La seconde
chose dont je souhaitais te parler. Dans « Blues et autres récits en couleur
», il y a cette extraordinaire histoire avec le poisson, qui s'appelle d'ailleurs
« Blues ».
Zentner : Oui, tout le monde parle de ça (rire) C'est génial. C'est de la « nouvelle » pure.. mais ça ne pourrait pas exister autrement qu'en bande dessinée… Zentner : Pourtant je l'avais écrite comme nouvelle… Il y a un « plus » avec la bande dessinée… Zentner : Il y a une histoire très jolie ici. Cette histoire n'existait pas… Et comme on jouait avec des couleurs, Pellejero me donnait des idées des ambiances qu'il voulait. Il m'a dit : « Je voudrais faire quelque chose en bleu, avec des images, une lumière bleue… ». Je me suis demandé ce que cela pouvait donner, une ambiance bleue… C'était un aquarium. Alors, j'ai mis la lumière… et dans la lumière, j'ai pensé à mettre des éléments. Et finalement, si tu regardes mes histoires, il y a toujours une histoire d'amour.. mais la vraie clé de cette histoire, ce qui fait la différence, parce que la différence n'est pas dans l'histoire du poisson,… la vraie différence, c'est que cette histoire est relatée à la première personne…. par le poisson. C'est le point de vue de l'histoire. Si tu changes de point de vue, l'histoire éclate et est vide de sens. Il y a certainement autre chose qui fait aussi l'histoire, c'est la relation entre amour-danger, amour-mort, quand même… ? Zentner : Oui, mais ça, c'est très vide, c'est vieux comme le monde… Quand j'ai trouvé le point de vue, parce que j'ai traîné derrière cette idée, je ne l'ai pas trouvée tout de suite… Il y a le rapport avec le danger, oui, il y a la mort, ça c'est du déjà-vu. Mais quand j'ai découvert que c'était le poisson qui allait raconter l'histoire, je me suis dit « Ca y est ! Ca va fonctionner ! Ca ne peut pas rater parce que c'est inattendu». En réalité, c'est une fable. C'est tellement évident qu'on ne le voit pas. J'aurais dû découvrir cela bien plus tôt, le fait de raconter cette histoire à la première personne… C'était tellement évident. On a lu tellement de fables…on est pas habitué à cela. Je suis un lecteur de Kafka depuis l'âge de 12 ans. Kafka est un écrivain de fables et de légendes classiques. Il y a même des chiens qui font des discours… C'est fou. Si on sort un tout petit peu des idées reçues… Dans le traitement graphique, il y a aussi beaucoup d'idées… Est-ce que c'est toi, par exemple, qui as eu l'idée de mettre les deux yeux à deux bouts : case de droite, case de gauche… ? Zentner : Oui, c'est moi qui ait fait le découpage graphique. C'était un story-bord ? Zentner : Non. Je décris les images et je fais graphiquement la taille et la position des cases, ça oui. Et même, mais ça je ne sais pas si tout le monde s'en est aperçu, le fait que la voix ne rentre pas dans l'eau… Là, il faudrait que je relise l'album… Zentner : Parce que ça c'est la clé de toute l'histoire. Je ne suis pas sûr que tout le monde ait bien compris. C'est une histoire dans laquelle beaucoup de gens perçoivent une bizarrerie mais ne trouvent pas la vraie clé. Le poisson insiste sur le fait qu'il n'entend pas. La voix de la femme n'entre pas dans l'eau. Le poisson pense et il interprète… Mais pourquoi l'histoire se déclenche-t-elle ? Parce que dans la dernière séquence, le poisson entend les cris de plaisir qu'elle fait. C'est la clé qui lui fait perdre le sens. C'est la vraie substance de l'histoire. Parce que le poisson, mortellement dangereux, ne l'attaquait pas… et puis, tout d'un coup, il l'attaque… Le lecteur qui n'aurait pas compris l'histoire aussi subtilement, va se trouver une autre solution… Par exemple : la jalousie ? Zentner : Il n'attaquait pas parce qu'il se contrôlait. Mais il perd la possibilité de se réprimer parce qu'il se dit qu'il lui arrive un miracle : il entend ! Relis l'album et tu verras que la « bulle » rentre dans l'eau, mais vide, sans parole… Mais Pellejero n'a pas fait tout à fait ce que je voulais.. il a mis de la couleur dans la bulle. Je ne voulais pas la couleur…. Et il a mis le texte de la partie gauche… mais dans le scénario, le texte était coupé. C'est à dire que le lecteur ne comprenait pas tout non plus… Comme c'était le point de vue du poisson, le lecteur ne pouvait pas non plus tout comprendre. Il y a certaines subtilités qui n'ont pas été reprises, mais bon, ça fonctionne quand même… Et bien, nous finirons sur cette très belle note. Merci beaucoup. Images Copyrights © Pellejero & Zentner - Editions
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