Un "Poisson Pilote" récompensé avec l'Alph Art du meilleur album, c'est non seulement une bonne surprise, mais c'était peut-être inespéré en lançant la collection il y a si peu de temps.. ? Guy Vidal : Il y aura deux ans, en avril. On doit vivre dans une époque où les choses vont assez rapidement. Après deux ans d'existence à peine, on reçoit le prix du meilleur album avec "Isaac Le Pirate" de Christophe Blain ; c'est vraiment une joie, un plaisir. Vous vous attendiez à avoir forcément des succès critiques, j'imagine, puisque vous saviez déjà que la critique était relativement favorable à ce type de bande dessinée. Mais j'imagine que cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'a pas fallu se battre, y compris en interne, pour imposer une collection comme celle-là ! Guy Vidal : Cela dépend bien entendu des circonstances. Ici, on a eu de la chance. Je connaissais Lewis Trondheim - qui est un peu un des chefs de file de cette école de bande dessinée - et je suis revenu chez Dargaud dans les années 1994-95. Une de mes premières demandes fut que l'on édite Lewis Trondheim. Les choses se sont ainsi enclenchés et quelques auteurs de cette mouvance se sont rapprochés de Dargaud. Dargaud a bien joué le jeu - et je ne dis pas cela parce que je fais partie de la maison - mais Dargaud a accepté de miser sur de jeunes auteurs, certes déjà tout à fait prometteurs lorsqu'on les a rencontrés, mais non commercialement établis. Là, on a les prémisses de quelque chose de tout à fait intéressant, tant sur le plan littéraire que sur le plan commercial.. Et comme en plus, ce sont un peu des amis, j'en suis ravi ! Un petit conte de fée éditorial, ne boudons pas notre plaisir ! Qu'est ce que le directeur éditorial que vous êtes donne comme consigne à ces auteurs… Guy Vidal : C'est exagéré le mot consigne ! ... ou comme "encadrement" à ces auteurs dont on sait que l'imaginaire est absolument débordant - le talent et la personnalité le sont aussi… Alors comment les recentrer, comment les faire ressembler à une collection alors qu'ils sont disparates ? Est-ce qu'il y a un travail de directeur éditorial spécifique pour un tel panel d'auteurs qui possèdent tous leurs propres personnalités ? Guy Vidal : Je me suis toujours considéré comme un accompagnateur mais jamais comme un chef de bande. Je n'ai pas l'étoffe d'un chef, mais comme accompagnateur, je crois être assez correct. J'ai eu la chance de travailler avec des gens comme Goscinny, Charlier, Giraud, Christin, Mézières,… et là, je me retrouve avec une nouvelle génération. Je leur sers un peu, du moins je l'espère, de "passeur", à nouveau d'accompagnateur… Et puis, j'ai la chance d'être le premier lecteur. Alors quand le premier lecteur que je suis, bute sur quelque chose, une incompréhension,… je pose mes questions. Mais donner des "consignes" à Lewis Trondheim ou à David B, c'est du domaine du rêve.. ! Et puis, ce qui me plaît dans les livres, que ce soit en bande dessinée ou dans les bouquins en général, c'est de rencontrer quelqu'un, une voix, une personnalité... Tout à l'heure, j'ai participé à un débat avec Baru avec qui je rêve de réaliser un "Poisson Pilote" - malheureusement, il a d'autres engagements qui le retiennent - et c'est pareil. C'est un individu porteur d'une vision du monde à taille plus ou moins importante… et ce qui me plaît, c'est de rencontrer les gens et qu'ils me racontent des choses d'eux.. Je suis un peu voyeur et j'apprécie beaucoup ces complicités qui se créent - même si parfois elles ne se créent pas.. J'ai cette complicité avec la plupart des gens avec qui je travaille, enfin j'espère ! Ce qui est amusant, c'est de voir que tous ces auteurs viennent pratiquement de l'école - si tant est qu'elle existe - de l'Association où ils ont pu faire tout ce qu'ils voulaient en noir et blanc, sans aucune contrainte… Ils voulaient faire leurs bandes dessinées dans leurs langages… Et voilà qu'ils se retrouvent dans une collection qui a une pagination arrêtée, des impératifs commerciaux minimums malgré tout… Alors finalement, vous ne leur donner pas de "consigne".. mais ont-ils compris tous seuls comment ils devaient se comporter par rapport au marché différent dans lequel ils étaient ? Est-ce que l'éditeur a eu un travail à faire à ce niveau ? Guy Vidal : Je trouve que cette bande de jeunes gens est assez remarquablement lucide, peut-être parce qu'ils sont proches les uns des autres et qu'il y a de véritables échanges dans leur groupe. Ils ne l'ont peut-être pas toujours été… J'ai des souvenirs de prises de positions, que je ne partage pas, assez abruptes et cassantes. Mais il y a toujours une révolte contre les choses établies. Je citais Goscinny et Charlier… eux aussi se sont un peu révoltés dans les années 60 par rapport à ce qu'était la presse de bande dessinée. De même, dans les années 70-75, Mandryka, Brétécher, Gotlib,… se sont, eux, révoltés contre Goscinny qui représentait l'ancienne école… De même, ces jeunes qui viennent de l'Association se sont révoltés contre les schémas dominants dans les années 80-90 et ont créé ce qu'ils ont créé et ont élargi, à mes yeux, le champs de la bande dessinée. La bande dessinée s'est considérablement enrichie par rapport à mes début dans les années 60. Quand j'étais gamin, la bande dessinée c'était pour les enfants… Maintenant, ça l'est peut-être toujours et heureusement - je pense à Boule et Bill, à Titeuf… - mais le champs d'investigation et d'exploration de la bande dessinée s'est considérablement enrichi et je trouve cela formidable. Le nom de "Poisson Pilote" a prêté évidemment à beaucoup de commentaires. D'ailleurs, je pense que celui qui a inventé la formule n'est pas extérieur à Dargaud, mais bien vous… Le nom 'Poisson Pilote" est devenu "Poisson Pilote l'Association Couleur". Mais n'est-ce pas devenu autre chose maintenant, après ces deux ans, que "l'Association Couleur" ? Ne peut-on dire qu'il y a une autre cohérence, une autre ligne ? Guy Vidal : Oui, tout à fait ! Qu'est-ce qui différencie finalement "Poisson Pilote" de ce que ces auteurs continuent à faire ailleurs ? Guy Vidal : Ces auteurs ont intelligemment réalisé que Dargaud n'était pas l'Association et que Dargaud était une relativement grosse machine dans l'univers éditorial. Nous ne pouvons pas avoir le même fonctionnement qu'une structure telle que l'Association qui est une petite structure et qui peut se permettre des choses que Dargaud ne peut pas se permettre. Dargaud a une vingtaine de représentants, un service commercial, un service marketing, etc. Ces jeunes gens savent dans quelle cour ils jouent et donc ils font le tri… Qui plus est, comme ils sont très prolixes et très imaginatifs, ils font aussi des choses chez Delcourt, chez Dupuis et.. chez Dargaud dans "Poisson Pilote". Ce qui n'empêche qu'une série comme "Les Olives Noires", qui parait chez Dupuis, aurait pu aussi avoir sa place dans "Poisson Pilote", mais Guibert à une fidélité à l'égard de Dupuis que je respecte tout à fait… Interview réalisée
par Thierry Bellefroid Images Copyrights © Blain - Editions Dargaud 2002 |
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