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"Hortus
Sanitatis" par Frédéric Coché
(Fréon).
Voilà un album qui ne pouvait paraître que chez Fréon. Il correspond
parfaitement à la démarche de cette maison d'édition indépendante.
D'une part parce que "Hortus
sanitatis" s'inscrit dans une expérience internationale en
atelier menée en 2000 autour du thème de la ville. Imaginé en partenariat
avec "Bruxelles 2000" (qui était le nom officiel de l'opération
"Bruxelles, capitale culturelle de l'an 2000") cet atelier
BD a déjà débouché sur plusieurs publications d'albums, parmi lesquels
le très beau "Ophélie et les directeurs des ressources humaines"
d'Eric Lambé. |
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Mais on reconnaît ici d'autres traits propres à Fréon. Notamment,
une approche du récit -on devrait presque dire une interrogation sur
le récit- qui s'exprime entre autres par une multiplication des supports
et des expériences de narration alternatives. En cela, cet album entièrement
réalisé en eau-forte est un modèle du genre (Pour ceux qui ne connaissent
pas cette technique, l'eau-forte est une technique de gravure qui
s'opère sur une plaque de métal enduite de vernis. Avec une pointe
fine, on enlève le vernis puis on plonge la plaque dans l'acide. Là
où le vernis a disparu apparaissent des sillons. Il n'y a plus qu'à
les remplir d'encre). |
"Hortus sanitatis" est d'autant plus intéressant qu'il
renvoie de manière très évidente à la peinture (et principalement
à la peinture belge, nous le verrons plus loin) tout en véhiculant
des images fortes et symboliques qui évoquent à la fois le passé de
Bruxelles et l'universalité des thématiques abordées. Ça fait beaucoup
pour une histoire de 32 pages muettes… Frédéric Coché a longuement
traîné dans les musées bruxellois, c'est une évidence. Et il en gardé
des images fortes. On ne peut s'empêcher de penser à James Ensor en
lisant cette histoire. Il y a quelque chose de "L'entrée du Christ
à Bruxelles" dans cette BD (qui n'est pas exposé à Bruxelles,
mais aux Etats-Unis, malheureusement). Non seulement parce qu'elle
fait une large place aux masques et à la mort (on ne compte pas les
tableaux, dessins et gravures d'Ensor qui font la part belle aux masques
et aux squelettes). Mais aussi dans une certaine mesure parce que
la mise en place des personnages dans le cadre rappelle Ensor… qui
était aquafortiste, lui aussi. |
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Mais on retrouve aussi toute l'iconographie médiévale associée aux
Armes de la ville, notamment dans le combat entre Saint Michel et
le Dragon, remplacé ici par un squelette. On pense également à Jérôme
Bosch, à Marcel Broodthaers ou même à Magritte. Pourtant, "Hortus
sanitatis" (littéralement "le jardin sain") n'est pas
une œuvre à usage exclusif des Bruxellois. Au contraire. Frédéric
Coché est Français. Et son but n'était ni de raconter l'histoire de
Bruxelles ni celle de l'art belge. Son "Hortus sanitatis"
est d'ailleurs une très belle évocation du triomphe du plaisir, de
la vie et de l'amour sur la mort. |
A travers des éléments parfois empruntés au surréalisme, comme cette
pluie de moules régénérescente, il construit un récit sans texte dans
lequel chacun puisera la matière qu'il désire. Mais ses images ne
sont jamais gratuites. Et leur sens n'est pas toujours univoque. Aussi,
le dernier dessin est-il à la fois un paysage et l'entre-jambe d'une
femme, forêt de vie qui a engendré l'arbre salutaire. |
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Vous l'aurez peut-être compris, "Hortus sanitatis" est
un livre difficile d'accès. Ses niveaux de lecture pluriels, sa technique
inhabituelle le placent parmi les ouvrages de BD expérimentale. Mais
il mérite une attention toute particulière. Parce qu'il s'inscrit
dans le cadre d'un travail de fond : celui de quelques jeunes créateurs
qui tentent, depuis une petite dizaine d'années, de renouveler la
bande dessinée en la confrontant à toutes les techniques sémantiques
et plastiques. |
Thierry Bellefroid.
Images Copyrights © Coché
- éditions Fréon 2001
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