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Régis : Non, je ne me préoccupe pas de ce genre de chose. Je fais mon boulot et dès l'instant où mon bouquin est terminé et dans les mains du public, il ne m'appartient plus. C'est ensuite le public qui décide.. Plus haut ou plus bas… cela dépend du succès. J'estime avoir passé l'âge de me prendre au sérieux. Je suis ravi que l'album "marche" (il est tiré à environ 150.000 exemplaires). Je trouve déjà ça tellement extraordinaire de vivre de ce métier et d'en vivre bien. D'en vivre davantage, cela ne veut rien dire et n'aurait aucun intérêt. Régis : Oui, et c'était aussi un sujet très "casse-gueule". Ca pouvait être complètement rejeté, dans le sens où Peter Pan est un personnage pour les enfants déjà très connu, et donc pour lequel les gens n'ont pas forcément une nouvelle curiosité… sauf les petits enfants, et là, on se trompait de public. C'était une espèce de petit challenge qui ne me déplaisait pas ! Régis : Non, pas du tout. Ils y viendront plus tard (rires..). Qu'est-ce qui t'a donné envie de raconter cette Genèse et d'inventer d'autres vies à ces personnages pour justifier celles qu'ils ont eues quand tu les as lues toi-même ? Régis : Je trouve magnifique le personnage de Peter Pan qui représente le monde de l'enfance. Cela me suffisait pour avoir envie de faire quelque chose avec ce petit garçon qui refuse de grandir, qui vole de surcroît et qui peut vivre toutes sortes d'aventures comme les enfants peuvent les vivre, pleines d'insouciance, d'inconscience,.. tout ce qui fait qu'on est un enfant. Pourquoi avoir ressenti le besoin de planter un univers aussi noir, aussi sombre, aussi violent, à certains moments, qui tranche autant avec le récit original ?
C'est comme ça que tu as imaginé "Peter Pan" d'emblée, quand tu l'as lu ?
Quand on dit parfois qu'il y a un côté psychanalytique à tes personnages et à leurs univers ainsi qu'à ton traitement de la série, tu apprécies ce type d'observation ?
Est-ce que ton passage par le dessin animé ces dernières années a changé ta vision de la bd, de la narration de la bd en image ? Régis : Non, pas du tout. J'ai fait du développement, cela n'a rien de narratif, je servais de "nourriture" pour les autres. J'essayais de trouver des effets de gags, d'ambiances, … Ca n'a rien changé à ma vision de la BD. Tu changes lorsqu'on te demande de faire quelque chose qui comporte des contraintes et que tu n'as jamais fait. Si on m'avait demandé de faire un Manga de 400 pages avec trois vignettes par planche,.. j'aurais été obligé de revoir la mise en scène, etc... Dans ce cas, éventuellement, tu peux apprendre pas mal de choses. Régis : Non, bien sûr que non ! Qu'est-ce qu'il te reste comme envie ? Régis : Il y en a plein.. Hé, tu ne vas quand même pas déjà me mettre à la retraite (rires) ? …mais peux-tu mettre des mots sur les envies que tu as encore ? Régis : Bien sûr. J'ai envie de faire de la peinture, de l'illustration.. Je n'ai pas spécialement envie de me frotter à un autre "type" de bande dessinée, quoique… J'aimerais aussi faire des trucs sans paroles, entre 10 et 20 pages, faire toutes sortes de trucs comme ça pour m'amuser simplement, pour le côté esthétique,… Que cela soit narratif, ce qui ne signifie pas forcément raconter des histoires comme "Peter Pan". Mais ce qui m'intéresse fondamentalement, c'est la peinture, et ça n'a rien à voir avec la BD. Régis : Je ne suis absolument pas un technicien ! Mais tu travailles en tout les cas avec très peu de couleurs ? Régis : Très peu de couleurs, très peu d'objets. Je suis resté très scolaire là-dessus. J'ai mon crayon de papier, ma gomme, mes plumes que je vais chercher au bar-tabac du coin. Au niveau des encres, il y a cinq bases ?
Le plus important dans le dessin, c'est la vivacité ? Régis : Oui, pour moi, c'est la vie, le regard des personnages... Ton crayonné est justement plein de vivacité. On a l'impression que tu es parmi les rares qui arrivent à la conserver à l'encrage. Comment travailles-tu pour arriver à conserver ce premier jet très nerveux, très jeté ?
Mais l'encrage te plaît encore ?
Tu encres toutes les planches en une seule fois… ? Régis : Non. Je fais un crayonné très rapide de ma mise en place (environ une heure) et ensuite, je commence à préciser la première vignette et je l'encre tout de suite. Je passe ensuite à la deuxième et ainsi de suite. Régis : Oui, ça donne surtout l'impression d'avancer car tant que ta planche n'est pas encrée, elle n'est pas finie ! Tu as beau avoir fait tous tes crayonnés, ta planche n'est toujours pas finie ! J'ai vu certaines de tes planches où tu emploies un peu de lavis, sur les lianes,… ou pour renforcer des avant-plans… Ton noir et blanc est déjà fort travaillé, avant la mise en couleur. Dans certaines scènes de brouillard, aussi, on trouve une énorme texture… Tu ne te reposes pas sur la couleur, en fait… Régis : Non pas forcément. Parfois oui,
mais en général non. Je veux d'abord avoir un dessin lisible au départ.
C'est parfois quand j'ai des dessins un peu plus compliqués que la couleur
m'aide à détacher mes plans. Mais je ne pense pas vraiment à tout cela
quand je dessine. La sensualité, ça s'exprime comment ? Tes femmes sont particulières par rapport à d'autres femmes dans la bd… Régis : Parce qu'il y a de l'amour,
point ! J'aime les femmes comme j'aime l'humain… Mais dans l'humain, ce
qui me plaît, ce sont les femmes… C'est quand même le plus beau paysage
au monde. C'est l'être, sur terre, qui m'inspire le plus. Je comprends
les peintres qui se sont perdus toute leur vie - perdus ou trouvés - au
travers de leurs muses, parce que c'est extraordinaire. J'ai eu des muses
potentielles, je les ai rêvées ou vues, même si je ne les ai pas eues
dans la réalité… Et cela se ressent dans le dessin de Clochette, notamment… Ca transparaît d'une manière naturelle dans tes dessins .. Régis : Oui, bien sûr. Je ne suis pas plus doué qu'un autre. J'ai simplement une manière de dessiner les femmes en les caressant du bout de ma plume.. et puis, ce n'est pas leurs qualités qui m'intéressent, mais plutôt leurs défauts. Régis : Qui m'inspirent parce que ça les rend humain. On est tous névrosés, on a tous un défaut,… C'est ce qui fait qu'on s'aime, on s'accroche sur la différence. Il y a des différences qui sont touchantes… et dès que tu es touché, tu es mort. C'est l'éloge de la fragilité ? Régis : Oui. Ce qui ne veut pas dire que la fragilité est quelque chose de "faible". C'est une question de terminologie. Il y a une différence entre quelqu'un de faible dans le sens négatif et péjoratif du terme, et quelqu'un de faible dans le sens touchant du terme,… Régis : Je préfère quand il me dit
"A cet instant, j'ai pleuré… ou à cet instant, j'ai été touché.." et quand
il met le doigt sur l'instant en question, représenté par une image ou
par une bulle, ou une expression,… Même s'il y a des codes graphiques
pour provoquer certaines émotions, ce n'est pas très facile à produire…
Il ne suffit pas de faire des yeux qui tombent à un personnage pour le
rendre triste. Ca, c'est un code graphique qui identifie : tristesse,
méchanceté.. mais il y a "méchanceté" et "méchanceté" ou "tristesse" et
"tristesse".. Si je dessine une feuille, je suis cette feuille, je sens son mouvement quand elle se détache et qu'elle flotte dans l'air. Pour trouver le geste de la feuille qui se plie sous l'effet du vent, j'imagine ce vent … et ensuite je commence à gommer… Si je gomme, c'est que je sens que ce n'est pas le bon mouvement, je suis cette feuille, et je gommerai jusqu'à ce que j'y arrive.. C'est l'exemple d'une feuille, mais il y a des exemples bien plus intéressants, toute la gestuelle, le caractère humain… La justesse de ton ! Régis : La justesse de trait en insufflant ce que tu veux exprimer, en y mettant ton coeur. Merci beaucoup. Interview réalisée
par Thierry Bellefroid Images Copyrights © Loisel - Editions Vents d'Ouest 2002 |
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