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Blain : Je prends mon crayonné très simplement, ensuite je l'encre à la table lumineuse. Les crayonnés que tu as vus sont symboliques. Il s'agit soit de premières planches soit de planches avec lesquelles je n'étais pas extrêmement à l'aise. Généralement, mon crayonné est très poussé. Mais quand on regarde les crayonnés des dernières planches de mes albums, il n'y a presque plus rien. Je vais vers de plus en plus de rapidité, le dessin est bien mis en place, je suis chaud, je dois terminer rapidement donc il est beaucoup moins précis. Blain : A l'origine, j'ai fait énormément de dessins à vue. J'ai donc un style de dessin réaliste, assez emporté, assez nerveux, assez impressionniste. La bande dessinée m'a toujours posé un problème de mise en place ; il faut toujours faire attention à ce que tout soit lisible, à ce qu'il n'y ait pas de tangente, à ce qu'il n'y ait rien d'ambigu, tout en conservant nervosité, sentiment, qualité du trait, etc. Quand j'essaie de poser mon dessin et que j'essaye de le finir, il devient mou. Il faut que j'arrive à garder cette pêche. La vivacité.
Blain : Oui, pour plusieurs raisons. D'abord parce que j'aime ça, j'en ai toujours eu envie depuis que je dessine. Je travaille avec un excellent coloriste. Avec lui, on met au point des sigles, des couleurs. J'aime beaucoup l'idée d'un dessin accompli avec des couleurs en aplat qui soulignent, qui sont très simples, qui sont mêmes surprenantes. Un peu basiques. Blain : Assez basiques, oui. Mais en même temps surprenantes, inattendues souvent. Walter arrive à me surprendre sur des dessins qui sont déjà finis. Un peu comme ces gravures du 19ème siècle où tout le modelé, toutes les lumières, toutes les nuances de gris étaient déjà mises en place et par-dessus, on mettait un aplat, enfin, plusieurs aplats de couleurs pour rehausser ce dessin, pour lui donner un autre sens. J'aime bien ce côté un petit peu rétro. L'autre raison, c'est que je crois que ce qui me plairait le plus, ce serait de faire de la BD en noir et blanc. Malheureusement, il y a très peu d'éditeurs qui l'acceptent, hormis L'Association et quelques autres "indépendants". Là, il se trouve que je suis chez de grands éditeurs, Dargaud et Delcourt. J'ai besoin de toucher des avances pour vivre. A L'Association, il est impossible d'en toucher, ce qui est normal vu la structure. Mais si je pouvais ne faire que des bandes dessinées en noir et blanc ou si la majorité de mon travail pouvait être en noir et blanc, je n'hésiterais pas. Blain : Oui. J'aime beaucoup les dessinateurs du 19ème siècle. J'adore la peinture. Mais je suis aussi toujours extrêmement ému quand je vois les carnets des peintres, les études préparatoires, les dessins. J'aime le dessin, j'aime le trait de crayon, la plume, le croquis, et j'aime toute cette école de dessinateurs de la fin du 19ème siècle, du début du 20ème, ça me fascine complètement. Par ailleurs, le fait d'avoir un dessin qui est assez abouti avant la couleur me permet d'éprouver un certain sentiment de maîtrise. Ce qui est très difficile, justement, quand on fait de la couleur et quand on travaille avec un coloriste, c'est ce temps d'attente et les différentes étapes qu'on est obligé de traverser avant de voir la planche finie. C'est assez angoissant et stressant. J'aime faire une planche en sachant qu'il y a déjà une bonne partie qui est mise en place… Lors de l'étape suivante (la mise en couleur), il faut que l'impression corresponde à ce qu'on a vu sur l'écran. La photogravure et l'impression, ce sont des étapes assez difficiles à suivre. J'aimerais en fait que le travail soit beaucoup plus direct du dessinateur au lecteur. C'est-à-dire qu'une fois que j'ai fini ma planche, je sais que c'est ma planche que va lire le lecteur avec le moins d'étapes possibles entre lui et moi. On parlait de peinture il y a un instant. C'est ton amour immodéré pour la peinture qui t'a amené à choisir un peintre comme héros de ton dernier album (Isaac le Pirate, ndlr) ?
Alors c'est aussi l'occasion de faire une BD qui propose autre chose sur la piraterie. Le genre qui était un petit peu galvaudé à une certaine époque, après le succès de Barbe Rouge, semble renouvelé. Blain : J'ai envie de dessiner des choses qui m'amusent, qui auraient fait rêver le gamin que j'étais. C'est-à-dire que j'ai envie de dessiner des grands espaces, des scènes d'action, des bateaux, des aventuriers, des paysages un peu exceptionnels, j'ai envie de dessiner la mer aussi, mais en même temps de raconter des histoires d'amour ou d'amitié. C'est ça mon moteur. Je ne pourrais pas dessiner une histoire d'aventure pour l'aventure. C'est vrai, j'aime l'aventure, j'aime les livres et les films d'action et d'aventures, c'est ce à quoi j'ai été nourri. Mais maintenant, mon moteur est tout autre. Donc, je fais une sorte de mélange où finalement l'aventure pour moi est un décor, un souffle et un amusement... mais dans le fond, c'est autre chose qui m'intéresse. Donc, je mêle les deux. C'est ce qui peut éventuellement donner une image d'originalité à cette histoire de pirates. Finalement, les pirates, je m'en préoccupe assez peu. Un mot de la collaboration avec David B. Blain : C'est lui qui m'a donné envie de faire de la bande dessinée. Comment est-ce que ça va continuer ? Est-ce que vous avez l'intention de faire un troisième ? Blain : Oui, bien sûr, c'est une série. En plus d'Isaac le Pirate et des Donjon ? C'est pas mal, non, pour un seul homme.
Blain : Oui, il y a un traitement graphique très différent. Quand on travaille avec David, c'est un travail très particulier, c'est un univers particulier. Lui-même étant dessinateur - un extraordinaire dessinateur -, il a un univers très fort et il faut trouver ses marques à l'intérieur de cet univers, avec un rythme et une narration tout à fait à part, qui lui sont propres, qui demandent un travail spécifique. C'est différent quand je travaille tout seul ou lorsque je travaille avec Joann Sfar. Quand je raconte ma propre histoire, la narration me semble beaucoup plus évidente. Joann aussi, a une narration proche de la mienne ou, du moins, on se comprend très bien. Il y a même des similitudes dans le dessin, non ? Blain : Oui, je pense qu'on est dans une famille de dessin qui est vraiment très proche, Joann et moi. D'ailleurs, on s'inspire l'un de l'autre assez souvent, on travaille ensemble, on s'aime beaucoup, on a des références communes, donc, les chemins se croisent souvent dans les histoires, dans les traits, on est très proches l'un de l'autre. Ce qui rend une collaboration plus périlleuse ?
Un tout grand merci. Interview réalisée par Thierry
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