Interview de Olivier Taduc : Chinaman



Olivier Taduc répond aux questions de BD Paradisio, dans le cadre de la sortie de son nouvel album : Les mangeurs de rouille, 4ème album de la série Chinaman, chez Les Humanoïdes Associés.

Olivier Taduc. Ceci est notre première rencontre. Pourriez-vous nous raconter brièvement votre parcours et votre rencontre avec Serge Le Tendre ?

Taduc : J'ai commencé à travailler dans la bande dessinée en 1986 chez Fleurus, pour un journal qui s'appelait Triolo en y publiant de petites histoires pour enfants. Je suis ensuite passé chez Bayard, Okapi, …, ce genre de journaux. J'ai réellement commencé à faire des albums BD en 1989 chez Glénat. Une série, appelée « Sark » - c'était du Cape et d'épées - et ensuite, chez Delcourt, j'ai repris « les Voyages de Takuan ». C'est là que j'ai croisé Serge Le Tendre que que nous avons commencé à travailler ensemble (en '91-'92) quand Guy Delcourt m'a proposé de reprendre cette série. Cela a tout de suite très bien collé avec Serge Le Tendre.

A l'origine, l'idée de la série de Chinaman vient plutôt de vous ou de Serge, suite à votre rencontre justement ?

Taduc : En fait, c'est une série que j'avais en tête depuis '89-'90, que je voulais réaliser seul au départ. Comme les choses s'étaient très bien passées avec Serge, je lui ai proposé de repartir sur cette nouvelle série. C'était trop bête d'arrêter de travailler ensemble, et il a été d'accord.

Chinaman, c'est de l'autobiographique ? Ce mélange de plusieurs éléments : le déracinement des personnages, le choc des cultures,… Ce sont des choses qui vous touchent personnellement ?

Taduc : C'est effectivement un sujet qui me touche de près étant moi-même d'origine asiatique, même si je vis en France depuis toujours et si, en mon for intérieur, je suis Français. Cela fait partie de ma vie, l'intégration. A chaque fois, on doit faire la preuve de son envie de s'intégrer dans la société dans laquelle on vit. Ce n'est pas forcément marqué sur son visage qu'on est typiquement français. Donc, à partir de là, on peut effectivement voir des similitudes entre le personnages et mon parcours à moi. En outre, cette série vient de mon envie de faire du western. Depuis tout gamin, j'ai toujours eu envie de faire du western, par les films que je voyais au cinéma, par la télévision, par la bande dessinée, … A une époque de ma vie, quand j'étais étudiant, j'ai eu également beaucoup de plaisir à voir des films de Hong Kong d'arts martiaux, et, de par mes origines, j'ai aussi eu envie de retracer la vie d'un personnage asiatique. A partir de là, est née cette envie de relater les aventures d'un chinois dans un western américain.

Série à la fois classique par son thème, le western, mais originale par le choix de son personnage principal…

Taduc : En bande dessinée, oui. Au cinéma ou en feuilleton, cela a déjà été fait au travers de la série « Kung Fu », ou même « Soleil Rouge » où l'on a des incursions asiatiques dans un univers western, mais en bande dessinée effectivement, cela n'a pas été fait.

On y aborde également les thèmes de l'injustice, des inégalités,…

Taduc : Oui, après effectivement, on parle de l'intégration qui était, à l'époque, un thème très présent et qui le reste encore actuellement.

On voit clairement l'émergence des valeurs, de la sensibilité, des émotions … peut-être un peu plus voilées dans le premier et beaucoup plus présentes dans les derniers albums. Comment comptez-vous, avec Serge - qui est lui-même très porté sur les émotions et les rapports humains - faire évoluer le personnage et la série ?

Taduc : En fait, ce que nous apprécions tous les deux dans la bande dessinée, c'est de raconter des histoires avec des personnages chargés émotionnellement, relativement intéressants au niveau de l'affect. C'est sûr que l'on fait des histoires d'aventure, mais on essaie aussi d'y mettre cette dimension émotionnelle. C'est ce qui nous attire tous les deux.

Comment collaborez-vous au niveau des scénario ? Vous discutez des idées de fond à deux ?

Taduc : Tout à fait. On se met autour d'une table et on commence à parler de nos envies d'histoire. Il y a des idées qu'on met de côté et qu'on réutilisera par la suite. On en privilégiera certaines pour faire avancer l'histoire dans un sens, une direction qu'on va vouloir tous les deux. Et ensuite, une fois que l'histoire est écrite, Serge se met à réfléchir aux séquences. Il va faire vivre tous ces personnages, il va habiter l'histoire.

Comment voyez-vous l'avenir de cette série ? A-t-elle une durée de vie déjà déterminée ?

Taduc : Ce n'est pas précisément établi, mais on a un ordre de grandeur. On va dire qu'on a à peu près encore une quinzaine d'albums à réaliser.

Les aventures de ce héros solitaire, renié par ses propres compatriotes, isolé de tous, vont-elles les « condamner » à évoluer seul ?

Taduc : Non, non, le principe de la série se base sur les rencontres. Au fil de ses rencontres, il va d'ailleurs, dans le cinquième album que je suis en train de dessiner, rencontrer une femme, blanche, avec qui il va faire un bout de chemin..

Il va se poser à un certain moment ?

Taduc : Non, il va croiser des gens, mais il ne va pas se poser. C'est vraiment le principe de la série. Ce sont ces rencontres qui sont intéressantes, c'est ça qui nous plaisait, nous, quand on a lancé cette série. Si on commence à le caser, on n'aura plus vraiment d'histoire à raconter après. On est un peu prisonnier de cela. Ou alors, il faudrait envisager des séparations, comme on le retrouve parfois dans certaines séries, comme Thorgal, où le personnage est marié, a des enfants, mais c'est toujours plus difficile à gérer … Donc, pour l'instant, on n'a pas envie de le caser, parce qu'on a envie de raconter des histoires, mais on peut toujours envisager que cela se fasse un jour (rires). Etant donné que le personnage est sensé évoluer psychologiquement, on peut un jour envisager de le faire…

Vous envisagez éventuellement un retour dans son propre pays, un jour…

Taduc : Non, jamais… Non, là, il a coupé les ponts avec ses racines.

Et une « re-rencontre » avec son ami d'enfance, on s'attache beaucoup à cette amitié ?

Taduc : Oui, ça, c'est tout à fait envisageable. Il y a une forte relation qui s'est noue et, même nous, on a du mal à envisager le fait qu'ils ne se voient plus du tout. Pour nous, ce sera aussi très agréable de les faire se retrouver.

Que pensez-vous que le public attend de cette série ? C'est une soif d'aventures, ce sont les émotions, la sensibilité… ? Comment pensez-vous pouvoir le surprendre dans la suite de la série ? Le surprendre ou le séduire ? Peut-être finalement, n'est-ce pas une recherche mais simplement d'abord l'envie de vous faire plaisir à vous-même … ?

Taduc : Et bien oui, c'est essentiellement cela au départ. On a effectivement du mal à sentir le lecteur, parce que celui-ci n'est pas unique mais multiple, et il est très difficile de savoir ce qu'il recherche. Par exemple, les albums de la série sont tous différents, ils ne sont pas du même tenant. Il y a donc des lecteurs qui vont préférer l'un ou l'autre album. C'est très difficile. On ne peut pas, nous, envisager un « lecteur-type ». Donc, au départ, effectivement, on raconte les histoires qu'on a envie de raconter, tout simplement, ou moi, ce que j'aurais eu envie de lire adolescent, par exemple.

Quand vous êtes en contact avec vos lecteurs, qu'est-ce qui semble les toucher le plus dans cette série ?

Taduc : Ce qu'il en ressort, c'est déjà le côté action. On ne peut pas le nier, c'est quand même une série d'action où les arts martiaux ne sont pas absents, loin de là. Je pense que ce qui leur plaît également, c'est la trajectoire de ce personnage, un peu atypique effectivement, avec une certaine part d'humanité, et d'être à la frontière entre deux mondes, le monde chinois et le monde des Blancs américains ; je pense que c'est cet ensemble qui les touche le plus.

Parlons justement de ces arts martiaux. On les retrouve dans certaines scènes d'action, sans qu'ils ne soient omni-présents, et ces scènes succèdent à des scènes finalement très opposées, de grands espaces, de paysages tranquilles. Que préférez-vous dessiner, les paysages ou les scènes d'action ? Qu'est-ce qui vous amuse le plus dans votre dessin ?

Taduc : En fait, ce qui me plaît, c'est de faire les deux. J'adore faire des scènes d'ensemble, de paysage, de nature, … Cela me plaît énormément, mais j'aime également dessiner des scènes d'action. En fait, c'est ce qui me plaît dans cette série, c'est le mélange des deux univers. L'action et la contemplation. Quand on est dessinateur, il faut être contemplatif de toute façon. Moi, viscéralement, je le suis.

Dans ce dernier album, vous avez changé de coloriste. C'est un choix… ?

Taduc : Non. Ce n'est pas vraiment un choix, le coloriste en question, et qui était là depuis le début de la série, a été appelé vers d'autres horizons.

Vous êtes satisfait du dernier résultat ? Etes-vous de genre très directif à ce niveau-là ?

Taduc : Oui, j'essaie. Mais cela dépend des coloristes. Il y a des gens qui sont plus ou moins réceptifs aux indications qu'on leur donne, mais en général, cela se passe bien.

Vous êtes très cinéphile, vous nous l'avez confirmé. Est-ce que cela une très forte influence dans vos BD, dans vos cadrages…

Taduc : Forcément. En fait, le dessin est pour moi une façon de prolonger le plaisir que j'avais à voir certains films. Mes souvenirs de gamin sont souvent liés à des scènes de western, de cowboys et d'Indiens. C'est un genre que j'aimais beaucoup quand j'étais petit.

Quelles sont vos références en matière de cinéma ?

Taduc : Des cinéastes américains comme John Ford, Raoul Walsh, … des gens comme ça, de la vieille époque… Et d'autres, dans le cinéma moderne, des cinéastes chinois que j'ai découverts quand j'étais étudiant et qui m'ont énormément enthousiasmé à l'époque. Je leur fais d'ailleurs un petit hommage à la sortie du premier album en parlant de cinéastes chinois.

Avez-vous besoin de beaucoup de documentation pour construire vos décors, ou votre imagination vous suffit-elle ?

Taduc : On a besoin de se nourrir l'esprit en permanence. C'est pour ça que j'aime me balader dans la nature. Quand je vais en vacances, je ne prive pas de cela. Mais il y a un moment où c'est également l'imagination seule qui s'exprime, parce qu'on n'a pas toujours ce qu'on cherche, en photos ou dans la nature…

Et pour trouver vos personnages, cela vous demande beaucoup de recherches ? Combien de temps cela vous a-t-il pris pour trouver le personnage de Chinaman, par exemple ?

Taduc : Je dirais que pour Chinaman, ça s'est passé sur plusieurs années parce que je travaillais en parallèle avec d'autres séries. Petit à petit, je faisais des dessins sur ce personnage, et il m'a fallu un certain temps avant que je sois relativement satisfait. Je dirais que j'ai dû mettre deux à trois ans avant de vraiment le trouver artistiquement.

Vous les soumettez parfois à d'autres personnes ou vous préférez décider seul ?

Taduc : En général, je dessine seul, mais cela m'arrive de travailler assez longtemps avant de trouver un personnage. J'ai toujours à l'esprit le caractère psychologique du personnage. Et il faut trouver un physique qui colle parfaitement à ce qu'on a dans l'idée. En cela, ce n'est pas toujours facile, on n'y arrive pas toujours du premier coup.

Vous avez un rythme de production assez soutenu….

Taduc : Oui, un par an.

Vous envisagez de faire d'autres séries en parallèle, ou vous êtes plutôt l'auteur d'une série ?

Taduc : Oui, je suis plutôt quelqu'un d'une série. Pour l'instant, je n'ai pas du tout d'autre projet annexe, et je ne m'en plains pas. Je travaille à une série que j'avais envie de faire depuis pratiquement dix ans maintenant, cela me plaît tout à fait. En outre, je collabore avec un scénariste parfait. Je n'ai certainement pas envie d'en changer.

C'est vrai que Serge Le Tendre établit des relations très fortes avec ses dessinateurs.

Taduc : Tout à fait. Il a besoin de ça, et moi aussi, en fait. Donc, c'est parfait.

Merci beaucoup .

Images Copyrights © Taduc & Le Tendre - Editions Les Humanoïdes Associés 2000


(http://www.BDParadisio.com) - © 2000, B. On The Net