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Avec ce quatrième et dernier livre, Pasal Rabaté
achève une oeuvre, avec un "O" majuscule. Il y aura
pour lui l'avant et l'après "Ibicus" et pas seulement
en matière de notoriété. Le roman d'Alexis Tolstoï lui a fourni
la possibilité de prouver qu'il est l'un des créateurs parmi les
plus intéressants du moment. Cette adaptation très libre est en
effet à la fois une magistrale leçon de dessin et un monument
de mise en scène.
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Sur les traces des peintres et des cinéastes russes, Rabaté
a constamment travaillé sur les distorsions, les gros plans, les
champs, contrechamps ou plus subtilement encore, le "hors
champ". La narration se fait à la fois à travers le dessin,
le texte et le silence, le non-dit et le non-vu. Elle emmène le
lecteur à la frange de l'Histoire, à la rencontre d'un personnage
hors du commun.
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Siméon Nevzorof est un de ces anti-héros comme on les adore :
pleutre, détestable jusqu'à l'os, ambitieux, dénué de scrupules,
capable de se relever de la pire des humiliations et de croire
encore en sa bonne étoile. Parce qu'une cartomancienne lui a prédit
la fortune en 1917, Siméon va traverser la Russie et la Révolution
en passant par tous les trous de souris qui lui permettront de
survivre sans honneur, mais de survivre tout de même. Jusqu'à
ce quatrième album qui nous emmène à Istanboul où notre "héros"
va jouer la scène finale parmi les cafards, au propre comme au
figuré.
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Siméon est un souffre-douleur pour Pascal Rabaté qui s'est plu
à l'enfoncer dans la mouise pour mieux l'en faire triompher. Siméon,
le salaud magnifique, le lâche triomphant. Siméon l'increvable.
Son histoire n'est pas qu'un prétexte, même s'il est vrai qu'on
lit d'abord Rabaté pour la beauté du dessin, pour ces images uniques
déformées au fisheye, ces plans à la Eisenstein que personne d'autre
encore n'a osé avec un tel aplomb.
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Dans ce quatrième tome, le plus abouti au plan
graphique et le plus éloigné du lavis des débuts, Rabaté se fait
à la fois peintre et cinéaste, allant jusqu'à "jouer"
la profondeur de champ (on pense à la première case de la page 114,
par exemple, du jamais vu en BD !). Mais à côté du travail de metteur
en scène, d'adaptateur, de dialoguiste et de dessinateur, il y a
un auteur à part entière qui a su puiser dans l'oeuvre d'un "obscur"
aîné (l'Histoire a retenu le prénom de Léon Tolstoï, mais elle a
jeté aux oubliettes le pauvre Alexis) la matière nécessaire à l'éclosion
de son talent le plus pur. Comme si en tombant sur Ibicus, Rabaté
était allé chercher au fond de lui-même ce qu'il avait de meilleur
: un talent artistique dégagé de toute contrainte.
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Thierry Bellefroid.
Images Copyrights
© Rabaté - Vents d'Ouest 2001
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