Spirou N° 3306 (Août 2001)
de Damien Perez
Du sang frais chez Spirou et en particulier sur luniforme du pasteur Soda, flic new-yorkais endossant la sainte tenue pour ne pas inquiéter sa mère de santé fragile et qui débarque cette semaine dans les pages du célèbre hebdomadaire. Lunivers policier dépeint par Tome et Janry (Le petit Spirou) sur les 10 précédents tomes est à ce point emprunt de « violence et verdeur de langage » - toutes proportions gardées que la rédaction de Spirou envisage de clore toute prépublication ultérieure de Soda pour « préserver [la] fraîcheur » du magazine. Info ou intox ? Un encart non signé pose le problème. Et se termine fort judicieusement et fort prudemment par un habile " nous attendrons [
] vos réactions". Au lecteurs donc de juger. En avoir ou pas
du Soda ?
Avec toutes vos séries habituelles : Le Boss (Bercovici et Zidrou), Garage Isidore (Olis et Guilson), Le figurant (Thiriet) pour une incursion parasitaire constitué dun encart justement nommée « Le figurant Magazine » - le toujours craquant Jojo (Geerts), lirrésistible Kid Paddle (Midam) ainsi quun cahier de jeux Cédric (Laudec et Cauvin).
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Soda anti-fraîcheur
Lencadré page 8 de ce numéro 3306 est explicite : « pour préserver sa fraîcheur au journal, il se peut que Soda vive désormais ses aventures dans les seuls albums de la collection « Repérages » ». La prépublication de « Prières et balistique » - tome 11 des aventures du lieutenant David Salomon, Soda pour les intimes - dans les pages de Spirou pourrait donc être la dernière. Trop brutal ce petit pasteur plus prompt à dégainer le Beretta que la sainte Bible.
Et voilà que mine de rien la rédaction de Spirou entame le très épineux débat de lautocensure dans les publications jeunesse en même temps quune enquête sociologique très officieuse sur la tolérance de son lectorat face à la violence. Même si les interrogations existentielles nempêchent pas de placarder en couverture trois tronches patibulaires de truands bon teint ainsi quun Soda flingue en main, la gueule en trois épisodes, prêt à plomber du voyou. Cette couverture-là est en soi une réponse : la violence plaît, elle fait vendre à nen point douter, et chez Dupuis comme ailleurs - on la bien compris, quon cautionne ou non cet état de faits.
Il faut toutefois reconnaître que cette violence-là nest pas le lot habituel de Spirou. Que Soda nest pas Jojo. Et quil peut difficilement cohabiter avec Cédric, même si le lectorat manifestement éclaté de Spirou peut cautionner toute politique éditoriale fut-elle hétéroclite. Mais la question est ailleurs. La violence virtuelle et néanmoins purement psychotique - dun Kid Paddle charcutant de lalien sur console ou sabrutissant de films gore est-elle moins dangereuse ? Bien évidemment oui. Mais elle participe dune même banalisation entretenue depuis plusieurs générations par bon nombre de séries policières, blockbusters, jeux vidéos ou même
bandes dessinées. Certains me rétorqueront que les médias retranscrivent seulement la réalité dune société violente et cruelle. Quils reflètent à défaut de créer. Et quil est toujours commode de les dresser en grands instigateurs de la décadence occidentale. Je leur répondrai que je naurai pas limpudence de savoir qui de luf ou de la poule, est né en premier, car là encore la question est ailleurs.
Kid Paddle ne personnifierait-il finalement pas le jeune lecteur de Spirou : un gentil gamin que la consommation abusive de divertissements a rendu sereinement cruel et qui piochera sa dose quotidienne de violence quoi quil arrive et malgré la bonne volonté de son hebdomadaire préféré ? La rédaction de Spirou ne risque-t-elle pas de se couper de son lectorat en posant des questions qui ninquiètent plus, surtout lorsquil sagit dune série à peine moins violente que les séries américaines dont elle sinspire ? Ce combat aussi louable soit-il nest-il pas déjà un combat darrière-garde ?
Pour ce que j'en pense, de Damien Perez
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