Pavillon Rouge N° 6 (Novembre 2001)
de Damien Perez
Un Pavillon Rouge très Arthurien en cette fin de mois doctobre, avec une très belle série dillustrations détachables signées Lereculey et serties du verbe de David Chauvel, qui assure la présentation de chacun des personnages phares d «Arthur», la désormais célèbre « épopée celtique ». Un pavillon rouge très Chauvelien également, puisquen plus de ce bonus qui ravira les Delcourophiles, et dun billet dhumeur remarqué (lire le « Pour ce que jen pense » ci-contre), le scénariste breton est analysé sous toutes les coutures dans une biographie très soignée signée Axel Patisson et enluminée de portraits du maître et illustrations réalisés par ses différents collaborateurs, Simon, Le Saëc, Ehretsmann ou encore Pedrosa.
Cyrille Pedrosa justement, qui signe avec Christophe Araldi « Shaolin moussaka », « première tranche » des aventures de Mademoiselle Moussaka dont le vu le plus cher est dêtre mangée. Sa rencontre avec « lhéritier de la force éternelle des mille lotus grésillants », Wang Lee Feng Ping Wao Meï Nung, un bonze sautillant trop empressé de réaliser son rêve, ne sera pas forcément heureuse et jette les bases dun univers loufoque et coloré manifestement appelé à réinvestir les pages de Pavillon Rouge.
Tout aussi asiatique mais moins japoniais, le troisième épisode des aventures de Koblenz, ce sorcier mercenaire dont le cur mécanique ne fonctionne que par la ponction régulière de lénergie de vie de ses employeurs, nous entraîne au beau milieu des samouraïs chers à Thierry Robin et dont le lecteur avisé avait pu avoir un magnifique aperçu dans sa précédente série « Rouge de Chine ». En cette « période charnière » où le Japon régi par des règles ancestrales assiste à lémergence de lindustrialisation, Yamaoka San gouverne sa province en dépit dhorribles cauchemars où une locomotive monstrueuse manque de lécraser chaque nuit. Mais son véritable problème, cest le kinzoku jin, un gigantesque guerrier, véritable machine à tuer qui décime ses armées. En échange de dix années de sa vie, Yamaoka charge Koblenz de le débarrasser du monstre. Un troisième opus qui sannonce sous les meilleures auspices, entre science et magie, servi par le trait et limagination uniques de Thierry Robin.
Et puisque ce numéro est décidément très Chauvelien, aucune raison de ne pas inviter lidole du scénariste, Alan Moore, dont Chauvel dit lui-même dans ce numéro daté novembre que la découverte de « V pour vendetta » - une des grandes séries de Moore - a changé sa vie. Les amateurs du scénariste de From Hell (Chez Delcourt) ou plus récemment de Tom Strong, Promothea ou Top Ten (chez Semic) seront comblés par sa nouvelle série, « Jack B Quick », chronique douce-amère dune Amérique surannée chère à Moore mais passée à la sauce fantastique. Jack est un gamin génial qui pour calmer les crises de folie nocturne de la vache familiale va créer à partir dun aspirateur un soleil miniature, se basant sur une théorie dEinstein au sujet du vide quantique. Un récit court et tout à fait farfelu. Un petit régal dhumour servi par le dessin de Kevin Nowlan.
Avec en plus lAtelier de Joann Sfar, qui nous offre dailleurs une nouvelle aventure de Grand Vampire, une fable de La Fontaine illustrée par Jean-Luc Masbou (De cape et de crocs), la suite du « Régulateur » par Corbeyran et Marc Moreno, complété dun dossier de présentation complet et un gentil délire scato des « Mauvais aliens » par Fred blanchard et Olivier Vatine qui se soulagent. Attention les pieds.
Pavillon Rouge - 54, rue d'Hauteville à 75010 Paris - France - Tel : + 33 1 56 03 92 40 - fax : + 33 1 56 03 92 30 - e-mail : pavillonrouge@editions-delcourt.fr
____________ Pour ce que j'en pense ... ____________
Le Pavillon bouge
David Chauvel, nul ne le contestera, est un acteur incontournable de léclatante santé du neuvième art. Pas forcément en termes de ventes, puisquà ma connaissance il ne fit que de rares incursions dans le classement des ventes de Livres Hebdo la référence en la matière mais plutôt en termes de productivité (près dune dizaine de séries à son actif !) et de qualité narrative. Cest donc fort justement que Pavillon Rouge offre une large tribune à lun des piliers de la boutique Delcourt. Pari hasardeux lorsque lon sait que David Chauvel pratique une certaine forme langue de bois, celle où la langue sert de matraque, pour assener quelques vérités bien senties que la majorité silencieuse des auteurs oserait à peine formuler dans lintimité de son gueuloir.
Guy Delcourt le premier fait dailleurs monter la pression dans son édito : ce nouvel espace réservé à Chauvel doit lui permettre de dire ce quil a à dire, comprenez ce quil a sur le cur. Et de préciser, pour que nul doute ne subsiste quant à la finalité de lexercice, que le « trait de caractère majeur de ce brillant Breton » se trouve être « labsence totale de diplomatie. ». Comment sétonner dès lors du « pavé de texte » que jette le scénariste « dans la mare passablement opaque des relations entre coauteurs. » ? Car cest bien là le propos de ce premier billet dhumeur : la place du scénariste au sein du couple quil forme avec son dessinateur. Un article très enlevé où Chauvel nhésite pas à remettre en cause lutilité même de son métier, allant jusquà se qualifier d « anomalie ».
Toute corporation nécessite on ne sait pourquoi une forme de hiérarchie, fut-elle tacite. On parle généralement du scénariste dun dessinateur comprendre que le scénariste est lâme (damnée) du dessinateur, son fidèle second - rarement du dessinateur dun scénariste
si ce nest pour David Chauvel, qui par la promotion fulgurante dauteurs parfois inconnus comme Ehretsmann pour « Station debout » a su donner au métier de scénariste une véritable légitimité , celle dun rassembleur de talents, au contraire, par exemple dun Van Hamme qui réalise dégal à égal ses séries avec des pontes de la profession (Rosinski, Vance, Duchateau etc). Il est donc très étonnant de découvrir sous un ton tour à tour ironique ou badin les blessures de Chauvel qui nencaisse visiblement pas certaines remarques malheureuses de journalistes demandant à des dessinateurs scénarisés sils comptaient un jour réaliser un album seuls, sans scénariste, cette « anomalie », qui daprès David Chauvel est un « grain de sable » impropre à la réalisation de l « auteur complet », terme quil jugeait par ailleurs « exécrable » avant de mesurer quil reposait sur une réalité concrète.
Déconsidéré David Chauvel ? Sans doute pas. Mais il est vrai que le métier de scénariste est encore largement déprécié. Même si lon est loin du temps où celui-ci nétait considéré que comme le vague exécutant chargé de remplir les bulles. Les Forum de discussion, et diverses publications dont Pavillon Rouge - grâce à lAtelier - ont je le pense largement contribué à plus dinformation, à une mise en avant de la contribution de chacun à une uvre commune dont la vitrine reste, il est vrai, bien souvent le dessin. Le statut de coloriste semble dailleurs suivre le même parcours. De lenfer de lanonymat il en est au purgatoire, talonnant de peu les scénaristes en passe daccéder massivement au paradis de la reconnaissance. Il suffit pour sen convaincre de lire Desberg qui dans le dernier Vécu vante les mérites de Marie-Paule Alluard, coloriste de « Tosca », quil « considère à part entière et sans aucune discussion comme le troisième auteur de la série ».
Il en va ainsi sans doute des professions dart. Chacun donc à son tour pourrait avoir limpression, seul devant son traitement de texte ou sa table à dessin, de ne pas être estimé à sa juste valeur malgré la reconnaissance financière du public. Et cest là peut-être que la rencontre avec les auteurs prend tout son sens, quelle soit virtuelle ou pendant des séances de dédicaces. Cette éloge de la modestie dont Chauvel se fait le chantre est une démarche saine, qui pourrait contribuer à faire tomber la carapace dinaccessibilité des auteurs, carapace bien souvent dressée par des bédéphiles parfois un rien intimidés par les artistes. Elle est une habile manière de réclamer plus dattention pour le métier de scénariste tout en se drapant dhumilité, qui bizarrement est à ce point revendiqué quelle claque comme un étendard. Etre fier dêtre modeste, cest tout de même un comble, non ?
Pour ce que j'en pense, de Damien Perez
|