| "Faut-il que nous mourrions ensemble..."
| Le quatrième volet de la saga des Sambre vient de
paraître. Entièrement maître de son art, ayant dompté et
subjugé son public, Yslaire nous livre ici un véritable
chef d'oeuvre.
Chaque case est travaillée avec une minutie proche de
la perfection, telle une peinture, avec ce souci du détail,
tellement proche de la réalité de l'époque, qu'on ne peut
que se laisser envahir par les émotions.... tant celles du
récit que celles du dessin. |
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Que l'on ne s'y trompe pas, Yslaire ne manipule pas l'Histoire tel un apprenti sorcier. Son livre de référence pour
l'époque est "Histoire de la révolution de 1848" de Daniel Stern (Editions Balland). Ce livre est le classique par
excellence pour ces événements.
Daniel Stern est en fait un pseudonyme de Marie d'Agoult, née de Flavigny, à Francfort en 1805, et décédée à
Paris en 1876. Sa destinée est en elle-même un roman. Sa mère descend d'une famille fortunée allemande tandis
que son père est un émigré catholique, fervent de Voltaire. En 1817, elle se marie avec le comte d'Agoult et tient
salon. Les personnalités de l'époque, écrivains romantiques, politiciens, s'y succèdent.
Comment ne pas penser à Olympe de Castelbalac, Guizot et le peintre Valdieu ?
En 1833, la jeune comtesse a une liaison avec Franz Liszt. Elle rompt non sans avoir donné trois enfants au
compositeur ! Désormais, elle se consacre aux lettres et au journalisme. Témoin privilégié de la révolution, elle en
conte les événements avec minutie.
La marche des flambeaux fait partie de son livre, et Yslaire l'utilise avec succès dans Sambre (fin du 4ème
épisode).
Publié de 1850 à 1852, son "Histoire de la révolution" de 1848 est donc une source privilégiée pour tout auteur
traitant de cette période par la suite. Si Marie d'Agoult rappelle Olyme de Castelbalac, celle-ci doit aussi
beaucoup à un autre personnage historique : Alice Osy, une jolie courtisane veuve du peintre Théodore
Chassériau (1819-1859) élève d'Ingres. Courtisée avec assuidité par Victor Hugo, elle lui résiste mais fut
néanmoins l'amante de son fils !
L'Histoire est dans Sambre tout comme Sambre rentre dans l'Histoire.
Il faut souligner le travail de métaphore réalisé par Yslaire dans son oeuvre. Chaque personnage de la saga
sambrienne ne représente-t-il pas une classe sociale précise ?
| Au-delà du drame familial, il y a une dissection
des parties en place face à un événement
majeur. La révolution n'est qu'un filtre
révélateur.
Le peintre Valdieu qui recueille Julie symbolise
le poète assassiné par la République, une sorte
de Lamartine artiste qui s'accroche à la
révolution précédente, celle de 1830.
Bernard Sambre est à lui tout seule la
Province Française qui ne comprend pas ce
qui se passe à Paris, tandis que Julie incarne le
Peuple au premier degré : les pauvres
opprimés par le pouvoir et la bourgeoisie de
l'époque. |
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Rodolphe, l'étudiant, Guizot l'opportuniste politique et carriériste, Olympe liberté déchue... autant de figures qui
hantent les pages de Sambre.
Et Sarah ? La soeur de Bernard perdue dans une folie isolée semble à l'écart de tout cela. Et pour cause. Dans
Sambre, toutes les folies sont répertoriées, précise Bernard Yslaire. C'est le résultat de son intérêt pour la
psychanalyse. Le fait de débuter la série par le meurtre d'une mère est bien oedipien.
| Bernard et Julie sont des amants maudits qui paraissent rejoindre
la grande Histoire.
En fait, c'est la psychanalyse qui mène le jeu. Il est vrai que
l'auteur ne fait pas de cadeaux à ses personnages.
Parmi les psychotiques du récit, pointons le vicaire, ami jaloux
d'Hugo Sambre, dont on devine la violence et le désir
paranoïaque de souffrance.
Le policier Guizot n'a rien à lui envier bien que ses tares soient
autres. Personnage faussement falot au début de la saga, il prend
une importance considérable par la suite, devenant le manipulateur
des rejetons Sambre, mû en cela par un désir de vengeance
mélangé à celui de pouvoir. Il n'en est pas moins inquiétant. |
"Les psy adorent Sambre" dit avec humour Yslaire, "ils y retrouvent le
catalogue des névroses, et bien des psychoses actuelles".
Si le vicaire est un psychotique pervers frappé de délire paranoïaque,
Sarah est un modèle de paranoïaque aux limites de la schizophrénie.
L'hystérie frappe aussi bien la malheureuse Julie que la mère Sambre.
Voilà quelques clefs pour mieux saisir les personnages du drame.
Si, à l'époque de Sambre, la psychologie n'existait pas en tant que telle
(elle ne débute qu'en 1898 avec les premières recherches de Freud),
le XIXème siècle est propice aux développements de nouvelles
disciplines.
Auguste Comte ou Darwin lancent de nouvelles voies. C'est aussi la
porte ouverte à des délires mystiques et autres idées cinglantes qui
annoncent les théories raciales du siècle suivant.
Hugo Sambre fait partie de ses personnages enfiévrés qui développent
des théories nouvellesdans son livre inachevé "La Guerre des Yeux". |
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La révolution de 1848 - L'Europe en ébullition
Le XIXème siècle est souvent appelé le siècle des révolutions.
C'est cependant au XVIIIème siècle, en 1789, que la
Révolution française voit la fin de l'Ancien Régime, puis une
suite d'événements politiques qui font évoluer la France
royaliste jusqu'au premier empire napoléonien. Car la
Révolution engendre la Terreur, le Directoire, le Consulat et
l'Empire.
L'époque napoléonienne laisse la France exsangue. L'Europe
également.
Les nationalismes sont de mise dans bien des contrées
européennes. Les monarchies constitutionnelles se mettent en
place, faisant peu à peu oublier les monarchies de droit divin.
Les révolutions enflamment bien des pays. Bref, cette époque
du début du XIXème siècle est au remodelage européen, aux
changements sociaux, à la découverte de nouvelles techniques
marquées par une autre révolution : la révolution industrielle. |
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| Du 22 au 28 février 1848, la troisième
révolution française bat son plein.
Rapide, sanglante et efficace. Elle
installe la Seconde République et
chasse définitivement les rois. Elle sera
de courte durée, suite au coup d'Etat du
2 décembre 1851 marquant
l'avènement de Napoléon III qui se fera
proclamer empereur. |
La défaite de 1870 lui sera fatale. S'ensuivront la
Commune et le retour à la République. La défaite de
1870 lui sera fatale. S'ensuivront la Commune et le
retour à la République. La France change donc de
régime tous les vingt ans ! C'est dire les tensions
sociales, l'oeuvre des sociétés secrètes qui veulent le
changement à tout prix. Car la violence est dans la rue,
sur les barricades, près des fabriques et des mines.
L'idée du socialisme est en germe. Après la lutte entre
noblesse, clergé et bourgeoisie, la lutte des classes
pointe son nez. 1848 est l'année de bien des confusions.
Certains mènent une lutte nostalgique contre une
royauté déjà abolie tandis que d'autres sont à la pointe
du combat social. |
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L'enjeu, c'est la liberté.
Mais laquelle ? Celle de 1830, celle de 48, une autre peut-être, propre à chacun ?
Chacun des personnage de Sambre incarne à sa manière une idée différente, une "certaine idée" de la liberté.
Celle-ci se teinte de romantisme car c'est le mouvement artistique en vogue ayant des acteurs qui ne dédaignent
pas la politique. Lamartine en est la figure de proue.
Oeuvre romantique, Sambre est aussi une oeuvre
actuelle. Et de demander à son auteur si lidée de la
révolution de 1848, moment fort au cours duquel
l'action se passe, a la même résonnance aujourd'hui.
Pour lui, il faut faire un parallèle entre les événements de
Mai 68 et la révolution de 1848.
Selon l'astrologie chinoise, elles s'inscrivent toutes les
deux dans l'année du Singe. Une des caractéristiques de
celle-ci est l'importance donnée à la communication : on
discute beaucoup, on tergiverse à l'envie.
En 1848, tout passe par les discours...
Mais à 120 années de distance, ceux-ci changent.
En 1968, ce sont en effet les slogans qui prennent le
relais, des phrases courtes, percutantes, pour marquer
les esprits et les manifestants : "sous les pavés, la
plage...". |
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Et au delà du discours, qu'en est-il du pouvoir ?
L'analogie entre 48 et 68, c'est le doute du pouvoir public. Au siècle passé, le roi Louis-Philippe chancelle ; en
68, le général De Gaulle part à Baden-Baden voir Massu.... le doute est en lui mais il se reprend. On peut parler
de symbolique pour ces années-là.
| La révolution de 48 est le point culminant du
romantisme. Ses idoles sont en place tandis que la
légende de Napoléon Ier se forge dans les consciences.
C'est aussi l'époque où les arts connaissent une
évolution décisive. Le réalisme révolutionnaire de
Delacroix "La mort de Marat" rompait avec quelques
siècles de peintures religieuses et de portraits officiels.
Désormais, les artistes vont faire évoluer la peinture vers
un naturalisme qui mènera bien plus tard à de nouvelles
ruptures et à l'impressionnisme. |
Mais la liberté n'est pas facile à cerner, à décrire ou à peindre. Olympe par Delacroix, Julie par Valdieu : quelques
références loin d'être innocentes.
"La liberté menant le peuple" de Delacroix, est la référence plastique.
Dans Sambre, la peinture est également un fil conducteur.
Si Valdieu ne parvient pas à peindre "sa" liberté, qui le fera ?
Julie est plus qu'un modèle, elle est le peuple ; elle devrait être la liberté de Bernard... si celui-ci rompait avec son
provincialisme aveugle.
Copyright Glénat 1997 et extraits Revue Vécu, Glénat 1997.
Voir aussi l' exposition de croquis et dessins inédits d'Yslaire sur BD Paradisio.
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