Comment s'est passée ta collaboration avec Laurent Hirn ? Vous avez l'impression d'avoir construit et fait évoluer cette série à deux ? Brunschwig : Lorsque j'ai présenté le scénario du "Pouvoir" à Laurent, il l'a lu devant moi, et sa première réaction a été de vouloir en savoir plus sur la série et sur les personnages. Il n'a pas cherché à savoir quoique ce soit sur le dessin, mais m'a posé un tas de questions sur le rôle des personnages, leur psychologie, etc.. Et c'est ça qui est vraiment génial avec lui. (voir entretien précédent de janvier 2000). La série l'intéressait avant tout, sans aucunement mettre son travail en avant. Son désir était de se mettre au service de personnages, de créer des gens forts, de leur donner l'émotion, la puissance psychologique auxquelles ils avaient droit. Il avait l'impression en lisant le scénario du "Pouvoir" qu'il avait enfin trouvé une série dans laquelle il pourrait développer cette dimension-là. Il n'a pas été trop effrayé par ton scénario de départ ? C'était une série ambitieuse… Brunschwig : Non pas du tout. En réalité, cela faisait 4-5 ans qu'il cherchait un scénario pour se lancer dans la bd. C'est un ami proche de Joseph Béhé, avec qui il avait fait les Arts-Deco de Strasbourg. En voyant le travail de Joseph, il avait vraiment envie de se lancer mais pas sur n'importe quel projet. Le "Pouvoir" représentant à 99% ce qu'il avait envie à la fois de dessiner et d'exprimer. Il s'y est lancé à corps perdu en se rendant compte que cela allait être dur, et il a vraiment donné le meilleur de lui-même ! Considérez-vous "Le Pouvoir des Innocents" comme LA série qui vous a lancés, comme la "référence" dont vous êtes fiers et avec laquelle vous avez acquis vos lettres de noblesse dans la BD ? Brunschwig : C'est sûr ! Par exemple, si je puis replacer notre terrible histoire avec Guy.. (Delcourt, ndlr).. (rires), il y a eu effectivement quelques flottements à la sortie du tome 4. Notamment parce qu'il n'y avait toujours pas de promotion pour le lancement de l'album, cela faisait deux fois que Guy nous faisait un album "collé" alors que tous ses albums sont habituellement cousus, alors que nous avions choisi les éditions Delcourt notamment pour la qualité des albums, des maquettes, de reliures, etc.. On s'était exprimé à ce sujet à diverses reprises et, assez mécontents, la solution aurait été de "torcher" le tome 5 et d'aller voir ailleurs. Mais on ne voulait pas ça. On assume la série depuis le début, C'est complètement ce qu'on avait envie de faire. On voulait arriver à cette fin, à exprimer des choses émotionnellement intéressantes pour les gens, dans le sens où, tout en restant de la BD grand public, ce n'est pas pompeux ; c'est un thriller où on s'attache aux personnages, on suit leur histoire, on soulève des questionnements importants sur la société, on pousse la logique des personnages jusqu'au bout, etc… Notre but était donc d'avoir un produit complet avec plusieurs niveaux de lecture où chacun trouvait un peu son compte, son plaisir, un enrichissement personnel éventuel, des éléments qui font travailler à la fois l'imaginaire et la conscience, … Et cela, on ne voulait certainement pas le bâcler et nous sommes contents de l'avoir fait. Ca va mieux avec Delcourt, maintenant ? Brunschwig : Ça va mieux (rires).. On est contents du résultat et surtout enthousiasmés en voyant la série finie. Je n'ai jamais eu de doute sur le fait que Guy aimait cette série puisque, quand on l'a proposée aux éditeurs, on a reçu 6 propositions royales et Guy a vraiment tout fait pour nous montrer que "Le Pouvoir" l'intéressait. Là où il y a eu le plus de flottement, c'est qu'il n'a peut-être pas toujours su comment l'appréhender, comment la vendre.. Il s'est peut-être dit, à un moment donné, qu'elle n'était pas suffisamment grand public, ou que son public ne passerait pas un certain cap, ce sur quoi je n'étais pas d'accord. Au final, sur le tome 5, c'est une série qui va plus loin et il a envie de montrer aux gens l'amour qu'il lui porte.. (rires) Pour revenir à la raison pour laquelle c'était tellement dur de terminer, c'est aussi qu'il a fallut qu'on envisage de quitter nos personnages. Ayant beaucoup réfléchi à ce qui s'était passé avant les événements du "Pouvoir des Innocents" : tout le passé des personnages que nous avions développé et l'encadrement de l'histoire du Pouvoir par ce passé, on n'a pas pu finir l'histoire sans se demander - maintenant que cette utopie était en place - que se passerait-il dans dix ans… ? En fait, on en est arrivé à des choses qui nous ont beaucoup titillés et donné l'envie, peut-être dans quelques temps, d'entamer un second cycle… Ce n'est donc peut-être pas vraiment le dernier album ? Il est vrai qu'il reste quelques pistes ouvertes pour une suite possible… Brunschwig : Ce n'est pas vraiment un problème de portes ouvertes. Mais comme rien n'est véritablement lié au présent, mais plutôt au passé, tu ne peux pas envisager brusquement un présent qui aurait des conséquences tout de suite… On a vraiment envie de donner le sentiment d'une échelle de temps, c'est-à-dire : donner le passé, ensuite le présent.. et surtout donner aux gens les clés pour imaginer ce qui pourrait se passer après, les laisser poursuivre l'histoire en esprit, et pour ceux qui veulent aller très loin : imaginer un avenir à New York avec Jessica à sa tête. Et nous, c'est ce qu'on a fait… Cela ne s'appellera plus le "Pouvoir des Innocents" mais il est possible qu'une série voit le jour dans quelques années qui s'appellera "Les enfants de Jessica" et qui racontera ce que sont devenus Joshua, Jessica, Amy, ... Comment se sent-on maintenant que la série est terminée ? Un peu nostalgique, perturbé (rires)… ? Brunschwig : Oui (rires). Perturbé dans le sens où c'est la première série qui se termine… Perturbant dans le sens d'avoir créé quelque chose où on se dit que demain, on n'attaque pas la suite… En plus, avec des personnages qu'on chérit vraiment, auxquels on s'est attaché. Lorsque l'on s'attache ainsi, ce n'est évidemment pas facile de les laisser du jour au lendemain. Lorsqu'on parle de Joshua ou de Providence avec Laurent, on ne parle pas de marionnettes de fiction, mais bien de personnages qui ont leur propre logique, qui pensent en dehors de nous.. Ils pourraient vivre des aventures sans même qu'on s'en mêle, quoi (rires). Tu penses que des personnages BD échappent à un moment à leurs auteurs, et peuvent avoir leur "propre vie" ? Brunschwig : Si quelqu'un a envie de le reprendre par exemple ? Aux Etats-Unis c'est rigolo de voir comment les personnages évoluent, en passant de mains en mains des divers auteurs. Ce n'est pas inintéressant et c'est dommage qu'on ne le fasse pas davantage en France. Si on parlait un peu des deux autres séries qui sont sensées se terminer il y a un an ? Brunschwig : C'est joliment dit, ça (rires).. Pour "Vauriens", c'est fini. Il sortira en avril ou en mai 2002. Quant à "L'esprit de Warren", on y travaille, mais je ne peux encore rien annoncer de précis pour l'instant… Et tes autres projets : "Urban Games", "Angus Powderhill"… ? Brunschwig : Il devrait y avoir un "Urban Games" dans le courant de l'année. Comme je l'avais annoncé, le dessin est repris par Laurent Cagniat et Laurent Hirn. Au mois de mai, on a une série avec Olivier Neuray qui démarre chez Dupuis, dans la collection "Repérages" : Lloyd Singer (dont large explication en fin d'entretien avec Luc Brunschwig en janvier 2000). C'est une série que j'aime beaucoup et qui rejoint les préoccupations humanistes du "Pouvoir" mais sur un plan plus "feuilleton". J'ai fait du personnage de Lloyd Singer une espèce d'anti-Largo Winch ; à savoir complètement en retrait par rapport aux personnages auxquels il est confronté... Il était également question d'un projet avec Ralph Meyer. Brunschwig : Un projet qui est en projet… Ralph a beaucoup de travail pour l'instant, ce sera donc pour un peu plus tard. Par curiosité, à combien d'exemplaires a été tiré le "Sergent Logan" ? Brunschwig : 25.000 mille exemplaires. C'est pas mal ! Brunschwig : Il va falloir les vendre maintenant (rires).. Un tout grand merci. Interview et dossier réalisés par Catherine Henry
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