Alors que les personnages de "L'
autoroute du soleil" s' enfoncent vers le sud, Baru revient
du Japon et dépose son sac, le temps d' une scéance
de dédicaces. En passe de devenir un des gros "cubes" des éditions Casterman, le rocker sort de son perfecto la grille d' accords de son nouveau manga : une époustouflante fuite en avant de plud de 400 planches.
Pourtant, l' itinéraire de Baru
sur les chemins de la bande dessinée n' est pas précisément
ce qu' on peut appeler une ligne droite. les 3 volets du "Quéquette
blues", ainsi que "La piscine de Micheville", paraîtront
chez Dargaud au milieu des années 80. Tout est là
: rock n' roll, drague, banlieue, bal du samedi et petite criminalité.
C' est le fonds génétique de Baru, qui avoue par
ailleurs ne pas laisser passer un jour sans faire fonctionner
sa platine, "depuis 1961 et Johnny Halliday!" Aujourd'
hui, cet univers prend une dimension ironique avec la publication
dans (A Suivre) d' épisodes en forme de queue de poisson
à la "nostalgie des vieilles bananes" ("Sur
la route encore").
Entretemps, Baru fait un crochet par
Futuropolis, le temps de 2 albums : "La communion du Mino"
(1985) et "Vive la classe" (1987). Sa première
histoire publiée par Albin Michel sera "Cours camarade"
(1988), fuite-poursuite aux ellipses "brutales", à
l' action serrée et qui pourtant, fera un beau flop commercial.
S' agit-il ici d' un brouillon pour "L' autoroute du soleil",
les 2 albums étant plus que "proches"? Pas tout
à fait : Baru prévoyait 5 tomes pour aller au bout
de cette riche trame dramatique mais l'éches des ventes
suspendra cet élan qu' il ne pourra reprendre qu' avec
l' opportunité japonaise de "L' autoroute". Il
lève donc le pied et réalise "Le chemin de
l' Amérique", album à relire impérativement,
à l' instar de tous les récits traitant de l' Algérie
française. Alors qu' Albin Michel réédite le "Quéquette blues" sous le titre -ça alors- de "Roulez jeunesse" (1991), Baru collabore au collectif "Johnny, les années soixante" (éditions Hors Collection, 1992). Les thèmes qui lui sont chers tournent à l' obsession, comme un compteur de vitesse sur une route déserte. C' est alors l' envol non plus vers l' ouest mais vers le pays du soleil stressé, le manga-land.
Aujourd' hui Baru rend hommage à
Pratt ("une grande influence, par le biais de Munoz"),
planche sur la narration originale et les fausses pistes de "
Sur la route", s' impose comme un auteur au moins aussi exceptionnel
que ses collègues d' (A Suivre) (sortez lui une phrase
comme celle-là et il fait un bond au plafond). Albin Michel
reste cependant son " principal éditeur". Enfin,
Baru a collaboré à une espèce de pub-catalogue
pour MTV sur le thème "rendre service sans s' en rendre
compte".
Le style explose dans " L' autoroute"
: raccourcis sans compromis, tension soutenue par des situations
" embarquées", nuances dans les couleurs (travail
au lavis). L' album tient la route de ses 430 planches et le moteur
tourne tellement rond que le lecteur ne s' arrêtera pas
avant l' étape finale.
L' origine du projet " L' autoroute
du soleil" se trouve donc dans " Cours camarade"...
B : Quand les Japonais m' ont demandé
une histoire qui fasse au minimum 200 pages, ça a fait
tilt dans ma tête. J'étais à l' étroit
dans les formats traditionnels de la BD, qui empêchent de
développer des situations au-delà des archétypes
et poussent au style elliptique. " Cours camarade" est
donc un squelette de course poursuite. " L' autoroute"
en reprend la trame dramatique -deux types et des tarés
à leurs trousses- et développe ses potentialités
: récit plus complexe, situations plus fines, fausses consécutions,
personnalités moins manichéennes.
" Cours camarade" est une
histoire des années 80 et " L' autoroute" une
histoire des années 90.
B : Il faut de la prétention
pour parler de son époque et tendre au lecteur une sorte
de miroir du monde. pour assumer cette prétention, le produit
doit être conforme aux intentions et refléter vraiment
l' époque. Il y a presque 10 ans entre les 2 albums : les
choses ont bougé dans les banlieues...
...les babas sont devenus trafiquants
de came!
B : Tout le monde s' adapte à
la modernité! Je me suis bien amusé à détruire
les discours condescendants sur les baba-cools. Mais il faut nuancer.
Quand on a de la place, on peut créer des psychologies
vraisemblables, jouer sur les apparences, faire passer un gentil
pour une crapule, etc... Par exemple, le personnage de René
Loiseau au départ était un con, c' est tout. Après,
il montre sa sensibilité...
...et il se les envoie toutes! Comment
passe-t-on au Japon quand on est un auteur français?
B : La démarche de Kodansha est
la suivante : pour des raisons qui lui appartiennet, ils cherchent
des auteurs européens. C' est pour cela qu' ils m' ont
contacté. Mais moi, j' espérais bien voir cet album
revenir en France. En fait, "L' autoroute" est très
important pour moi parce que je trouve la BD trop chère
et les bouquins pas assez longs. mon album est justement "
étalé" et je voulais qu' il revienne en France
à un prix abordable. C' était ma condition : "
L' autoroute" à moins de 100 FF. Pour Albin Michel,
c' était impossible. Mougin (directeur éditorial
de Casterman) suivait la publication des planches au Japon dans
l' hebdomadaire Morning, à l' été 1994 (tirage
de Morning : 1200000 exemplaires). Et voilà toute l' histoire.
Kodansha vous a-t-il demandé
de faire dans le style manga?
B : Pas du tout! Vous trouvez que cela
ressemble à du manga?
Ben...
B : Le problème est qu' en France,
on a une image caricaturale du manga, un véritable cliché.
Bien sûr, on reçoit les niaiseries genre " Dragonball".
Bien sûr, quand on va au Japon, on se rend compte qu' il
s' agit d' une part très importante du champ de la BD.
Mais il y a aussi des auteurs japonais exigeants, pointus, au
graphisme élaboré, avec des récits profonds
etc...C' est une question de proportion mais le marché
japonais est tout aussi varié que le nôtre. Voyez
les autres titres de la collection Manga de Casterman. Dans le
fond, c' est comme le rock : il y a les Sex Pitols -et certains
y sont restés- mais il y a aussi les Clash...
"L' autoroute" est-elle
une road-BD, comme on dit un road-movie?
B : C' est le genre qui veut cela. Ma
génération a été marquée par
les mythes de la route (Kerouac, etc...) et cela s' est imposé
dans mon écriture. graphiquement, je suis obsédé
par le mouvement et son rendu par des images fixes. Les personnages
bougent et tout doit aller de l' avant.
L' histoire commence dans la banlieue
et s' achève...auè bord de la mer. Tout n' est donc
pas pourri...
B : Je suis un optimiste. J' ai construit
cette histoire comme un conte de fées pour adultes. Comme
l' a expliqué Bruno Bettelheim dans son "Psychanalyse
du conte de fées", ce type de récit doit faire
très peur et se terminer sur une porte de sortie pour le
personnage principal, que la fin soit heureuse ou non. Karim et
Alexandre vont-ils s' en sortir? Leur univers industriel ;s' écroule,
symbolisé par la chute d' un haut-fourneau. Ils n' ont
plus aucune raison de rester là où ils sont. Le
destin se présente alors sous la forme d' une femme mal
mariée à un fasciste. Le mari, doublement humilié,
va donc tout mettre en oeuvre pour abattre cet Arabe qui le cocufie.
Et l' équipée sauvage
continue sur 400 pages! A propos de Bettelheim, il a aussi mis
en évidence des aspects initiatiques dans les contes de
fées. Ici,on retrouve cette approche par la diversité
des rencontres et des espaces, non,
B : Je ne suis pas très technique,
je marche au feeling. J' ai bientôt 50 ans et depuis que
je suis né, je suis une éponge! C' est à
dire que j' absorbe tout ce qui fait ma culture : livres, films,
etc...Lorsque j' écris, je presse mon éponge! Je
ne fabrique pas mon histoire de manière très consciente,
je vais là où mon imagination m' entraîne.
On ne maîtrise pas la machinerie intime qui nous fait digérer
nos expériences...
Il y a tout de même quelques
pauses dans la course prolongée de "L' autoroute".
L' intermède consacré à la Facel-Véga
m' a fait penser à Maurice Tillieux.
B : Tillieux est pour moi une découverte
récente. Je n' ai pas de culture en BD belge puisque j'
ai grandi avec la presse communiste et "Vaillant", l'
ancêtre de " Pif gadget". Mais quand je l' ai
découvert, quelle claque! Tillieux dessinait de ces bagnoles,
c' est écoeurant! Mais por revenir sur les respirations,
le port de Marseille par exemple, disons simplement qu' elles
sont nécessaires. J' ai fait "Cours camarade"
comme un sprint, en apnée. Alors que " L' autoroute
du soleil" ets un marathon, avec des grosse dépenses
d' énergie et des phases où l' on reprend son souffle,
comme des plateaux successifs inéluctablement entraînés
vers une tension plus grande.
Le sprint, le marathon et ensuite,
le triathlon?
B : " Sur la route encore"
fera moins de 100 pages et moins de 100 FF, je l' espère.
Ensuite, je travaillerai ;à nouveau pour les Japonais,
sur un principe de nouvelles autour d' un thème, un peu
comme dans le film " Short cuts". Il s' agit d' histoires
d' amour, que je réaliserai au lavis. interview de Pierre Polomé. parue dans REB 12. |