Philippe Adamov
"Donner la même sensation qu'éprouve le voyageur en Russie : un pays bariolé
où coexistent plusieurs mondes".
Comment est-elle née cette collaboration
avec Jean Dufaux et vous ?
Adamov
: Une rencontre entre un scénariste et un dessinateur est tout d'abord
une question de "feeling" : au départ, il existe une sympathie réciproque,
et un désir de l'approfondir à travers un travail en commun. Dufaux et
moi connaissons nos oeuvres respectives depuis toujours et nous avions
beaucoup d'admiration l'un pour l'autre. Rien d'étonnant donc à ce qu'il
ait pensé à mi pour réaliser L'Impératrice Rouge. D'un côté, l'action
de cette nouvelle série se passe en Russie et je suis d'origine russe
; de l'autre, il s'agit d'un sujet d'anticipation qui flirte avec la science-fiction,
domaine dans lequel j'ai souvent évolué.
Pourquoi avez-vous été attiré
par la série, lorsqu'il vous l'a proposée ?
Adamov
: J'ai trouvé le sujet très actuel, dans l'air du temps. Il me semblait
amusant d'imaginer cette Russie de fiction à partir de plusieurs éléments
réels pour composer un univers de science-fiction qui, peut-être, deviendra
la réalité dans un demi-siècle. Cette anticipation de l'avenir en partant
du présent m'attirait en premier lieu. D'autre part, la série me permettait
de changer de décor. Depuis quelques années, mon travail me conduit à
évoluer dans des univers assez chauds, l'Afrique, le Paris de Mortelune..
Avec l'Impératrice Rouge, j'allais être obligé d'aborder la neige, le
froid, ce qui implique forcément d'autres couleurs, d'autres atmosphères.
Il est très important pour un dessinateur d'avoir affaire à des mondes
nouveaux ; cela lui évite de se répéter, de reproduire des éléments déjà
utilisés dans d'autres séries.
Dans l'Impératrice Rouge, nous
baignons dans un surprenant mélange de décors. Le passé et le futur se
côtoient sans cesse et vont parfois jusqu'à se mêler. Certaines scènes
se déroulent dans un cadre historique très reconnaissable (la cathédrale
de St Pétersbourg, par exemple) ; d'autres sont nettement futuristes.
Nous avons du mal à savoir à qui nous avons affaire, où et à quelle époque
nous nous trouvons.
Adamov
: Jean Dufaux a beaucoup insisté sur ce point : il fallait que tout au
long de ce premier album le lecteur ait ce sentiment de déroute et d'ambiguïté,
qu'il se questionne sur tout ce qu'il voit, et soit incapable de savoir
avec exactitude s'il lit une BD historique ou de science-fiction. En d'autres
termes, qu'il ait la sensation même qu'éprouve le voyageur occidental
lorsqu'il visite la Russie d'aujourd'hui, un pays bariolé où coexistent
plusieurs mondes : l'ancienne bourgeoisie tsariste, la mafia, la haute
technologie,..
Une autre difficulté de la série,
c'est le foisonnement de personnages. Je suppose qu'il n'a pas dû être
facile de trouver le physique adéquat pour chacun d'eux.
Adamov
: Un double problème se pose au dessinateur lorsque tant de personnages
différents paraissent dans une histoire : il faut bien les différencier
les uns des autres, et en même temps veiller à ce que les traits de chacun
correspondent en tous points à la personnalité que le scénariste a imaginée.
J'aime travailler avec Jean Dufaux parce qu'il définit à la perfection
la physiologie des personnages dans son scénario. Ses indications m'ont
été précieuses pour leur donner une apparence physique. Nous avons d'ailleurs
une référence et passion commune : le cinéma. Alors, lorsque j'hésitais
sur l'allure à donner à l'un de nos personnages, il me mettait sur la
voie en m'indiquant tel acteur dans tel film, dont le physique pourrait
correspondre au personnage en question.
Comment se passe le travail avec
Jean Dufaux ? Vous donne-t-il des directives bien précises ? Corrige-t-il
vos planches ?
Adamov
: Non, notre collaboration ne se passe pas ainsi, et je n'aimerais pas
travailler dans de telles conditions. J'ai besoin d'une grande liberté
dans ce que je fais, et il me laisse entièrement maître de mes actes.
Dans son scénario, Dufaux me fait un véritable découpage cinématographique
: il m'indique les atmosphères, m'explique ce qui se passe et la façon
dont les gens réagissent, mais c'est à moi que revient de découper la
planche et, surtout, de choisir les cadrages. Car, en BD, tout est une
question de cadrage. Tu peux faire un superbe dessin, mais si tu n'as
pas choisi le bon plan, cela ne sert à rien.
Interview réalisée par Ricardo Alvarez
Copyright Editions Glénat
Copyright Jean Dufaux et Philippe Adamov
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