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L'univers des Stryges compte jusqu'ici onze albums. Ce n'est pas mal pour un univers qui est très polymorphe finalement. Les séries sont à la fois interconnectées et tout à fait indépendantes ! Certains points de contact existent néanmoins entre les séries, notamment le fameux tableau. D'autres points de contact sont-ils prévus ?
Ce qui veut dire aussi que ces séries ont finalement une vie très indépendante les unes des autres ?
Quel a été le déclic qui a fait que, après la réalisation avec Richard de "L'As de Pique", vous vous êtes lancés dans "Le Chant des Stryges" ? Guérineau : Au départ, il y a eu la découverte par Eric d'un vieux livre, le grimoire de Peter MacKenzie, chez un bouquiniste à Paris, d'ailleurs introuvable aujourd'hui… Ce fameux "Contact Inducement" est un ramassis d'inepties en tout genre, mais très intéressant au point de vue de la fiction. Nous avons commencé à délirer à partir de ce livre et cela nous a permis de construire ce phénomène des créatures… Nous avions l'apport de diverses mythologies Greque, Latine, Mésopotamienne,.. Et ce mélange de mythologies de diverses sources nous a permis de créer ces créatures qui, finalement, existaient quasi telles quelles dans la mythologie Grecque et que nous avons remaniées à notre manière pour la série… Vous avez forcément été influencés par la série X-Files, ce n'est pas un secret ; la preuve en est que vous y faites l'un ou l'autre clin d'œil dans la série… Il valait mieux d'ailleurs, non ? Corbeyran : Ce n'est pas complètement anodin non plus. X-Files retraite de manière très intéressante des thèmes "fortéens" qui nous passionnent. Charles Fort est le premier auteur à avoir décrit tous les phénomènes de type paranormal. Nous partageons en quelque sorte le même créneau et le même point de vue que X-Files, essayant de comprendre le monde à travers une réalité alternative. Dans X-Files, les Martiens et Roswell existent. Nous, nous avons décidé que les Stryges, ces espèces de "vampires de l'esprit" existaient. Et partant de ce postulat abracadabrant, nous tentons de réexpliquer quelque peu le monde à travers cette "réalité alternative".
:…qui est d'ailleurs adapté en bande dessinée de plus en plus souvent depuis deux ou trois ans… Corbeyran : Nous en sommes de grands lecteurs. Réinventer une mythologie, recomprendre le monde à travers quelque chose qui n'existe pas, c'est vraiment s'offrir une grande liberté d'expression. Guérineau : Et c'est aussi le propre du genre fantastique que de travailler justement sur cet aspect métaphorique au travers des créatures, des monstres… et d'essayer d'exprimer des choses d'ordre psychanalytique, voir social etc.… Lovecraft était effectivement la première référence dont on a parlé à propos de ces créatures…
Vous saviez tous les deux, au départ, que cela irait plus loin que la simple série du "Chant des Stryges" ? Corbeyran : On l'espérait en tout cas… Guérineau : En faisant "Le Chant des Stryges", il y a un background, toute une mythologie qui s'est mise en place petit à petit. On s'est rendu compte qu'elle était tellement dense et riche, qu'elle avait tellement de relais et de ramifications, qu'Eric a eu envie, à un moment donné, d'en développer certains aspects. Mais ces derniers ne pouvaient pas être intégrés dans "Le Chant des Stryges". C'est aussi intéressant dans le sens où chaque série a une identité différente des autres. Tu ne t'es pas senti, toi, dépossédé de ton univers lorsqu'est sorti "Le Maître de Jeu" ? Guérineau : Non. Et l'idée au départ était que chaque auteur puisse amener sa propre interprétation des Stryges, par exemple, ne serait-ce que visuellement… Ils se ressemblent très fort, on sent qu'il y a un accord tacite, si j'ose dire ! Corbeyran : C'est Richard qui s'occupe de tout l'aspect visuel mais il n'y a pas vraiment de chartre graphique du Stryge. C'est vrai que dans "Le Clan des Chimères", Michel a plutôt opté pour le look des Stryges de Richard. Dans "Le Maître de Jeu", Charlet préférait s'en écarter un peu… Mais il n'y avait pas de volonté de notre part d'imposer une forme quelconque au Stryge. De toute façon, dans le bouquin de MacKenzie, on voit bien que la représentation des Stryges a évolué à travers les âges. Les Stryges peints sur les vases Grecs ne ressemblent pas du tout aux Stryges que dessine Richard ; ce sont des espèces de grosses poules avec une queue d'oiseau, des serres d'oiseau et une tête humaine.. Ca n'a donc rien à voir avec le look qu'on leur a donné. Cette représentation va évoluer au fil des siècles et selon la civilisation qui s'en préoccupe ; on a donc donné carte blanche aux auteurs pour représenter la "créature".
On parlait de Roswell tout à l'heure. C'est clair que le départ de la série est vraiment très proche : la découverte dans le désert par les américains d'un être fantastique, des militaires, la base,… Guérineau : On est volontairement parti sur des stéréotypes de ce genre de récit à l'américaine, mais pour mieux s'en écarter par après, à mon avis.
Ca pourrait effectivement faire un peu de plagiat (rires)… Corbeyran : Ceci dit, il y a également eu un film s'intitulant "Roswell". Chris Carter, le scénariste de la série TV X-Files, n'est pas le dépositaire de cette créature. Il utilise également des choses qui existent. Guérineau : L'intérêt de la série X-Files réside en grande partie dans le fait que Chris Carter réussit, avec de vieux thèmes fantastiques archi-éculés, à les retourner et les traiter de manière très moderne et contemporaine. Guérineau : Oui, c'est le thème de la Belle et la Bête… Corbeyran : Il y a des créatures monstrueuses et puis une femme sublime qui s'en occupe. Elle a donc un rôle très important ; elle est très dangereuse, vénéneuse, pas fréquentable ; c'est l'inaccessible féminine… Elle est finalement plus souvent sur la balle que Nivek, qui subit les événements.
Justement, sur les trois albums qui sortent en avril, il y a deux fins annoncées. Et finalement, le lecteur va se rendre compte que ces deux fins sont des fins de cycle et non pas la fin d'une histoire.
Guérineau : On réalise ça dans un état d'esprit où il ne faut pas attendre de réponses définitives. Il y a un questionnement perpétuel, il y aura des embryons de réponses, comme des pièces d'un puzzle, et c'est au lecteur de les rassembler et de les reconstituer. Et il y aura toujours des questions supplémentaires. Corbeyran : On parlait précédemment du genre dans lequel on inscrit "Le Chant des Stryges". C'est vrai que ce genre est souvent suspect. Dès qu'il y a un récit avec un mystère à la clef, les gens sont suspicieux et se demandent si ça va être bien, s'ils vont recevoir les réponses à leurs questions.. C'est une pression qu'on a subie au fur et à mesure des albums. Les lecteurs attendent la fin pour se faire une idée du truc. Ce qu'ils ne savent pas, c'est qu'ils seront toujours déçus. Et c'est le cas à chaque fin de série, puisque ça n'existe pas ! Si on avait bouclé notre histoire en trois tomes, on ne serait pas là
en train d'en discuter. C'est une série qui aurait 10.000 lecteurs et
tout le monde aurait été content. Point à la ligne. Nous voulons miser
sur un public plus large, et nous sommes en train de l'atteindre. L'erreur
à ne pas commettre, c'est de faire une espèce de fin théâtrale. Là, vous
faites capoter le tout. Parce que les gens ont des attentes, d'album en
album, et nous ne maîtrisons pas ce qu'ils projettent. En revanche, nous
maîtrisons ce qu'on a mis en place. On donne certaines pistes, certaines
informations. Mais, par exemple, c'est le lecteur lui-même qui devra se
faire la carte d'identité du Stryge. Nous ne lui dirons pas ce que c'est
ni son mode de fonctionnement. Il recevra des éléments petit à petit,..
Mais il ne recevra pas LA grande révélation théâtrale finale. Guérineau : Et puis même la révélation, car il y en a tout de même une - on révèle le secret des Stryges quand même - comme tout secret ou révélation qui se respecte, est tellement énorme qu'on a du mal à la mesurer. On met le lecteur dans cette position là, c'est-à-dire dans la position de Nivek et de l'Ombre, qui sont devant CA et qui ne savent pas quoi en faire ! Et ça renvoie à un tas d'autres questions… Corbeyran : On se met des bâtons
dans les roues lorsqu'on choisit un personnage pareil pour une série de
ce type-là. Pour une série d'action, avoir un personnage en fauteuil roulant,
c'est assez handicapant. De même que pour une série liée à des créatures
monstrueuses, se servir d'un enfant peut aussi être un peu handicapant.
Ceci dit, le challenge est intéressant.
Une chose étonnante aussi, c'est le nombre de personnages qui disparaissent dans toutes les séries. C'est rare de faire disparaître avec autant d'aisance des personnages secondaires auxquels les gens s'étaient peut-être attachés. Par exemple, les parents de Quentin dans "Le Maître de Jeu" ou dans le dernier "Chant des Stryges" ; deux des personnages principaux qui disparaissent… Y aurait-il aussi une volonté de dire qu'on est quelque part dans la réalité où le super héros n'existe pas, les gens ne peuvent pas passer à travers tout, certains doivent mourir…?
Vous partez du phénomène particulier pour aller de plus en plus vers le phénomène général... C'est finalement l'avenir de la Terre qui est en jeu ? Corbeyran : Oui, voilà. C'est à la fois l'avenir.. et on comprend bien l'avenir quand on a fouillé un peu le passé ; c'est tout ça qu'on va essayer de mettre en place pour le second cycle. Corbeyran : Oui, et surtout la présence du merveilleux au quotidien. Pour l'homme du Moyen Age, il n'y a pas de différence entre sa vie quotidienne et sa représentation du Ciel, de l'enfer, etc. Il vit aussi en fonction de la place qu'il aura au Paradis. C'est très lié à la vie de tous les jours. C'était une période qui nous plaisait beaucoup pour pouvoir exploiter le thème du démon ailé.. On va découvrir peu à peu quel rôle vont jouer les Stryges à cette période-là. C'est vraiment une période qui s'y prête bien. Ce qui est curieux, c'est que les périodes auxquelles tu as fait allusion en parlant de MacKenzie, qui sont Grecque ou Azthèque…, ne sont pas exploités en tant que tel dans les histoires… Corbeyran : .. pas encore… Corbeyran : Oui, et puis il faut surtout que cela reste de l'ordre du phantasme. On donne des éléments et le lecteur ensuite colle les morceaux. Donc effectivement, on l'a traité en montrant des pages du " Contact Inducement" qui traite de ces sujets-là. Peut-être que l'erreur serait de le mettre en scène et en images. Guérineau : Je ne suis pas pour, je ne suis pas persuadé que cela fonctionnerait très bien ! Corbeyran : Cela dépend comment on montre les choses, et ces choses-là peuvent être montrées simplement par des textes, des images d'époque, etc. En revanche, le Moyen Age se prête davantage au spectacle. Richard, as-tu envie de faire autre chose actuellement ? Cela fait déjà un certain temps que tu es là-dedans.. ou c'est un univers qui te passionne ?
Guérineau : Oui, pas mal. Au départ, je ne voulais pas partir sur un aspect trop proche du monstre de cinéma, grimaçant, complètement déformé. Je voulais qu'ils aient un côté sobre, un peu hiératique aussi, pas trop dans le cliché Hollywoodien du vampire, pas grand guignol. Après, il y a eu quelques transformations mais qui tenaient davantage dans les détails des personnages. J'avais globalement l'idée visuelle mais il a fallut les travailler et c'est au fil des albums qu'ils se sont définis plus précisément. Il y a des albums dans lesquels on ne les voit pratiquement pas… Guérineau : Ça m'a bien arrangé d'ailleurs qu'on ne les voit pas trop au début, ça m'a permis de laisser mûrir les personnages. Corbeyran : Oui, on peut parler du
rythme de manière très simple. On voulait que les actions soient menées
rapidement et que la compréhension du phénomène ne se passe pas de manière
abracadabrante et qu'elle soit crédible. Et c'est difficile d'être crédible
dans un monde où tout est réinventé.
Corbeyran : Et puis, je le répète une nouvelle fois, il sera de tout façon déçu. C'est fondamentalement faux, le lecteur va se rendre compte qu'on l'a trompé… On préfère plutôt l'amener à se poser des questions que lui donner des réponses erronées. En outre, nous n'avons pas forcément ces réponses. Faire de la bande dessinée, tout comme faire de la peinture ou de la littérature, c'est essayer de comprendre le monde d'une certaine manière, c'est communiquer, partager ses doutes. C'est ce qu'on essaye de faire avec notre série.
Pour la suite des séries, en apprendra-t-on davantage sur certains personnages, notament sur l'Ombre..? A-t-elle un prénom ?
Corbeyran : Le second cycle va nous amener quelque année plus tard. Sans tout dévoiler, ce sera effectivement davantage le côté personnel de l'Ombre qui sera mis en avant. Elle va perdre un peu de mystère pour le lecteur, mais va gagner en humanité. Il reste encore cette fameuse quatrième série avec Moreno qui était annoncée à l'automne 2001. Nous sommes en avril 2002, c'est donc éminent (rires)... Corbeyran : Dans 5 ans, on en rigolera.
Marc
est également le dessinateur de la série "Le
Régulateur", il va essayer de mener les deux séries de front.
Cette série s'intitulera "Les Hydres d'Arès" et sera
une espèce de prospective de l'univers Stryge dans un futur très éloigné…
Guérineau : Cela fut un choix un peu forcé au départ puisque Isabelle Merlet, qui devait terminer le cycle avec nous, a choisi d'arrêter pour diverses raisons, mais nous l'a annoncé un peu tard. On s'est donc retrouvé coincé et il a fallut trouver quelqu'un de talentueux et de disponible, prêt à faire les couleurs en deux mois sur une série qu'il ne connaissait pas. On a opté pour des couleurs sur ordinateur pour des raisons de rapidité d'abord. Mais également parce que je pense que la mise en couleur faite à la main sur ce genre de série va prendre un sacré coup de vieux d'ici quelques années, avec l'évolution des couleurs par informatique. C'est vrai que cela a été un peu brutal comme transition sur le tome 5, cela s'est fait un peu vite. Cela dit, on a travaillé de manière plus étroite sur le tome 6 ; je lui ai donné beaucoup plus d'indications, chose que je n'avais pas eu le temps de faire sur le précédent. L'univers complet devrait faire combien d'albums, idéalement ?
C'est-à-dire : jeux vidéo.. ? Corbeyran : .. oui, ou série télévisuelle éventuellement, on verra. Marc Moreno vient du jeu vidéo, notamment ! Corbeyran : Marc Moreno a été designer chez "Calysto" et souhaitait devenir auteur de bande dessinée. C'est intéressant pour nous, c'est du sang neuf qui arrive avec du savoir-faire etc. La bande dessinée bénéficiera bien sûr de tous ces apports qui viennent d'ailleurs. Je trouve très bien que cela prenne d'autres formes, d'autres dimensions et que cela aille toucher d'autres public aussi. On sait que tu es aussi bien capable de travailler dans le domaine de l'enfance avec le "Cadet des Soupetard" et d'autres expériences, que de l'humour philosophique ou encore dans le fantastique.. C'est important de s'adapter à chaque dessinateur en fonction de son univers ou, malgré tout, tu recherches des gens qui correspondent à ton univers à toi ?
Le steam punk que l'on retrouve aussi dans "Le réseau Bombyce", même genre d'univers architectural.. Corbeyran : Oui, tout à fait. Peut-être
un peu plus accenté dans "Le Régulateur", plus futuriste...
Mon envie de communiquer des choses est donc énorme et les gens que je
rencontre me proposent des espaces, leur style, leur univers pour le mettre
au service de mes histoires, et mes histoires tout naturellement se mettent
au service de leur univers. Ca fonctionne donc sur un échange et cet échange
doit être le plus harmonieux possible si on a envie que la collaboration
se poursuive, en restant attentif aux envies des uns et des autres. Mais cela continuera, sous la plume de Cécil tout seul… ? Corbeyran : Oui, tout à fait. Merci beaucoup. . Interview réalisée
par Thierry Bellefroid Images Copyrights © Corbeyran & Guérineau
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