Interview de Cecil : Le Réseau Bombyce



Bombyx [Bon-bikss] ou bombyce [bon-biss] n.m. (du grec bombux, ukos, ver à soie). Insecte lépidoptère. Papillon nocturne d'un genre particulièrement nuisible. Sa chenille est appelée "ver à soie". Certaines espèces sont capables de tisser de véritables réseaux de communication. Avidemment recherché par les collectionneurs, le Bombyce est malheureusement très difficile à capturer. (in Le Grand Dictionnaire Encyclopédique des Animeaux).

Papillons de Nuit, Tome 1 du Résueau Bombyce est paru en décembre 99 chez Les Humanos. Dessin : Cécil, scénario : Eric Corbeyran.
Cécil répond aux questions de Thierry Bellefroid pour BD Paradisio.

Ton prénom ?

Cécil : D'auteur ? Cécil

Mais ton vrai prénom ?

Cécil : Christophe

Christophe, quand tu es entré dans le projet de Corbeyran : « Le Réseau Bombyce », est-ce que tu avais une idée précise de ce que tu voulais en faire, notamment au plan des couleurs ou du traitement des décors qui sont très poussés ou est-ce que c'est venu par après ?

Cécil : En fait, je n'ai pas abordé un univers d'Eric. J'avais posé un univers que je n'ai pas réussi à développer seul et j'ai été voir Eric avec cet univers, avec les personnages... Je lui ai demandé s'il était intéressé de travailler avec moi sur ce projet. En fin de compte, Eric et moi avons remis en forme ce que j'avais déjà conçu. Il a amené d'autres personnages que Eustache, Mouche et le baron. En fin de compte, cet univers est un mélange de lui et de moi

Donc au départ, ce que je ne savais pas et que j'apprends ; le projet, c'était ton projet solo ?

Cécil : Oui, c'est un projet qui est né d'une lecture.

Et qui était quoi ? C'était l'histoire du « snuff movie » ou c'étaient des personnages.. ?

Cécil : J'avais d'abord inventé Eustache et Mouche, leur passé, leur psychologie. J'avais l'idée de ce baron avec ce pavillon ascensionnel. Je savais que les personnages allaient découvrir le « snuff movie ». Au début, je n'étais pas trop sûr de mon idée. En fin de compte, je ne savais pas trop comment la développer. Je n'avais pas de vision d'un personnage féminin, j'avais peur de développer quelque chose de très sombre. Je pense que si je l'avais développée seul, elle aurait été beaucoup plus noire. C'est également pour cette raison que je préférais travailler avec quelqu'un, pour qu'il y ait deux personnalités - comme, enfin de compte, il y a deux héros - et qu'on puisse développer chacun les personnages à notre façon. Qu'au travers de nos discussions, et parfois même nos tiraillements, on puisse bâtir une histoire. Je ne suis pas non plus très bon dialoguiste. Eric était intéressé et ça ma fait plaisir. Il a pris plaisir à développer l'histoire que je lui ai racontée. Les éléments qu'il a amenés ont fait qu'il y a eu d'autres rebondissements,… C'était très agréable. En fin de compte, tout en parlant et en discutant, on a déjà développé 4-5 bouquins...

Tout va bien, donc ! Alors, le Bordeaux que vous avez imaginé, qui est un Bordeaux partiellement historique - architecturalement parlant, on va dire ça comme ça-... c'est pour quelle raison ? Parce que cette ville vous plaisait ?

Cécil : Déjà, c'est une ville dans laquelle je vis. C'est une architecture XVIIIème qui est très belle, dont la pierre est ravalée. C'est très beau. De plus, j'aime l'Art Nouveau, celui de Horta, celui de (Hector) Guimard …. Et même toutes les excroissances de ce mouvement dans la sculpture...

Ca aurait donc pu être Prague, qui est une ville très « Art Nouveau ». Ca aurait pu être Bruxelles... ?

Cécil : Oui ! Mais je voulais rester dans le cadre d'une ville que je connaissais pour pouvoir l'agencer. Quitte à inventer une ville, je voulais quand même avoir grosso modo la structure de la ville que je connaissais comme squelette. Autrement, je me serais perdu. J'avais envie de pouvoir me repérer dans les lieux et dans la globalité de la ville. A un moment donné, dans le tome 2, on va la voir d'une façon plus générale et il est important que les gens, au fur et à mesure, s'approprient les lieux, puissent se retrouver...

En même temps, il y a des lieux qui sont tout à fait imaginaires, j'imagine.. ?

Cécil : Tous !

Je ne connais pas suffisamment Bordeaux mais la villa du baron telle que tu l'as décrite, par exemple....

Cécil : Oui, je l'ai entièrement inventée. Par contre l'idée du pavillon ascensionnel, les futuristes du début du siècle l'avaient déjà inventé. Même les métros...ils étaient encore plus fous… Ils avaient inventé des métros qui dominaient des villes, qui passaient par dessus les villes ou carrément des systèmes aérostiers,…

Ce qui est amusant, c'est de voir que ta passion pour l'Art Nouveau d'une part, et pour ce type de décor de l'autre, aurait pu t'amener a faire du Schuiten bis, et que vous êtes radicalement opposés dans le traitement de cette période ou de ce type d'architecture… C'est par peur de lui ressembler ?

Cécil : Non.. Je crois que Schuiten aborde les choses de façon plus onirique que moi. Je suis plutôt terre à terre, assez matérialiste… J'essaie de poser des choses qui sont au-delà de la poésie, qui sont plutôt fonctionnelles, qui donnent une sensation de réalité, de crédibilité,.. Je pense que c'est ce qui fait la différence entre Schuiten et moi.

Tu as eu peur de ça ? Qu'on puisse vous comparer ?

Cécil : Oui, j'ai eu peur qu'on dise de suite une émule de Schuiten… Je l'ai redouté… En plus, Schuiten a été le premier à avoir mis en scène l'Art Nouveau en bande dessinée - même si dans les années 70, il y a eu des essais mais c'était plus dans les compositions d'images, dans les habillages de cases, dans les typos - c'est lui qui en a la primeur… Et donc, j'en avais très peur…

Curieusement, l'Art Nouveau, c'est un art qui est assez peu connu en France.. On connaît beaucoup mieux l'Art Déco. Pour beaucoup de gens, c'est la même chose d'ailleurs. Ils croient que c'est la même chose alors que l'un est cubique et l'autre pas du tout… Tu avais envie de faire connaître ça aussi ?

Cécil : L'Art Nouveau ? Eh bien oui, tout simplement. Je n'aime pas nécessairement l'Art Nouveau dans son intégralité. C'est vrai que je suis très sensible à Horta, à certaines parties de son travail. J'aime aussi quand l'Art Nouveau est discret et sobre… Je ne sais pas si ça se sent vraiment dans mon bouquin parce que j'ai habillé beaucoup de choses en Art Nouveau...

… oui, il y a beaucoup de verrières, de matériaux tels que Horta les imaginait... le fer et le verre..

Cécil : Oui, voilà. Et puis, j'en ai un peu marre. Souvent, quand je parle d'Art Nouveau, beaucoup me disent l'art « nouille »… C'est tout de suite péjoratif. Je voulais un peu en faire une vedette, montrer aux gens que l'Art Nouveau, ça peut être beau !

On a l'impression que l'une des différences qu'il pourrait y avoir aussi entre Schuiten et toi, c'est que lui, quand on lit ses BD, on dirait que c'est un architecte qui fait de la BD, ou que c'est un type qui a raté sa vocation d'architecte… Toi, on n'a pas l'impression que tu voulais devenir architecte… on a l'impression que tu as flashé sur un truc et que tu veux le faire passer...

Cécil : Disons que je suis dessinateur et que tout ce qui touche au dessin me plaît ; que ce soit l'architecture, le mobilier, les vêtements… Tous les objets : lunettes, montres, des tas de trucs... Tout me séduit. Souvent, je suis assez frustré dans la bande dessinée parce que je trouve qu'on ne personnalise pas assez les personnages à travers les objets ou des petits détails comme ça. C'est ce que j'ai voulu faire avec Eustache et Mouche.. et c'est pour ça qu'ils ont des tas de matériels partout, ils ont des sortes de lunettes…

Oui, les petites lunettes, les inventions aussi…

Cécil : Oui, et dans le tome 2, il y en a des autres qui arrivent...

Ca rend le dessin très lent, j'imagine, non ?

Cécil : Oui, ça le rend un peu lent… Et comme j'invente beaucoup de choses, ça me prend du temps… et comme, en plus, je ne fais pas que ca… (rire)

Ca t'a pris combien de temps grosso modo pour finir ce premier album ?

Cécil : En temps, 2 ans et demi se sont écoulés. Mais, en même temps, j'ai eu pas mal de déboires : j'ai eu un accident de moto, des problèmes de santé... ça a été très chaotique. Donc, en temps réel, je ne sais pas… Pour le tome 2, on a décidé qu'il y aurait un an et demi de réalisation qui se passerait… J'espère que ce sera un peu moins, tout en souhaitant que ce ne soit pas plus…

On n'a pas encore parlé du traitement de la couleur, mais c'est vrai que c'est une chose qui frappe en ouvrant l'album. Il y a vraiment un travail sur la couleur qui est très original, comment est-ce que tu le conçois ?

Cécil : Ce que j'ai surtout voulu faire primer, ce sont des ambiances. Pour la couleur, je voulais taper dans des camaïeux, et, en même temps, ne pas faire en sorte que l'album soit trop uniforme. Faire en sorte que le lecteur ne soit pas heurté en feuilletant l'album, que ça coule de source… Pour la couleur, je ne sais pas trop… Je l'ai abordée de façon assez instinctive.. Il n'y pas vraiment de réflexion… J'ai traité les ambiances comme je les perçois, comme je les aime…

Mais qui ne sont pas du tout réalistes…

Cécil : Non, non… Je ne voulais surtout pas. D'ailleurs, je n'ai pas pris de supports ni de photos. J'ai posé mes couleurs comme je les sentais, comme je voulais les mettre en avant.

Tu aurais pu faire le même album soit en noir et blanc soit, par exemple, en sépia … Ou, pour toi, c'était important qu'il y ait cet élément de la couleur en plus ?

Cécil : Je pense, oui. C'était primordial. Il y a des moments, lorsqu'ils sont sur le dôme du baron - je ne sais pas si ça se sent - mais j'ai voulu qu'il fasse froid, que ce soit l'hiver mais sec… Avec un sépia, je ne sais pas s'il aurait été possible de rendre le même effet. Malgré tout, je m'en suis approché quand même, c'est vraiment du camaïeux que j'ai fait. C'est marrant, la couleur, c'est quelque chose que je ne m'explique pas, que je ressens et que je pose. J'ai de la réflexion sur le travail des autres, mais moi, ce que je fais en couleurs … non, je le pose, je le sens comme ça.

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