 50 - 60, qui me passionnent toujours maintenant. Je me suis toujours dis que si je racontais une histoire, ça se passerait au Japon mais que cela ne serait pas une histoire japonaise authentique, parce que je ne suis pas japonais et que je ne m'adresse pas non plus à un public japonais.
Dans le dernier album de Yasuda, il y a déjà l'intervention assez importante d'une femme sans visage. C'est une idée qui a mûrit. C'est un peu ça le début de Kwaïdan ou cela n'a rien à voir ? Jung: Non, cela n'a rien à voir. J'avais entendu parler, sans l'avoir lu, d'une nouvelle écrite par un écrivain japonais. C'est l'histoire d'une femme qui est complètement défigurée après un accident. C'était une très jolie femme. Pour pouvoir continuer à vivre avec elle et conserver l'image qu'il avait d'elle, son ami se crève les yeux tout simplement. C'est un peu ça le point de départ de l'histoire de Kwaïdan. Cette histoire m'avait beaucoup touché. Voilà tous les éléments que j'avais envie de rendre dans la BD. Tant l'époque, que le reste.. mais c'est avant tout un prétexte pour dessiner les choses que j'avais envie de dessiner, tout simplement.
Jung: Ce qui m'a amené à la bande dessinée, c'est d'abord l'envie de raconter des histoires. J'ai travaillé un peu chez Spirou et puis j'ai réussi à placer une histoire courte de deux pages qui leur a plu. Mais ils m'ont dit que ce n'était pas dans l'esprit de Spirou et donc m'ont adjoint un scénariste. De toute façon, techniquement, je n'étais pas prêt à mettre en images les histoires que j'avais envie de raconter. Il est vrai qu'il y a une évolution incroyable entre le 1er Yasuda et Kwaïdan… Jung: Oui, voilà. J'ai donc commencé à travailler avec un scénariste en me disant que le jour où je me sentirais prêt techniquement, j'écrirais moi-même mes scénarios et je les mettrais en images. Maintenant, lorsque j'ai une idée, je peux la dessiner et ça, c'est très important. Je ne voulais pas me restreindre du fait de ne pouvoir mettre une idée en images. Que vous a apporté votre passage dans les ateliers d'Yslaire ? Images Copyrights © Jung - Editions
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