|
"Beau-Ténébreux"
(Plume
aux Vents T. 3) par Juillard
et Cothias
(Dargaud).
Il n'est pas de pire lieu commun que de souligner les talents de
grand dessinateur de Juillard. Pourtant, c'est le premier mot qui
me vient à l'esprit à l'heure d'écrire ces quelques lignes. Par un
dimanche pluvieux, je viens de relire les deux premiers tomes de Plume
aux Vents avant de dévorer le "petit nouveau". Et j'avoue
que j'en reste pantois. D'autant que ce nouvel album comporte huit
pages de croquis et crayonnés pour la possession desquels n'importe
quel amateur de dessin serait prêt à échanger père et mère (je parle
des originaux, hein, n'exagérons tout de même pas). |
|
|
Bref, André Juillard est un grand. Un très grand. Et on comprend
qu'il ait fait école, car son style est aujourd'hui devenu une véritable
référence pour de (trop ?) nombreux dessinateurs. Aucun n'arrive pourtant
à rendre aussi habilement toute la justesse des décors, des costumes
ou des attitudes d'une saga historique qui mène ses personnages de
l'Auvergne des années 1600 (Les
7 vies de l'Epervier) à l'immensité des Amériques trente ans plus
tard. Aucun ne parvient non plus à tracer des lignes d'une telle fluidité,
à masquer le travail et la rigueur derrière une apparence de clarté
innée. Aucun ne peut rivaliser avec ce souci du détail qui jamais
ne handicape la lecture, ou ne prend plus de place qu'il ne le doit.
|
Mais Plume aux Vents n'est pas qu'un chef d'œuvre graphique. La
suite des "Sept
vies de l'Epervier" (on devrait dire : la suite "officielle"
puisque comme chacun sait, Cothias a proposé chez Glénat et en compagnie
d'autres dessinateurs Ô combien moins talentueux une série d'extensions
à cet univers… sans compter un complément sous forme de romans déjà
abondamment annoncé) est un récit magnifique, peut-être plus captivant
encore que le précédent. |
|
|
Il y a dans Plume aux Vents des ingrédients que l'on
retrouve ailleurs, notamment dans "Les
pionniers du Nouveau Monde" de Jean-François Charles (et
consorts…) mais l'histoire raconte davantage qu'une saga plus ou moins
bien documentée sur les colons français des Amériques. Les personnages
arrivent dans ces immensités et auprès des Indiens avec un vécu irremplaçable,
qui leur donne cette profondeur et cette aura inimitables. |
|
La densité des caractères et des situations, la rigueur d'une documentation
qui sait se faire oublier tout en étant à l'origine de quelques-unes
des meilleures trouvailles de série (la fellation inconnue des Indiens
pratiquée par "Gorge-Chaude" ou l'homosexualité acceptée
qui permet la création d'un personnage aussi atypique que "Beau-Ténébreux"),
tout cela fait aussi partie des recettes du succès. A tel point qu'on
donnerait cher pour qu'André Juillard délaisse Blake
et Mortimer (où il se force à être un autre) pour ne se consacrer
qu'à Plume aux Vents. |
|
|
D'aucuns diront qu'après plus de vingt ans (si l'on tient compte
des années "Masquerouge"),
il a le droit de vouloir élargir son univers. Bien sûr, et ses albums
solo (Le cahier bleu et Après
la pluie) sont là pour en témoigner. Mais quand on a la chance
de dessiner une série qui a su sans cesse changer de décors et rebondir
sans jamais lasser… . |
Thierry Bellefroid.
Images Copyrights © Juillard
& Cothias - éditions Dargaud 2001
|