Life is'nt comics, babe !
( La vie n'est pas une bande dessinée, bébé!)

La minute de Killiann (février 1998)

(à imprimer et à lire dans le tramway en rentrant du boulot...)

N'avez-vous pas déjà ressenti la désagréable impression d'être soudain devenu un extraterrestre ?
Que le tout monde vous parle une langue incompréhensible, que la bêtise est là, concrète et bien présente, qu'elle vous couvre de son long manteau tissé d'âneries...

Non ?! Ça ne vous est jamais arrivé! Ben voyons... Vous n'allez pas essayer de me faire gober une pareille couleuvre...

OK! Trêve de plaisanteries oiseuses, vous allez très vite comprendre où je veux en venir...
Je vous plante le décor...

Vous vous êtes confortablement installé dans votre fauteuil favori pour passer une soirée peinarde devant la télé. Et lors d'un journal télévisé quelconque, d'une émission pseudo culturelle ou de la simple présentation du film à venir, ... le journaliste dans son costume de pingouin, le cou étranglé par une horrible cravate à rayures, ou le présentateur vedette au sourire "pepsodent" dont la carrière ne tient qu'au fil de sa première carie, ou même, la potiche enfarinée de service qui assure l'audimat de la chaîne, voilà tout ce petit beau monde qui vous sert, avec l'assurance d'une bonne conscience, l'expression :

- Le dernier film de Trucmuche, c'est de la Bande Dessinée ! -

Alors là... La soirée qui devait s'annoncer comme idyllique se transforme en cauchemar glauque...
Alors là, tout seul dans le noir, votre pauvre sang, déjà bien éreinté par l'actualité sinistrose du moment, ne fait plus qu'un tour... Et, impuissant dans vos veines malmenées, il bout douloureusement de rage...
Enfin, quand je dis votre sang, on se comprend... Je ne sais pas pour votre précieuse hémoglobine, mais en tout cas la mienne, oui !

La vôtre a peut-être la merveilleuse chance de s'être enrobé d'une graisseuse carapace d'indifférence, peut-être êtes-vous tout à fait lobotomisé, ou même, cette bête affirmation vous semble des plus normales et n'évoque vraiment rien pour vous (en quel cas... au revoir et au mois prochain!)

Mais, que veulent donc bien vouloir signifier ces cinq malheureux mots " c'est de la BD" ?
Cette formule lapidaire, sans grand sens, a dans la bouche de ceux qui s'en servent sans le moindre discernement, un fort relent péjoratif.

Tout d'abord, par cette seule et unique petite phrase, constatons qu'ils avouent (à leurs corps défendants, bien sûr), leur plus totale méconnaissance du genre (et, par la même occasion, leur pitoyable inculture vis à vis du cinéma et aussi de la rhétorique la plus élémentaire, puisque ces tristes sires ne sont pas à même d'expliciter plus en avant leur pensée vacillante)

Cette affirmation, que personne ne prend la peine de relever, semble nous résumer l'ensemble du 9ème art à un stéréotype étrange et dérangeant.

Comme si par magie (Abracadabra ! Pas vu, pas pris...), il n'existait qu'une et une seule façon de faire de la bande dessinée (la belle affaire...). Comme si elles étaient toutes, par définition, interchangeables et qu'il n'existait aucune de différence entre le travail d'un Pratt, d'un Franquin, d'un Schuiten, d'un Tibet, d'un Bilal, d'un Hergé (et tutti quanti...)

Ce truc c'est que de la BD !Comme si tous les thèmes abordés par la BD n'étaient juste en fait qu'un seul monolithe et ne cultivaient que l'Aventure la plus débridée et son lot d'invraisemblances propre au genre.
Et surtout, comme si l'art graphique dans son entièreté, une de ses premières qualités intrinsèques, lui était d'entrée dénié.

Que cela leur plaise ou non, la Bande Dessinée est un art à part entière, au même titre que les huit autres, avec ses courants et ses écoles, ses artistes et ses tacherons, ses chefs d'oeuvres et ses horreurs, ses erreurs(nombreuses) et ses réussites(indéniables)...

" Ce truc, c'est une vraie bande dessinée..." Voilà, tout est dit, ils ont tout compris... Foutaises!!!
Cette sinistre expression doit découler, à mon sens, de la mauvaise presse dont jouissait la Bande Dessinée au sortir des années cinquante.

A cette époque, pourtant si riche de classiques, le lecteur adulte de "p'tits mickeys" se voyait taxé de sobriquet d'analphabète, voire de simple d'esprit.( Il devait en avoir, je vous l'accorde,...mais, s'il vous plaît, laissez-moi, au moins, penser que ça ne concernait pas la grande majorité de son public...)

Aux yeux d'une intelligentsia suffisante et passéiste, qui s'arrogeait seul le droit de définir les contours sacrés de la Culture (avec un grand "C", SVP), rien de positif ne pouvait jaillir de ces illustrés remplis, page après page, d'inepties... (Hum! Période difficile... à rapprocher de l'Inquisition...)

Heureusement, Mai 68 et les années 70 se sont chargés d'ébranler leurs convictions totalitaires et s'il reste, parmi eux, quelques crétins irréductibles et irréparables, leurs voix se sont faites murmures, voire même aphones, pour ne plus passer pour ces dinosaures poussiéreux, et surnuméraires, relégués, faute de place, dans les réserves des musées.( Curiosité : j'en connais encore qui clame, haut et fort, leur appartenance à ce courant de pensées iconoclastes, j'peux même citer les noms... mais, sincèrement à quoi bon leur faire tant d'honneur, ils ne font plus que des tempêtes dans leurs propres verres d'eau et passent pour des Charlots aux yeux du monde...)

Or, s'il se fait que les voix les plus discordantes se sont enfin tues, d'autres, à peine plus malignes, ont enfoncé la porte restée grande ouverte et se sont rués dans la brèche pour s'emparer sans réfléchir de leurs phraséologies ridicules.

Dire d'un film que c'est de la BD, équivaut tout bonnement à faire du vent avec l'organe qui sert de bouche. Ca ne veut strictement rien dire... un peu comme si on affirmait avec un grand sourire, vous savez tel film : c'est de la Musique, de la Sculpture... Quelle musique, quelle sculpture, ...quelle BD ?

Peut-on véritablement comparer un art par un autre...
Cette pomme, mon bon monsieur, c'est un ananas !... Si si, je vous l'assure! (vous riez... mes chers amis, mais il est bien connu que les médias aiment faire passer les vessies pour des lanternes! ... et ils n'en sont pas à une près... )

En fin de compte, ce qui nous intéresse vraiment est le fait de savoir si le film est bon ou au contraire est le pire des nanars ?... Ah! vaste programme...

Vu le contenu hautement péjoratif de l'expression employée, on doit pouvoir penser se trouver face un navet navrant. Mais, en réalité, en est-on vraiment sûr ?...

Dans ce cas, la logique voudrait qu'il ne soit trop pas difficile d'admettre que celui qui emploie, à tort et à travers, une définition aussi creuse, ne peut avoir qu'un jugement fortement sujet à caution.
Et alors me direz-vous... C'est assez simple : Il me semble que quand on a si peu de choses à dire, Messieurs, Mesdames, surtout... on la ferme!...

Ah oui! C'est un fait que ça ne fera pas reculer la bêtise dont on nous abreuve jour après jour (loin de là!), mais au moins, quelque part, sur notre paysage audiovisuel, il y aura une connerie de moins qui transitera par les ondes! (Et accessoirement, j'aurai le plaisir de passer une bonne soirée...)

A bon entendeur... Salut!




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