Emmanuel, on s'est vu ici même à Angoulême, je crois que c'était il y a deux ans. A l'époque tu avais une double actualité chez Casterman en noir et blanc, très très noir. Et là, voilà que tu reviens avec un format carrément BD en couleurs directes. Moynot : Et très très coloré… Très coloré qui s'appelle Monsieur Khol avec toujours ton éternel complice et scénariste. Moynot: Co-scénariste en l'occurrence, Dieter. En fait, j'alterne généralement des bouquins que j'écris seul et des bouquins qu'on écrit ensemble à divers degrés avec Dieter. Par exemple, sur la série "Vieux Fou" chez Delcourt, il écrit davantage que moi. En revanche, sur Monsieur Khol, on s'est partagé le boulot un peu à la manière "Cadavre Exquis". J'écrivais 5 pages, il écrivait les 5 suivantes. Ce qui est extrêmement étonnant et déroutant peut-être pour le lecteur lorsqu'il ouvre cet album, c'est qu'il retrouve très peu de choses de ce que tu as fait jusque-là, tu as poussé très loin le travail sur le pinceau. Moynot : Oui. J'ai supprimé pas mal de choses que je n'aimais pas trop, dont l'encrage, les blancs entre les cases… Pourquoi cela ? Moynot : Parce que je travaille ainsi depuis des années lorsque je fais du rough et je trouve que ça fonctionne très bien. On n'a pas besoin du blanc entre les cases. Par conformisme, je me suis toujours laissé convaincre qu'il fallait les laisser "parce que ça se fait". En fin de compte, je suis convaincu que ça ne sert à rien. J'ai également supprimé l'encrage, qui est une étape assez lourde quand on fait de la couleur directe, ainsi que l'entourage des cases et une bonne partie de la documentation. En fait, j'ai fait beaucoup plus de choses de mémoire que d'habitude. Je voulais traiter un univers plus optimiste, je voulais qu'il y ait beaucoup d'air. Dès qu'on emprisonne le dessin dans un encrage - surtout moi, qui ait tendance à encrer gras - ça rend un aspect étouffant. Donc c'était vraiment l'occasion d'essayer autre chose. C'est un travail de couleurs directes en aquarelle qui est très poussé. L'aquarelle, c'est fort différent du lavis ? Moynot : Non, parce que je fais le lavis à l'aquarelle aussi. La différence réside dans le travail des couleurs qui permet de jouer sur plus de visibilité par les contrastes. Il y a davantage de possibilités qu'avec le lavis noir et blanc. Ceci dit, j'étais venu à la couleur avec le travail en couleurs directes dans "Vieux fou", qui était une évolution par rapport à mon travail de lavis chez Casterman. Maintenant, j'aurais envie de faire le chemin inverse, c'est-à-dire adapter le travail que j'ai fait sur Monsieur Khol sans encrage au lavis noir et blanc et voir ce que ça donne. Tu as toujours été à la recherche d'autres formes de dessins.. Tes premiers albums sont radicalement différents de ce que tu fais pour l'instant. Si l'on regarde "Le temps des Bombes", par exemple, qui est un assez vieil album de ta production, c'est incroyable de voir comme ton dessin a constamment évolué sans jamais s'arrêter. Moynot.: Cela fait une vingtaine d'années que je suis assis à ma table à dessin et 17 ans que je suis publié professionnellement. Si je continuais toujours dans la même direction, j'aurais l'impression de m'emmerder. J'ai besoin de ça, de me lancer de nouveaux défis pour voir si mon travail tient le coup dans une autre direction, pour me stimuler un peu quoi. Concrètement, comment fais-tu pour terminer tes bords de case à l'aquarelle sans baver et sans que les aquarelles ne se mélangent ? J'imagine que tu dois attendre que chaque case sèche d'abord. Moynot : Il faut respecter les temps de séchage même à l'intérieur de chaque case. Mais je ne travaille pas comme ça, en fait. Je travaille sur une séquence de 2 ou 3 pages par exemple qui se présentent dans les mêmes décors. Je fais d'abord toutes les chairs, puis une couleur sur un décor extérieur (ex : le "vert" des arbres) et pendant que la première page sèche, je m'occupe des deux autres. Lorsque je reviens à la première, elle est déjà sèche. Je peux attaquer l'objet suivant. Donc, tu travailles vraiment une couleur sur plusieurs pages à la fois et sur du crayonné. Moynot : Sur un crayonné, oui. Le principal problème de l'aquarelle, c'est de respecter les temps de séchage pour que les aquarelles ne se mélangent pas, et ce, à tous les niveaux. Pas seulement d'une case à l'autre, mais également dans une même case, faire en sorte que le noir du costume ne bave pas dans la couleur de la chair. Quelle est l'influence que tu as ressentie le plus venant de la peinture sur un album comme celui-là ? Parce que c'est être plus proche de la peinture que de la bande dessinée quand on travaille comme ça ? Moynot : Quand le personnage commence à se découvrir réellement et à exister, et qu'il se met à la peinture, il était assez évident qu'il fallait utiliser des références. Le personnage est donc habillé en chapeau melon…. TB: Magritte… Moynot : Voilà. La référence à Magritte s'est imposée. Et lorsque le personnage se met à peindre dans la nature, le prototype du peintre de chevalet ; c'est Van Gogh. On retrouve donc un clin d'œil aux champs de blé de Van Gogh. Ces références n'étaient pas vraiment prévues dans le projet de départ, elles se sont imposées en cours de route, comme une évidence. Ce sont des influences que tu ressens dans ton dessin depuis longtemps ou pas ? Moynot.: Magritte, pas vraiment. J'ai une admiration pour Van Gogh mais je ne peux pas dire qu'il ait réellement influencé mon travail. Dans Monsieur Khol, étant donné que je faisais une recherche sur la lumière et l'espace, peut-être un peu plus. Non, ce ne sont pas des influences directes. J'en suis imprégné, j'ai une culture picturale comme tout le monde. Disons que dans le cas de Van Gogh, c'est un peintre que j'admire mais il y a d'autres peintres que j'admire encore plus. Et donc tu es très éloigné au niveau du trait, du dessin, de la philosophie… Moynot : Oui. A mon avis, tu serais plutôt du genre à aimer Egon Schiele ? Moynot : J'aime beaucoup Egon Schiele, et des expressionnistes comme Bacon, Kokoschka,.. Et même si je m'en sens très loin, Picasso est, pour moi, Le Peintre !. Tu mentionnais le fait que ta part en tant que scénariste ou co-scénariste dans Monsieur Khol avait été plus importante. Pourquoi ? Parce que tu voulais justement aller plus loin y compris dans l'histoire, pour mieux exploiter ton propre talent de scénariste ? Moynot : Non. J'avais vraiment envie d'en dialoguer au moins une partie. Etant donné que Dieter et moi voulions réaliser ce projet ensemble, on a trouvé cette solution pour qu'on ait chacun notre part de boulot, mais que je puisse également de temps en temps écrire seul. Cela aurait pu être un compromis si Dieter n'était pas un ami. En fait ça a été davantage une expérience pour nous de travailler ainsi. Tu continues parallèlement "Vieux fou" - qui en est au tome 2 - c'est une trilogie, dela n'ira pas au-delà ? Moynot : Je travaille actuellement sur le tome 3. J'ai déjà d'autres projets derrière le 3ème "Vieux fou" dont un autre dans "Carrément BD" mais je n'exclus pas du tout de reprendre "Vieux fou" dans quelques temps. Cela pourrait devenir une série ? Moynot : Ca pourrait devenir une série. Pour l'instant, les chiffres de vente ne justifient pas qu'on nous mette la pression pour continuer, mais d'un autre côté, l'éditeur ne l'exclut pas. Ca ne se passe pas mal. Il faut voir. C'est un univers très différent. C'est un univers à la fois d'humour… Moynot : C'est du polar parodique. De la parodie… et en même temps, ça rejoint quand même tes préoccupations anarchistes politiques depuis très longtemps. Moynot : Oui, c'est un univers dans lequel je me sens à l'aise, dans lequel, avec Dieter, on peut dire des choses qui nous correspondent, qui nous touchent, qui nous amusent aussi. Les réactions du public sont encourageantes parce que tout le monde aime bien ce personnage. Il est donc possible qu'on continue. Ca ne sera jamais une charge de continuer, et si ça devait le devenir, nous arrêterions, de toute façon. Pour l'instant, ce n'est pas le cas. En ce qui concerne d'autres albums que tu as faits en noir et blanc, notamment chez Casterman, ils montraient que tu pouvais à certains moments aller très loin dans le lavis noir. Ca devient plus du "noir-noir" que du "noir-blanc"... Moynot : Oui, mais il y a aussi des problèmes d'impression de ce côté-là. Je suis convaincu que pour bien reproduire mon travail au lavis, il faut faire ce qui a été fait en couverture, c'est-à-dire les reproduire en quadri. Mais ça coûte aussi cher que de faire de la couleur et ça ressemble étrangement à du noir et blanc, donc les éditeurs ne sont pas emballés. Tes originaux à ce moment-là, tu les travailles sur quelle grandeur ? Moynot : Je travaille généralement sur un format 32,5 - 45, c'est un peu plus grand que du A3. De quelle manière travailles-tu alors tes lavis ? Moynot : Je fais un dessin au trait et ensuite, je fais un travail d'ombrage à l'aquarelle grise. Il n'est pas rehaussé au fusain ou… ? Moynot : Non. Je faisais un peu de matière au crayon au début mais j'ai éliminé progressivement parce que je trouvais ça un peu lourd, ça appesantissait mon dessin. J'ai travaillé notamment sur pas mal de couvertures au lavis à l'éponge, ce qui donne également de la matière.. Mais avec le recul, j'en suis moins satisfait. J'ai de plus en plus envie de simplifier le travail de matière. Justement, on a l'impression que le travail sur la matière t'intéresse. Moynot : Ca m'intéresse mais au bout d'un moment, j'ai l'impression de plomber mon dessin. Parce que j'ai tendance à en mettre partout. Il faudrait peut-être que j'apprenne à mieux les gérer. Actuellement, qu'aimerais-tu tenter que tu n'as pas encore fait ? Moynot : Un tas de choses. Surtout raconter une histoire qui, tout en restant noire et quotidienne, ne soit plus du tout du polar. Arriver à me passer totalement du meurtre et de la violence pour me consacrer peut-être davantage sur la violence psychologique. Mais tu t'en es toujours servi comme catalyseur, comme d'un prétexte pour révéler les failles de tes personnages… Moynot : C'est vrai, mais j'aimerais essayer d'arriver au même résultat sans avoir recours à cet artifice. Images Copyrights © Moynot & Dieter - Editions Glénat 2001 |
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