Histoire sans Héros : 20 ans après : suite
Interview de Dany par BD Paradisio


BD Paradisio : De quoi vous inspirez vous pour vos décors, vos personnages ? Où trouvez vous votre documentation ?

Dany : La documentation est très importante pour moi. Je n’ai pas une mémoire visuelle extraordinaire et donc j’ai besoin de m’entourer et de m’inspirer de documents. Cela dit, un piège, c’est de chercher LE document "tip-top"qui faut pour une case. On ne le trouve jamais. Ou alors, ce que l’on fait et c’est ce qui est à éviter à tout prix, c’est d’adapter la mise en scène , voire son histoire, voire son découpage en fonction du document alors que l’on avait quelque chose de différent en tête à l’origine. Il ne faut pas être prisonnier du document. Il faut en avoir et s’en imprégner.

Cela dit, j’ai effectivement beaucoup de bouquins autour de moi lorsque je travaille. Je pense que la documentation est importante pour tous les dessinateurs qui font leurs décors eux-mêmes.

Maintenant, j’ai la chance de voyager beaucoup plus qu’avant et je réalise l’importance que représente pour moi le fait de situer une action, une aventure pour pouvoir la dessiner.

BD Paradisio : Vous inspirez-vous de personnes réelles pour vos personnages ?

Dany : Oui, d’acteurs, de proches,… mais ce n’est pas systématique. Il y a une adaptation également. Mais il m’arrive parfois d’être piégé tellement j’ai le personnage en tête. Certains, par exemple, reconnaissent trop Gabin dans Equator et c’est parfois un peu gênant.

BD Paradisio : La jungle semble vous inspirer beaucoup dans le cadre de vos aventures…. Un vieux rêve d’enfant ?

Dany : C’est vrai que j’aime assez ce style de végétation. Mais je m’en lasse un peu maintenant parce que j’en ai beaucoup fait. Cela doit correspondre, en fait, à mon goût personnel de l’exotisme et des voyages. J’adore les pays tropicaux, équatoriaux. A ce niveau, j’ai également beaucoup de photos qui m’aident parce que c’est une végétation très dense et très spécifique.

BD Paradisio : Dans un album, vous vous occupez de tout, les crayonnages, mise au net, décors, mise en couleur,… ?

Dany : Oui, j’aime bien. Je sais déjà au moment où je crayonne quelle ambiance, quelle atmosphère, quel éclairage, quelle lumière conviennent à la scène que je dessine.

BD Paradisio : Vous n’avez jamais pensé à déléguer une partie de votre travail ?

Dany : Si, parfois, par la force des choses. Mais c’est très difficile, c’est moins personnel. C’est le contraire de quelqu’un comme Hermann, par exemple. Quand vous voyez un travail tel que celui de Hermann qui a une personnalité qui s’affirme autant dans le brin d’herbe qu’il dessine que dans un pneu de voiture ou une trogne de personnage.
Je suis un peu comme lui. Je fais tout moi-même. J’ai bien essayé de déléguer. J’ai eu des assistants, un décoriste pendant un an. Ce n’était pas valorisant, ni pour lui, ni pour moi. Je recommençais tout ce qu’il faisait. Lui n’était pas content et moi non plus.

Pour "20 ans après", j’étais tellement coincé par la prépublication dans Le Soir (quotidien belge) qu’à un moment donné, j’ai pris une coloriste. Elle a fait à peu près 10 pages, mais elle n’a fait, en fait, que 10 demi-planches parce que je ne voulais pas lui laisser tout faire. Elle est très bonne et a beaucoup de talent. Mais il n’y a rien à faire, j’ai beaucoup de difficultés à déléguer.

Je trouve que les BD les plus remarquables sont quand même celles qui ont été faites par des créateurs qui y ont mis toute leur sensibilité, toute leur force pour tout dessiner.
Cela dit, il y a eu des mariages intéressants comme Franquin qui avait trouvé Jidéhem qui était un décoriste extra-ordinaire. Il y a eu comme cela d’excellents albums qui ont été réalisés en tandem.
Parfois aussi comme Walthéry, qui est daltonien, et qui ne peut donc pas faire les couleurs et délègue donc cette partie du travail. Il est d’ailleurs persuadé que Natacha est brune… (sic !).

BD Paradisio : Avez-vous de bons contacts avec vos éditeurs en général ? Vous laissent-ils travailler en paix ?

Dany : Je crois que les éditeurs ont plus de problèmes avec moi que moi je n’en ai avec eux.
En fait, je travaille de manière assez désordonnée, je n’ai pas de discipline personnelle. J’attends toujours le dernier moment pour me mettre au travail. Je suis perpétuellement en retard. Je ne travaille pratiquement que dans l’urgence. Je me demande si ce n’est pas quelque chose que je recherche inconsciemment. Parfois, je pourrais m’arranger pour commencer un peu plus tôt… Mais j’aime vivre ainsi, voyager aussi… Je refuse rarement un voyage même si je suis en retard. Alors je m’arrange après. Je vis un peu dans le stress. Il y a trente ans que je fonctionne comme ça et ça ne va pas si mal.
Je fais quand même gaffe parfois parce que ça génère des problèmes comme celui qu’on a connu dans Le Soir où ils ont du interrompre la prépublication parce que je n’ai pas pu suivre.
Il est vrai que si j’avais pris, et j’ai été à deux doigts de le faire, un dessinateur pour m’assister, j’aurais ainsi pu assurer la parution, mais ça n’aurait plus été mon travail.
Donc j’ai préféré interrompre la prépublication. Je reconnais que ce n’est pas très professionnel.

BD Paradisio : Avec quels scénariste rêveriez-vous de travailler ?

Dany : En fait, je suis très content d’avoir travaillé avec Van Hamme…
Sinon, et bien, ils sont morts tous les deux , en fait.
Il y avait Goscinny avec qui j’aurais vraiment aimé faire quelque chose.
L’autre, peut-être davantage encore mais moins connuauprès du grand public, mais qui était pour moi l’un des plus grands, c’était Maurice Tillieux. J’aurais aimé faire Gil Jourdan.
Cette collaboration a d’ailleurs bien failli avoir lieu pour une série d’histoires fantastiques, mais finalement, ça ne s’est pas fait.

Sinon, j’ai des goûts très ecclectiques et j’ai beaucoup d’admiration pour un bon nombre de dessinateurs et scénaristes.
Dans le domaine de l’humour, par exemple, il y a Tronchet que j’adore, et je m’étais dit qu’il pourrait être intéressant de travailler avec lui étant donné que j’ai un style de dessin très éloigné du sien. Je pense qu’il n’a pas ce qu’on appelle le souci du "beau dessin". Par exemple, Gotlib, à l’époque, avait travaillé avec Alexis et ce dernier avait un style de dessin très "classe", très élégant, très éloigné du style de Gotlib. Mais justement, l’humour complètement dégenté de Gotlib avec ce dessin très élégant, c’était vraiment extra-ordinaire.
Sans vouloir me somparer avec Alexis, je me dis que l’humour extrêmement agressif de Tronchet et mon dessin, ça pourrait donner des résultats très amusants.
Bon, il est vrai que nous avons beaucoup de travail chacun de notre côté mais ce sont des mariages auxquels il m’arrive de penser.

BD Paradisio : En dehors des BD que l’on vous connaît actuellement, avez-vous de nouveaux projets d’un style différent ?

Dany : Non. Pour le moment, j’ai déjà beaucoup de choses en route. Il y a "Equator" que j’ai vraiment envie de considérer comme une série et accélérer le rythme de parution à un album par an.
Il y a l’album coquin dont le quatrième numéro devrait sortir en septembre ou octobre prochain. Il y a là aussi un projet avec Bob de Groot, de créer carrément un personnage dans ce style-là.
Et puis, il y a la reprise d’Olivier Rameau, vu qu’il semblerait qu’il y ait une réelle demande du public de reprise de cette série. C’est une série qui me tenait très à coeur et dans laquelle je me sentais très à l’aise.

BD Paradisio : Dernière petite question : Si vous n’aviez pas été dessinateur de BD, quel métier auriez-vous choisi ?

Dany : Hum, bonne question. Je ne sais pas moi, travailler dans une agence de voyage ?

C’est assez difficile. Je crois que beaucoup de dessinateurs pourraient répondre comme moi. En fait, les dessinateurs de BD sont avant tout dessinateur. Ce sont vraiment des gens qui aiment le dessin, qui ont toujours dessiné. Moi, j’ai toujours dessiné. Ma mère d’ailleurs en a gardé pas mal. A 7-8 ans, je faisais déjà des BD. Je copiais des Spirou, et des BD similaires, mais j’inventais aussi des personnages, des bandes dessinées. Je me racontais des histoires avec des cases comme mes lectures favorites qui était la BD. J’ai toujours rêver de faire ça. Mais il n’y avait pas, comme il y a maintenant, après les humanités, des sections de bande dessinée dans les écoles supérieures. Mais, j’avais envie de faire quelque chose qui m’aurait permis de vivre de ce que j’aimais le plus, c’est-à-dire le dessin et j’ai donc choisi la publicité. Mais je n’en ai jamais fait. A la sortie de mes études, il y avait une exposition de travaux d’élèves qui a été vue par Mittéï, et il m’a proposé d’être son assistant. Evidemment, je n’ai pas hésité une seconde.

J’ai cependant été "récupéré" par la pub bien plus tard. Dans les années 80, le langage BD était très prisé par les publicitaires. Nous avons été très courtisés à l’époque par les agences de pub (plus parisienne d’ailleurs que belges) et j’en ai fait assez bien alors. Je n’utilisais pas nécessairement mes personnages. C’était plutôt le graphisme BD qui les attirait. Mais il est arrivé un moment où j’en faisais beaucoup trop. Cela occupait presque 80% de mon temps. Et mon métier, c’était de raconter des histoires et donc j’ai arrêté.
Actuellement, j’en fais encore un peu mais très occasionnellement.

BD Paradisio : Merci beaucoup Dany de nous avoir accordé cette interview. Nous vous souhaitons bonne… pour cet album qui sort le 11 avril prochain, aux éditions Lombard.
Mais honnêtement, nous n’avons pas beaucoup de crainte, l’album est réellement génial.


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