Gilles Ratier, secrétaire général de l'ACBD (Association des Journalistes et Critiques de Bandes Dessinées)
publie son rapport annuel : étude d'une année de bande dessinée sur le territoire
francophone européen.
2005 a été l'année de la "Mangalisation" :
- "Mangalisation" de la production : sur les 2.701 nouveautés BD
de 2005, 1.142 titres sont des mangas ou manwhas (BD asiatiques). Au total,
avec les rééditions, les livres d'illustrations et les essais sur la BD,
3.600 livres appartenant au monde de la BD ont été publiés sur le territoire
francophone européen
- "Mangalisation" de l'édition : 203 éditeurs (ils étaient
207 en 2004) ont publié des BD en 2005 ; plus de 70% des albums ont été
édités par seulement 17 d'entre eux et ils sont 25 à avoir publié des BD
asiatiques (ils étaient 22 l'an passé).
- "Mangalisation" des grosses ventes : même si le nouveau "Astérix"
(mis en place à 3 178 000 exemplaires) et 77 séries bénéficient d'énormes
tirages, les mangas se placent régulièrement parmi les meilleures ventes,
tel "Naruto" dont 6 tomes (tirés entre 70 et 110 000 exemplaires chacun)
sont parus en 2005.
- "Mangalisation" des métiers de la BD : de plus en plus de dessinateurs
ou de scénaristes (ils sont 1322 à vivre de leur métier sur le territoire
francophone européen) s'inspirent des codes graphiques et narratifs des
mangas.
- "Mangalisation" de la culture BD : la respectabilité du 9ème art
n'est en aucun cas diminuée par l'arrivée des mangas, lesquels ont gagné
leurs lettres de noblesse.
- "Mangalisation" des médias : de plus en plus de revues et de sites
Internet sont consacrés à la BD asiatique et tous les relais d'opinion se
sont entichés des mangas.
* "Mangalisation" de la production
: sur les 2.701 nouveautés BD de 2005, 1.142 titres
sont des mangas ou manwhas (BD asiatiques). Au total, si on rajoute les
rééditions, les livres d'illustrations et les essais sur la BD, 3.600
livres appartenant au monde de la BD ont été publiés sur le territoire
francophone européen.
Le phénomène n'est pas nouveau mais il n'a jamais pris autant d'ampleur
que cette année. Parmi les 2.701 nouveautés BD parues en 2005 (2120 l'an
dernier), 1.142 BD asiatiques ont envahi les librairies francophones et
représentent 42,28% du secteur. En 1994, seulement 19 mangas étaient traduits
sur le territoire francophone européen, en 2000 il y en avait 227, puis
269 en 2001, 377 en 2002, 521 en 2003 et 754 en 2004, soit une augmentation,
pour cette année, de 388 titres (contre 233 et 35,56%, l'an passé). Aujourd'hui,
1 enfant sur 2 (entre 9 et 13 ans) lit des mangas et la France est le
2ème marché mondial du genre après le Japon, même si l'avènement du manga
aux USA risque de changer la donne.
Plus généralement, c'est toute la BD (expression culturelle très segmentée)
qui augmente sa production, continuant à bénéficier d'une grande diversification
de son lectorat et d'un profond renouvellement de la création. Cependant,
cette inflation de titres diminue la visibilité de 6 livres sur 10.
Parmi les 2.701 nouveautés BD, outre la forte poussée des BD asiatiques
et des 207 BD américaines publiées en 2005 (soit 7,66% de la production
pour 7,68 l'an passé), il faut signaler la hausse du nombre de titres
publiés par les éditeurs traditionnels et même par les labels indépendants
ou alternatifs, lesquels privilégient les expériences graphiques ou narratives.
877 albums (soit 32,46% du secteur, contre 39,90% en 2004) ont été publiés
par les "grands éditeurs" (846 l'an passé) et on peut les répartir en
5 catégories :
- Humour avec 244 titres contre 230 en 2004 (soit 27,82%
contre 27,18% l'an passé)
- Imaginaire fantastique avec 225 titres contre 220 en 2004
(soit 25,65% contre 26% en 2004)
- Policier avec 167 titres contre 185 en 2004 (soit 19,04%
contre 21,86% l'an passé)
- Historique avec 166 titres contre 136 en 2004 (soit 18,92%
contre 16,07% en 2004)
- BD pour les tout petits avec 65 titres contre 75 en 2004
(soit 7,41% contre 8,86% en 2004).
Quant aux indépendants, ils ont publié 475 livres (357 l'an passé), soit
17,58% des nouveautés (16,83% en 2004) : mais ils sont, de plus en plus,
noyés dans la masse.
A ces 2.701 nouveaux albums jamais édités sous cette forme jusqu'à aujourd'hui
(soit 75,02% de la production BD annuelle, contre 69,05% en 2004), il
faut rajouter :
- 552 rééditions sous une nouvelle présentation ou éditions
revues et augmentées, soit 15,33% (contre 610, soit 19,86% de la production
en 2004
- 258 recueils d'illustrations ou de dessins d'humour, soit
7,16% (contre 254, soit 8,27% de la production en 2004) réalisés par des
auteurs de BD
- 89 (2,47%) ouvrages sur la BD (contre 86, soit 2,8% de
la production en 2004).
Nous arrivons ainsi à un total de 3.600 livres appartenant au monde
de la BD (contre 3070 l'an dernier) : soit une augmentation de 530
titres (contre 544 l'an dernier) et de 14,7% (17,7% en 2004).
Ce chiffre est en augmentation pour la 10ème année consécutive. En comparaison,
50.000 livres ont été publiés cette année ; la BD représente donc 7,2%
(contre 6,14% l'an passé) des livres édités sur le territoire francophone
européen et un peu plus de 6,5% du chiffre d'affaires de l'édition. Contrairement
à l'industrie du disque qui préfère produire moins mais "cartonner", celle
du livre a choisi la diversité de sa production et la BD montre l'exemple.
* "Mangalisation" de
l'édition : 203 éditeurs (ils étaient 207 en 2004) ont publié
des BD en 2005 ; plus de 70% des albums ont été édités par seulement 17
d'entre eux et ils sont 25 à avoir publié des BD asiatiques (ils étaient
22 l'an passé). Si la profusion des mangas est l'un des principaux facteurs
d'augmentation de la production BD, c'est toujours le cercle très fermé
des principaux éditeurs qui produit le plus. D'autant plus que ces maisons
d'édition possèdent tous des labels "manga", acheteurs de licences.
Cela donne en 2005 :
Editeurs |
Production BD 2005 |
Production BD 2004 |
Groupe Média
Participations |
417 titres (soit 11,58% de la production BD) |
363 titres (soit 11,82%) |
contrôle 40% du marché de la BD francophone |
Dargaud
|
114 titres
|
117
|
Kana
|
117 titres
|
85
|
Le Lombard
|
54 titres
|
49
|
Dupuis
|
122 titres
|
98
|
Delcourt |
363 titres (soit 10,08%) |
244 titres (soit 11,7%) |
rachat récent de Tonkam et ses propres
mangas sous le label Akata |
Delcourt
|
145 titres
|
145
|
Delcourt Jeunesse
|
25 titres
|
30
|
Delcourt Akata
|
81 titres
|
69
|
Delcourt Tonkam
|
112 titres
|
|
Groupe Glénat |
314 titres (soit 8,72%) |
287 titres (soit 9,34%) |
Glénat Mangas relégué à la 2ème place
des éditeurs de BD asiatiques, alors qu'il en a été longtemps le 1er |
Glénat
|
121 titres
|
124
|
Glénat Mangas
|
112 titres
|
91
|
Vents d'Ouest
|
70 titres
|
67
|
Caravelle
|
4 titres
|
5
|
Paris-Bruxelles
|
7 titres
|
|
Groupe Flammarion |
265 titres (soit 7,36%) |
238 titres (soit 7,75%) |
Casterman
|
126 titres
|
140
|
Sakka
|
25 titres
|
|
Audie (Fluide Glacial)
|
33 titres
|
38
|
Jungle
|
20 titres
|
|
J'ai Lu
|
49 titres
|
40
|
Librio
|
5 titres
|
7
|
Groupe Soleil |
257 titres (soit 7,13%) |
207 titres (soit 6,74%) |
avec Soleil Manga, Gochawon consacré
aux manwhas, et la résurrection du label Futuropolis détenu à 50%
avec Gallimard |
Soleil
|
195 titres
|
|
Futuropolis
|
6 titres
|
|
Gochawon
|
11 titres
|
|
Soleil Manga
|
45 titres
|
|
SEEBD |
233 titres (soit 6,47%) |
158 titres (soit 5,14%) |
Akiko, Saphira, Kabuto et Tokébi
|
|
|
Panini |
177 titres (soit 4,91%) |
137 titres (soit 4,46%) |
Génération Comics
|
109 mangas
|
|
Marvel France
|
61 comics
|
|
Pika |
120 titres (soit 3,33%) |
72 titres (soit 2,34%) |
cet éditeur est à la 3ème place sur
le marché des mangas et innove en lançant une série documentaire pour
les plus jeunes |
Groupe Tournon |
78 titres (soit 2,16%) |
96 titres (soit 3,12%) |
Semic
|
28 titres
|
67
|
Carabas
|
40 titres
|
29
|
Kami
|
10 titres
|
|
Humanoïdes
Associés |
69 titres (soit 1,91%) |
72 titres (soit 2,34%) |
Asuka |
64 mangas (soit 1,77%) |
30 titres (soit 0,97%) |
Albin Michel
BD |
60 titres (soit 1,66%) |
62 titres (soit 2,01%) |
Groupe Bayard |
71 titres (soit 2,31%) |
29 titres (soit 1,15%) |
Bayard
|
50 titres
|
|
Milan
|
7 titres
|
|
Treize Etrange
|
13 titres
|
|
Albin Michel
BD |
60 titres (soit 1,66%) |
62 titres (soit 2,01%) |
Paquet |
53 titres (soit 1,47%) |
38 titres (soit 1,23%) |
Groupe La
Martinière |
52 titres (soit 1,44%)
|
55 titres (soit 1,79%) |
EP Editions
|
29 titres
|
33
|
Le Seuil
|
17 titres
|
17
|
Petit à Petit
|
5 titres
|
4
|
Bamboo |
51 titres (soit 1,41%) |
40 titres (soit 1,3%) |
Taïfu (ex
Punch Comics) |
48 mangas (soit 1,33%) |
4 (soit 0,13%) |
Groupe Bayard |
46 titres (soit 1,27%) |
71 titres (soit 2,31%) |
leader de la BD jeunesse |
|
|
Bayard
|
24 titres
|
|
Milan
|
9 titres
|
|
Treize Etrange
|
13 titres
|
|
Ces 17 prolifiques éditeurs, ténors du marché (ils étaient 23 l'an passé),
réalisent, à eux seuls, plus des 2/3 des activités de la BD et ont publié
plus de 70% de la production en titres, ce qui laisse peu de marge de
manoeuvre aux encore nombreux labels indépendants (Akileos, L'Association,
Assor BD, Atrabile, La Boîte à Bulles, La Cafetière, Charrette, Clair
de lune, Cornélius, Le Cycliste, Dynamite, FLBLB, FRMK, Grafouniages,
Groinge, Hibou anciennement Loup, Joker, JYB Aventures, Mégalithes, Mosquito,
Niffle, Nocturne, PLG, Rackham, Les Requins Marteaux, Six pieds sous terre,
Tartamudo, Theloma, Triomphe, USA…, ou encore Cornélius, Ego comme X,
Le Lézard noir et Vertige Graphic qui publient quelques mangas alternatifs)
et aux nouveaux venus : Jouve, Cà et là, Cycliques, Des ronds dans l'O,
Kymera, Pif Editions, Toth, Warum, Wetta ou encore Actes Sud (qui a pris
50% du capital de L'An 2), Hoëbeke, Grasset, M6, Hachette Littératures
ou Kurokawa (label manga d'Univers Poche, filiale d'Editis), éditeurs
généralistes pourtant bien armés sur le plan diffusion et distribution.
* "Mangalisation" des grosses ventes
: même si le nouveau "Astérix" (mis en place à 3.178.000 exemplaires)
et 77 séries bénéficient d'énormes tirages, les mangas se placent régulièrement
parmi les meilleures ventes, tel "Naruto" dont 6 tomes (tirés entre 70
et 110 000 exemplaires chacun) sont parus en 2005. Alors que le tirage
moyen baisse toujours et que le taux des retours augmente, la BD reste
à l'origine des plus gros succès de l'édition francophone, tous genres
confondus. Jamais un livre n'aura été tiré à autant d'exemplaires que
le nouveau "Astérix" d'Albert Uderzo (3 178 000 exemplaires, dont 2 400
000 vendus, soit 75% du tirage initial, en à peine deux mois) !
D'après les chiffres de tirages communiqués par les éditeurs, il y a
même eu 77 autres locomotives alors qu'elles n'étaient que 69 en 2004
et 59 en 2003 !
hors-série "Titeuf"
de Zep ("Petite poésie des saisons" |
600.000 ex |
"Le petit Spirou"
de Tome et Janry |
600.000 ex |
"XIII" de Van
Hamme et Vance |
500.000 ex. |
"Largo Winch"
de Van Hamme et Francq |
500.000 ex. |
"Kid Paddle"
de Midam |
400.000 ex. |
"Cédric" par
Cauvin et Laudec |
400.000 ex. |
"Boule et Bill"
de Verron (d'après Roba) |
380.000 ex. |
"Le Chat" de
Geluck |
375.000 ex. |
"Lanfeust des
étoiles" d'Arleston et Tarquin |
300.000 ex. |
"Spirou" de Morvan
et Munuera |
215.000 ex. |
2 titres des
"Tuniques bleues" de Cauvin et Lambil |
200.000 ex (chacun) |
2 titres des
"Profs" d'Erroc et Pica |
180.000 ex (chacun) |
"Le cycle de
Cyann" de Bourgeon |
180.000 ex |
"Trolls de Troy"
d'Arleston et Mourier |
180.000 ex |
"Blacksad" de
Canales et Guarnido |
180.000 ex |
"Blueberry" de
Giraud |
170.000 ex |
"Les Schtroumpfs"
du studio Peyo |
150.000 ex |
"Yoko Tsuno"
de Leloup |
150.000 ex |
2 collectifs
"MégaTchô" |
150.000 ex |
"Tom-Tom et Nana"
de Guibert et Desprès |
140.000 ex |
"Le petit bleu
de la côte ouest" de Tardi |
130.000 ex |
"Le Scorpion"
de Desberg et Marini |
130.000 ex |
"L'élève Ducobu"
de Zidrou et Godi |
130.000 ex |
"Bételgeuse"
de Léo |
125.000 ex |
"Les conquérants
de Troy" d'Arleston et Tota |
120.000 ex |
"Sillage" de
Morvan et Buchet |
120.000 ex |
"Alix" de Martin
et Morales |
120.000 ex |
"Les aventures
de Bigard" de Clech et Bigard |
120.000 ex |
"Marsupilami"
de Dugomier et Batem |
110.000 ex |
"L'Epervier"
de Pellerin |
110.000 ex |
"Zidane" de Pierret
et Venanzi |
100.000 ex |
"Caméra Café"
de Le Bolloc'h Van Linthout, Didgé et Stibane |
100.000 ex |
"Le vol du corbeau"
de Gibrat |
100.000 ex |
"I.N.R.I." de
Convard, Falque et Wachs |
100.000 ex |
"Le chant des
Stryges" de Corbeyran et Guérineau |
100.000 ex |
"Golden City"
de Pecqueur et Malfin |
100.000 ex |
"Les blagues
de Toto" de Coppée |
100.000 ex |
"Léonard" de
Bob de Groot et Turk |
100.000 ex |
"Lady S." de
Van Hamme et Aymond |
100.000 ex |
"Le chat du rabbin"
de Sfar |
100.000 ex |
2 titres du "Donjon
de Naheulbeuk" de Lang et Poinsot |
100.000 ex |
Si les mangas sont tirés à moins d'exemplaires, les nouveaux tomes des
séries se succèdent dans des délais très rapprochés. Ainsi, sont parus
en 2005 :
6 recueils de
"Naruto" |
tirés chacun entre 70.000 et 110.000 ex. |
2 de "Gunnm Last
Order" |
70.000 ex par tome |
6 de "Yu-Gi-Oh
!" |
60.000 ex par tome |
3 de "Fruits
Basket" |
60.000 ex par tome |
3 de "Fullmetal
Alchemist" |
60.000 ex par tome |
6 de "Shaman
King" |
55.000 ex par tome |
6 de "Samouraï
deeper Kyo" |
50.000 ex par tome |
2 de "Hunter
x Hunter" |
50.000 ex par tome |
5 de "One Piece" |
50.000 ex par tome |
2 de "Nana" |
40.000 ex par tome |
5 de "Saint Seiya" |
40.000 ex par tome |
5 de "Tsubasa" |
40.000 ex par tome |
2 de "Negima
!" |
40.000 ex par tome |
4 de "Rave" |
35.000 ex par tome |
6 de "Angel Heart" |
30.000 ex par tome |
1 de "Monster" |
30.000 ex par tome |
5 de "XXX Holic" |
30.000 ex par tome |
"Step up Love
Story" |
30.000 ex par tome |
des séries qui concentrent plus de 40% des ventes de mangas. Par contre,
parmi les manwhas, seuls "Chonchu" et "Yureka" atteignent les 20.000 ex.,
pour le moment !
Bien sûr, ce ne sont que des chiffres de tirage ; mais ils ne sont
guère éloignés de ceux des ventes réelles, lesquels seront connus
dans les premiers mois de 2006. Cependant, l'écart se creuse, de plus
en plus, entre gros tirages et peloton des ventes moyennes (situées, désormais,
bien en dessous des 10.000 exemplaires). Si ce sont les indépendants qui
souffrent le plus (2005 est même, pour la plupart d'entre eux, une bien
mauvaise année), les grands éditeurs sortent leurs épingles du jeu en
multipliant de grosses mises en place et en donnant toute liberté aux
diffuseurs. Même si les éditeurs multiplient les rééditions (39 d'entre
elles sont des mangas) sous forme d'intégrales (209 titres pour 189 en
2004), d'éditions "new-look" (228 titres pour 223 en 2004) ou de tirages
de luxe (75 titres pour 70 en 2004), rien n'y fait ! D'autant plus que
la fréquentation des librairies est en chute libre (c'est pourtant dans
ces 2000 points de vente que se vendent 80% des albums), que le panier
moyen est en baisse et que le marché du livre, en général, a vraiment
du mal à décoller !
* "Mangalisation" des métiers de la BD
: de plus en plus de dessinateurs ou de scénaristes (ils sont 1.322 à
vivre de leur métier sur le territoire francophone européen) s'inspirent
des codes graphiques et narratifs des mangas. Pendant l'année 2005, la
profession a appris les regrettables disparitions (rien qu'en Europe francophone)
de Pierre Léon Dupuis (prolifique dessinateur impliqué dans la défense
syndicale des lois sociales pour les auteurs de BD), Mariel Dauphin (illustratrice
à L'Humanité), Georges Bernier (alias Le Professeur Choron, créateur d'Hara-Kiri),
Pierre Forget ("Thierry de Royaumont"), Jean-Claude Glasser (spécialiste
des comics strips américains), Jicka (l'un des dessinateurs des "Pieds
Nickelés"), Hoviv (dessinateur de presse), Laurence Harlé (scénariste
de "Jonathan Cartland" et membre fondateur de l'ACBD), Charlie Schlingo
(responsable du journal Gros Dada), Eduardo Teixeira Coelho (dessinateur
portugais qui a longtemps travaillé en France pour Vaillant puis Pif Gadget,
sous le pseudonyme de Martin Sièvre, avec "Ragnar le viking", "Robin des
bois"…), Paul Deliège ("Bobo" et "Les Krostons"), Raymond Maric (dessinateur
de "Tom & Jerry" et l'un des scénaristes des "Pieds-Nickelés")…
Toutefois, la profusion des albums de BD explique le fait qu'il y ait
de plus en plus de personnes qui vivent, plus ou moins bien, de ce mode
d'expression. Sans être obligatoirement inscrits comme professionnels,
1322 auteurs ont au moins 3 albums disponibles et un contrat en cours
ou travaillent de façon systématique pour la presse. Ils s'assurent donc
ainsi un salaire moyen régulier, même s'il s'avère de plus en plus difficile
d'exister dans ce marché bien encombré. Parmi ces 1322 auteurs (ils étaient
1298 en 2004) notons que 121 (soit 9,15%) d'entre eux sont des femmes
(contre 109, soit 8,39%, en 2004), que 218 (soit 16,49%) sont scénaristes
sans être également dessinateurs (contre 206, soit 15,87%, en 2004) et
que certains sont aussi coloristes, lettreurs, maquettistes, responsables
éditoriaux, traducteurs…
Certains de ces auteurs s'inquiètent aussi du succès de ces mangas peu
coûteux, car les achats de droits par les éditeurs sont plus rentables
qu'un salaire attribué à un auteur. Ils sont, cependant, de plus en plus
nombreux à s'inspirer des codes graphiques (grands yeux, dessin stylisé…)
et narratifs (peu d'ellipses, ne s'interdire aucun sujet…) des mangas,
comme le prouve le nouveau label Cosmo des éditions Dargaud où collaborent
auteurs francophones et asiatiques, nombre de séries chez Delcourt ("Les
légendaires", "Pixie", "La rose écarlate"…), chez Glénat, chez Soleil,
chez Paquet ou aux Humanoïdes associés.
Le catalogue de ces derniers rassemble des graphistes de diverses origines
maîtrisant un trait où l'on sent la nette influence des BD asiatiques
et américaines : irait-on vers un style universel ? En effet, le territoire
francophone n'est pas une exception : c'est toute l'Europe (celle du Nord,
de l'Est, l'Italie et l'Espagne qui se sont mis aux mangas humoristiques,
genre qui n'a pas encore conquis les lecteurs francophones, etc.) qui
s'est laissée séduire par les BD asiatiques. Certains tentent même de
trouver des solutions pour freiner cette invasion, privilégiant les expériences
avec les USA ou la Chine. Pour le moment, cela n'empêche guère la BD japonaise
d'être la plus traduite sur le territoire francophone : sur les 1142 mangas,
parus en 2005, 937 viennent du Japon, 195 de la Corée, 9 de Hong-Kong
et 1 de Chine.
Face au succès des mangas et des manwhas, seuls les très protectionnistes
Etats-Unis réussissent à imposer leurs comics de super-héros car, sur
les 2701 nouveautés BD publiées en albums en 2005 (en France, Belgique
et Suisse), 207 (163 l'an passé) sont d'origine américaine (soit 5,75%
et 5,30%, en 2004). Ce secteur est dominé par le groupe Panini France
qui a récupéré les droits d'édition des comics DC (l'éditeur américain
de "Batman"et de "Superman") après avoir imposé sa marque en Europe, en
s'affirmant comme le leader du marché des comics de super-héros avec l'exclusivité
des BD Marvel comme "X-Men", "Spider-Man" ou "Fantastic Four". Panini
France devient ainsi le plus gros éditeur francophone de BD "made in USA",
loin devant ses éventuels concurrents : Semic qui jette l'éponge au niveau
de la vente en kiosque, Delcourt déjà propriétaire de la licence "Star
Wars" de chez Dark Horse et qui s'aventure, à nouveau, sur le terrain
des magazines vendus en kiosques par le biais de comics issus des catalogues
Aspen, Top Cow et TMP ("Spawn"), ou encore Kymera, USA, Wetta (qui publie
aussi des manwhas), Soleil, Akileos et Bamboo qui lance Angle Comics axé
sur des comics indépendants destinés aux adolescents. Alors que l'on dénombre
aussi 44 BD italiennes (contre 32 en 2004), 15 BD espagnoles (contre 20
en 2004), 10 BD argentines (contre 8 en 2004)…, on obtient, au total,
1470 traductions -tous horizons confondus- (contre 1020 l'an passé), c'est-à-dire
54,42% (48,11% en 2004) des nouveautés.
* "Mangalisation" de la culture BD :
la respectabilité du 9ème art n'est en aucun cas diminuée par l'arrivée
des mangas, lesquels ont gagné leurs lettres de noblesse. Quand ils sont
arrivés sur le territoire francophone européen sous forme de dessins animés,
les mangas ont marqué des générations de téléspectateurs mais ont aussi
irrité nombre de parents et de pédagogues. Ce genre si décrié pour sa
violence et ses scénarios infantiles a su toucher un public réfractaire
à la lecture et est devenu, aujourd'hui, avec le mûrissement du lectorat,
très tendance : désormais, les éditeurs proposent les classiques du genre,
le cinéma multiplie les adaptations et les journalistes célèbrent, à qui
mieux mieux, le génie d'un Osamu Tezuka ou d'un Jirô Taniguchi.
Si certains éditeurs entretiennent le patrimoine du 9ème art européen
ou américain, la plupart privilégient, aujourd'hui, les grands classiques
japonais qui n'ont pas encore été traduits en français et les oeuvres
destinées à un lectorat plus adulte. Ainsi, Glénat propose-t-il la collection
"Bunko" qui se veut "La Pléïade" du manga (avec les œuvres de Kazuo Umezu),
Asuka, Taïfu, Cornélius, Soleil Mangas, Tonkam et Delcourt (par le biais
de son label Akata) se partagent-ils les inédits d'Osamu Tezuka, Imho
nous fait-il découvrir Hideshi Hino et Vertige Graphic a-t-il jeté son
dévolu sur Keiji Nakazawa et Yoshihiro Tatsumi…
En 2005, l'année des 100 ans de "Bécassine" ou de "Little Nemo" et des
50 ans de "Ric Hochet, 107 titres datant de plus de 20 ans, inédits ou
introuvables, soit 3,96% des nouveautés (contre 70 et 3,30% en 2004),
ont été édités en album. Parmi eux, signalons particulièrement quelques
joyaux oubliés ou inconnus de Martial (chez ABDL), Cliff Sterett (chez
L'An 2), Charles M. Schulz (chez Dargaud), Elzie Segar (chez Denoël Graphic),
Jean Teulé (chez Ego comme X), Eu. Gire, René Pellos, Raymond Poïvet,
Pierre Le Guen et Roger Lécureux (chez Glénat), Jean Graton (chez Graton),
Winsor McCay (chez Horay), Luciano Bottaro (chez Jouve), Ivo Milazzo (chez
Ligne d'ombre et Mosquito), Gérald Forton et Yves Duval (chez Hibou),
Attilio Michelluzzi, Dino Battaglia et Carlos Gimenez (chez Mosquito),
Jack Kirby et Frank Miller (chez Panini), Kline (chez Pif Editions), Raymond
Maric (chez Regards), Bob Kane, Joe Shuster et Neal Adams (chez Semic),
Jaime Hernandez (au Seuil), Will Eisner et John Buscema (chez Soleil),
Dimitri (chez Taupinambour/Le Coffre à BD), Gervy (au Triomphe)…
Si les éditeurs de BD tentent de valoriser les classiques, ils essaient
de rentabiliser leur fonds avec les droits vendus au cinéma. Malgré des
adaptations plus ou moins réussies ("Charly" avec "L'avion", "Le démon
de midi", "La boîte noire", "Les chevaliers du ciel" ou "Iznogoud"), cette
année, le 7ème art a surtout été conquis par les comics ("Elektra", "Batman
begins", "Les 4 fantastiques", "A History of Violence", "Sin City"…) et
par les mangas ("Le château ambulant", "Kié la petite peste", "Appleseed"…).
Notons que la plupart des BD japonaises qui arrivent en Europe ont souvent
fait l'objet d'une adaptation en dessin animé et sont déjà connues et
appréciées d'un large public : facteur fondamental qui explique, en partie,
le succès de la BD asiatique aujourd'hui. Cependant, de nombreux projets
francophones sont toujours en cours : "Astérix", "La bête est morte",
"Blacksad", "Le combat ordinaire", "Grand Vampire", "Largo Winch", "Marsupilami",
"Rahan", "Le messager", "Neige", "Le triangle secret", "Lucky Luke", "Thorgal"…,
et l'arlésienne "Tintin" (personnage de BD préféré des Français) par Spielberg
!
La BD continue à être un vivier pour les scénarios de films, téléfilms,
dessins animés, jeux vidéo ou de société, pièces de théâtre..., et les
images BD, s'inspirant de plus en plus du graphisme des mangas, alimentent
également nombre de produits dérivés et le secteur publicitaire. On les
retrouve dans les 258 recueils d'illustrations publiés 2005, dont 77 dessins
d'humour (55 en 2004) et 89 textes illustrés (92 en 2004). A l'exception
de notables programmes sur Arte, France 5 ou Public-Sénat, la télévision
reste le seul média qui a encore du mal à admettre la BD comme culture
respectable : heureusement, les journalistes sont de plus en plus au fait
de la question. Certains, réunis au sein de l'ACBD (Association des Critiques
et journalistes de Bande Dessinée) remettent le Grand Prix de la Critique
à un album remarquable paru dans l'année ; en 2005, il a été décerné à
"Les mauvaises gens" d'Etienne Davodeau chez Delcourt. On notera, dans
le reste de leur sélection, une mise en avant de quelques mangas ou manwhas
remarquables signés Jirô Taniguchi, Osamu Tezuka, Kazuo Umezu, Naoki Urasawa
ou Kim Dong Hwa.
* "Mangalisation" des médias : de
plus en plus de revues et de sites Internet sont consacrés à la BD asiatique
et tous les relais d'opinion se sont entichés des mangas. Les mangas possèdent
donc, désormais, leurs propres revues de pré-publications : Clamp Anthology,
Coyote, D.Mangas, Dragon Ball, Mangas Hits (lancé à 100 000 ex., en partenariat
avec M6), Manga Kids, Maniaks ou Tokebi (alors que Shônen, qui était,
lui aussi, vendu en librairies, ne paraît plus). Si les magazines critiques
ont plus de mal à exister (Le Virus Manga a disparu mais il reste AnimeLand,
Mangajima, Mangascope…), le phénomène manga alimente les pages de tous
les magazines, qu'ils soient spécialisés ou non. Quant au nombre de véritables
magazines de BD, il se stabilise !
Côté comics américains super-héroïques ("Spider-Man", "X-Men", "Batman"…),
31 fascicules tirés entre 25 et 35 000 ex. paraissent régulièrement (il
y en avait 30 en 2004).
Côté BD classiques, 24 revues spécialisées BD (contre 28 en 2004) tentent
de reconquérir le réseau presse : Spirou qui accueille un nouveau (et
ancien) rédacteur en chef (Patrick Pinchart, lequel avait déjà assumé
ces fonctions de 1987 à 1993), Le Journal de Mickey, Picsou Magazine et
Super Géant, Mickey Parade, Witch, Kids' Mania, J'aime la BD !, Capsule
Cosmique, Pif Gadget qui s'est doté d'un petit frère (Glop Glop) et qui
relance Toutàlire, Bugs Bunny Magazine et Poche, Cap'tain Swing !, Tchô,
Lanfeust Mag, Fluide Glacial (qui fête ses 30 ans et s'accorde un nouveau
rédac'chef : Thierry Tinlot, l'ancien "boss" de chez Spirou), Psikopat,
L'Echo des Savanes, Ferraille, Bédé Adult', Bédé X S.M... Sans oublier
l'arrivée de Zap Toon, le magazine des héros télé, mensuel mis en place
à 80 000 exemplaires !
Toutefois, 15 revues (contre 12 en 2004) préfèrent la distribution en
librairies spécialisées, à l'instar de Bile Noire, La Lunette, Patate
Douce, Le Phaco, La Maison qui pue, Choco Creed, Clafoutis, Le Labo, Afro
Bulles, Fusée, L'Inédit et Black, ou les récents Mococo, Short, Bonono…
D'autre part, de plus en plus de magazines proposent des BD : ainsi 368
albums ont été pré-publiés, soit 13,62% des nouveautés (il y en avait
339, soit 15,99%, en 2004) et le quotidien Libération s'est essayé, cet
été, à la vente couplée, proposant un album de BD avec le journal du samedi.
Malgré la disparition de Bédéka et la future reconversion de Bandes Dessinées
Magazine (et de son annuel L'Année de la BD), l'actualité de la BD est
également bien couverte, comme le prouve l'existence de 4 revues parlant
du 9ème art, diffusées dans les kiosques, Relay et Maisons de la Presse
: le vétéran Bo Doï, Bang ! (le n° 1 de la nouvelle formule, co-éditée
avec Les Inrockuptibles, était consacré à la BD asiatique), la résurrection
de Comic Box (spécialisé dans les super-héros) et BullDozer (qui prend
le relais des DBD).
Par ailleurs, 14 magazines érudits se vendent en librairies, telles les
références que sont Hop ! et Le Collectionneur de Bandes dessinées [CBD]
ou les non moins indispensables L'Avis des Bulles, Blam !, Canal BD Magazine
(doublé avec Le Magazine Album), Comix Club, L'Inédit, La Lettre, 9e Art,
On a marché sur la bulle, Pimpf Mag, PLG, Samizdat ou Scarce.
Nous avons aussi relevé 89 livres écrits sur la BD (41 monographies,
24 guides pratiques et 24 ouvrages techniques), dont 17 consacrés à l'art
du manga (encore un effet de la "mangalisation" !), outre les nombreux
mémoires réalisés par des étudiants.
Cependant, l'intérêt pour l'étude de la BD se retrouve surtout sur 17
des plus importants sites informatifs et non commerciaux d'Internet, lesquels
sont de plus en plus performants et consultés. Il s'agit de bdparadisio.com
(360.000 visites par mois), actuabd.com (97.500), bdselection.com (90.000),
bulledair.com (70.000), sceneario.com (62.000), bdzoom.com, auracan.com,
toutenbd.com (60.000), infosbd.com avec bdzap.com (55.000), bdtresor.net
(40.000), labd.cndp.fr (20.000), bdcentral.com (19.800), bdtheque.com
(18.000), 1001bd.com, planetebd.com ou encore de l'ensemble constitué
du logiciel de gestion de collections de BD bdgest.com et du site bedetheque.com
avec 456.000 visites par mois ! Des chiffres qu'envient leurs équivalents
sur papier !
Si ces différents sites parlent aussi des mangas, d'autres ne se consacrent
qu'à la BD asiatique, tels animeland.com, mangajima.com, mangavore.net,
manga-news.com, mangaverse.net, webotaku.com, ou encore finalmanga.net,
krinein.com, reanimation.com, the-ryoweb.com… Le Net, avec ses "chats",
blogs, forums, BD inédites, achats en ligne mais aussi, hélas, ses piratages,
est devenu, aujourd'hui, le lieu où la bédéphilie s'exprime le plus :
espérons que s'y formeront des lecteurs avec assez d'ouverture d'esprit
pour s'intéresser autant aux mangas qu'aux autres formes de littératures,
graphiques ou non : ne soyons pas trop inquiets, cela a bien l'air d'en
prendre le chemin !
Informations et étude émanant de Gilles Ratier, secrétaire général
de l'ACBD (Association des journalistes et Critiques de Bandes Dessinées).
21/12/05.
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