Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Au turf (La Nef des Fous) par Thierry Bellefroid
« Au turf » , quatrième tome de « La Nef des Fous », par Turf. Chez Delcourt.

Série presque culte, « La nef des fous » doit tout à Turf. Normal. C'est « son » univers. D'un bout à l'autre. Scénario. Dessins. Couleurs. Tout est 100% maison. Ce qui explique sans doute que la patience est de rigueur. Car quatre albums (en dehors du hors-série paru en 98) en l'espace de 8 ans, ce n'est pas beaucoup. La patience des plus fidèles lecteurs de la série est enfin récompensée. Non seulement parce qu'ils ont attendu très longtemps ce quatrième album. Mais en outre parce qu'il entre vraiment dans le vif du sujet. Turf est un merveilleux magicien du crayon. Il dessine avec brio, découpe ses planches d'une manière très personnelle, crée un univers qui ne ressemble à aucun autre. Mais le seul reproche qu'on peut lui faire, c'est que son histoire n'avance pas vite. Au bout de ce quatrième volume, on en sait heureusement plus sur cette fameuse « nef » (ne fût-ce que sur ses limites dans l'espace, grâce à un « trou » dans le ciel, je ne vous en dis pas plus). Mais combien de questions restent sans réponse, alors que le bon roi retrouve la liberté ? Trop, sans doute, pour ne pas ressentir le brin de frustration que provoque la dernière page de chacun des albums de la série. Mais le plaisir de la lecture est bien là. Couleurs, personnages, humour et imaginaire se combinent pour créer une fresque de moins en moins fantaisiste. Tout ça sent le travail d'un auteur généreux et incroyablement imaginatif. Normal, dès lors, qu'il se soit permis un clin d'oeil gros comme un chien royal dans le titre de cette quatrième aventure !
Nettoyage par le vide par Thierry Bellefroid
« Nettoyage par le vide » par Ptoma, sur un texte de Mickey Spillane. Dans la collection « Petits Meurtres » des éditions du Masque.

Revoilà les « Petits Meurtres ». Deux ans après la création de cette collection de polars en noir et blanc caractérisée par le brassage de jeunes dessinateurs et de romanciers (ce qui ne fut pas le cas pour tous les albums), Ptoma inaugure une nouvelle fournée. Son « Nettoyage par le vide » est une adaptation. Le texte original paru en 1979 est signé Mickey Spillane, le créateur du privé Mike Hammer. L'histoire est noire comme la poche à encre d'une seiche. Elle joue sur la ressemblance de deux hommes au passé trouble. L'un est amnésique à la suite d'un accident de voiture qu'il a eu avec le second, recherché pour un meurtre qu'il n'a pas commis. Leur ressemblance les pousse à devenir amis, et le jour où le « faux » meurtrier meurt, l'autre décide de prendre sa place et de retourner dans la ville où le meurtre a été commis pour régler les comptes. On frôle souvent l'exagération dans ce récit, et le hasard semble avoir donné un sacré coup de main à Mickey Spillane pour l'écriture de son histoire. Mais l'intérêt réside surtout dans la galerie de personnages d'une ville soumise à la violence de quelques potentats locaux. Et puis il y a ce héros, qui ne sait pas toujours qui il est et qui sait encore moins qui tire les ficelles. C'est nerveux, bien écrit, et très bien découpé. Ptoma a parfaitement retranscrit l'univers original en BD avec parfois de bonnes trouvailles visuelles (comme le « coup de la sonnette » utilisé à la page 36 et à la page 62) et un style qui privilégie l'ombre. Les gueules des personnages sont assez laides, ce qui est souvent inversement proportionnel à leur corps. Les femmes sont sculpturales, plus pulpeuses les unes que les autres, très glamour. Il y a vraiment un exercice de genre qui colle parfaitement à ce type de polar, manichéen et parfois simpliste, mais efficace.
Jo Nuage et Kay Mc Cloud par Thierry Bellefroid
« Jo Nuage et Kay Mc Cloud », par Dany et Greg. Aux éditions Joker.

Il y a trente ans, Dany n'était encore « que » le jeune dessinateur d'Olivier Rameau. Placé sous l'aile protectrice et bienveillante de Greg dans l'atelier duquel il travaillait, Dany rêvait pourtant d'action. Rêverose lui plaisait, mais son crayon le poussait vers un univers plus aventureux. C'est l'éphémère « Achille Talon Magazine » qui allait permettre à Greg de satisfaire ses désirs. Le grand scénariste allait pondre une aventure (et même plus, puisque la deuxième qui n'a connu qu'une demi-douzaine de pages avant la disparition du magazine est également reproduite dans cet album) humoristique qui convenait à la fois au style de Dany et à ses aspirations. Jo Nuage et Kay Mc Cloud étaient nés. Les voilà parus en album sous la bannière de l'actuel éditeur d'Olivier Rameau (et surtout des recueils d'histoires « coquines » de Dany). Et la lecture -ou la relecture en ce qui me concerne- de ces aventures vous emportera dans un léger tourbillon nostalgique. En dépit d'une certaine légèreté et de l'utilisation de ficelles un peu faciles, Greg s'y adonne à l'exercice de la parodie et de la comédie en ridiculisant le pauvre instructeur chargé de faire d'un petit groupe d'aspirants policiers de parfaits agents spéciaux. Pour l'époque, le fait d'y avoir placé une femme -et qui plus est, une femme aux arguments très... féminins, on peut faire confiance à Dany !- et de lui donner un « premier rôle » à l'égal des hommes, est assez étonnant. Sans être révolutionnaire pour autant, la lecture de cette première histoire et des quelques pages dessinées pour la seconde est un moment délicieux. Et vous prouvera combien le graphisme d'un dessinateur peut évoluer sur une trentaine d'années.
Cosmique tralala par Thierry Bellefroid
« Cosmique tralala » par Baladi. Aux éditions « La cafetière ».

Difficile de résumer un album aussi déjanté. Baladi a manifestement deux idées à la minute et les couche aussitôt sur le papier. Son titre donne le ton ; « Cosmique tralala » est un album de second degré. Des ex-Terriens, les Goloches actifs, se distinguent par leur capacité à dévorer la vie sous toute ses formes. Ces jouisseurs sont avant tout de grands gloutons. Ils se promènent dans l'espace avec une idée fixe : manger. L'album devient vite un prétexte pour parler de la bouffe et du plaisir de bâfrer. Le moment le plus drôle étant l'évocation d'une fondue géante en plein ciel qui débouche sur une chasse loufoque pour « capturer » la matière première. Impossible de raconter tous les rêves que Baladi a mis sur le papier. Il faut accepter de chevaucher à sa suite et de pénétrer son univers, un univers qui possède sa propre logique et son vocabulaire. Les esprits ouverts se régaleront. Les autres refermeront très vite cet album en disant : rien compris. Quant au dessin du Suisse, il est à l'image de son univers : tortueux à souhait. Reste que la fin est un peu prévisible. Dommage, quand on évolue dans un récit où, justement, la surprise est la règle à chaque page.
Essai de sentimentalisme par Thierry Bellefroid
« Essai de sentimentalisme », par Loïc Nehou et Frédéric Poincelet. Chez Ego Comme X.

Livre déconcertant, « Essai de sentimentalisme » pousse l'autobiographie jusque dans ses derniers retranchements. Peut-on tout dire, tout raconter ? Y a-t-il une limite à l'impudeur ? Difficile de se prononcer tant chacun aura un avis différent sur la question. Mais ce qui est sûr, c'est que les lecteurs pourront aussi bien apprécier la liberté de ton de Loïc Nehou que la trouver indécente. De quoi s'agit-il ? De raconter en près de 100 pages quelques moments personnels liés à des conquêtes féminines. Il y a la toute première, celle qui ne voudra pas croire que Loïc était puceau et s'offusquera de ce qu'elle prendra pour un mensonge destiné à lui masquer l'existence des « autres ». Il y a Nicole, Patricia, Laure, Aurélie... Et puis, il y a Géraldine. On passe d'une histoire à l'autre, d'une fille à l'autre, comme on tournerait les pages d'un carnet intime. « Essai de sentimentalisme » n'est d'ailleurs pas autre chose qu'un carnet intime. Loïc arrive à rapporter des détails presque insignifiants qui rendent son histoire réelle, en dépit du dessin minimaliste de Frédéric Poincelet duquel sont absents presque tous les éléments de décor. Mais le carnet nous entraîne parfois très loin. C'est le cas avec Géraldine. Ce chapitre est particulièrement cru, puisque l'auteur raconte par le menu tous les jeux sexuels auxquels il s'est livré. Et l'impudeur transforme le lecteur en voyeur consentant. Le dessin ne masque rien. Au contraire, il semble tirer parti de son trait de plume acérée pour décrire des manière redondante et sans aucune poésie les ébats et trouvailles des amants. Dans un récit qui a priori n'a rien de pornographique, une telle démarche est pour le moins surprenante. Elle témoigne en tout cas de la sincérité totale des auteurs. Et se place dans la tradition d'une petite maison d'édition indépendante qui a fait de l'autobiographie sans concession sa marque de fabrique.
Prémonition (Le maître de jeu) par Thierry Bellefroid
« Prémonition », tome 2 de la série « Le maître de jeu », par Corbeyran et Charlet. Chez Delcourt.

Corbeyran continue à tisser sa toile strygienne. Mais plus il en parle, moins on en voit ! Que ce soit dans ce deuxième volet du « Maître de Jeu » ou dans le premier du « Clan des Chimères », le rapport aux Stryges semble plutôt allusif. Cela n'empêche nullement ce deuxième album de nous emmener dans une intrigue complexe, où plusieurs histoires se télescopent et forment un savant écheveau. Eric Corbeyran sait y faire. Il sait aussi faire durer, comme il l'a prouvé avec la série maîtresse, « Le chant des Stryges ». C'est vrai qu'on ne s'ennuie pas en lisant cette suite. Mais c'est vrai aussi qu'on aimerait aller un rien plus vite au coeur du sujet. Quant au jeu de rôles qui semblait être l'élément le plus original du premier album, il passe ici tout à fait au second plan. Bref, on ne sait pas trop où l'auteur veut nous mener, mais on s'y laisse guider avec plaisir... et une certaine impatience. Après un album de mise en place, un autre de transition... à quand l'album de « révélation » ?
Le maître de Novijanka (Vlad) par Thierry Bellefroid
« La maître de Novijanka », tome 2 de la série « Vlad », par Swolfs et Griffo, dans la collection « Troisième Vague » du Lombard.

Le premier tome ne m'avait pas littéralement emballé. Le deuxième non plus. Swolfs continue de recycler un monceau d'idées ou de thèmes ultra-éculés, comme il en a désormais pris l'habitude. Vlad se voit en outre affublé d'un faire-valoir « lunetteux et intello » qui va évidemment passer son temps à lui sauver la mise de manière plus ou moins volontaire, histoire de tempérer un peu son côté « héros solitaire trop indestructible ». La Russie futuriste de Swolfs doit plus à Mad Max qu'à Soljénitsyne, on a la culture qu'on peut. Bref, tout cela n'explique pas le succès du premier volume de la série -30.000 exemplaires annoncés par l'éditeur en un an- mais la BD a elle aussi ses mystères insondables. La lecture de ce deuxième album est tout aussi « gentiment » délassante que celle du premier opus. Mais lorsqu'on les compare à quelques productions récentes de la maison-soeur, Dargaud -comme Betelgeuse, Djinn ou ApocalypseMania- ces deux albums ne tiennent pas la distance. Et face à d'autres albums de la même collection Troisième Vague, comme le dernier Capricorne ou Alvin Norge, ceci paraît avoir de faibles arguments. Le dessin de Griffo ne sauve pas le projet... Pour se convaincre de l'inutilité de nombreuses pages, il suffit de lire l'album puis de se le raconter. Vous verrez, l'histoire -la vraie- tient en peu de pages.
Le plein et le vide (Replay) par Thierry Bellefroid
« Le plein... et le vide », tome 2 de la série Replay, par Sala et Zentner. Chez Casterman.

Avec une mise en couleurs qui rappelle de plus en plus celle de de Crécy (non seulement le de Crécy de Léon La Came, mais aussi celui du Bibendum Céleste), David sala poursuit cette très belle évocation du parcours d'un joueur professionnel imaginée par Jorge Zentener, l'un des plus talentueux scénaristes de la BD. Après un premier album très centré sur la relation d'amitié étrange entre deux adolescents -Don et Chubby-, nous suivons Don, seul. Et nous comprenons comment il devient un joueur professionnel, pourquoi et comment il est devenu superstitieux au point de pouvoir abandonner une femme à laquelle il tient sans l'ombre d'une hésitation. Toute sa vie va tourner autour de deux règles simples et Don ne voudra les remettre en cause sous aucun prétexte. On retrouve ici les traits de caractère de l'adolescent, exploités à l'âge adulte. Zentner a grandi avec son héros, il le suit de l'intérieur. Cela n'empêche pas cet album d'être un peu plus faible que le premier. D'abord parce qu'il s'y passe moins de choses. Ensuite parce que certaines pages sont carrément creuses, surtout celles qui représentent une année de la vie de Don par case. En soi, ce n'est pas nécessairement gênant, mais cela empêche en revanche de donner plus de place au personnage de Monna, qui tombe un peu du ciel vers la fin du livre. Dommage. Mais ne boudons pas notre plaisir. D'abord, il y a l'excellent dessin de Sala. Ensuite, il y a de très bons moments dans cette histoire. Notamment la partie relative aux frères jumeaux, les Fornasaro, qui fabriquent la meilleure crème glacée des Etats-Unis avec l'aide d'un Saint. On se croirait dans un film des frères Cohen !
« Couleurs spectrales », tome 1 de la série « ApocalypseMania », par Bollée et Aymond. Chez Dargaud.

Je l'avoue, le titre de cette série ne m'a pas nécessairement encouragé à me ruer sur l'album. « ApocalypseMania », difficile de trouver plus tarte ou plus primaire. Quant à la couverture, elle ne m'a pas inspiré davantage. Tout cela me semblait dénoter un réel mauvais goût. Heureusement, ma conscience professionnelle (sic) et ma curiosité m'ont poussé à lire « Couleurs spectrales » et je n'ai pas été déçu. Difficile de se prononcer définitivement à ce stade, mais le scénario de Bollée a tout l'air d'être en béton armé. Rien à dire, en tout cas, il ferre son lecteur à la vitesse grand « V » et le promène très intelligemment dans des endroits et/ou des moments différents pour nous livrer les ingrédients de ce qui a tout d'un puzzle maléfique. Au terme de ce premier album, « ApocalypseMania » se présente comme un fameux thriller d'anticipation et repose sur un personnage central -Jacob Kandahar- qui est tout à fait crédible. Le dessin d'Aymond -hors couverture, j'insiste !- est parfaitement efficace et sert le propos sans en faire des tonnes. On ne peut que se réjouir de le voir s'associer à quelqu'un d'autre que Christin qui ne lui a donné jusqu'ici que les plus pauvres de ses scénarios. Si l'histoire qui démarre avec cet album continue à ce rythme, en tout cas, « ApocalypseMania » deviendra vite un énorme succès. Et plus personne (même moi ?) ne critiquera ses couvertures...
La promesse que je te fais (Yiu) par Thierry Bellefroid
« La promesse que je te fais » tome 2 de la série Yiu. Par Téhy, Guenet, Renéaume, Vee. Chez Soleil.

La disparition des éditions du Téméraire ne pouvait pas entraîner la perte d'un projet aussi pharaonique. Déjà « acheteur » d'un autre fleuron du Téméraire -« Alban »- Mourad Boudjellal a décidé de reprendre à son compte la série « Yiu » qui en était à ses tout débuts. Deux albums sont aujourd'hui parus. Et il faut bien dire que c'est un minimum pour entrer dans l'histoire. La lecture du premier était en effet plus frustrante qu'autre chose. Développant 14,28% (chiffre donné par les auteurs) du récit total, c'était surtout une mise en place très théorique d'un univers hyper-complexe. Il fallait s'accrocher pour retenir toutes les données historico-géopolitico-religieuses livrées au cours des 70 pages... dont 32 sans un seul phylactère !
Cette fois, on entre vraiment dans le vif du sujet. Et dans les motivations qui font de Yiu -l'héroïne- une redoutable mercenaire. Plus déterminée et plus vénale encore que Carmen Mc Callum à ses débuts, Yiu a en effet des raisons de frôler la mort si souvent. Et ces raisons nous ramènent aux yeux d'un petit garçon. La scène à l'hôpital (je ne vous en dis pas plus) est très belle. Pas seulement parce qu'elle donne du sens à l'histoire de Yiu ou parce qu'elle l'humanise, mais parce qu'elle est justement en totale opposition avec le monde d'une violence inouïe que les auteurs ont inventé.
Créé sur les travers de notre monde, l'univers futuriste régi par les religions qu'ont imaginé Téhy et Vee est apocalyptique à souhait. Normal, c'est l'Apocalypse qui les a guidés. Une fin du monde qui s'annonce dores et déjà comme un véritable grand spectacle. Calez-vous dans votre fauteuil, Yiu, c'est un peu le cinéma en BD ; on aime ou on déteste cette façon de raconter toute en effets, en emphases. Il y a quelque chose de Jodo mais aussi de Druillet dans tout ça. La nouvelle génération est en place !
Hors Limites par Thierry Bellefroid
« Hors limites » de Hanouka et Daeninckx. Chez Hors Collection.

Ils avaient déjà commis un excellent « Carton Jaune » ensemble, c'était dans la collection « Atmosphères » des éditions du Masque, dirigée par un certain... Emmanuel Proust. Le même Emmanuel Proust est le directeur de la collection « One shot » chez Hors Collection, où prend place ce nouveau récit. Mais cette fois, il ne s'agit pas d'un scénario original. « Hors limites » est une adaptation d'une nouvelle de 1992. L'histoire est à la fois simple et très forte. Comment une bande de gosses de Seine St Denis va s'embarquer dans un casse foireux et comment des parents inquiets pour l'avenir de leur fils vont mettre un détective privé sur l'affaire sans le savoir. Les deux univers se télescopent, les éléments du drame sont en place. Personne n'en sort indemne, tous les personnages présentent un défaut à leur cuirasse. Les plus « accablés », sans doute, sont les parents du héros et surtout le privé qui n'est vraiment pas présenté sous son meilleur jour. Tout cela est sordide à souhait et nous vaut une belle galerie de portraits de banlieue comme Daeninckx peut les faire. Normal, il est né à deux pas des décors de cette histoire. Des décors que le dessinateur Assaf Hanouka a recomposés chez lui, en Israël, à des milliers de kilomètres de là. C'est hyper-réaliste, d'une facture plus moderne que « Carton Jaune ». La mise en couleur est volontiers agressive et le trait s'est épaissi. Mais l'ensemble est percutant. La fin, en revanche, paraît un peu expédiée.
« Le petit garçon qui n'existait pas », par Dupuy et Berberian, sur un texte d'Anna Rozen. Chez Cornelius.

Paru dans la récente collection intitulée « Louise », ce petit bijou pourra vous paraître bien léger. Le principe des ouvrages de cette collection est en effet de pouvoir se ranger dans votre poche et se lire en quelques minutes. Mais on y revient ensuite pour en apprécier toute la subtilité. C'est surtout le cas avec ce « Petit garçon qui n'existait pas » et avec « L'enclos » de Blexbolex. Le texte d'Anna Rozen est très court. Chaque page reprend une phrase, deux tout au plus. Dupuy et Berberian ne se contentent pas d'en faire l'illustration. Leurs dessins ne sont pas redondants. Ils donnent vie aux phrases d'Anna Rozen et au petit personnage qu'elle a imaginé pour ce conte un rien cruel. La stylisation est maximale, le trait épaissi à l'extrême. On est dans un processus d'économie qui traduit bien le souci des dessinateurs d'en dire le plus avec le moins. (Lire à ce sujet le livre paru chez PLG « Jeux d'influences, 30 auteurs de bandes dessinées parlent de leurs livres fétiches » ; Charles Berberian y raconte comment le minimalisme de Petit-Roulet l'influence dans son travail. Signalons par ailleurs qu'un livre de Petit-Roulet -« L'objet invisible »- existe aussi dans la collection Louise de Cornélius) La trichromie est utilisée de manière très poétique et l'ensemble apparaît comme un témoignage parmi d'autres du talent des pères de Monsieur Jean, aussi à l'aise dans le récit d'inspiration autobiographique que dans l'illustration sous toute ses formes.
Manara Memory par Thierry Bellefroid
« Manara Memory », chez Pierre Paquet.

Voilà un livre qui réconciliera tout le monde avec Milo Manara. Impossible de le lire (ou plutôt de le regarder, puisqu'il y a assez peu de texte) sans prendre la mesure du talent de ce dessinateur surtout connu à travers le Déclic, Giuseppe Bergman et ses deux collaborations avec Hugo Pratt, El Gaucho et L'été indien. « Manara Memory » se propose de poser un regard rétrospectif sur l'univers complet de Manara. On y trouve donc aussi bien des dessins historiques réalisés par exemple pour l'Histoire de France, d'Italie ou de Russie que des projets d'affiches ou des illustrations de couvertures de magazines les plus divers. Le livre est divisé en sections. Chacune explore une facette du talent de ce dessinateur-affichiste-story-border et j'en passe. Après la section historique, qui ouvre cette galerie de papier, l'érotisme offre de très beaux dessins mais ce sont sans doute les plus attendus. Stupeur en revanche lorsqu'on découvre la section « voyages » où, à côté de travaux de commande, on peut trouver des fusains pris sur le vif, des croquis aux crayons de couleur et des aquarelles magnifiques. On entre ensuite dans le domaine de la publicité où Manara est très actif, puis dans celui de la musique avant de conclure avec deux sections plus hétéroclites appelées « Mémoire I » et « Mémoire II ». Quand on referme le livre, on se promet d'y retourner très vite, on le range à portée de main. Ce large éventail de travaux est le meilleur moyen de se convaincre de la richesse de Manara, une richesse qui va bien au-delà de quelques jolis dessins de femmes sulfureuses.
L'artiste peintre (Lucky Luke) par Thierry Bellefroid
« L'artiste peintre », une aventure de Lucky Luke, chez Lucky Comics. Par Bob De Groot et Morris.

Dans une interview accordée au journal belge « Le Matin » le jour de la sortie d'Astérix et Latraviata, Albert Uderzo n'hésitait pas à affirmer que Dargaud avait avancé de plus d'un mois la sortie du nouveau Lucky Luke afin qu'il soit en librairie en même temps que le nouvel Astérix. Difficile, pourtant, de dire lequel des deux est le plus mauvais. La rareté des Astérix (sept albums, seulement, depuis la mort de Gosciny) attire sans doute davantage l'attention sur les défauts de l'album. D'autant que la non-communication et le marketing agressif qui ont accompagné sa sortie n'ont rien arrangé. Mais il faut reconnaître que le manque d'inspiration se sent aussi bien dans le chef du Gaulois que dans celui du cow-boy qui tire plus vite que son ombre. Bob De Groot qui, décidément, a l'air de se plaire en compagnie de Morris, applique sagement le concept de l'album à thème et nous propose de faire jouer à Lucky Luke un rôle de garde du corps à peu près inutile auprès du peintre Frederic Remington. Deux minutes cinquante sept secondes et trois dixièmes vous suffiront pour flairer les ingrédients principaux de cet album, parmi lesquels un piètre desperado, Curly, qui va passer la moitié de l'histoire à tenter de venger une correction reçue en page 7. Mais que tout ça est pauvre et prévisible... A la décharge de Bob De Groot, la rumeur veut que Morris respecte rarement les gags et les idées développées par ses scénaristes qui ne découvrent paraît-il l'histoire dans sa version définitive qu'une fois l'album publié. Mais bon, est-ce la peine de perdre davantage de temps à vous dire que ce Lucky Luke, pas plus qu'Astérix et Latraviata, n'a pas besoin de la critique pour exister ? Alors, taisons-nous et passons à autre chose.
Jupons et Corbillards (Outlaw) par Thierry Bellefroid
« Jupons et corbillards », tome 1 de la série « Outlaw » par Dieter et Fourquemin. Dans la collection Grafica des éditions Glénat.

Dieter et Fourquemin, on connaît déjà. D'abord publié au Téméraire et repris l'an dernier chez Soleil, Alban est un modèle de BD humoristique où le traitement graphique rejoint parfaitement le propos du scénariste. En voulaient-ils davantage ? Toujours est-il que les deux auteurs remettent le couvert avec des ambitions pratiquement identiques. « Outlaw » s'annonce en effet comme une transposition d'Alban dans le monde du western. Les ingrédients sont d'apparence assez différents. D'un côté, un moinillon et son cochon s'attaquent aux missions les plus dangereuses dans un Moyen Age réinventé. De l'autre, un gamin brimé par sa mère décide de partir sur les traces de son père, un dangereux bandit, et d'aligner sa vie sur ce qu'il croit être celle de ce géniteur dont il a été séparé dès la naissance. A y regarder de plus près, ces deux histoires permettent à Dieter d'employer les mêmes ficelles. Alban et Jason sont deux parfaits anti-héros. Ils se lancent dans la Grande Aventure avec la même candeur et semblent s'en sortir davantage par leur innocence que par leurs vertus d'intelligence ou de débrouillardise. La lecture d'Outlaw est plaisante. Fourquemin soigne les couleurs, joue sur les gueules pour souligner l'effet burlesque de l'ensemble. Dieter multiplie les situations grotesques. Mais il n'apporte rien de neuf. Et c'est bien dommage, car on ne peut s'empêcher de rester sur un sentiment de « déjà vu » à la fin de ce premier album, malgré ses évidentes qualités.
Murmure par Thierry Bellefroid
« Murmure » de Kramsky et Mattotti. Au Seuil.

Les éditions du Seuil ont décidément uni leur destin à celui de Lorenzo Mattotti. Non content d'éditer en français les nouveautés de ce génial dessinateur italien, l'éditeur poursuit parallèlement la réédition de titres épuisés. C'est le cas de ce « Murmure » qui bénéficie pour l'occasion d'une nouvelle (et superbe) couverture et succède à la réédition de « Labyrinthes ». Parue chez Albin Michel en 1989, « Murmure » est une histoire d'initiation. Le héros, affublé d'une tache rouge sur le visage, et surnommé « Murmure » par deux drôles de compagnons colorés, va tenter de comprendre qui il est et pourquoi il a atterri sur cette plage -ou cette île ?- étrange. Dans l'eau s'ébattent les poissons-cerfs, avec leurs bois qui dépassent des vagues. Säfran, un homme inquiétant au sabir « esperantesque » les pêche sans relâche. Une femme aux longs cheveux noirs vient également troubler l'introspection de « Murmure ». Vous l'aurez compris, le récit est onirique, pour ne pas dire symbolique. Mais à mesure qu'on y pénètre se développe la magnifique complicité des auteurs. Jerry Kramsky arrive à se faire oublier totalement en proposant des histoires dont le moteur -et souvent l'intérêt- est le dessin de Mattotti. Au point qu'on a parfois l'impression de se trouver devant une oeuvre d'auteur, un de ces livres où les dessinateurs laissent libre cours à leur imagination. Mais à mieux y regarder, on s'aperçoit cependant que le livre doit aussi beaucoup à l'exceptionnelle musicalité des textes de Kramsky. Une telle osmose n'est pas courante. Il faut dire que Lorenzo Mattotti n'est pas un dessinateur banal non plus. Ses couleurs et ses cadrages en attestent. Le mélange des crayons de couleur, de la craie ou de la pointe grasse et des pastels donne des résultats que l'on ne peut qu'admirer. Le final (les trois dernières pages) est à ce sujet tout simplement magistral ! Lorenzo a tout compris au dessin et depuis très longtemps. Même ses élèves -comme Gabriella Giandelli (également publiée au Seuil)- avouent qu'ils n'arrivent pas, comme lui, à maîtriser la lumière en plus de la couleur.
Lorenzo Mattotti expose ses travaux BD à Paris, depuis le 10 janvier et jusqu'au 23 février 2001. A l'Istituto Italiano di Cultura, 50, rue de Varenne, dans le 7ème arrondissement (Métro Rue du Bac). Ouvert du lundi au vendredi de 9H30 à 13H et de 15H à 18H.
Tom Strong - tome 1 (Tom Strong) par Thierry Bellefroid
« Tom Strong N°1 », par Alan Moore et Chris Sprouse. Chez Semic.

Semic publie trois des récentes séries lancées par LE maître britannique du scénario, Alan Moore (Watchmen, V pour Vendetta, From Hell,... tout ça c'est lui !). Ces trois séries, Tom Strong, Promethea et Top Ten, explorent à leur façon les grandes figures archétypiques des média américains. Top Ten raconte les tribulations d'un commissariat futuriste, Promethea explore un mythe littéraire, celui de Prométhée, et Tom Strong propose un croisement entre Superman et Doc Savage. C'est le super héros à la sauce Moore. On y retrouve plus une exégèse presque critique de ce que l'Amérique a produit en la matière qu'un véritable super héros. A l'aide de mises en abîme, de construction temporelles éclatées ou encore d'ingrédients humanistes ou écologiques, Moore explore le domaine tout en le réinventant. Son Tom Strong, garçon privé de contacts humains et dont la vie est dévolue à la connaissance dès son plus jeune âge, est un personnage attachant. D'abord parce qu'il conserve de son séjour sur une île oubliée des hommes un peu de la sagesse indigène... et une charmante épouse. Ce n'est donc pas un vrai héros urbain comme le sont presque tous les super héros américains. Ensuite, parce qu'il ne cherche ni vraiment la gloire ni à sauver l'Amérique ; il se contente de répondre aux appels qu'on lui lance et prend son rôle de défenseur de l'espèce humaine à coeur en se servant de ses connaissances scientifiques pour venir à bout d'ennemis parfois lointains. Tout cela permet à Alan Moore d'emmener son lecteur où il veut, y compris à travers un vingtième siècle qu'il parcourt d'un bout à l'autre. C'est très réussi et pour qui aime les bons comics, c'est un pur moment de plaisir rehaussé par le dessin sans faille de Chris Sprouse. Tom Strong mérite bien de figurer dans la collection ABC lancée par Alan Moore et dont les trois lettres signifient : America's Best Comics.
« Sam & Twitch, volume 1 » par Brian Michael Bendis et Angel Medina. Chez Semic Books.

Vous aimez le polar ? Le vrai, avec des personnages béton, une intrigue qui ne l'est pas moins, du suspense, du mystère, des embrouilles, des cadavres sanguinolents, une pointe de fantastique qui pourrait ne pas l'être tant que ça, des phrases choc prononcées par des flics désabusés ? Alors, vous allez adorer cette histoire ! Sam & Twitch, c'est ce que l'Amérique fait de mieux en matière de BD. Un découpage parfait au service d'une histoire solide (dont ce premier album ne livre pas la solution, autant vous prévenir tout de suite, faudra patienter pour la fin...) que le dessinateur Angel Medina (le repreneur de Spawn) habille d'un trait tantôt effrayant tantôt à la limite de la caricature. Il faut dire que le polar à la « Seven » de Brian Michael Bendis n'empêche pas les répliques humoristiques, ce qui est un exercice aussi périlleux que payant.
Deux flics, partis jouer les privés mais revenus dans la police après avoir bouffé les pissenlits par la racine, vont se trouver confrontés à une « épidémie » de cadavres de mafiosi. Ils proviennent tous de la même famille et surtout, on trouve près de certains d'entre eux de bien étranges indices : quatre pouces (dont l'ADN atteste qu'ils viennent d'une même personne, cherchez l'erreur), quatre oreilles et un sexe dont les cellules n'ont pas l'air de vouloir mourir. Qu'est-ce qui se cache là-dessous ? Croyez-moi, j'aimerais bien le savoir ! Un must !
La gagne par Thierry Bellefroid
« La gagne » par Etienne Davodeau et Jean-Luc Simon, aux éditions « Charrette », dans la collection « La petite saloperie ».

Petit fascicule au format italien, « La gagne » est une histoire courte de treize demi-pages. Autant dire que la lecture de cette plaquette ne vous prendra pas plus de quelques minutes. Mais ce conte moderne plaira aux fans de Davodeau au même titre que ses albums en solo chez Delcourt. Etienne y développe une fois de plus un thème social et s'attaque cette fois aux prédateurs du « bizzness ». L'un est un cadre supérieur très content de lui, l'autre un apparent SDF bien plus malin qu'il n'y paraît. Entre eux va naître une étrange relation, le temps d'un trajet en voiture. Avec une fin inattendue. Et une morale à la Davodeau. Le tout est mis en image par Jean-Luc Simon dans un noir et blanc volontiers hachuré et un rien carnassier qui habille l'histoire sans la surcharger.
Le cri du vampire par Thierry Bellefroid
« Le cri du vampire » de Trillo et Bernet. Chez Albin Michel.

Quand un auteur n'arrive pas à rivaliser avec l'un de ces confrères, on ne peut que s'en désoler. Quand il tente de rivaliser avec lui-même, on est forcément encore plus méfiant. Après l'extraordinaire « Je suis un vampire » (trois tomes et un quatrième en préparation chez Albin Michel, dessin de Risso), Trillo s'attaque en effet pour la seconde fois aux vampires, cette fois en compagnie du dessinateur de Torpedo, Bernet. Et s'il n'arrive pas à faire aussi bien, on ne peut que trouver l'histoire au-dessus de la plupart des histoires actuelles inspirées par le vampirisme. Après avoir décliné le thème sur le mode de l'enfance, Trillo le décline cette fois sur celui de l'amour éternel. Deux vampires peuvent-ils s'aimer à travers les siècles sans ressentir de lassitude ? Apparemment non. C'est parce que les paroles « je t'aimerai toujours » lui ont fait peur que Lorenzo Luna a plaqué Ludmila, il y a deux cents ans. L'idée d'un amour qui ne s'éteindrait jamais, jusqu'à consommation des siècles, lui avait semblé insupportable. Mais Ludmila, elle, ne vit que pour retrouver celui qui a été son mentor et son amant. Les retrouvailles sont inévitables. Elles seront à la fois touchantes et tragiques. Trillo joue sur tous les registres à la fois. Et nous montre des vampires déchirés par l'amour, ce qui n'est pas courant. Ceci étant, l'histoire est plus conventionnelle, plus attendue que le précédente. Le dessin de Bernet lui convient bien, sans être aussi exemplaire que celui de Risso. Quant au scénario, il passe assez prês de la banalité dans les premières pages mais se rachète bien ensuite. Il reste toutefois un défaut essentiel : sans doute le personnage du photographe est-il vraiment trop con pour qu'on y croie. Sans lui, l'histoire ne tient plus. Avec lui, elle est presque trop facile.
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