| "Le livre, très vieux et très mystérieux, tue (paraît-il) ses lecteurs... Personne ne pouvait le dater avec exactitude. A la fin
du 18ème siècle, il disparaît ainsi que son dernier détenteur, Joseph Black, célèbre alchimiste.
Mais, est-ce que Black est mort ou (comme certains le prétendent) immortel et est-ce que Sam, pauvre orphelin, qui rêve de
s'envoler va pouvoir percer ces mystères ? Peut-être avec l'aide d'Eline qui habite un vieux château perdu dans la lande
écossaise ? Et qu'est-ce que Panchrysia : "Celle qui est tout en or ?"
Ainsi débutent les Chroniques de Panchrysia, imaginées par Ferry.
Ferry a eu l'extrême gentillesse de nous recevoir chez lui pour nous faire découvrir son univers et nous expliquer
comment étaient nées les "Chroniques de Panchrysia", le récit d'une épopée légendaire, mystérieuse et parfois
inquiétante au travers de laquelle se croisent et se rencontrent des personnages attachants, inquiétants, fous (?!) ou
sinistres mais tous empreints d'une personnalité forte et de qualités de vie (ou de mort) passionnantes.
Ferry nous retrace l'itinéraire de ce récit.
"Pendant que je faisais Kalédine, pendant les 4-5 derniers
albums, je n'avais qu'une envie, c'était de faire ma propre
histoire. Quand je lisais ou feuilletait des magazines, je
prenais beaucoup de notes, je gardais des coupures de
presse. J'avais ainsi amassé pas mal de documents qui me
semblaient assez intéressants. Je commençais tout
doucement, mais vraiment sans beaucoup structure, à écrire
une histoire. Mon but était d'écrire une autre histoire, autre
chose que Kalédine.
Quand j'ai arrêté Kalédine en 91, je me suis d'abord trouvé
devant un grand vide. J'ai vraiment arrêté la série du jour au
lendemain parce que je ne m'entendais plus très bien avec
le scénariste. Je me suis rendu compte d'un coup de ce que
j'avais fait. Je n'avais plus de travail. De plus, ajouté à cela,
j'ai été confronté à des événements familiaux assez difficiles, j'ai passé des semaines à ne rien faire, un peu
dépressif. Mais, je me suis repris, j'ai repris toutes mes notes et les cahiers que j'avais rempli petit à petit et j'ai
recommencé à les lire. Deux éléments ont sont sortis : une coupure de magazine qui parle d'une ville qu'on a
retrouvé dans le désert nubien et qui s'appelait Bérénis ou bien Panchrysia.
Ca été comme un déclic. Quand on analyse le mot "Panchrysia" en grec, cela veut dire "tout en or". Pendant
deux millénaires, il s'agissait d'une ville légendaire, oubliée de tous, dont personne ne savait l'emplacement ni
même si elle avait réellement existé. Mais on en retrouvait des traces dans les
textes. Cette fameuse coupure de presse annonçait qu'on avait retrouvé
"Panchrysia". Ce n'était pas réellement une ville tout en or comme la légende
le disait, mais une ville où il y vait des mines d'or. Mais, j'ai voulu préservé le
rêve, j'ai gardé la ville, non pas en or mais une ville cachée, mystérieuse... J'ai
donc gardé cet élément comme premier point de départ de mon histoire.
Une seconde note qui était sortie du lot relatait que le Professeur Joseph
Black, qui intervient dans les deux premiers albums, avait réellement existé. Il
était professeur de chimie à Edimbourg, à la fin du XVIIIème. Il est mort en
1799. Moi, je l'utilise après sa mort parce qu'en réalité, il s'occupait du
cinquième élément, le Phlogiston. Il pensait que c'était l'élément qui faisait
brûler les choses. J'ai "légèrement" adapté la chose : du Phlogiston qui, chez
lui, faisait brûler les choses, j'en ai fait "l'essence de vie".
Ces deux élément ont donc été la base de mon récit. J'ai tenté de respecter la
réalité au maximum. Il existe des descriptions du Professeur Joseph Black par
exemple : il était maigre, pâle, long, avec une barbichette,... Et il mangeait
effectivement des "black drops", ces pastilles à base d'opium qui existaient à
l'époque et que je reprends dans le récit. Il en usait abondamment, et donc se
droguait.
Ce sont des éléments à ne pas laisser de côté lorsqu'on les trouve dans la
littérature et qui enrichissent la BD.
J'ai donc commencé à créer tout un univers à partir de ces deux éléments, à y
intégrer des personnages tels que Sam et Eline. Sam qui est orphelin et qui n'a
donc aucune attache et est plus libre de suivre Eline. Eline qui, elle aussi est quasi-orpheline, sa mère étant morte
en couches et son père parti à la recherche de Panchrysia. Les deux enfants se rencontrent et partent ensemble à
la recherche du père d'Eline et donc de Panchrysia.
Par la suite, j'ai encore fait d'autre découvertes qui m'ont servi dans la construction de l'histoire. Par exemple, on
retrouve des traces d'Isaac Louria dans les textes également. On rencontre ce personnages pendant 10 siècles
!!! Il semble donc immortel. On l'a utilisé tel quel. On a également trouvé une description du personnage - tête
hydrocéphale, le corps tordu, malformé,... Ces découvertes dans la littérature qui viennent appuyer le récit de
fiction de la bande dessinée sont passionnantes. D'autant plus que j'adore lire, je possède des milliers de livres,
c'est une véritable passion et une source inépuisable de documentation"
BD Paradisio : Ces albums sont-ils destinés à devenir une série d'aventures illimitée ?
Ferry : "Non. En fait, il s'agit d'un cycle de cinq albums. Nous savons exactement où on va. On sait de quoi est
composé le récit mais on continue à faire des découvertes en cours de route.
Je viens actuellement de commencer le quatrième album qui débute au Caire en 1805. C'est fabuleux. J'ai
découvert des documents d'époque, des reproductions,... qui sont fabuleuses.
BD Paradisio : Depuis le second album, votre fils (Pombal) collabore aux Chroniques de Panchrysia, à
quel titre ?
Ferry : il écrit les scénarios. Il est licencié en philosophie et son ambition,
c'est d'écrire. Il a déjà écrit deux romans en plus de sa thèse. Il travaille
pour l'univeristé et écrit de nombreux articles.
Quand j'ai commencé les Chroniques de Panchrysia, je m'étais dit : "Plus
jamais de scénariste !". J'ai écrit le premier album tout seul. Mais j'avais pris
une année sabatique. J'ai beaucoup voyagé, visité des musées, des
bibliothèques, j'ai mené de longues recherches. C'était très agréable de
l'écrire comme ça. Mais quand j'ai commencé à dessiner, j'ai remarqué que
cela prenait beaucoup plus de temps que prévu. Mon style avait beaucoup
évolué depuis Kalédine. Il y avait beaucoup plus de recherche, de
détails,.... Je me suis rendu compte que cela me prenait 14 mois pour le
dessiner ! C'est long. Je ne pouvait plus me permettre d'y ajouter deux ou
trois mois pour écrire en plus le scénario. L'éditeur allait déjà me tuer pour
les 14 mois. Alors pour 16 ou 17...!
Pour le second, j'ai donc demandé à Nicolas, mon fils, s'il souhaitait écrire
le scénario. Il a accepté tout de suite avec beaucoup d'enthousiasme.
Lorsque j'avais commencé le premier, j'avais déjà tracé le fil rouge des cinq
albums que comprendraient la série, du moins dans les grandes lignes. Et
Nicolas écrit donc les scénarios. Ca m'amuse d'ailleurs beaucoup parce
qu'il est à la recheche de formes d'écriture en BD. C'est très intéressant.
Par exemple, le second album est construit sur 7 jours et 7 nuits. L'album
était vraiment très bien construit et chaque nuit relate le rêve d'une personne
différente.
Le troisième album par contre est un huis-clos, sur une île. Il y a l'unité théâtrale c'est-à-dire le temps, le lieu et
l'action (sauf le début et la fin de l'album). C'est construit comme une tragédie grecque : il y a un prologue, trois
actes et un épilogue. C'est passionnant comme recherche.
Pour le quatrième album, je vais vous dévoiler quelque peu : il est composé de plusieurs parties et c'est chaque fois
une personne différente qui raconte l'histoire.
C'est vraiment une recherche d'un style narratif nouveau à chaque album. De plus, chaque album constitue un
élément : le premier : l'air, le second : l'eau, le troisième : la terre et le quatrième sera le feu. Cela pose à chaque
fois des impératifs à suivre. C'est le travail des couverture également à chaque album en suivant ces critères.
Chaque album est également une réflexion sur la vie et la mort. Ces éléments reviennent dans chaque album mais
chaque fois sous la forme d'une réflexion différente. Dans le premier, on fait connaissance avec le Phlogiston, avec
Black, c'est une entrée en matière. Le deuxième, c'est plutôt un passage, presque rituel. Dans le troisième, il y a les
générations qui se suivent et qui ne changent pas : les trois "Nyse". Chaque Nyse devient malgré elle sa propre
parente (la fille devient la mère et la mère devient la grand mère), avec ses qualités et ses défauts. Elle voudrait
bien s'échapper mais elle n'y arrive pas. C'est un éternel recommencement.
On travaille effectivement la BD sous tous ses aspects. Nicolas et
moi collaborons beaucoup, on s'appelle, on se donne mutuellement
des idées. On a très fort la même façon de penser. Le cinquième
album sera la touche finale du puzzle où toutes les pièces devront
s'emboîter parfaitement et trouver la bonne place. C'est une véritable
construction qui demande beaucoup d'attention.
BD Paradisio : L'Adhémar de Bronze 97 (le prix le plus
prestigieux décerné en Flandre à un créateur BD) vous a été
attribué cette année pour "Les Chroniques de Panchrysia" . Cela
concernet-il seulement le troisième album ?
Ferry : Cela couronne en fait l'ensemble de la série. Cela souligne
également le fait qu'avec cette série je sois devenu un auteur à part
entière. Il semblerait que les louanges soient aussi adressées à l'égard
de mon dessin.
BD Paradisio : Il est vrai qu'il est absolument splendide et
souligné par une profonde recherche du détail. On voit que vous
vous documentez énormément!
Ferry : C'est vrai que je me documente énormément. J'aime beaucoup les documents d'époque. C'est une
véritable passion. J'aime m'appuyer sur la réalité. Par exemple, pour le prochain album qui débute au Caire, je me
suis procuré la description de l'Egypte que Bonaparte avait faite en 1798. Il avait, en arrière de son armée, toute
une équipe de scientifiques (chimistes, physiciens, dessinateurs, architectes,...) qui répertoriaient absolument tout
ce qu'ils voyaient, du moindre insecte, de la moindre herbe, jusqu'aux costumes des habitants,.... Il y a 12 énormes
volumes de descriptions qui ont été gravées avec un art et une précision incroyables. C'est une source de
documentation très précieuse.
BD Paradisio : Cet Adhémar vous sera remis lors des journées BD organisées à Turnhout (Belgique) les
13 et 14 décembre prochains.
Ferry : Pour moi, c'est une reconnaissance de tout ce que j'ai fait, et de plus, du côté néérlandophone du pays. Je
travaille depuis 25 ans dans une maison d'édition francophone et parfois, les gens ont tendance à penser que je
suis un auteur francophone.
BD Paradisio : Vous avez d'autres projets de BD actuellement ?
Ferry : Je commence à y penser. Je peux dévoiler un peu ce dont il s'agirait. Mais cela n'a encore rien de défintif.
Je voudrais faire un nouveau cycle, quelque chose de fini, pas une suite sans fin. Mais ce serait quelque chose de
différent des Chroniques de Panchrysia. Néanmoins, je pense que je vais y faire intervenir des personnages
secondaires qui viendraient de Panchrysia ; de telle façon qu'il y ait quand même un contact entre les deux séries.
Mais probablement à une autre période. Comme les personnages vivant à Panchrysia sont en quelque sorte
immortels, on peut sans problème les retrouver à une autre époque....
BD Paradisio : Pouvez-vous nous décrire un peu votre parcours avant de devenir le dessinateur et
l'auteur que l'on connaît ? Quelle sont vos influences en matière de bande dessinée ?
Ferry : En fait, je n'étais pas vraiment destiné à la BD. J'ai fait des études tout-à-fait classiques : latin-math. Je
voulais faire les greco-latines mais mon père m'avait conseillé une autre voie que j'ai suivie. Il souhaitais que je
devienne ou médecin ou ingénieur. Mais après mes humanités, j'ai insité. Je voulais dessiner et aller à St Luc. Ce
que j'ai fait, me débrouillant pour m'inscrire seul à l'école,... J'ai étudié la publicité, ne sachant pas trop comment
m'orienter pour travailler le dessin. Je me suis marié la dernière année de mes études. Mais j'étais complètement
insatisfait de mes études. Je trouvais que je n'avais pas appris grand chose. J'ai donc continué d'autres études. J'ai
suivi les deux années de candidature en Histoire de l'Art mais j'ai du interrompre mes études. Mon épouse étant
enceinte, je devais subvenir aux besoins de ma nouvelle famille. J'ai donc arrêté mes études, fait mon service
militaire, perdu du temps,... Et en cherchant un emploi dans la publicité, j'ai commencé à dessiner. J'ai d'abord
commencé par copier des planches, de Hermann, de Edouard Aidans, de Giraud, de Jacques Martin,... pour
apprendre le dessin. Ensuite, j'ai rencontré, un peu par hasard, un jeune scénariste Daniel Janssens, qui réalisait la
série de Bessy. Il m'a conseillé de me lancer dans la BD et m'a écrit une petite histoire de six planches qui
s'appelait "Le relais", un western. Cela a été publié par Le Soir (quotidien belge). Je ne me trouvais pas très bon
mais j'ai continué pendant plus ou moins deux-trois ans. Je ne prenais pas encore ce métier très au sérieux. Mais je
m'amusais beaucoup. Tout doucement, je me suis pris au jeu, me suis mis réellement à travailler. J'ai commencé au
Lombard (parce que je voulais paraître dans Tintin) et cela fait maintenant 25 ans que j'y suis.
BD Paradisio : Merci beaucoup, Ferry, pour votre acceuil, votre gentillesse, votre bonne humeur et tous
ces renseignements intéressants que vous nous avez révélés sur votre travail et sur les Chroniques de
Panchrysia. Et encore bravo pour la qualité de votre travail.
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