La minute de Killiann (juin 1998)
Dans notre bon royaume des bulles, que cela soit par chauvinisme ou par tradition, il trop souvent de bon ton de dénigrer les productions étrangères... A ce sujet, je reste persuadé qu'il n'y a dans cette démarche aucune véritable intention mauvaise, seulement une bonne dose d'incompréhension et, par dessus tout, un manque évident d'information, le tout saupoudré d'une absence de curiosité crasse. Depuis quelques années, le Manga semble avoir remporté, haut la main, la palme de toutes les animosités possibles... Combien de fois n'ai-je pas entendu dire, d'un air dégoûté, "le Manga c'est rien qu'une sous-merde... Par contre la BD, bien de chez nous... ça c'est de la Bande Dessinée. " - n'oubliez pas, pour la dernière partie de la phrase, d'adopter un accent de supériorité et de contentement ravi...- Rassurez-vous de suite, je ne suis pas particulièrement un fan de Manga, et je ne cherche en aucun cas de vous faire embrasser le genre, mais... Et oui, Foutredieu!, comme d'habitude, il y a un "mais" (- sinon je me demande ce que je pourrais bien vous trousser comme article -) dans ce cas-ci comme dans bien d'autres, l'honnêteté intellectuelle impose un bémol de taille à cette affirmation à l'emporte-pièce... Tout d'abord, avant d'aller beaucoup plus loin, il serait bon de ne jamais comparer des choses, qui en fin de compte, comportent plus de différences que l'on pourrait croire au premier abord. En effet, ces deux modes d'expressions ont la particularité d'utiliser un même vecteur, à savoir le dessin. Bien sûr, c'est ce qui est le plus flagrant, et les observateurs peu attentifs s'arrêtent là dans leurs investigations... Un peu comme s'ils faisaient demi-tour avant de pénétrer dans une salle de cinéma, sous prétexte qu'ils avaient eu tout loisir d'admirer les photos publicitaires affichées à l'entrée... vous pouffez ? L'exemple vous semble si gros que ça? Attention! ne vous étranglez surtout pas et essayez donc de ne pas rire jaune(le comble dans le cas du Manga), cette réaction digne de la plus bête des autruches vis à vis d'un style de BD (ou même d'un auteur...), catalogué une fois pour toutes, est si répétitive qu'elle s'est banalisée chez la plupart des lecteurs. La plupart des gens ne sont attirés que par ce qu'ils connaissent, ils font généralement abstraction de tout le reste, oubliant que si la curiosité est un vilain défaut dans beaucoup de domaines, elle est une vertu en matière culturelle... Quand on juxtapose des planches issues des deux courants (BD à l'européenne et japonaise), la preuve de ce que avancent les détracteurs du Manga semble alors être d'une évidence solaire... Toutefois vous remarquerez en passant, que pour représenter le Franco-belge, nos comiques ne s'encombrent jamais de grands scrupules... Fiers comme Artaban, ils vous mettent généralement sous les yeux ce qui se fait de mieux dans le domaine, tandis que pour l'autre tendance, ils ne peuvent prendre que ce qu'ils ont sous la main, quand, plus grave encore, ils ne font pas perfidement appel à votre mémoire... logique! eux vivants jamais pareille injure ne pourrait rentrer dans les rayons de leurs précieuses bibliothèques chéries... Devant un aussi magistral exemple, on se doit de rester confondu, gêné, sans voix même... Comment avons-nous pu être à ce point aveuglé ? Comment avons-nous pu lever des boucliers pour défendre l'indéfendable ?... C'est bien vrai ça! Comment avons-nous pu être aussi bête? - " Mais bon sang! mais c'est bien sûr, monsieur Duchmol ! Quelle belle présence d'esprit, quelle démonstration fulgurante... vous avez entièrement raison !... Mea culpa, mea maxima culpa !!! " Nous exclamons-nous en guise d'acte de contrition.(je m'excuse, à genoux et bras en croix, auprès de tous les Duchmol que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam et qui ont cependant, j'en suis persuadé, une très grande ouverture d'esprit...) Erreur. Erreur... horreur d'erreur... Raté! mon petit, essaye encore... Deux modes d'expression, deux visions différentes... Clamons-le sur tous les tons... Hurlons-le en espérant que notre voix s'évade du désert où elle est reléguée : - " La Bande Dessinée, en tant qu'entité Mondiale, n'existe pas ! " A la place de "bande dessinée" comme terme générique, il serait plus honnête d'utiliser le titre de " Figuration narrative " qui regrouperait entres autres : le Manga, le Comics, la Bande Dessinée... Or, Il nous est virtuellement impossible d'analyser un courant à la lumière d'un autre... Ca serait bien trop commode. Tout d'abord, il y a la culture de base des dessinateurs et scénaristes qui s'adressent avant tout à des lecteurs bien définis... L'universalité en matière culturelle est une gageure... Personne ne me prétendra que la vision du monde du petit japonais est la même que celui du petit européen ou même du kid qui habite au fin fond de son Alabama natal... L'acquis culturel, malgré une mondialisation galopante, reste et restera le dernier bastion de résistance. Comparer des graphismes différents, de nouveau la belle affaire... Rien que dans la BD franco-belge, une pléiade d'artiste utilise une myriade de styles... Qui oserait arguer qu'il les apprécie tous sur le même pied d'égalité... Est-ce pour ça que l'on peut affirmer sans vergogne qu'untel est meilleur qu'un autre ? Qu'untel fait de la bande dessinée, alors qu'un autre s'est fourvoyé sur un chemin de traverse... Non ! On aime ou on aime pas... C'est une sensibilité, un postulat, propre à chacun... L'essence même de la richesse artistique d'un genre... Ceci dit, le Manga bien du mal à rentrer dans les habitudes de lecture des amateurs de bandes dessinées franco-belge. Indubitablement, le Manga a fort mauvaise réputation... Sa violence exacerbée, son humour souvent bassement scatologique, ses allures feuilletonesques interminables, ainsi qu'une schématisation abusive des décors, pourraient plaider contre lui. Ajoutons à ça, l'amalgame facile avec l'agression des séries télévisées à l'animation saccadées dont se sont abreuvés jusqu'à l'indigestion les ados durant ces 20 dernières années...(et qui, contre toutes attentes, n'ayons pas peur de le dire, a fortement contribué à son succès dans nos contrées...) Et indépendamment de son contenu, son format, sa publication en noir et blanc et le côté "mode" de son édition à la japonaise(ce n'est pas pour faire joli, ni pour faire plaisir aux puristes... ça coûte tout simplement moins cher de les publier tels quel)ne peuvent que dérouter les amateurs des beaux albums à l'européenne. Tout cela concoure à l'enliser à nos yeux dans l'ornière boueuse d'une sous-sous culture... Et pourtant, n'en déplaise à tous ses détracteurs, le Japon est le premier producteur d'histoires en images de la planète... Le japonais consomme le Manga, comme nous la télévision (le rêve de tout éditeur franco-belge !) Dans la masse de ce qui se publie au pays du soleil levant, on ne me fera pas croire qu'il n'y a rien qui puissent oulever l'enthousiasme de nos yeux débridés d'européens... Pourquoi donc les choix éditoriaux de nos éditeurs sont-ils aussi peu satisfaisants ?... Apparemment ça semble relativement bien se vendre... Dés lors, si le marché a raison, c'est que nous avons en pâture les bandes dessinées que nous méritons... Il n'en reste pas moins qu'il existe en français comme traduits en langue anglaise des oeuvres fort intéressantes pour qui veut prendre la peine de les découvrir. Je ne peux que vous inviter à faire le premier pas, sans pour autant vous assurer que vous y trouverez votre compte... Citons pêle-mêle, Gen d'Hiroshima (Keiji Nakazawa, Albin Michel 1983, réédité en version augmentée en 1990, sous le titre de " Mourir pour le Japon. " - Prodigieux et terrifiant! les derniers jours d'Hiroshima et ceux qui vont suivre, racontés par un survivant, l'auteur lui-même. A rapprocher de " Maus " d'Art Spiegelman, Legend of Kamuï (Sampei Shirato- Eclipse, Chroniques de la vie dans le japon féodal, révolte paysanne.), Mai the Psychic Girl (Ryoichi Ikegami - Eclipse 1987), Lone Wolf and Cub ("Kozure Okami" de Kazuo Koike, First Comics 1987, un manga dont Frank Miller ne cache pas son admiration et reconnaît par ailleurs comme une de ses principales inspirations.), Bouddha (Osamu Tezuka, considéré comme" Le Père de la BD japonaise", en français aux E° Tonkam 1997, une certaine vision de la vie de Bouddha et du bouddhisme, une grande leçon de vie, passionnante sans jamais être rébarbative), Détective Conan (Gosho Aoyama, en français chez Kana E°(Dargaud) à partir de 1997, des histoires policières bien sympathiques qui devraient ravir jeunes et moins jeunes...), ou beaucoup plus connu encore : le célèbre Akira qui annonça l'ère des traductions des mangas en français (Katsuhiro Otomo, en album chez Glénat à partir de 1991)... Mais surtout, de grâce, débarrassez-vous, une fois pour toutes, des idées préconçues... Demandez conseil à votre libraire spécialisé, ses rayonnages doivent renfermer des trésors propres à vous satisfaire... Pour briller en société et pour ne plus passer pour un tigre de papier:
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