La minute de Killiann. (décembre 1997)
![]() | ![]() Voilà que de bande dessinée d'aventures pures au héros souverain et agissant, nous nous retrouvons actuellement face à un personnage cloisonné dans un rôle de spectateur et devenant subitement plus réaliste et par la force des choses, plus humain... Le ton général avait déjà été donné par l'album précédent qui offrait la
particularité de se dérouler pendant une interminable partie de poker qui
s'étendait sur les 48 pages et qui se terminait par l'agression subite du
héros titre... Blueberry mort ? La belle affaire! Personne n'avait été vraiment dupe! Tout d'abord, il est des plus rares que l'on assassine une poule aux oeufs d'or, ensuite, plus réalistes, les amateurs de cette saga se sont sans nulle doute remémoré la biographie de Blueberry offerte en préface à l'album " Ballade pour un cercueil"... Biographie rédigée à l'époque par J-M Charlier qui dresse un panorama complet de la vie du personnage et qui affirme à qui veut bien l'entendre que celui-ci décédera dans son lit pendant la Prohibition. Donc, le suspense ouvert par l'ultime planche de Mister Blueberry n'était en fait qu'un secret de polichinelle, et le dit suspense se voit refermé avec l'album... La suite est dés lors évidente, Blueberry n'est donc pas plus mort que vous ou moi, sévèrement touché il est vrai et il doit rester alité...(on le serait à moins!) Blueberry est déprimé et en proie au doute. Il est désormais un héros fatigué prenant conscience de la fragilité de l'existence. Un homme blessé reposant dans le creux de la vague, éprouvant le besoin de confier un évènement de sa vie à un Pied tendre, écrivaillon de surcroit. Les acteurs de ces deux épisodes, au grand dam des fans amateurs d'actions avec un A majuscule, seront pour Jean Giraud n'est pas Charlier... Fallait-il vraiment le préciser ? Personne n'est Charlier. Il suffit de jeter un regard tristounet sur les avatars éthérés voire même indigestes que l'on nous sert depuis sa disparition survenue en 1989. Tout comme dans le cas de Goscinny, nous ne pouvons que constater la dénaturation inévitable des séries survivant au décès d'un scénariste de grande personnalité. Il est vain de croire que les univers scénaristiques sont interchangeables. Prendre au débotté les commandes d'une série tout en gardant l'esprit d'origine et en conservant la marque de fabrique qui a fait sa renommée, s'avère un exercice des plus difficiles dont il résulte généralement un affadissement.(sans oublier que tout un chacun attend l'iconoclaste présumé au tournant. La nostalgie alliée à un puissant chauvinisme envers le Père fondateur sont des sentiments profondément ancrés chez les bédéphiles...) Mais dans le chef de Blueberry, la donne est à mon sens tout autre... Car si Giraud n'est pas Charlier, il n'en reste pas moins Giraud.(et ce n'est pas le premier venu...) Et dans Giraud, tel la seconde face d'une médaille, se cache son double Moebius... (quoi qu'on en pense, c'est loin de constituer une tare!) Plagier, imiter le style de Charlier aurait été certes désastreux mais par contre présenter une autre vision du personnage peut s'avérer fort heureux. Surtout si on prend en compte que depuis "la Mine de l'Allemand perdu"(1972), le sieur Giraud intervenait régulièrement au stade de l'écriture des scenarii. S'il est ardu de faire la part de son apport dans les albums postérieurs à " la Mine", force est de reconnaître que ceux-ci constituent la quintessence de la série. De plus, Giraud possède sur le bout des doigts l'Univers de Blueberry, le contraire serait malheureux après les 35 années passées à illustrer les tribulations du célèbre lieutenant. Et pour couronner le tout, Giraud est de ces auteurs à forte personnalité qui savent trousser une histoire(ce qui ne gâche rien, vous en conviendrez avec moi!). Dés lors les puristes aurait bien tort de bouder leur plaisir... Et rappelons également que comme tout bon serial qui se respecte, Blueberry n'échappe pas à la règle : les albums gagnent toujours à être lu groupés! Il ne faut donc surtout pas hésiter à relire le début du cycle avant d'aborder le nouvel épisode... Par contre, Le dessin de Ombre sur Tombstone semble au premier abord, étrange et parfois un peu déroutant. Si
"Mister Blueberry" était dans l'ensemble du plus pur Giraud, on est face ici à un dessinateur plus hybride, oscillant
constamment entre une inspiration plus libre de type Moebius, et la précision du trait chère à Giraud.
D'accord, la phraséologie propre à Charlier nous manque, son humour parfois tarte à la crème aussi... (heureusement qu'il nous reste plein et plein d'albums de sa main pour se consoler. Le deuil n'est pas constructif, il faut aller de l'avant, que diable!) Mais avouons que Blueberry y a gagné en profondeur. Il déprime. Il prend subitement conscience de sa mortalité. En un mot comme en cent, il s'écarte des archétypes immuables et étriqués. Il évolue et devient un héros s'incluant parfaitement dans la conception amorcée par la production BD des années 90. Et bien que le personnage ne vieillisse, une nouvelle jeunesse s'ouvre à lui. (le prochain album devrait sortir au alentours de l'an 2000...) Nous ne pouvons que lui souhaiter encore une longue vie jusqu'à la prohibition, il en reste des histoires à nous raconter!) et gageons qu'il nous réserve encore bien des surprises! Pour en savoir plus et pour briller en société... :
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